4. Une potion salvatrice
— C'est impossible.
Lay regardait au loin sa fille jouer avec Colombe, lui-même en compagnie de Zade.
— Ça m'a l'air très possible à moi.
Le sorcier la fixa, vexé. Ce n'était pas possible. Il tenait un carnet avec des dates, des minutes, des symptômes. Les faits d'aujourd'hui ne concordaient pas avec ceux des sept dernières années. Ce n'était pas possible. Jamais une crise aussi violente n'avait duré si peu de temps, jamais elle ne s'était arrêtée si brusquement, et jamais elle n'avait été capable de marcher dans les jours qui suivaient une crise, et encore moins de courir.
Colombe finit par revenir, épuisée par les jeux énergiques de l'enfant, qui elle continuait de courir en cercles et de sautiller devant eux en riant.
— Est-ce qu'on peut m'expliquer tout ce qui vient de se passer ? dit-elle à demi essoufflée.
— Non.
Les deux femmes regardèrent le brun d'un air intrigué.
— Zade, c'est mieux qu'elle ne sache rien pour le moment.
Se retournant vers l'humaine, il expliqua brièvement :
— Il faut arrêter Zéas avant qu'il ne te dénonce ou fasse n'importe quoi. La deuxième possibilité est plus probable, étant donné qu'il faut une carte ou de l'argent pour passer les portes de la ville, ce qu'il n'a pas. C'est tout ce que tu as besoin de savoir.
Il les devança alors pour rejoindre sa fille, qu'il mit sur ses épaules, laissant apparaître un très léger sourire sur ses lèvres.
— Il est toujours comme ça, t'inquiète pas, lança Zade à l'intention de Colombe.
— Vous êtes amis ? Comment vous vous connaissez ?
La jeune femme ne tenait plus, elle avait trop de questions, qui s'échappèrent de ses lèvres sans qu'elle ne puisse plus les retenir.
— On a étudié la magie ensemble, commença la sorcière. Et puis nos chemins se sont séparés il y a sept ans environ, à la naissance d'Aelia. Je ne l'avais revu qu'une seule fois depuis...
Elle parlait tout en regardant son vieil ami, et l'enfant qu'il portait maintenant dans ses bras. Elle se perdit dans ses souvenirs, revisionnant la dernière fois où elle l'avait vu.
Il y a deux ans
On toqua à la porte de la boutique, réveillant en un sursaut la sorcière qui s'était endormie sur un sofa de l'arrière-boutique. De grands cernes sous ses yeux en disaient long sur la qualité de son sommeil ces derniers jours et elle se contenta de se rendormir en un grognement, le panneau "fermé" qui ornait la porte depuis plus d'une semaine répondrait pour elle à ce client importun. Mais celui-ci toqua à nouveau, insistant. Il ne trouva pas de réponse, et une voix grave et familière s'éleva jusque dans la boutique.
— Zade ? Y a quelqu'un ? C'est moi, c'est important. Ouvre, il faut qu'on parle.
Reconnaissant la voix d'un vieil ami, la sorcière se redressa légèrement, hésitante à l'idée de lui ouvrir. Elle croisa son regard dans un miroir sans se reconnaître, puis s'allongea de nouveau. Il ne pouvait pas la voir comme ça.
— Bon, j'entre par moi-même alors !
La porte céda, s'écroulant sur le sol, et un courant d'air froid vint réveiller la sorcière. Elle se jeta un rapide sort pour avoir meilleure mine, puis se leva de son canapé. Tenant à peine sur ses jambes, elle prit sur elle pour paraître naturelle et apparût au comptoir sur lequel elle s'appuya, vide d'énergie. Elle lança à l'homme qui se tenait dans l'encadrement de la porte d'un air décontracté :
— Lay, je t'avais pas entendu, j'étais occupée. Ça fait un bail, qu'est-ce que tu...
Le sorcier venait d'entrer, faisant de son mieux pour ne pas jeter des regards trop dédaigneux sur les articles qui l'entourait, accompagné d'un jeune homme blond, qu'il traîna de force à l'intérieur. Son costume était sale et rapiécé et une expression haineuse se lisait sur son visage.
— Monte à l'étage, ordonna-t-elle.
Les sourcils froncés, Zéas obéit et monta les escaliers, non sans dévisager la vendeuse, qui avait retrouvé un peu d'énergie et tenait maintenant seule sur ses jambes. Sans même que Lay n'eut dit un mot, la sorcière devinait déjà ce qu'il allait lui dire à son air sérieux.
— Il a recommencé Zade. On peut pas le laisser comme ça, il faut faire quelque chose.
— Lay il est juste triste, ça va passer. Laisse-moi lui parler un peu...
— Ce n'est pas la tristesse. Ce garçon est mauvais, ça se voit. Tu le sens pas ? C'est la troisième fois qu'on va le chercher en cellule et c'est la troisième fois que ses parents payent une forte somme pour sa sortie.
— C'est juste des petits délits, j'ai sûrement fait bien pire, lança Zade pour détendre l'atmosphère.
— Des petits délits ? Zade je reçois des menaces de mort de sa part, et je suis sûr que toi aussi. Tu sais très bien les informations qu'il détient, s'il en touche un seul mot à ses parents on est fichus ! Ce matin il a été arrêté pour meurtre Zade, un meurtre ! Ils voulaient le bannir, heureusement que ses parents sont haut placé. Encore un délit et on le revoit plus et crois-moi, ça le dérange pas de risquer sa vie, pour le prochain il va viser gros, il va nous viser nous.
Un silence s'installa entre les deux sorciers. La vendeuse, qui avait un peu repris ses esprits par ces représailles, sentait désormais la présence du jeune homme à l'étage, qui les épiait, à la recherche d'un plan pour s'évader. Elle ne s'en inquiéta pas, pour sortir, il devrait obligatoirement descendre, et donc passer devant eux. Lay faisait les cent pas face à elle, à la recherche d'un moyen d'arrêter la menace que constituait Zéas, en vain. Il y avait sûrement déjà réfléchi tout le long du chemin, elle en était sûre.
Elle se souvint alors d'un livre de sort parmi ses articles, qu'elle avait feuilleté une fois et dont un sort pourrait être utile.
— C'est bon, j'ai une solution parfaite. Je m'en occupe, t'inquiète.
Lay s'arrêta dans sa marche pour toiser la rousse. À la vue de l'air confiant sur son visage, il décida de lui faire confiance, elle connaissait les enjeux.
— J'espère que t'es sûre de ton coup.
Zade lui lança un clin d'œil et le sorcier s'attela à réparer la porte qu'il avait détruite en entrant. Une nuée bleue entoura les débris pour les unir et la remettre sur pied. De nouveau sur ses gonds, il attrapa la poignée, prêt à partir, il ne voulait pas s'attarder ici.
— Ah et au fait, toutes mes condoléances pour Kaly. Si tu veux en parler...
— Moi ? Ah ah, tout va bien de mon côté, aucuns soucis ici ! s'efforça-t-elle d'annoncer, un rire forcé venant ponctuer sa phrase.
Le sorcier se retourna, ne croyant pas un mot qu'il venait d'entendre. Il fit demi-tour et prit Zade dans ses bras, l'immobilisant dans une étreinte sincère. La rousse laissa une larme perler sur sa joue et le serra à son tour.
— Tu t'y feras, crois-moi.
Ils se séparèrent et Lay franchit la porte pour de bon cette fois, laissant la sorcière seule avec son deuil dans la boutique.
°°°
Zade revint à elle, et chassa ce souvenir. Subitement, un élément lui revint en tête, une nouvelle valeur qui permettrait de résoudre l'équation.
— Lay ! s'écria-t-elle en courant à lui. J'ai... Je sais comment arrêter Zéas... mais tu vas pas être content.
En débitant ces paroles, son euphorie s'était transformée en culpabilité, et alors elle s'en voulut presque d'avoir révélé son plan au sorcier.
— Dit toujours, on a pas trop le choix j'imagine...
— Pour Kaly... J'ai... une potion. Qui sera prête dans deux jours...
Le brun s'arrêta et posa l'enfant au sol. Ses sourcils étaient froncés, son regard accusateur, et il articula d'une voix grave :
— On ne joue pas avec la mort Zade, une fois qu'elle est venue...
— Je sais, je sais, coupa la rousse, levant les yeux au ciel, avant de reprendre plus sérieusement. Mais... c'est peut-être notre seule chance.
Colombe, qui était toujours aux côtés de Zade, demanda, trop souvent perdue lors de leurs conversations :
— Qui est Kaly ?
— La sœur de Zéas.
— La fiancée de Zade.
Les deux réponses s'étaient élevées en même temps. La sorcière rougit légèrement, puis lança un regard noir à Lay pour avoir laissé échapper ce détail peu important à la compréhension de la situation.
— Et donc... elle est morte ?
Colombe, ne supportant plus d'être mise à part dans les conversations, posait maintenant toutes les questions qui lui passaient par la tête.
— Plus pour longtemps apparemment...
Lay laissa le silence suivre ce reproche, assez longtemps pour faire accroître le sentiment de culpabilité de la rousse, avant de continuer, pensif.
— Dans deux jours... De toute manière Zéas sera obligé de rester dans les parages, au moins le temps de dérober de quoi lui faire passer les portes. Zade tu vas rentrer dans ta... boutique avec l'humaine et revenir dans deux jours avec Kalystos, si ta potion fonctionne. De mon côté je surveillerai Zéas et l'empêcherai de tenter quoi que ce soit.
— Et moi ?
Cette fois, c'était Aelia qui avait pris la parole. Silencieuse depuis le début, sa voix douce d'enfant s'était élevée, révélant ses craintes. Le père ne savait pas quoi répondre. Emmener une enfant dans cette course poursuite serait une mauvaise idée, elle les handicaperait trop, comme elle l'avait fait ce matin.
— Je peux rester avec elle, moi, proposa Colombe.
Lay réfléchit un instant, avant d'accepter. Il n'osait pas se l'avouer, mais c'était quand même au contact de l'humaine que la crise d'Aelia s'était interrompue.
— D'accord. Emmène-la chez madame Ulzo, ordonna-t-il en sortant une carte et un carnet de sa sacoche. Tu peux tout lui dire, que tu es humaine, que Zéas s'est échappé, mais surtout parle lui des crises de magie d'Aelia, montre-lui ce carnet, et demande-lui de la soigner.
Tout en parlant, il avait fait deux croix sur la carte, leur position actuelle, et la destination. Il tendit négligemment la carte et le carnet à Colombe, embrassa sa fille sur le front, et annonça :
— Je resterai vers les portes de la ville pour intercepter Zéas s'il tente quelque chose. Zade rejoint moi avec Kalystos dans deux jours, tu peux accompagner l'humaine chez madame Ulzo et la reprendre au passage si tu veux, mais je pense pas qu'elle puisse nous être utile pour la suite.
Et il partit d'un pas rapide, en direction des portes de la ville.
— Pourquoi il tient tant à attraper Zéas ? C'est surtout moi qui ai intérêt à ce qu'il ne sorte pas...
— Oh crois-moi, dit Zade, il en sait beaucoup plus que tu ne le penses et a beaucoup de mauvaises intentions, surtout depuis... depuis que sa sœur n'est plus là pour le canaliser.
L'humaine resta silencieuse à l'annonce de la défunte fiancée de la sorcière. Elle avait encore des questions, mais jugeait bon de ne pas les poser. Une petite main tira sur son pull afin d'attirer son attention.
— Je veux pas y aller.
— Mais il faut, trancha la sorcière. Ce matin t'as failli tuer la pauvre Colombe qui était trop occupée à reluquer un joli minet.
Elle lança un regard accusateur sur l'humaine, qui s'apprêtait à répliquer, les joues roses. Elle la coupa d'un geste de la main, ajoutant d'un ton plus sérieux et sévère.
— Colombe je t'ai vue, je l'ai senti aussi. Oublie-le. C'est un ordre. Ce n'est qu'un effet secondaire de la malédiction. Il ne s'intéressera jamais à toi, ne t'amènera que des problèmes et te brisera le cœur par plaisir. Oublie-le.
Presque vexée, Colombe fixa la sorcière, le regard plein de colère. La sorcière continua :
— Maintenant que c'est dit, allons chez madame Ulzo.
La sorcière ouvrit le passage, incitant d'un geste de la main à l'humaine et à l'enfant de la suivre. Attrapant la blonde par la main, Colombe se mit alors en chemin, suivant les pas de Zade.
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Voilà un nouveau chapitre ! On découvre une autre facette de Zade, un epu plus triste désolée !
J'ai des problèmes avec Wattpad, mes chapitres se mettent seuls dans le désordre (les derniers chapitres que j'écris viennent se mettre entre les premiers) et mes tirets cadratins et les italiques se font la malle dès que j'ai le dos tourné... (merci de me signaler si tout à coup les chapitres ne sont pas dans l'ordre, ce serait un peu embêtant)
Merci de votre lecture et à la semaine prochaine !
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