30 novembre
Cadeau : nom masculin (ancien Provençal capdel, lettre capitale, du latin caput).
Définition : Chose qu'on offre à quelqu'un pour lui faire plaisir.
Ce cadeau est comme une bouteille à la mer. C'est l'appel au secours qu'on lance sans trop d'espoir, mais auquel on se raccroche pour avancer. Pourvu que ce présent fasse son office.
★
Fatigué, Samuel n'avait qu'une hâte : rentrer chez lui. Ces deux jours à Paris étaient de trop. Une journée trop longue et trop loin de sa vie calme et rangée. Il aimait son travail, mais certains de ses aspects l'exaspéraient. Son activité était prospère. Ses meubles étaient reconnus à tel point qu'il était contraint de faire acte de présence lors de certains événements. Il aurait dû être habitué depuis le temps, mais il n'en était rien. Il se sentait toujours mal à l'aise et pas à sa place. La veille n'avait été qu'une confirmation de cet état de fait. Sam avait eu l'impression d'être un poisson hors de l'eau dès l'inauguration de cette exposition où étaient présentées quelques-unes de ses dernières créations. Il détonnait au milieu de cette foule citadine présente pour admirer ses « œuvres » comme certains aimaient à les désigner. Le mot « piège » résumait bien cette soirée. Et seul pour une fois, sans l'habituel soutien de ses amis auquel il se raccrochait face à cet afflux d'attention souvent hypocrite. Il aurait presque pu perdre pied s'il ne s'était rappelé que tout cela était éphémère et qu'après il s'offrirait une bonne dose de plaisir. Et encore mieux, le lendemain soir, il serait en route pour chez lui.
L'ébéniste était fatigué, mais heureux d'être sur la route. Savoir ce qui l'attendait au bout du trajet était une satisfaction intense pour lui. Sam se voyait déjà se préparer un savoureux frichti dans sa cuisine, avant de le déguster tranquillement au coin du feu. Après, il s'offrirait une douche brûlante où l'eau coulerait longtemps pour dénouer sa musculature malmenée, après quoi il se faufilerait sous la couette chaude pour un peu de lecture et quelques heures de repos bien méritées. Ce programme réjouissant l'incita à accélérer, plus que quelques kilomètres, et il serait à La Jonquière.
Enfin !
Sur le bas-côté de cette route de campagne se dressait un vieux calvaire surmonté d'une croix rouge. C'était le repère familier du chemin qui conduisait à sa maison. Que de souvenirs ! Samuel remarqua que quelqu'un y avait accroché une couronne de Noël. Un coup d'œil au tableau de bord du véhicule lui confirma la date de l'avent qui débutait le lendemain. Il restait vingt-quatre jours avant le réveillon et vingt-cinq avant la fête proprement dite. Un Noël de plus en solitaire, le troisième pour être précis. Une de ces dates symboliques qu'il détestait, car elle lui rappelait cruellement l'absence d'un être aimé et d'une famille. Il s'efforça de penser à autre chose en stoppant son utilitaire dans la cour. La nuit n'était pas encore là, mais le jour cédait déjà sa place, alors il ne put se repaître pleinement de la vie de son foyer. Le corps de ferme se noyait dans la pénombre. Samuel descendit de son fourgon, ouvrit la porte de la grange pour finir de se garer à l'abri. Il aimait cette routine quotidienne qui lui évitait de trop ressasser les mêmes choses. Il fit quelques pas en frottant ses mains nues pour lutter contre le froid mordant, ses gants ayant encore disparu il ne savait où.
En grimpant les trois marches de pierre du perron, il aperçut un immense paquet emballé de papier kraft brun, enrubanné de satin crème qui le stoppa net. Sam fut surpris de trouver ce cadeau, ce n'était pourtant pas son anniversaire – il était né un Quatorze Juillet à la plus grande joie de son lieutenant de père – ni sa fête, elle était en août. Hormis ses employés et quelques amis qu'il comptait sur les doigts d'une main, personne ne lui souhaitait l'un ou l'autre ou ne lui offrait de présents. Il devait probablement s'agir d'une erreur. Il déchiffra l'étiquette et y vit bien son nom complet inscrit : Samuel Lacour-Beauchesne. Il était rare de lire ses deux noms de famille accolés, ici il était seulement Beauchesne, fils de Nicole, petit-fils du vieux fou d'Armand, personne ne savait rien ou ne voulait rien savoir de la partie Lacour. Cela éveilla sa curiosité ! Il s'empressa d'ouvrir la porte pour se glisser dans l'ancienne ferme, au chaud afin de découvrir ce qui se trouvait à l'intérieur de ce mystérieux paquet.
Le kraft froissé, en boule, traînait sur la table basse, Samuel était stupéfait et ne savait que faire. Il n'arrêtait pas d'aller de ce tas de déchets au cadeau déballé. Il triturait ses fines dreadlocks entre ses doigts, puis il frottait sa paume contre le jean qui enserrait sa cuisse. Ce geste le calmait depuis son enfance. Il le répéta une fois, deux fois, trois fois jusqu'à l'apaisement. Le seul moment où on l'en avait empêché, c'était pendant son service militaire, on lui avait rasé les cheveux, ne lui laissant qu'un court chaume sur le crâne. Il ne savait plus quoi faire de ses doigts quand il se sentait nerveux à part jouer avec une pièce de monnaie chinoise usée qu'il avait pris l'habitude de glisser dans ses poches. Elle était maintenant accrochée à son porte-clefs. Il secoua la tête pour revenir au présent. Était-ce l'âge ou la période qui le rendait sentimental ? Un peu des deux sûrement. Son regard retourna vers ce présent qui était de saison, on ne pouvait pas dire le contraire, mais il ne comprenait pas que quelqu'un lui ait envoyé un calendrier de l'avent en bois. C'était une tradition imaginée pour faire patienter les enfants et il ne l'était plus depuis longtemps. Fait maison, au vu du travail maladroit et perfectible, on remarquait quelques traces de colle, des découpes d'angles un peu hasardeuses et un ponçage qu'il aurait fallu améliorer. Ce boulot d'amateur n'avait rien à voir avec ce qu'il fabriquait dans son atelier. Cependant, il appréciait l'attention que la personne avait mise dans ce présent. Au moins, ce n'était pas une de ces réalisations usinées à la va-vite en pseudo-bois que l'on trouvait dans les magasins de loisirs créatifs. Il regarda de plus près la grande boîte, en pin au vu de l'odeur et du grain, faite d'un assemblage de vingt-quatre cases de diverses tailles. Chacune d'elles était assez grande pour y encastrer de minuscules tiroirs réservés aux surprises. Elles entouraient un espace vide où l'on pouvait placer les choses extraites des cadeaux mystères. Superstition ou vieux réflexes de son enfance, il n'osa pas ouvrir celle qui portait le numéro un. Il attendrait demain en buvant son premier café du matin. Il déposa le présent sur le linteau de l'immense cheminée en pierre du salon et retourna à sa vie ordinaire.
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