30. À bon chat, bon rat
Zéas suivait les fiancées, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon noir. D'un pas trainant, il regardait du coin de l'œil les deux femmes rire, parler, se retrouver. Il entendait les larmes de joie dans les mots de Zade, l'excitation dans ceux de sa sœur, qui se retournait de temps en temps, pour voir si tout allait bien.
Il pensait que tout irait bien. Qu'une fois qu'il aurait donné au monarque de Nebuli ce qu'il voulait, qu'il aurait lui-même ressuscité sa sœur, tout irait bien. Que le poids dans son cœur aurait disparu, car il aurait pu faire comme si sa sœur n'était jamais morte ce soir-là. Mais il fut à peine surpris lorsqu'il remarqua que la culpabilité ne le quitterait pas. La culpabilité et la rancœur. Il décrocha ses yeux du sol pour toiser la sorcière qui riait avec la vampire. Zade avait sauvé Kaly. Pour une courte durée, il le savait. Mais les honneurs lui revenaient. Elle l'avait fait revenir pour elle et elle en profiterait un maximum, pendant que Zéas resterait à l'arrière, à les regarder. À la regarder. Il osait à peine croiser les deux iris verts de la blonde, auxquels se superposaient dans son esprit les deux yeux morts remplis de terreur qu'il n'arrivait pas à oublier depuis deux ans. Si ce soir-là, il avait réussi à la convaincre de rester au manoir, s'il l'avait rejoint plus vite ? Une chose était sûre, si Zade n'avait pas existé, Kaly ne serait jamais allée la rejoindre et ne serait jamais morte.
— Zéas, tout va bien ?
L'homme chat releva la tête, le visage toujours crispé. Sa sœur s'était retournée, tout en continuant de marcher, et le fixait, dans l'attente de sa réponse.
— Oui, déclara-t-il sèchement en dirigeant à nouveau son regard sur les pavés au sol.
— On est bientôt arrivés, de toute façon, annonça Zade.
Bientôt arrivés. Bientôt de retour dans sa cage pour tenir la chandelle, pour que son cœur se brise encore une fois quand Kaly repartira. Il s'arrêta un instant. Il ne voulait pas repartir à la boutique. Il sortit les mains de ses poches et s'apprêtait à les porter à ses tempes, mais une main attrapa la sienne au vol pour l'attirer vers sa propriétaire. Contrairement à ce qu'il pensait, ce fut Zade que le jeune homme découvrit en levant les yeux. Il scruta les alentours, à la recherche de sa sœur, qui n'était plus dans son champ de vision, et finit par l'apercevoir dans une boutique de vêtements en pleine discussion avec un vendeur.
— Je sais ce que tu penses, lui dit Zade en se plaçant devant lui. Mais on trouvera une solution, j'en suis sûre.
— Non, s'exclama Zéas en retirant brusquement sa main. Tu n'en sais rien !
La sorcière recula légèrement, surprise de sa réaction, avant de se reprendre.
— Zéas, je suis... tellement désolée...
La sincérité dans sa voix réchauffa le vampire et bien qu'il aurait voulu l'interrompre, il la laissa continuer, et ses membres se décrispaient à mesure que la rousse parlait.
— Je sais ce que tu as vécu, moi aussi, j'ai été dans cet état, et peut-être que je le suis encore. Avec du recul, j'aurais sûrement fait les choses différemment. Mais les mois qui ont suivi...
Elle s'arrêta un instant et soupira, avant de jeter un coup d'œil à Kaly toujours dans la boutique. Elle souriait au vendeur, deux robes à la main, hésitante.
— J'étais bouleversée... On était bouleversés. Mais j'ai fait ça pour notre sécurité, j'ai utilisé le premier sort qui m'est venu en tête pour te protéger toi et les autres. Mais je tenais quand même à... m'excuser. M'excuser de t'avoir transformé en chat et de t'avoir gardé prisonnier.
Zéas lui donna une tape sur l'épaule sans croiser son regard, le visage toujours fermé.
— Ça ne fait rien, lui dit-il, peu convaincu.
Bien que les excuses de la sorcière lui avaient fait du bien, il ne pouvait pas lui pardonner. Pas pour le sort qu'elle lui avait lancé il y a deux ans, mais il lui en voulait d'avoir ressuscité sa sœur. Son deuxième deuil serait peut-être plus dur que le premier.
Kaly finit par sortir de la boutique, souriante, un sac à la main.
— Fais voir ce que t'as choisi, demanda Zade en fouillant dans le sac de toile.
Elle en ressortit une robe bordeaux couverte de dentelle noire, qu'elle superposa à sa fiancée aux côtés de Zéas.
— Elle est sublime, dit-elle avant de l'embrasser.
Zéas demeura en retrait. La robe était jolie, mais il garda son avis pour lui, peu enclin à la discussion. Il laissa les deux femmes ouvrir le chemin, main dans la main, jusqu'à la boutique. Zade déverrouilla la porte et s'engouffra chez elle, suivie de Kaly. Mais Zéas resta à l'extérieur. Il était de retour dans sa cage avec son bourreau qui allait l'achever une deuxième fois. L'enfermer il y a deux ans n'avait pas été suffisant, il fallait maintenant le faire vivre avec sa sœur qui allait bientôt mourir à nouveau. Non, il ne se ferait pas encore avoir, il avait appris sa leçon.
Il s'éloigna de la boutique. Qui le retiendrait ? Zade ne refuserait pas de garder sa fiancée pour elle seule et Kaly paraissait bien trop occupée pour se soucier de lui.
— Hé, Zéas, tu viens ?
La voix de Zade le surpris, mais il ne se retourna pas, ni ne prit la peine de répondre. Il voulait juste s'en aller.
— Zéas...
La voix se fit plus menaçante et il accéléra le pas.
— Zéas, si tu ne reviens pas...
Cette fois, il se retourna. Il regarda Zade sur le pas de la porte, un air inquiet sur le visage, et Kaly qui semblait avoir interrompu sa menace.
— Quoi, tu vas me jeter un sort ? demanda-t-il, ses mots accompagnés d'un rire sarcastique. Tu vas de nouveau m'enfermer ici ? Elle le sait ça au moins, Kaly ? Que tu m'as gardé prisonnier deux ans ?
La sorcière soupira.
— Elle m'a dit, avoua Kaly.
— Et t'en a rien à faire ? Tu retournes vivre chez elle comme si de rien n'était ?
— Si, bien sûr qu'elle en avait quelque chose à faire, reprit Zade.
— C'est pas à toi que je parle, lui lança Zéas.
— Ah ouais ? Ça ressemblait beaucoup à un reproche pourtant.
Les deux s'étaient approchés l'un de l'autre, sous le regard curieux des passants. Kaly, de son côté, regardait impuissante les deux personnes les plus chères à son cœur se disputer. Les larmes lui montaient aux yeux, ses mains tremblaient, mais elle ne pouvait pas prendre parti.
— Tout est toujours ta faute, Zade, cria Zéas. Tu m'as pourri la vie !
Ces mots tranchèrent l'air pour venir se planter dans le cœur de la sorcière. Zade recula de quelques pas, le visage déformé par une culpabilité soudaine.
— Tu m'as volé ma sœur, sans toi, elle ne serait jamais morte, continua Zéas, la voix pleine de colère et de larme. Elle va crever dans quelques jours, tu sais hein ? Tu nous tortures pour rien, tu la fais juste mourir une deuxième fois !
Zade tremblait. Elle retrouvait les mêmes yeux qu'elle avait croisés le jour de la mort de Kaly. Des yeux pleins de haine causée par une tristesse que rien ne pouvait consoler.
— Je... je voulais juste la revoir, murmura Zade en tentant de masquer ses larmes.
— Tu n'es qu'une égoïste ! lança Zéas en se retournant pour partir.
La colère, la tristesse et la honte brûlaient le cœur de la sorcière jusqu'à lui faire tourner la tête. Elle sécha ses larmes et entra dans la boutique d'un pas décidé pour attraper une fiole. Elle passa devant Kaly, toujours immobile devant la boutique.
— Zade ? demanda-t-elle en la voyant rejoindre son frère, qu'est-ce que tu...
Mais elle s'était déjà éloignée de la boutique et courrait maintenant vers Zéas, qui, bien décidé à partir une bonne fois pour toutes, s'éloignait sans se retourner.
— Désolée, dit Zade amèrement, avant de briser la fiole sur le dos de son beau-frère.
Une fumée verte les entoura et après une exclamation de Zéas, le silence remplit la rue.
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Je suis de retour (j'espère que l'histoire intéresse encore quelques personnes) ! Préparez-vous, j'ai enfin trouvé un peu de motivation, la suite arrive ;)
Alors, qu'est-ce que vous pensez que Zade a fait à Zéas ? Que contenait la fiole ? Réponse au chapitre suivant...
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