38-L'erreur en chemin doit être attribuée à la faute du guide...

Harry

Un an et demi plus tard.

Ma vie avec Abygaïl va merveilleusement bien. Après un mois d'aller-retour New york-Denver, à chaque fin de semaine, elle s'est enfin décidé à venir rester avec moi. Du même coup, elle a aussi accepté mon offre d'emploi, mais vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'après quelques jours elle était déjà lassée et qu'après trois semaines presque sur le bord du burnout. En tout, elle est restée un mois et demi avant que je prenne moi-même la décision de la libérer. La pauvre ce n'était clairement pas faite pour elle.

Ensuite, j'ai réussi à dénicher la réceptionniste parfaite. Pas de panique, je suis toujours aussi fidèle et amoureux de mon bel amour, c'est plutôt une autre personne qui a développé une relation assez intime avec la jeune femme.

Vous vous souvenez lorsque Romy a dit à la femme de Louis « tu n'as pas de soucis à te faire, ton mari est le seul qui est fidèle dans ce putain de cabinet, n'est-ce pas monsieur Styles... » Eh bien elle n'a pas dit ça pour rien. Bon, ce n'est pas comme si j'étais extrêmement surpris. Comme on dit, la pomme ne tombe jamais bien loin de l'arbre. Sauf que cette fois l'histoire se complique un peu.

Je me gare dans le stationnement souterrain de l'édifice où logent nos bureaux. Oui, c'est là qu'il vit depuis que ma mère la foutue à la porte. Je lui ai offert une chambre le temps qu'il trouve un endroit, mais il a refusé. Mon père a toujours été un "bourreau de travail" et j'ai bien l'impression que ça fait son affaire de rester ici à dormir sur un sofa.

Je dépose mon oreille contre la porte pour écouter. Rien. J'hésite presque à cogner, même si c'est lui qui m'a demandé de venir le voir.

— Papa ! crié-je à travers la porte.

Tout d'un coup, j'entends un gémissement, un son qui sonne aussi pathétique que ceux que je faisais lorsque j'étais en peine et complètement ivre. Bordel.

— Entre mon fils !

J'ouvre la porte et la première chose que j'aperçois, c'est mon père installé sur sa chaise de travail. Plusieurs bouteilles vides jonchent le sol et la pièce dégage une odeur plus ou moins invitante. Le plancher est parsemé de vêtements sales et de boîte de repas à emporter. Il est ivre, mais surtout très triste. C'est fréquent depuis les dernières semaines, mais jamais autant.

— Mon fils, dit-il piteusement.
— Qu'est-ce qui se passe papa ? demandé-je inquiet. Tu vas bien ?

Question totalement stupide, c'est clair que ça ne va pas. Il ne me regarde même pas, il se contente d'observer le fond de son verre d'alcool.

— Veux-tu un café ? Ça pourrait t'aider à...
— Je ne suis pas saoul, me coupe-t-il.
— p'pa, lâche ce verre et parle-moi.
— Non ! hurle-t-il en secouant la tête.

Dans un soupir, je le rejoins et m'assieds sur le bureau.

— Mon bureau Harry ! Ta mère t'a mieux éduqué que cela.

C'est ça le problème : ma mère... l'amour de sa vie l'a quitté et il ne sait pas comment vivre sans elle. Mon père aimait ma mère profondément malgré ses infidélités. 

— C'est maman hein ?

Il tourne la tête vers moi et me regarde d'un air vide. Il entrouvre les lèvres et les referme aussitôt. Je comprends son malaise de discuter avec moi, mais à ma grande surprise il se lance.

— C'est fini avec ta mère.
— Ne dit pas ça, tu sais bien que...
— Elle porte mon enfant.

Je soupir lourdement en me prenant le front.

— Euhh... quoi ? dis-je en bégayant.
— Tu as bien compris, j'ai mis cette fille enceinte. À mon âge... un enfant. Je m'imaginais être grand-père à nouveau, pas père.

Je ne peux pas trop discuter avec lui. Je ne sais pas quoi lui dire. Beaucoup de choses me passent en tête, dont le fait que je n'aurais jamais d'enfants biologiques, mais principalement le fait qu'il croit toujours qu'un jour il vivra la joie d'être grand-père à nouveau et il sait très bien que ma sœur n'aura pas d'autres enfants.

— Papa, je vais t'aider à trouver une solution, je ne te laisserai pas tomber.

Mon père lève ses yeux troubles et me sourit. Puis, il m'entoure de ses bras et me tient contre lui fermement. L'odeur d'alcool qui me monte au nez me fait presque suffoquer et me rappelle une certaine époque de ma vie.

— Viens papa, tu vas venir dormir chez moi et demain on parlera de tout ça à tête reposée.
— Je ne veux pas te déranger.

Même si nous avons eu cette discussion des centaines de fois, je sais qu'il ne changera pas d'idée, inutile d'insister.

— Je te dépose à l'hôtel et demain on reprend cette conversation.

Il y a moyen de tout arranger, du moins je l'espère. Heureusement, mon père accepte et avec mon aide il se lève de son fauteuil. Ce n'est pas facile, l'alcool me donne l'impression de tenir un corps mort qui parle. L'odeur de vomi qu'il dégage me lève le cœur, mais je fais mine de rien.

— Si ta mère nous voyait, dit-il en éclatant de rire.
— Elle ne serait pas contente, vaut mieux qu'elle ne voit rien, dis-je en rigolant.

Le trajet jusqu'à l'hôtel se déroule dans le silence complet. À peine effondré sur le lit, il retombe pratiquement aussi inconscient qu'il l'était dans la voiture. Appuyé contre la porte, je le regarde dormir. Je connais ce sentiment de désespoir, et pour rien au monde je voudrais échanger de place avec lui. Ma vie aurait pu ressembler à ça si je ne m'étais pas repris en main, si Aby n'étais pas arrivé comme un ange tombé du ciel.

Finalement, envahi de tristesse, je quitte pour aller rejoindre Abygaïl. En franchissant la porte, une larme quitte le coin de mon œil. Une fois ressaisis, je ferme la porte pour aller retrouver celle qui compte plus que tout à mes yeux.

***

Abygaïl est blotti sur mon canapé et elle regarde un film et rigole. Dans une main elle tient un verre de vin et de l'autre elle pige dans un sac de bonbons.

— Je ne m'habituerai jamais à te voir sur mon sofa, dis-je en m'approchant d'elle.
— Je peux partir si je te déstabilise autant, dit-elle en souriant.
— T'es malade... jamais.

Je m'étends sur le sofa, dépose ma tête sur sa cuisse et elle se penche pour embrasser mes lèvres. Elle a un goût de jujubes à la framboise. Il n'y a qu'elle pour manger ce genre de chose en même temps que boire du vin.

— Je suis allé voir mon père.
— Il va comment ? demande-t-elle la bouche pleine de petit ourson en gélatine. Il devrait venir ici, ajoute-t-elle.
— Je l'ai déposé à l'hôtel, il était très ivre et terriblement triste.
— Oh ! s'exclame-t-elle.

Comme je n'ai rien à ajouter de plus, je me contente de fixer l'écran de la télévision et d'apprécier le pur bonheur que je vis depuis que j'ai fais le choix de changer mon style de vie et laisse-moi vous dire que je n'ai aucun regret.

Avec son corps complètement collé au mien ses, il devient de plus en plus difficile de me concentrer. Je passe mes bras autour d'elle et je la tiens collé contre mon torse, en essayant d'oublier mes casse-tête du moment. Mes yeux se ferment et mon nez respire profondément son odeur. Je n'arrête pas de penser à ce qui serait arrivé si Romy avait réussi à tomber enceinte de moi ou si Abygaïl n'avait pas vécu ses terribles événements en Afrique. Est-ce que nous serions collés l'un à l'autre à nouveau. Et je pense aussi à ma mère lorsqu'elle apprendra que notre père sera à nouveau papa, d'une jeune réceptionniste.

— Qu'est-ce qui te tracasse comme ça Harry... ton père ?

J'ai envie de lui parler du fait qu'il sera père à nouveau, mais j'ai peur de la blesser. Ça fait pas de sens qu'un homme de cet âge ait la chance de vivre cela, mais pas elle. C'est terriblement injuste et contre nature.

— Je pense à des trucs du passé. Je me demande si...
— Si... quoi ?
— Eh bien, je me demande si tout ce qui est arrivé n'étais pas en quelque sorte destiné à nous rapprocher.
— Harry, qu'est-ce qui se passe ?

Elle me connaît maintenant mieux que personne et lui cacher quoi que ce soit devient compliqué.

— Mon père, il va avoir un enfant avec Janyce.
— Mon Dieu, dit-elle estomaquée.
— Je suis désolé, je voulais pas parler de cela, mais c'est difficile de l'ignorer et ce que vit mon père me ramène à tout ça et lorsqu'il m'a dit qu'il aurait préféré être grand-père, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à toi.

Abygaïl lève les yeux vers moi comme elle venait de réaliser ce que je venais de dire.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire Aby.
— Tes parents ne sont pas au courant que nous n'aurons jamais d'enfants ensemble ?
— Je...

Et il y a le silence le plus long de ma vie. Je retiens son corps du mieux que je peux, mais je sens qu'elle tente de se défaire mon emprise.

— J'ai un truc à faire pour demain, j'avais complètement oublié, s'exclame-t-elle soudainement.
— Reste, l'imploré-je. Je veux que tu reste dans mes bras, collé contre moi et je te promets que demain je vais en parler à ma famille.

Elle secoue la tête et une tristesse semble brûler en elle. Lorsque, je m'apprête à la supplier de se rasseoir pour discuter, le son de mon téléphone retentit.

— Ta mère, dit-elle en me remettant le téléphone.
— Je dois le prendre, mais attends-moi... une minute, juste une.

Elle sourit et lorsque j'agrippe son bras elle me fait signe qu'elle part dans le bureau. Après cette tentative pour s'éloigner de moi, je me sens énormément triste et coupable. Je ne voulais pas la blesser. Dès demain, je vais l'annoncer à mes parents. Je l'aime tellement et je ferai tout ce dont a besoin pour être bien et heureuse.

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