3. Invités surprise

Une jeune femme, vêtue sobrement, déambulait sur le chemin de ronde du château de Blanquefort.
Elle tenait dans ses bras un petit garçon qui, avec ses petites mains, jouait innocemment avec le tissu de la guimpe blanche qui recouvrait les cheveux blonds vénitiens de la porteuse, ignorant la symbolique mortuaire de la chose. Elle s'amusait de le voir toucher la texture du voile et le laissait faire. Après tout, il était encore trop jeune pour comprendre qu'elle était en période de deuil et elle ne voulait pas que le joli sourire du petit roux s'évanouisse.

Entre le crénelage des courtines, elle regardait la campagne environnante recouverte de vignes qui prenaient un bain de soleil en ce mois d'octobre. Elle aimait voir l'ondulation des feuilles au gré du vent et aux passages de femmes et d'enfants qui coupaient les grappes de raisin à l'aide de serpettes.
La jeune femme chérissait plus que tout cette période de l'année qui mettait le château dans une ambiance festive. Les vendanges revenaient chaque année sans exception pour son plus grand bonheur et cela avait le don de la rassurer. Elle avait l'impression que tant que cela durerait, il ne pourrait rien arriver, à elle ou à sa famille, et que tout son monde était comme figé dans le temps.

Mais cela ne servait à rien de se lober* et elle ne le savait que trop bien. Les derniers événements en date n'étaient pas des plus apaisants. Depuis la capitulation des Anglais et la mort tragique de son fiancé à la guerre, il y a trois mois maintenant, elle se sentait en sursit, guettant la moindre anomalie qui allait faire s'effondrer sa vie. Elle ne savait laquelle des deux catastrophes, son veuvage prématuré ou la victoire de Charles VII, l'affectait le plus.

Elle fut tirée de ses sombres pensées par la voix fluette du petit garçon.

— Grande sœur ! Grande sœur ! Comment s'appelle la rivière là-bas ?

Elle posa ses yeux sur son frère, Paul, né cinq ans auparavant, pour le plus grand bonheur de son père et de sa belle-mère.

— C'est la Jalle de Blanquefort, qui se jette un peu plus loin dans la Garonne. Avant-hier on y était. Tu te souviens ? Tu y as  trempé tes petits petons.

— Oui-da ! Je me souviens. C'était froid ! Brrr !

La jeune femme s'esclaffa en voyant la grimace du petit.

— Bien, il est temps de rentrer pour ta leçon. Elle doit t'attendre.

Comprenant tout de suite à qui elle faisait référence, le garçon gémit :

— Oh non ! Pas elle ! Pas encore la duègne ! Je veux pas ! S'il-te-plaît, Marie...

— Allez, petit chenapan. On a déjà trop traîné. On rejouera après, promis. C'est bien plus important d'apprendre à lire et à écrire.

Alors qu'elle commençait à se diriger vers les escaliers en pierre avec Paul en train de bouder, un garde du château l'apostropha :

- Damoiselle Marie ! Un contingent semble se diriger tout droit vers nous.

Alertée, elle se plaça à côté du garde et plissa les yeux en apercevant au loin des cavaliers. Elle resta là, plusieurs secondes, pour tenter d'identifier les hommes qui arrivaient. A un moment, la vue des bannières avec les armoiries royales la plongea dans l'inquiétude. Inquiétude confirmée par les gardes juste après .

— C'est l'armée royale !

A peine le garde eut fini de prononcer sa phrase que Marie s'élança vers l'intérieur du château.

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Essoufflée par sa cavalcade, elle ouvrit en trombe la porte de l'étude de son père.
Les personnes présentes dans la pièce ovale, relevèrent le nez, intrigués par le bruit. Ils furent bien déconvenus de voir Marie dans tous ses états. La jeune fille brune assise à côté d'un homme d'un âge avancé, se redressa et demanda ce qu'il se passait :

— Tout va bien sœurette ? On dirait que tu as vu un fantôme.

— ILS ARRIVENT ! Vite ! Cachez tout ! Je savais bien que cela finirait par arriver !

L'homme s'approcha de Marie pour essayer de comprendre. Il n'aimait pas ça.

— Qui ça ? Qui arrive ?

— L'armée royale !!

L'autre jeune fille poussa un cri épouvanté et son corps se mit à trembler.

— Tu es sûre, Marie ? demanda l'homme.

— Au vu de la réaction des gardes, je crois qu'il n'y a point de doute.

— Quelle malchance ! dit-il en regardant tous les papiers et parchemins, éparpillés sur le bureau. Ce n'est  vraiment pas le bon jour...

— Je savais que c'était inconscient de garder tous ces documents. S'ils tombent dessus, nous allons tous finir pendus ! s'énerva Marie.

— En plus, Mère, Andrew et William ne sont même pas là ! paniqua la brune.

L'homme qui sentait l'angoisse monter, temporisa la situation.

— Du calme les filles ! Reprenez-vous. Ils viennent peut-être simplement faire halte et demander l'hospitalité.

— Je ne compterais pas trop là-dessus, Geoffroy, ronchonna la blonde en lorgnant sur tous les parchemins et les manuscrits.

—Eh bien, nous allons vite le savoir. Je vais rejoindre les gardes et voir ce qu'il se passe. En attendant de savoir leurs véritables intentions, Isabelle tu conduis ton petit frère à l'étage et tu y restes. Quant à toi, Marie, tu débarrasses cette pièce de toutes ces lettres et preuves compromettantes le temps que je les distraits.

— Il y en a tellement ! Comment est-ce que je m'y pren...

Personne n'écouta Marie et ils sortirent tous comme si le Diable était à leur trousse, la laissant seule face à son désarroi.

— Corne de bouc ! Bon, vite trouver une solution... Que faire ? Je ne peux pas les brûler, allumer le foyer me prendrait trop de temps.... Oh, je sais !

Elle attrapa tous les éléments qui les incriminaient et les rassembla en un petit tas.

Au bout d'un moment, elle estima  avoir tout trouvé, sortit donc de la pièce et courut à travers le long couloir en direction des latrines.

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Les gardes ouvrirent la herse sur ordre de Geoffroy. Pour lui, mieux valait ne pas montrer des signes de résistance sous peine d'attirer l'attention et la suspicion.
Se tenant dignement dans la cour, il regarda les soldats freiner leurs chevaux. Deux hommes plutôt jeunes démontèrent et s'avancèrent vers lui.

— Bien vaigniez*. Que me vaut l'honneur de votre visite ?

Un des deux jeunes hommes prit la parole et demanda de but en blanc :

— Êtes-vous messire Andrew ?

— Nenni, Sire Montgomery est un de mes associés et surtout c'est un vieil ami. Je me prénomme Geoffroy Boswell. Je suis un marchand anglais. Mon accent peut en témoigner, dit-il tout penaud.

— Où sont les hôtes du château ? demanda l'autre jeune homme blond, habillé tout en noir, de plus en plus en tendu.

— Ils se sont absentés pour affaires. Je m'occupe du château le temps qu'ils reviennent. Cela ne devrait pas tarder d'ailleurs. Bien, à qui ai-je l'honneur de m'adresser ?

— Voici le chevalier Malo de Kentel. Et je suis moi-même chevalier et fils du vicomte de Sens.

Le Breton prit la suite en déroulant un parchemin marqué par le sceau royal.

— Nous sommes envoyés sur ordre du Roi. Le temps de notre mission, nous vous prions de bien vouloir nous accueillir au sein du château.

— Je suppose que cela doit être une mission de la plus haute importance.

— Nous sommes ici pour pacifier la contrée et éradiquer les opposants au véritable roi de France, expliqua le chevalier de Kentel fièrement. Nous comptons sur votre discrétion et collaboration bien entendu.

Devant l'air sidéré du marchand, il ajouta :

— Je suis sur que d'honnêtes gens comme vous n'ont rien à se reprocher et que nous n'aurons pas besoin de vous mettre sous surveillance, n'est-ce pas ?

« Les sottards ! Ils sont tellement sûrs d'eux. Ils savent que nous sommes piégés ! Ils vont rôder autour de nous tous ces chiens. »

Louis scruta la visage de l'homme qui leur faisait face, pour voir le moindre signe suspect. Il reconnaissait bien la méthode directe de son ami : déstabiliser et conduire l'ennemi à se piéger tout seul sous la pression.
Les deux chevaliers s'étaient mis d'accord, ils allaient jouer la carte de la franchise dès le départ. De toute façon, personne ne serait dupe quant à la cause du détachement d'un contingent de l'ost royale dans la région. La discrétion n'était pas de mise pour le moment, bien au contraire. Le roi Charles VII voulait faire étalage de sa puissance pour montrer la résistance de son pouvoir et intimider tous les fous qui oseraient comploter.

— Messires, il est évident que nous n'avons aucun lien avec les opposants au Roi. Nous aspirons à la paix comme tout le monde. Lorsqu'il reviendra, le seigneur du château vous dira la même chose.

— Nous nous comprenons dans ce cas, répondit Louis. Malo, reste ici avec ce charmant homme, le temps que j'inspecte un peu le fort. Je le trouve curieusement désert.

Il partit sans entendre la réponse de son compagnon. Il fallait qu'il bouge car il se sentait vraiment mal à l'aise de se retrouver ici. Il associait le lieu à de mauvais souvenirs voire des souvenirs douloureux.Il n'était venu qu'une seule fois avec ses parents lorsqu'il était plus jeune mais il se souvenait étonnement bien de la structure de la bâtisse. Il se rappelait aussi qu'il y avait plus d'occupants que ça dans le château. Des occupants un peu remuants d'ailleurs. C'était bien trop calme à son goût. Ainsi il s'engouffra dans le château, cherchant quelque chose. Ou quelqu'un.

Geoffroy espéra de tout cœur que Marie avait réussi à tout faire disparaître sinon ils allaient avoir de sérieux problèmes.

* se lober : duper, tromper
* bien vaigniez : soyez les bievenus

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Hum hum . Quel genre de problèmes ? Mouhahaha😂

Je suis sadique je sais
Si cela vous plaît n'hésitez pas un laiser un petit comm

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