1. Sus à l'ennemi !
Sur les bacinets* et les cuirasses des soldats, se reflétaient les premiers rayons du soleil. Malgré l'heure matinale, les hommes solidement harnachés écoutaient attentivement la fin des directives de Jean Bureau, Grand maître de l'artillerie française de Charles VII, entouré de quelques hommes dont le duc de Bretagne et d'André de Lohéac, maréchal de France.
— Dans quelques jours, Bordeaux pliera sous nos coups de canon. La stratégie élaborée par mon frère et moi-même et avec le soutien de notre bien aimé Roi, dit le « Victorieux » va marquer une page de l'Histoire, celle de notre victoire ! Les Anglais n'ont aucune idée de la puissance de feu de notre artillerie à poudre. Ils vont rentrer chez eux la queue entre les jambes, je vous le garantis d'ici la fin de l'été ! Ces soudards ont certes les Gascons mais nous, nous avons les Bretons. Nous les surpassons de loin en terme numérique grâce à la cavalerie du duc !
Les soldats étaient galvanisés par la perspective d'occire leurs ennemis de toujours. Ils poussèrent des cris de guerre pour manifester leur impatience et se donner du courage.
Le duc Pierre II de Bretagne se retourna quelques instants pour sourire à un de ses compagnons d'arme, le fringuant fils de vicomte et chevalier Louis de Sens, vassal de la couronne royale. Le jeune homme lui sourit en retour, de ses dents impeccables, charmé par la vue de l'ost* royale prête à en découdre. Il faut dire que lui, aussi, n'avait qu'une hâte : bouter hors de France ces maudits envahisseurs.
Le duc s'amusait de le voir et d'imaginer son impatience.
Il avait fait sa connaissance quelques semaines auparavant, en pleine campagne de Guyenne. Louis l'avait sauvé in extremis d'une embuscade. Depuis les deux hommes avaient lié une amitié sincère, le plus âgé partageant son expérience de la guerre et de la vie, en général, au plus jeune. Le duc appréciait l'entrain de Louis et avait l'impression de rajeunir à son contact. A seulement 24 ans, ce jeune damelot* s'était déjà fait remarquer pour ses qualités de combattant.
« Il n'y a rien de plus beau que la jeunesse» pensa le duc de Bretagne, dit le Simple. « Si seulement elle pouvait être éternelle ».
Il fut tiré de ses pensés par un autre homme qui prenait la parole. Le Grand maître d'artillerie avait laissé place au maréchal de Lanhéac.
— Souvenez-vous guerriers, il n'y a qu'un seul monarque légitime. Ces grippeminauds* sont persuadés depuis plus de 300 ans, quand Aliénor d'Aquitaine a épousé Henry Plantagenêt, qu'ils sont en droit d'investir notre royaume. Ils se gaussent de nous et de notre sire, le Roi, qu'ils appellent le roitelet de « Bourges », cracha-t-il écœuré. Mais pour avoir assisté au sacre de notre suzerain suprême à Reims, je puis vous affirmer qu'il est le seul à être apte à gouverner. Montrons à Henry VI d'Angleterre qu'il se fourvoie grossièrement. Il est plus que temps de récupérer notre belle Aquitaine ! Longue vie au Roi ! Et vive le Royaume de France ! Maintenant tous à vos postes ! Le duc de Bretagne pense comme moi, Talbot ne va pouvoir tenir en place et va envoyer directement son armée se jeter dans la gueule du loup. Cela va être la bataille de trop pour pour ce vieux renard.
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L'armée royale patienta toute la journée, dans le camp fortifié à l'est de Castillon. Ce n'est que le lendemain, le 17 juillet 1453, qu'en effet comme l'avaient prédits le duc et le Maréchal, que les Anglais les assaillirent. Poussé par la pression des Bordelais, le général Talbot au service de la couronne anglaise, donna l'assaut sur une simple méprise. L'âge avancé de l'homme n'était certainement pas étranger à ce manque de clairvoyance.
Ce fut une boucherie. Les artilleurs français canonnèrent les assaillants anglais qui se dispersèrent dans la cohue la plus totale. Les Bretons dissimulés à quelques pas de là , dans la colline d'Horable, s'élancèrent à leur tour pour finir le travail. Les chevaux piétinèrent les soldats sans vergogne et les épées pourfendirent la chair.
La vue du sang impur des Anglais, en train de se répandre dans l'herbe, réjouirent les Français plus que de raison. Rien de mieux que d'infliger une bonne déculottée à ces fichus Anglais.
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Un peu plus loin dans les fourrés, Louis, perché sur son fougueux étalon d'un blanc immaculé, et en compagnie du duc, passa non loin du général Talbot, à terre, juste à côté de son cheval. Visiblement son destrier avait été percuté de plein fouet par un boulet de couleuvrine*. Le cavalier n'était guère en meilleur état que sa bête : un archer avait probablement profité de la faiblesse de l'homme pour lui décocher une flèche en plein dans l'œil. Sa vie l'abandonna au même moment que ses derniers soubresauts.
Sans crier gare, un fantassin, qui passa à proximité, abattit sa hache, défonçant un peu plus, au passage, la boîte crânienne du pauvre homme alors qu'il venait tout juste de trépasser.
Le duc détourna la tête, dégoûté par cet acte barbare.
"Et voilà ! C'était le combat de trop ! Pauvre homme ! »
L'annonce de la mort de l'illustre personnage eut un effet dévastateur sur l'armée adverse et accentua la débandade.
Louis ne perçut pas tout de suite, à l'instar du duc, un homme furibond, arriver à tout allure sur un cheval, droit sur lui, avec son épée tendue. Le jeune homme ne dut son salut qu'à son écuyer.
— Messire! Attention !
Il eut juste le temps de se coucher sur l'encolure de sa monture afin d'esquiver le coup mortel.
Le guerrier prodigieusement agacé d'avoir raté sa cible, dit sans plus de détour :
— Moi, vicomte de L'Isle , je jure de mortir tous ceux qui ont causés la mort de mon père !
Un combat à mort s'engagea entre les deux hommes. A force de parades et grâce à son excellente technique, Louis parvint à cogner le pommeau de son épée dans la nuque de l'Anglais produisant un craquement sinistre. Le corps sans vie du vicomte de l'Isle tomba à côté de celui de son père.
Le chevalier de Sens, toujours vivant démonta, suivi du duc, et s'accroupit près des deux corps pour leur fermer les yeux.
— On ne peut pas décemment les laisser ici. Isaac, prends les deux hommes sur ton cheval et emmène-les auprès des maréchaux. Ils jugeront du moment opportun pour les rendre à l'ennemi.
— Bien, messire Louis , dit l'écuyer en exécutant l'ordre. Il s'en alla prestement.
Le duc pensif s'apprêtait à remonter mais il fut interpelé par Louis :
— Votre Grâce, derrière-vous !
Le jeune homme s'interposa tout de suite pour éviter à l'homme de finir embroché par le maroufle qui attaquait par traîtrise. La garde rapprochée du duc ne pouvait rien faire, car trop éloignée, alors le guerrier sénonais* se posta derrière l'agresseur et lui donna un coup dans les jambières pour le faire plier. Mais celui-ci fut plus résistant que prévu et asséna un vif coup de coude dans le plastron de Louis, le faisant reculer d'un pas. Profitant de la confusion, l'adversaire se retourna pour frapper avec sa rondache*, le casque en fer du jeune homme.
Le coup fut si brutal et violent que le pauvre Louis s'écrasa au sol et se détacha, à cause du choc, sa défense de tête, laissant à nu son visage et ses cheveux blonds cendrés à l'air libre . Il perdit, dans le feu de l'action, son épée et se retrouva sans défense.
Ce n'est qu'au moment où son ennemi leva son arme par dessus sa tête, que Louis avisa le blason sur l'équipement de son assaillant. Il comprit, malgré le fait qu'il était à moitié sonné, qu'il allait trouver la mortaille* de la main d'un baron anglais.
Heureusement pour lui, le duc stoppa net dans son élan, le baron, en plaquant son épée à deux mains sur son cou. Louis se releva, en agrippant son épée, pour se mettre face à l'Anglais complètement pris en tenaille.
Le noble anglais, complètement désespéré, essaya d'implorer les deux hommes.
— Pitié ! Faites preuve de miséricorde et laissez-moi la vie sauve ! Je promets de ne rien tenter contre vous.
En même temps qu'il parlotait, il essaya de sortir une dague de sous son attirail. Il allait planter la lame dans la hanche de Pierre II mais Louis fut plus rapide : d'un geste précis, il saisit la main du couard tenant la dague et la retourna contre son propriétaire.
Le baron porta son autre main à son cou sectionné et s'étrangla dans son propre cri. Sa gorge produisit des sons peu ragoûtants et il s'effondra à terre, dans son propre sang.
Le duc regarda le visage du fils du vicomte de Sens, parsemé de petites taches rougeâtres, se contracter.
— Je veux voir la sale trogne de ce chiabrena* ! Ventrebleu ! Aussi enragé qu'un phacochère ! fulmina-t-il.
Il tira avec brusquerie sur le casque appartenant à cet homme d'une couardise sans nom. Il découvrit un homme quelconque, ni vieux ni jeune, où toute trace de vie avait quitté son corps.
Son compagnon, le duc, le tira de sa contemplation.
— Tristeusement*, il n'est point rare qu' un homme, perdu dans les affres de la guerre, n'hésite point à bafouer son honneur ... Enfin, Louis merci de m'avoir sauvé la vie. Vous êtes bien plus compétent qu'une escorte, dit-il en fixant ses hommes d'un sale œil.
Puis, il se radoucit en revenant vers son interlocuteur.
—On dirait mon ami, que vous êtes capable de gagner une bataille à vous tout seul !
— Je vous arrête tout de suite, Pierre. C'est grâce à vous si je suis encore en vie.
— Ne soyez point modeste. Vous êtes un homme de valeur, fort courageux. Si tout le monde était comme vous, cela ferait bien longtemps qu'il n'y aurait plus aucune trace de ces Anglo-saxons. Bien, la nuitée arrive, il est temps de prendre un peu de repos. Visiblement, notre armée a l'air de mener. Espérons que cela continue.
Les deux hommes étaient en train de retourner vers leurs chevaux quand Louis sentit une présence derrière lui. Il se retourna vivement et remarqua à quelques pas de lui, un soldat anglais embusqué derrière un arbre. Il était casqué mais Louis vit à travers la visière du bacinet que ses yeux étaient rivés sur le baron mort.
— Vous venez Louis ? demanda le duc de Bretagne.
Le temps que le blond se tourne vers le duc, le rassurant rapidement, pour ensuite revenir sur le soldat, il s'aperçut que celui-ci s'était volatilisé.
Ses poils blonds se dressèrent sur son cou.
« Il avait l'air dévasté. Pourtant il vient de fuir comme un gueux. »
— Eh bien ? Que vous arrive-t-il ?
— Ce n'est rien, Votre Grâce. Un simple fuyard. Partons.
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La victoire de l'ost royale française fut écrasante. L'armée anglaise perdit quasiment la moitié de ses hommes. Trois jours plus tard, les Français écrasèrent complètement les Anglais et réussirent à pénétrer dans le bourg de Castillon.
Cette bataille mettait fin à la Guerre de Cent ans.
Lorsque la ville de Bordeaux tomba à la mi-octobre, le sort des Anglais était scellé. Ils venaient de tout perdre. L'Aquitaine redevenait française pour le plus grand plaisir de Charles VII.
Mais certains n'avaient pas dit leur dernier mot.
*ost : armée royale
*damelot : jeune homme noble
* grippeminauds : hypocrites
* couleuvrine : canon à main, ancêtre de l'arquebuse
* rondache : bouclier rond
* mortuaille : mort
*sénonais : originaire de la ville de Sens
* chiabrena :chiure de merde
* tristeusement : tristement
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Alors ? Que pensez-vous de ce chapitre ?
Pour ma part j'ai adoré mettre en scène des personnages historiques ( Jean Bureau, Talbot, le Duc de Bretagne, le Maréchal de Lanheac ...) .
Il en a de la chance ce petit Louis de côtoyer du beau monde !
Prochaine étape : Rencontre avec le Roi !
Par contre, notre blondinet risque d'être légèrement désappointé.
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