— Zade ? Kaly ?

Après avoir traversé le nuage, Colombe s'était retrouvée seule dans un brouillard épais. Bien qu'inquiète, elle continuait d'avancer, la nébulosité devait bien finir quelque part. Au loin, elle entendit un rire, comme un écho, aiguë, enfantin.

— Awan ? demanda-t-elle, la tête relevée.

Le rire s'approchait et bientôt, une petite ombre apparut devant elle, au-delà d'une couche épaisse de nuage.

— Ah ah, bonjour ! dit une voix fluette devant elle.

— Awan, c'est ça ? demanda l'humaine en s'avançant. Je suis Colombe, tu peux m'appeler Colie.

La silhouette d'enfant devenait de plus en plus distincte devant elle. Bientôt, elle se trouva face à un petit garçon, qui semblait avoir une demi-douzaine d'années. Deux grands yeux aux pupilles blanches en forme d'étoiles la fixaient, il lui sembla même apercevoir dans ses iris bleu nuit des traînées étincelantes, des comètes et quelques planètes. Son regard se leva sur sa chevelure argentée qui se mêlaient aux nuages. Quelques barrettes colorées retenaient les mèches les plus rebelles, tandis que les autres se dressaient sur son crâne ou frôlaient son cou opalin. Deux tresses descendaient le long de ses joues rondes couvertes de tâches de rousseurs dorées. Le reste de son corps paraissait couvert de nuage, laissant seulement un visage angélique sortir de la nébuleuse, d'un teint scintillant, comme couvert de paillettes. Ses grandes lèvres roses s'élargirent en un sourire, puis laissèrent passer quelques mots.

— Enfin des gens sur mon territoire, c'est chouette, on va bien s'amuser !

— Mes amis et moi, on recherche quelqu'un ici, expliqua Colombe en se courbant, mains sur les genoux, pour être à la hauteur de l'enfant.

— Non ! se braqua Awan en pressant ses paumes sur ses oreilles, tout en reculant. Dis au grand monsieur habillé en noir que je lui dirais pas qui sont les humains, même si je le sais.

Mais son visage crispé se détendit et il releva son regard vers Colombe.

— Mais pourquoi tu l'aides, toi ? Tu es une terrienne...

— Les humains ? demanda Colombe, intriguée. Je croyais que les autres étaient tous... morts ?

Le garçon recula encore, il devait ne pas aimer le sujet. Prudente, l'humaine préféra ne pas donner suite à sa question, mais elle la garda tout de même dans un coin de sa tête, il fallait qu'elle en parle à Zade.

— Non, je ne suis pas là pour ça, reprit-elle en chassant l'air troublé sur son visage. Quelqu'un me veux du mal, ici, chez toi, et va te demander un service, il ne faut pas que tu l'écoutes. Il faut qu'on le ramène, est-ce que tu as vu un homme en costume, avec des oreilles de chat ?

— Oh, un monsieur chat, ici ? s'exclama le garçon, les yeux pleins d'étoiles.

Il disparut soudain, laissant Colombe seule dans le brouillard.

— Awan ? Reviens ! cria-t-elle. Zade, Kaly ?

Mais elle était seule dans ce vide blanc, et ses cris étaient vains.

°°°

— Le monsieur chat ! s'exclama Awan en apparaissant derrière Zéas.

Le blond sursauta et observa le garçon qui se trouvait derrière lui. Malgré un visage angélique, sa voix l'horipilait déjà, et son style vestimentaire laissait à désirer. Une salopette nuageuse l'habillait, dont l'allure cotonneuse se mêlait au décor qui les entouraient. En dessous des deux bretelles trop grandes qui tenaient tout juste sur ses épaules, se trouvait un pullover rempli d'étoiles filantes, assorti à ses yeux. Pendant une demi seconde, un air dégoûté passa sur le visage de Zéas, avant d'être balayé par un grand sourire, faussement bienveillant.

— Salut, mon grand. Dis-moi, est-ce que tu peux m'aider ?

— Ça dépend, répondit Awan, obnubilé par l'apparence demi animale de l'homme.

— Une méchante sorcière m'a jeté un sort, commença-t-il, s'accroupissant pour faire face à l'enfant. Et elle refuse de me l'enlever et c'est un sort puissant, mais pas assez puissant pour que toi, Awan, tu ne puisses pas m'en défaire, pas vrai ?

Le garçon plissa les yeux, ces deux orbites semblant abriter l'univers, et Zéas se sentit sondé, comme s'il était en train de lire en lui.

— Mais tu es plus méchant que cette méchante sorcière, affirma-t-il en lui tournant le dos. Et puis, l'oiseau m'a dit qu'il ne fallait pas te rendre service, et elle était très jolie.

Un oiseau très joli. Zéas ne put s'empêcher de penser à Colombe. Mais il revint à lui, que ferait-elle ici ? Il savait que Lay l'avait suivi, le réceptionniste de l'auberge le lui avait dit, et il pensait l'avoir semé pendant l'incendie ; et même si ce n'était pas le cas, il était sûr que personne ne se risquerait à entrer à Awan, pas le sorcier en tout cas, ni personne sans un bon plan pour l'arrêter et sortir d'ici.

— Il y a d'autres personnes ici ?

— Un chat, un oiseau, un ogre, une gentille et une méchante. Mais deux sorcières, deux vampires et un ogre. En tout, ça fait deux paires de cœurs qui battent ensemble... et l'ogre. Mais qu'est-ce que vient faire ici cet ogre ? Il gâche tout !

Un claquement de doigts retentit, sortant le félin de sa divagation, il n'avait pas écouté la fin de cette réponse, tourmenté par la mention des deux vampires et des paires de cœurs.

— Kaly... Zade... Je... Awan, ma sœur... Est-ce que ma sœur est là ? Kalystos, une grande vampire, blonde et...

Les mots sortaient en un flot confus, en même temps qu'un souffle irrégulier. Tout se mélangeait dans sa tête, la seule mention de sa sœur l'avait désemparé. C'était le vide dans son esprit, autours de lui, mais qu'est-ce qu'il faisait ici déjà ? Que penserait sa sœur, quand elle apprendra tout ce qu'il a fait, les crimes, les menaces...

— Je vais voir !

Aussitôt cette exclamation faite, l'enfant disparut, aussi rapidement qu'il était venu.

— Non, non attend ! Reste !

Mais il était seul, dans le brouillard, avec ses pensées.

°°°

Kaly se sentait bien, comme si elle flottait dans cet apaisant nuage à la blancheur immaculée. Seule une pression sur sa main gauche la dérangeait légèrement, même s'il s'en dégageait un sentiment doux. Mais elle avait beau fixer sa paume, elle était vide, et rien ne semblait la toucher, malgré cette sensation étrange de contact.

— Bonjour Kaly !

Une voix fluette retentit dans son dos et elle se retourna, faisant face à un enfant à la crinière argentée.

— Bonjour, tu dois être Awan, dit-elle en souriant.

L'intéressé hocha la tête et lui rendit son sourire.

— Alors tu peux peut-être m'aider, continua-t-elle. Je cherche quelqu'un, que je n'ai pas vu depuis très longtemps.

— C'est le méchant chat ?

— Il... n'est pas vraiment méchant. C'est vrai que ce qu'il va te demander pourrait causer beaucoup de mal, mais je te promets que dès qu'il va me voir, il oubliera tout ça et il sera à nouveau gentil.

— Donc c'est possible d'être gentil, même si on a été méchant ? demanda le garçon, soudain intrigué par le discours de la blonde.

— Oui, bien sûr !

— Est-ce que notre cœur peut devenir pur, même si on a été méchant ?

La vampire marqua une pause, surprise par cette question.

— Pour tout te dire, je ne sais pas. Pourquoi tu me poses cette question ?

Awan baissa les yeux et s'assit sur les nuages.

— J'en ai besoin. On m'a dit que j'aurais le droit de sortir seulement quand j'aurais un cœur pur, mais je pense que c'est pas possible...

— Tu m'as l'air d'un très gentil garçon, pourquoi tu n'aurais pas un cœur pur ?

L'enfant jouait nerveusement avec la nébuleuse autour de lui, l'entortillant  sur le bout de ses doigts.

— Je peux pas m'en empêcher, rien qu'il y a quelques minutes, j'ai tué un ogre...

Le garçon continua probablement de parler, mais Kaly ne l'écoutait plus, malgré son discours poignant. Elle sentait des pressions sur sa main, irrégulières. Du morse. Court, long, court. Court. Court, court, court, long. Court. Elle écarquilla les yeux.

— Awan, tu nous a tous plongés dans un rêve ? demanda-t-elle d'un ton indigné.

L'enfant fronça les sourcils.

— La méchante sorcière...

— Zade n'est pas...

Mais avant qu'elle n'ait pu finir sa phrase, son interlocuteur s'était volatilisé.

°°°

Zade était allongée sur la couche nuage factice de son esprit. Dès son arrivée, ses pouvoirs psychiques lui avaient permis de comprendre qu'elle ne se trouvait pas dans la réalité, mais dans sa tête. En sentant quelque chose sur sa main droite, elle s'était rappelée être entrée à Awan main dans la main avec sa fiancée, ce qui était sûrement encore le cas. Elle avait décidé de la prévenir en pressant sa paume, un effort épuisant, consistant à bouger son corps à distance alors que l'esprit était ailleurs.

Elle sentit une présence apparaître, légèrement contrariée. Il fallait qu'elle fasse très attention. À son arrivée elle avait détecté six âmes, mais ils n'étaient plus que cinq, le gamin s'était débarrassé de Tox en un claquement de doigts. Elle se retourna lentement, tout en lisant dans le garçon. Elle ne risquait rien en le faisant, elle savait qu'il n'utilisait ses pouvoirs que par intervalles, quand il en avait besoin. Une telle puissance était fatigante, il ne pouvait pas se servir de toutes ses capacités en continu.

— Bien le bonjour, cher hôte, dit-elle en se relevant avec peine.

— C'est toi la méchante sorcière...

Zade finit de lire dans ses pensées, ce qui la fatigua encore un peu plus. Il n'y avait pas grand-chose dans l'esprit de cet enfant, mis à part une grande solitude et deux grands plans pour sortir de sa prison.

— Si tu cherches un cœur pur, annonça-t-elle, tu n'es pas au bon endroit. J'ai fait des choses atroces ces dernières années, je l'ai perdu.

Le garçon tourna les talons, mais la sorcière l'attrapa par le bras.

— Je sais ce que tu veux faire, crois-moi, ce n'est pas une bonne idée. Si tu voles un cœur, déjà ça ne suffira pas pour sortir d'ici, et en plus le chemin pour que ton cœur se purifie sera d'autant plus compliqué.

Awan fronça les sourcils, elle avait raison.

— Mais... il y a tellement de cœurs purs ici, je pourrais juste...

Il s'arrêta, frustré.

— Awan, je te promets qu'une fois que j'aurais fait tout ce que j'aurais à faire, je reviendrai t'aider à sortir d'ici. Il faut nous réveiller maintenant.

La sorcière était sincère, et l'enfant le sentit.

— D'accord...

Awan disparut dans les nuages, s'éloignant d'un pas las. Il laissa Zade seule et un sourire naquit sur son visage alors qu'elle revenait lentement à elle.