5. Le bonbon promis

— Je veux pas aller chez madame Ulzo ! Je devais aller manger des bonbons.

La petite fille traînait maintenant des pieds, suivant à contrecœur l'humaine qui lui tenait toujours la main.

— Tu sais c'est souvent ce que prétendent les adultes pour forcer les enfants à faire des choses qu'ils ne veulent pas.

— Je sors jamais, continua l'enfant, c'est pas juste. Je sors que pour aller chez cette vieille madame. Je pensais que cette fois on ferait quelque chose de mieux avec papa...

Le cœur de l'humaine se brisa légèrement aux plaintes de la fillette.

— Oh je sais à quoi tu penses Colombe, lança Zade, qui ouvrait toujours le chemin. Mais Lay nous a demandé de l'emmener chez Madame Ulzo, alors on va l'emmener chez madame Ulzo.

L'humaine rechigna légèrement, puis lança un regard triste à l'enfant.

— Dites, est-ce que vous lisez dans les pensées ?

Cette question tourmentait Colombe depuis quelque temps. Elle avait l'impression que la sorcière anticipait anormalement bien ses actions et devinait ce qu'elle allait dire avant que les mots ne sortent de sa bouche.

— À peu près, répondit la rousse sans prendre la peine de se retourner. C'est plus comme des pressentiments. Je peux ressentir les émotions des autres, les bruits et mouvements lointains, l'aura de certaines personnes, tout ça quoi.

Colombe accéléra le pas pour rejoindre la sorcière. Elle se plaça devant elle, la forçant à s'arrêter, puis poussa l'enfant en face de Zade.

— Vous ressentez sa tristesse ?

Faisant les gros yeux, Aelia fixa alors la sorcière, ses lèvres roses courbées vers le bas.

— Je veux juste m'amuser un peu...

La sorcière grimaça, chassant la blonde de son passage pour continuer son chemin. Après quelques secondes, elle s'arrêta et céda.

— Je vous achète un bonbon chacune. Pas plus.

Des cris de joie s'élevèrent dans son dos, et elle sourit légèrement. Elles entreprirent donc de s'engager sur la route qui menait au marché, qui ne leur faisait faire qu'un léger détour. Zade devant et la fillette et Colombe derrière. Ces dernières discutèrent tout le long du chemin.

— Colie, est-ce qu'on est amies ?

Surprise par sa question, Colombe répondit tout de même par l'affirmative.

— Est-ce que tu peux faire semblant d'être ma maman ? La mienne est morte.

Choquée par la franchise de l'enfant et mal à l'aise, elle ne savait pas quoi y répondre. La sorcière lui jeta un regard malicieux, la laissant se débrouiller seule face à la question.

— Mais on est amies nous, je peux pas être ta maman. Et pis je suis un peu jeune quand même. Par contre Zade...

Ce fut au tour de l'humaine de jeter un air narquois à la rousse, qui s'était arrêtée net. Elle lança un regard noir à Colombe, qui elle souriait d'un air moqueur. Aelia enroula ses petits bras à la jambe de la sorcière, qui se crispa.

— Zade, tu es ma maman maintenant.

Secouant doucement sa jambe pour se débarrasser de la fillette et n'ayant pas le cœur à lui dire non, elle demanda, mal à l'aise :

— Et... ça fait quoi une maman ?

Délivrée de l'étreinte de la blonde, elle continua son chemin, bientôt rejoint par l'enfant et l'humaine.

— Ben je sais pas trop, j'en ai jamais eu...

— T'y réfléchis et tu me diras, répondit la rousse, espérant qu'elle ne trouve rien.

Le groupe continua son chemin, et les rues devinrent des routes, bientôt empruntées par quelques carrioles. Les deux amies qui discutaient auparavant observèrent avec de grands yeux ce spectacle, qu'elles voyaient toute deux pour la première fois. Les engins, plus ou moins luxueux, constituaient en de simples planches de bois assemblées pour les plus simples et de matériaux plus complexes et colorés pour les plus couteuses. Elles avançaient seules, mues par une brume étincelante et légèrement colorée qui entourait les roues.

Regardant également autours d'elle, Zade lut négligemment le contenu de quelques affiches collées aux murs, ventant l'efficacité de certains produits, faisant la promotion de certains politiciens ou recommandant quelques boutiques. L'une d'elle attira plus particulièrement son attention, une affiche de recherche qui disais : « Plenicter le jeune, évadé de la prison de Verkaj. À ramener vivant, 10 000 Klerr ». Ce nom surmonté d'un portrait disait étrangement quelque chose à la sorcière. Elle finit par se le rappeler quelques mètres plus loin l'avoir vu dans la matinée.

— Merde... chuchota-t-elle pour elle-même. C'est celui que j'ai tué ce matin...

Elle se retourna alors pour lancer un regard plein d'appréhension à l'affiche. Pourquoi était-il recherché vivant ? Son regard se posa ensuite sur ses deux compagnons quelques pas derrière elle.

— Vous perdez pas, avancez, ordonna Zade en les voyant ralentir, toujours obnubilées par les faisceaux magiques des carrioles.

Elles accélérèrent alors légèrement pour rejoindre la sorcière, et Aelia vint lui tenir la main. Zade allait s'en débarrasser, mais finit par l'accepter en un grognement. Elle attrapa également la main de Colombe, qui observait encore son entourage, émerveillée, et elles partirent toutes les trois s'enfoncer dans le grand marché de Klervis.

Une fois à l'intérieur, elles s'attelèrent à chercher un stand qui vendait des sucreries, plus difficile à trouver que ce que pensait Zade.

— Aelia tu voudrais pas plutôt une patate ? Ils en vendent partout ça au moins. C'est bon les patates, et c'est pas cher. T'en veux pas une ? proposa la sorcière, empoignant un tubercule pour le mettre sous le nez de la fillette.

— Nan, répondit-elle, chassant la pomme de terre du coup de main.

Zade haussa les épaules, reposant le légume sur l'étalage. Elle aurait essayé.

Un autre problème se posait à elle. L'argent. La rousse était partie précipitamment de la boutique, sans rien emporter avec elle. Jetant un regard furtif aux alentours pour être sûre que personne ne la regardait, elle glissa sa main dans le sac d'une passante pour ressortir quelques billets, sous le regard outré de Colombe.

— Zade, est-ce que vous venez de voler de l'argent ! chuchota-t-elle, pour ne pas être entendue de l'enfant qui fouillait les rayons des yeux, toujours à la recherche de bonbons.

— Bah faut bien payer... Quoique j'aurais pu voler les bonbons, mais ça aurait été plus...

Elle se prit un coup d'épaules de la part de l'humaine, toujours peu habituée au manque d'éthique de la sorcière. Cette dernière leva les yeux au ciel, un sourire malicieux sur les lèvres, et reporta son attention sur les stands.

Au bout de quelques minutes de recherche parmi les innombrables étalages du grand marché, les trois acolytes commencèrent à penser que le marché ne vendait pas de bonbon, qui étaient une simple invention de Lay pour forcer sa fille à aller voir la vieille sorcière. Jusqu'à ce que la petite voix d'Aelia s'élève pour raviver leur espoir.

— Des bonbons ! cria l'enfant, pointant un grand stand coloré, avant de se mettre à courir dans sa direction.

Soulagées, les deux autres la rejoignirent en marchant, distinguant de mieux en mieux les diverses sucreries alors qu'elles s'en approchaient.

— Vous en choisissez qu'un, hein ?

Les deux amies regardaient les bonbons avec admiration, ces douceurs créés avec soin et minutie se distinguaient par leurs couleurs douces ou vives et leurs formes détaillées. Faites principalement d'extrait de fruits, qui étaient spécialement sucrés dans la cité céleste, il était difficile pour Colombe d'en choisir un, l'humaine ne connaissant que très peu des noms donnés par des petits écriteaux à l'écriture soignée. Derrière ce stand se trouvait une vieille femme aux yeux fatigués et aux cheveux retenus par un petit bonnet de coton, qui regardait tendrement ses deux clientes torturées par tant de choix, trop occupées pour remarquer son physique atypique.

En réalité, Colombe avait été si occupée à chercher un stand de bonbon qu'elle avait à peine fait attention aux passants. Si elle l'avait fait, elle aurait sûrement aperçu les canines d'un vampire, les mains anormalement velues d'un loup-garou, les ailes d'une fée ou les quatre bras de la vendeuse.

— Je veux celui-là ! s'écria l'enfant en pointant une jolie boule rose pâle de son index.

— Et moi cette spirale orange, ajouta Colombe.

Après avoir entouré d'un fin bout de tissu les deux bonbons à la fois, la vieille femme tendit aux deux gourmandes leurs achat, tout en encaissant l'argent volé de Zade. D'un habile tour de main, cette dernière empoigna au passage un cône acidulé rougeâtre, qu'elle glissa dans une poche de sa robe.

— Allez, direction la vieille cabane de madame Ulzo maintenant.

Rechignant légèrement, mais bientôt consolée par le goût doux qui envahit ses papilles, Aelia prit la main que lui tendait la sorcière, entamant le chemin qui menait à la maison de la plus vieille sorcière de toute la cité céleste.

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