10. On règle les comptes
Marie émergea du sommeil en même temps que le lever du jour.
Elle avait une sensation de bien-être grâce à une source de chaleur tout près d'elle. Une odeur de santal mêlée à des notes de cuir et d'ambre lui arrivait jusqu'aux narines.
Une petite effluve de vase gâchait quelque peu cette bonne senteur
Elle raffermit sa prise et frotta son front contre la source de chaleur. Elle sentit la force de la vie à côté d'elle, une pulsassions douce et rassurante, comme un cœur qui bat...
Pas si vite ! Un cœur qui bat ?!
Elle ouvrit ses yeux grands comme des soucoupes et réprima un gémissement à la vue de Louis, raide comme un piquet, endormi, juste à côté .
Ce houlier avait dû probablement profiter d'elle ! Elle s'apprêtait à lui mettre une grosse beigne mais suspendit son geste en remarquant qu'elle était emmitouflée dans la cape du jeune homme. Elle comprit alors qu'il avait simplement voulu la réchauffer. Voilà qui était assez surprenant de sa part. Il avait certainement eut pitié d'elle ou alors il avait eu peur qu'elle lui clapote entre les doigts à cause du froid.
Elle se calma et s'extirpa en évitant de le réveiller et examina les alentours. Tout était paisible, on entendait juste le piaillement des oiseaux. Les belles couleurs d'automne s'épanouissaient, signe que l'hiver n'allait pas tarder à s'installer.
La jeune femme porta son attention sur le magnifique étalon blanc qui la fixait de ses yeux bruns. Il n'était pas attaché et pourtant il n'avait pas bougé d'un pouce depuis hier soir. C'est vrai qu'il était assez obéissant et devait être très attaché à son cavalier.
Elle eut un pincement au cœur en pensant à cette solide amitié. En effet, elle-même avait perdu son fidèle compagnon, un splendide alezan, cet été, d'une maladie infectieuse et depuis elle n'arrivait pas à prendre un autre cheval, trop attachée encore à l'ancien. C'est pour cela qu'elle empruntait celui de sa sœur et qu'elle était vraiment embêtée de rentrer sans lui.
Elle s'approcha de la bête et tendit la main pour qu'il la renifle. Étrangement, il sembla l'accepter, ainsi elle put le caresser. Elle se fit la réflexion qu'il avait dû reconnaître l'odeur de son maître sur elle, pour qu'il ne dise rien. Cette idée la troubla légèrement mais se reprit vite.
Entre temps, Louis s'était réveillé de sa courte nuit et eut l'impression qu'il avait perdu quelque chose en route. Il réalisa alors que la blonde vénitienne n'était plus là et il la chercha du regard. Il la vit de dos en train de chouchouter Charlemagne. Il se leva et alla à leur rencontre, étonné par ces réconciliations subites.
Le cheval remarqua son maître arriver, contrairement à Marie qui ne se doutait de rien et parlait à haute voix :
— Je suis désolée Carolus de t'avoir fait souffrir. Ce n'était pas vraiment dans mon attention. Je visais ton insupportable propriétaire. Tu es bien trop beau pour qu'on puisse vouloir te faire du mal.
Ledit insupportable propriétaire manqua d'éclater de rire et répondit à cette attaque indirecte :
— Si je comprends bien tu laisses la vie sauve à ceux qui ont un faciès attrayant. Dois-je en déduire que je suis laid ?
Il la vit tressaillir et se retourner. Elle avait l'air gêné.
— Que nenni, messire Louis ! Vous êtes à l'image de votre cheval ! Euh ...enfin, je veux dire que ...vous êtes beaucoup moins beau que lui. Mais moins moche que la plupart des ... euh ...
Elle s'embrouilla complètement dans les explications et devint toute rouge. Elle s'énerva devant les yeux rieurs de Louis et le fustigea :
— Vous n'avez rien de mieux à faire que de poser des questions troublantes et vides de sens ?
— Si mes questions sont vides de sens pourquoi te troublent-elles ? Ou alors c'est moi qui te trouble ?
En disant cela, il s'était rapproché et se retrouva presque collé à elle. Elle eut du mal à déglutir, il était vraiment trop près d'elle pour que ses pensées restent cohérentes. Elle ne l'avouerait pour rien au monde mais il lui faisait quand même sacrément tourner la tête, alors qu'il ne cessait de la martyriser.
Le baiser qu'ils avaient échangés, quelques jours auparavant, avait certainement sa part de responsabilité. Elle avait l'impression de devenir maso.
En puisant dans ses ressources, elle le poussa pour l'éloigner et lui dit sévèrement :
— Vous n'êtes pas le nombril du monde, messire Louis. Vous m'indisposez par votre comportement abject ! J'ai grande hâte que vous finissiez votre mission et que vous quittiez le château !
Il se rembrunit et parla d'une voix cassante :
— Au risque de vous décevoir , toi et ta famille, nous allons rester encore un peu. Il y a encore un peu trop de rebelles. D'ailleurs, j'espère que vous ne nous cachez rien. Sinon les conséquences risquent d'être terribles.Bien rentrons, cette promenade n'a que trop duré.
Marie pâlie mais fit un signe de tête entendu. Ils levèrent le camp rapidement et partirent.
Toutefois, comme ils étaient tous les deux perdus,ils convinrent d'un commun accord de s'arrêter pour demander leur chemin dès qu'ils le pourraient.
A un moment, ils virent avec bonheur une vieille ferme et s'y dirigèrent. Le fils du vicomte de Sens démonta, suivie de l'Anglaise et toqua à la porte en bois du bâtiment.
Lorsque celle-ci s'ouvrit, ce fut la stupéfaction générale.
Le type qui avait dérobé le cheval de la sœur de Marie, se tenait devant eux. Il ne devait pas avoir plus de 18 ans mais on voyait qu'il ne respirait pas la vitalité. Il était sale, ses yeux étaient cernés de poches noirâtres et ses vêtements partaient en lambeaux.
Louis réagit au quart de tour et colla une droite au jeune malfrat qui tomba à la renverse.
— Scélérat ! Il est où le palefroi qui tu as pris ?
Comme l'autre ne répondait pas, la bouche ensanglantée, le chevalier le saisit par le col de sa chemise trouée, pour lui infliger une deuxième dérouillée mais une femme en haillons s'interposa et implora le blond, les larmes aux yeux :
— Je vous en supplie, messire ! Ne faites pas de mal à mon fils ! Épargnez-le, par pitié !
— Sais-tu, vieille femme, quel infâme crime a commis ton fils ?
La femme aux cheveux grisonnants s'agenouilla devant lui et pleura toutes les larmes de son corps. Entre deux hoquettements , elle parvint à articuler :
— Je le sais que trop bien, messire. P-pitié ! Il ... Il n'avait pas le choix ! Châtiez-moi à sa place mais pitié ne lui faites point de mal. Il était ob...obligé ...
Marie fut prise de pitié en voyant cette pauvre femme si éplorée. Elle se baissa pour lui prendre les mains et la relever avec douceur .
— Calmez-vous. Nous n'allons point vous châtiez. Mais pourquoi dites-vous que votre fils était obligé ?
— Ils menacent la vie de mes autres enfants. Si mon Arthur ne leur avait pas ram'né queq'chose hier, ils seraient v'nus me prendre un de mes enfants.
Louis qui était en train de comprendre ce qu'il se passait, demanda des précisions :
— Qui ça « ils » ?
— Les affreux bonhommes de ce préteur sur gages, Ferdinand. Mon pauvre mari a emprunté de l'argent à c't crâne dégarni mais comme il est mort, il demande maintenant tout son ozeille* plus les intérêts.
— Donc le cheval est en sa possession, en déduisit le Sénonais. Où-est ce qu'on peut le trouver ?
— Dans le bourg d' Izon. Ce n'est point loin d'là.
— Dans ce cas, Arthur va nous y conduire, fit Louis en désignant le fils de la femme, encore tout tremblotant. On va avoir une petite discussion entre hommes.
******************************
Ils s'arrêtèrent devant la devanture d'une échoppe.
Après avoir demandé à Marie d'attendre dehors, Louis et Arthur pénétrèrent à l'intérieur. Celle-ci se plia à sa demande mais pas sans rouspéter.
Les deux jeunes hommes avancèrent jusqu'à une grande table en acajou où un homme chauve était penché, concentré à lire des parchemins. Sans lever le nez de ses feuilles, il prononça d'une voix grave :
— Comment puis-je vous aider ?
— On vient régler nos comptes, déclara Louis.
Cette fois, Ferdinand leva la tête pour regarder en face son interlocuteur et fut surpris de voir Arthur à côté du chevalier.
— Messire, vous venez payer la dette de ce freluquet ? interrogea le chauve.
— C'est de cette façon que vous vous adressez à vos clients ?
— Je suis déjà bien aimable de leur accorder des délais supplémentaires. Cela fait déjà plusieurs semaines.
— Et menacer des enfants est aussi une démonstration de votre générosité ?
— Qu'est-ce que vous voulez ?
Les traits de l'homme se durcirent. Il savait que ça sentait le roussi.
— Je viens récupérer un morceau de la dette apporté hier. Et au passage, vous allez me faire le plaisir d'effacer l'ardoise. Exiger de l'argent sur le dos d'un mort n'est pas digne d'un bon chrétien.
— Être bon chrétien et un homme d'affaires compétent sont deux choses bien distinctes, messire.
— Vous vous fichez du monde ! s'emporta le blond. Pire qu'un dialogue de sourds ! Vous...
Il n'eut pas le temps de continuer sa tirade car la porte s'ouvrit avec fracas. Deux hommes aussi menaçants que baraqués venaient d'entrer, dont un qui tenait Marie fermement pas la taille. Elle n'avait pas l'air d'apprécier.
— Patron ! Cette donzelle était en train d'écouter à la porte. Qu'est-ce qu'on fait d'elle ? Euh... on dérange ?
— Mais lâchez-moi, espèce de truandaille !
Louis blêmit de colère et commença à degainer son épée.
— Je vous conseille de faire ce que vous dit la damoiselle sinon vous allez tâter de mon épée.
Le prêteur sur gages, Ferdinand, se saisit d'une petite cloche sur la table et la fit sonner.
— Bien, la boutique va fermer. Vous ! ordonna-t-il à ses "molosses",vous vous débarrassez de tout ce beau monde ! Je n'ai pas envie qu'ils nuisent à mes affaires.
Puis, le chauve les quitta par une porte dérobée.
Alors, un des deux types restants, analysa ses adversaires pour jauger ses chances de victoire et choisit de s'occuper d'Arthur. Il dut sentir que le chevalier blond serait plus coton à terrasser.
L'autre gars avec une tête en en forme « d'oignon », sortit un scramasaxe* de sa ceinture, pour l'appuyer sur la gorge de Marie et celle-ci jeta un regard paniqué à Louis qui tremblait de rage.
Pour gagner du temps, elle parla à son bourreau tout en regardant intensément le Sénonais, comme pour lui faire passer un message silencieux :
— ATTENDEZ ! Je suis sûre que nous pouvons trouver un terrain d'entente ! Faire couler le sang ne servira strictement à rien. Je ne suis qu'une pauvre femme sans défense qui déplore la perte de son fiancé. Si vous me tuez, est-ce que vous aurez encore le courage de regarder votre femme et vos enfants dans les yeux ?
— Je n'ai point de femme, répondit l'homme avec un air bête.
Marie continua à causer pour lui faire baisser sa garde :
— Ah ! Mais ne vous en faites pas pour ça, je suis sûre que vous allez vous trouver une charmante épouse qui fera battre votre cœur.
A la fin de cette phrase, Arthur parvint enfin à mettre hors d'état de nuire, l'homme de main qui l'attaquait, en l'assommant d'un bon coup de gourdin. Marie en profita pour écraser de toutes ses forces le pied de l'homme oignon, distrait et hurla un : « maintenant ! ». De douleur, il la lâcha ce qui lui permit de se dégager et Louis put prendre le relais. Il bondit sur l'agresseur comme un félin et le fit tomber. En trois coups de poing bien placés, il le mit k.o.
Il se redressa et interpella Marie d'un ton malicieux :
— Une « pauvre femme sans défense », hein ?
— A cas désespéré, mesures désespérées.
— Euh... je crois que nous avons de la compagnie, les prévint Arthur.
Effectivement, quatre autres gorilles accompagnés d'un énorme chien, à poil ras, étaient en train de dévaler les marches d'un escalier en colimaçon.
L'Anglaise qui comprit qu'ils ne venaient pas pour leurs offrir des biscuits, monta sur la table et ordonna à Louis de lui balancer l'arme de l'homme oignon. Il s'exécuta sous l'ordre impérieux mais il n'eut pas le loisir d'émettre des réserves car le chien aux babines retroussées, s'élança vers lui. Le chevalier se serait fait bouffer le nez si Arthur ne l'avait pas assommé en plein vol avec son arme. Le cabot s'écrasa par terre en jappant et s'enfuit la queue entre les pattes.
Un peu énervés, deux gars se chargèrent de prendre en tenaille Louis, qui ne se débina pas et contre-attaqua avec son épée. Un autre confronta le jeune paysan et le denier, marqué d'une grosse balafre au visage, eut un sourire ironique en avisant Marie, avec son arme, du haut de la table. Il fut bien forcer de ravaler son sourire quand elle le désarma en un tour de lame et qu'il se prit un magnifique coup de pied dans la face, l'envoyant rouler sur le sol.
— Hé oui, bec à foin*, les femmes savent se battre !
Arthur réussit à se débarrasser de son assaillant et Louis s'occupait de la dernière fripouille, l'autre gisant par terre en se tenant le bras qui saignait abondamment.
Le chevalier ne vit pas arriver, par derrière cette crapule de Ferdinand revenir avec une arbalète. Marie, courageuse, sauta sur le chauve, à temps et le déstabilisa ce qui sauva la vie de Louis car la trajectoire de la flèche fut déviée.
Excédé par le combat qui s'éternisait, le fils du vicomte souleva l'homme de main du prêteur sur gages et le lança sur son maître. Le chauve se prit au moins 80 kg dans la trogne et s'effondra, inconscient.
Louis reprit son souffle et balaya la salle d'un regard : un vrai carnage, des corps partout et un bazar monstre. Marie et Arthur étaient tout aussi sonnés que lui. Il eut alors le mot de la fin :
— Arthur, ta dette est officieusement annulée. Et elle le sera officiellement, une fois que la justice se sera chargée de leurs cas.
— Merci, messire ! Je ne sais comment vous montrer ma gratitude.
— Tu peux le faire en allant chercher le cheval de la damoiselle. Ensuite, nous retournerons chez toi pour annoncer la bonne nouvelle à ta mère. Mais avant cela, laisse-moi aussi te féliciter et te remercier : tu t'es fort bien battu et tu m'as sauvé la vie. Je ne l'oublierai point.
En disant cela, il jeta aussi un regard à la dérobée à la blonde. Elle aussi, lui avait sauvé la vie. Mais ça, il peinait encore à le croire. Qu'est-ce qui avait bien pu la pousser à mettre sa propre vie en danger pour sauver la sienne ?Ça dépassait l'entendement.
Pour couronner le tout, il avait réussit pendant la bagarre à voir comment elle se battait et il avait vu qu'elle avait désarmé le gorille balafré sans aucun problème ! Visiblement, elle maniait extrêmement bien les armes tranchantes. Il n'arrivait pas à savoir s'il était impressionné ou inquiet...
***************************
Dans la ferme, ce fut l'explosion de joie. Les trois autres frères et sœurs d'Arthur dansaient à qui mieux-mieux et sautaient partout. La vieille femme serra son fils dans ses bras et embrassa Louis et Marie à tour de rôle.
— Messire Louis, vous êtes le plus merveilleux des hommes ! Que Dieu vous bénisse, vous et votre belle femme !
Louis un peu gêné par cette confusion tenta de rétablir la vérité, mais ce fut peine perdue.
— Nous ne sommes ...
— Je suis sûre que vos petiots sont tout aussi bons et vigoureux que vous !
Cette fois, il n'eut même pas le courage d'essayer de résoudre ce malentendu et en constatant la mine amusée de Marie, il se résigna complètement. En fait, c'est Arthur qui se chargea de calmer sa mère.
— Maman, ils ne sont point liés de la sorte !
— Ohhh ça alors ! J'aurais juré ! Mais enfin messire, qu'est-ce que vous attendez pour vous déclarer ? C'est n'est point digne de lui faire croquer le marmot*, à cette jolie damoiselle !
— Maman ! Laisse-les tranquilles ! Tu vois bien que tu les ennuies.
— Rohh ! Si on ne peut plus rien dire ! Bon laissez-moi au moins vous offrir un repas !
Marie et Louis restèrent un peu encore avec la famille sous l'instance de la mère et se restaurèrent. Par contre, tellement gênés par ce qu'avait dit la bonne femme, ils ne se calculèrent pas du repas et le jeune homme abandonna son idée de la remercier.
Après avoir demandé leur chemin et avoir adressé leurs adieux, ils prirent la route en silence chacun sur son cheval, comme ils avaient récupéré Prince.
*******************************
Le retour au château, tard dans la nuit, fut une délivrance pour tout le monde, aussi bien pour les deux jeunes gens que pour la famille de Marie.
Ils furent accueillis par une avalanche de questions et heureusement pour Louis, sire Andrew et son fils, William Montgomery, n'étaient pas encore revenus de leurs recherches, ce qui lui évita d'affronter leur ire. Pour le moment.
Cependant, il eut le droit aux remarques fines de Malo en allant se coucher, tout comme Marie qui dut supporter les sous-entendus de sa sœur et le regard inquiet de sa belle-mère.
En clair, les deux n'en avaient pas fini avec cette histoire.
* ozeille : oseille
*scramasaxe : épée courte
*bec à foin : bête à manger du foin
*croquer le marmot : poireauter
\\\\\\\\\\\\\\\\\\\
Ahhh sorry chapitre deux fois trop long !! Mais j'avais trop de trucs à dire 😂
Bon alors qu'est-ce que vous pensez de la relation entre les deux ? Ça commence à s'améliorer non ?
Au bout de dix chapitre x) c'est pas trop tôt !!!
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top