2. Zéas

Zade avait installé Colombe à l'étage, dans une pièce miteuse et vide, qu'elle était venue décorer d'un matelas. L'humaine la remercia, un air faussement reconnaissant sur le visage.

— C'est pas le luxe, je sais, fit remarquer son hôte. Mais tu t'en contenteras pour ces deux jours, tu pourras toujours descendre m'aider à la boutique la journée si ça t'amuse, mais avant ça...

Elle brandit sa main et la pointa sur la jeune femme, qui recula vivement au souvenir de sa dernière expérience avec les sorts. La sorcière soupira, puis lui fit signe de la suivre. Intriguée, Colombe entra à la suite de la rousse dans une salle de bain aussi sombre et délabrée que la chambre, et Zade plaça son invitée devant le miroir au-dessus du lavabo. Cette dernière s'immobilisa à la vue de son reflet, et de ses deux grands yeux violets qui la fixaient.

— Mais... Mais...

— Bon tu me laisses les changer alors ? C'est ça qui t'a trahie, les humains ont les yeux violets ici.

D'un signe de tête, elle approuva, toujours surprise par cette couleur d'iris inhabituelle. La sorcière effectua un geste vif de la main à la hauteur de son visage, et lorsque Colombe se regarda à nouveau dans la glace, c'étaient des prunelles jaunes qui la toisaient.

— Les humains sont les seuls qui ont des yeux violets ici ? demanda-t-elle, les yeux encore rivés sur cette nouvelle couleur d'iris.

— Oui, on ne sait pas vraiment pourquoi, c'est l'un des effets secondaires de la malédiction. Avec ces yeux jaunes, tu pourras passer inaperçue.

— L'un des effets secondaires ? répéta Colombe en se retournant. Il y en a d'autres ?

La sorcière détourna le regard et se rapprocha de la porte.

— Tu n'as pas besoin de connaître l'autre... pour l'instant. Si ça se trouve, tu ne le subiras même pas... j'espère. Allez, va prendre une douche, t'en as besoin. Y a des serviettes dans la commode sous l'évier. Mets tes vêtements sur le pas de la porte, je les laverai.

Zade laissa Colombe seule devant son reflet, des doutes plein la tête, qu'elle rumina encore quelques minutes, avant de se décider à prendre une douche. Elle se débarrassa de ses vêtements et du lambeau de tissu qui retenait ses cheveux en arrière, qui était en réalité un bout de son pull. Elle entrebâilla légèrement la porte pour déposer sur son pas ses vêtements sales puis la verrouilla, toujours un peu méfiante. Elle se faufila ensuite dans la douche et fit couler l'eau jusqu'à ce qu'elle soit tiède, et vint la faire ruisseler sur sa peau. Elle se frotta activement, tentant d'enlever la poussière et la boue qui collaient à ses jambes, celle accumulée le matin même en fuyant les gardes dans la forêt. Elle s'attaqua ensuite à ses cheveux, qu'elle démêla à l'aide de ses doigts. Une fois propre, elle s'empara de deux serviettes, l'une pour sa tête, l'autre avec laquelle elle se débarrassa des gouttes d'eau qui perlaient encore sur sa peau, avant de l'enrouler autour de sa poitrine.

Elle s'assit un moment, plus pour se remettre des évènements récents que pour sécher. Elle avait tenté de ne pas se poser trop de questions, comme si cette situation n'était pas réelle, que bientôt elle se réveillerait d'un rêve. Mais plus le temps passait, plus tout ce qu'il l'entourait semblait vrai. La jeune femme n'avait pas assez d'imagination pour inventer une telle histoire, même dans son subconscient, et n'avait jamais vécu de songes si détaillés. Mais alors, que faire si elle était bien maudite et envoyée dans cette cité céleste ? Elle prit sa tête dans ses mains. Zade avait vraiment tué deux personnes devant elle, elle risquait de mourir si on apprenait qu'elle était humaine et pouvait ne jamais rentrer chez elle. Elle repensa à ses parents, son frère, sa sœur, qu'auraient-ils fait à sa place ?

— Il auraient adoré... réalisa Colombe à haute voix.

Elle se leva et observa encore une fois son reflet dans le miroir. Elle se trouvait dans un monde différent, s'était fait accueillir par une sorcière, avait une quête ; elle était comme l'héroïne d'un roman fantasy. Colombe expira longuement, puis sourit. Elle décida de profiter de cette expérience et mit dans un coin de sa tête tous les dangers et aspects négatifs, sans pour autant les oublier.

Elle déverrouilla la porte et sortit de la salle de bain, rassurée, pour rejoindre sa chambre de fortune. Sur le matelas au sol se trouvaient ses vêtements maintenant propres, posés sans aucune délicatesse, presque froissés. Elle enfila rapidement son leggings noir et son pull sombre désormais raccommodé, et remercia intérieurement la sorcière d'avoir mis sur son lit un élastique à cheveux, dont elle se servit pour se faire une queue de cheval basse.

Elle rejoignit alors le couloir pour se rendre à l'étage en dessous et manqua d'écraser le chat qui passait justement devant sa chambre. Le félin s'arrêta, peu habitué à voir des passages dans cette partie de la maison, et observa un instant l'humaine d'un regard malicieux. Trop curieuse au sujet de l'animal, Colombe osa une question :

— Alors... vous êtes un chat qui parle... Est-ce que tous les animaux parlent ici ?

Le félin leva les yeux au ciel en miaulant, puis continua sa route vers le fond du couloir, en lançant :

— J'aurais bien aimé que les colombes ne parlent pas.

— Attendez !

La jeune femme le suivit, ignorant son accélération. Le chat s'arrêta, agacé par la curiosité de l'humaine, et finit par annoncer :

— Écoute, je veux bien répondre à tes questions stupides, si en échange tu me rends un service.

— Lequel ?

— Fais-moi sortir d'ici.

Colombe réfléchit un instant à la proposition du chat, dont elle ne voyait pas vraiment le sens.

— Vous ne pouvez pas le faire seul ? Pourquoi vous ne demandez pas à Zade ?

Le chat lui montra sa patte, avant d'annoncer :

— T'as déjà essayé d'ouvrir une porte avec une patte de chat en faisant vingt-cinq centimètres ? J'ai déjà demandé à Zade, mais elle refuse de m'aider. Peut-être qu'elle a peur que je me perde ou que je m'enfuie. C'est le risque quand on laisse un chat enfermé toute sa vie...

L'humaine réfléchit un instant, avant de se décider à l'aider. Après tout, que pouvait-il bien arriver à un chat dehors ? Et puis cette activité la divertirait, elle n'avait pas vraiment d'autres choses à faire en attendant l'éclipse.

— D'accord, je veux bien t'aider.

— Il n'y a que deux issues et elles sont en bas, suis-moi.

Ils descendirent alors à la boutique, et tombèrent nez-à-nez avec la sorcière. Elle les toisa d'un regard plein de soupçons et prit Colombe par les épaules, laissant partir le chat.

— Ne parle pas avec Zéas, Colombe, il a... de mauvaises intentions.

— Mais alors pourquoi il vit avec vous ?

Zade s'arrêta un instant, prise au dépourvu, et se contenta de simplement ignorer sa question.

— Tu dois avoir faim, je vais te préparer quelque chose.

Elle la mena alors dans la cuisine, où elle fouilla un instant dans un placard presque vide pour en sortir un morceau de pain. Elle découpa grossièrement des tranches qu'elle lâcha nonchalamment sur deux assiettes. Dans un autre meuble, elle se munit d'un pot rempli d'une crème blanche.

— Tient, il me reste un peu de confiture, annonça-t-elle en déposant le récipient sur la table.

L'humaine s'en servit et l'étala sur son pain. Mangeant tranquillement sa tartine, Colombe remarqua deux yeux verts dans l'encadrement de la porte. Le chat s'y trouvait et la fixait d'un air réprobateur. L'humaine se contenta de l'ignorer, profitant simplement de son petit repas, pour lequel son estomac vide la remerciait.

— Tes parents te détestaient ou tu m'as donné un faux nom ? demanda cyniquement Zade qui mangeait sa tranche de pain.

Colombe, habituée à ce genre de question, répondit presque en récitant la même réponse qu'elle donnait à chaque fois :

— Mes parents sont des hippies, ils sont un peu spéciaux. Apparemment, quand ma mère était enceinte, ils voyaient beaucoup de colombes, c'est de là qu'est venu mon prénom. Mais mes amis m'appellent Colie si vous préférez.

La sorcière secoua la tête, Colombe lui suffisait.

— Vous pouvez me parler un peu plus de la cité céleste ? demanda l'humaine, curieuse.

— Elle est divisée en six nations, commençaa sorcière d'un ton las. Nouve, où se trouvent tous les intellectuels ; Verkaj, juste un amas de villages de brutes ; Nebuli, assez arriéré, la seule nation qui est gouvernée par un dirigeant. Il y a aussi Klervis, où on se trouve maintenant, et Sprez, qui n'a rien de très spécial.

Colombe haussa les sourcils devant ce résumé effronté.

— Et la sixième ? demanda-t-elle.

— Hum... Il n'y en a plus que cinq, se reprit Zade en fixant le sol. Enfin bref, je suis pas prof d'histoire. Si tu as fini, tu peux sortir de table, je laverai ton assiette.

Colombe se leva, intriguée. Décidément, Zade semblait lui cacher beaucoup de choses. Elle fila dans la boutique où se trouvait Zéas, qui lui indiquait du museau la porte. Discrètement, elle attrapa la poignée, mais fut stoppée dans son élan par un cri qui provenait de la cuisine.

— N'ouvre pas Colombe !

La vendeuse débarqua soudainement, et l'urgence de la situation se lisait sur son visage, inhabituellement préoccupé.

— Colombe, s'il te plaît, ouvre-moi la porte !

Confrontée à un dilemme, la jeune humaine ne savait pas comment réagir. C'est en croisant les yeux du chat que son choix se fit. Une confiance infinie en l'animal était née en son cœur, et presque inconsciemment, sans détacher ses yeux des iris verts, elle tira la porte vers elle, formant une ouverture assez grande pour qu'un chat y passe.

— Zéas, on ne sait pas comment le sort va réagir dehors, ne sors pas !

— Le sort ? s'exclama Colombe, ayant repris ses esprits.

— Trop tard... souffla le félin.

Et Zéas sortit.

Un sourire aux lèvres, le chat regardait autour de lui la grande rue de Klervis, posant pour la première fois depuis deux ans ses pattes sur les pavés beiges. Les deux femmes observaient la scène, l'une intriguée, l'autre désespérée. Après quelques secondes, une lumière verte entoura Zéas, qui se déforma. Ses pattes s'allongèrent, son corps s'étira et son visage s'agrandit, laissant apparaître de la peau. Bientôt, il avait pris une forme humanoïde, revêtant un costume, une veste en queue de pie qui recouvrait sa queue et un chapeau haut de forme d'où deux oreilles de chat dépassaient. En plus des oreilles et de la queue, Zéas avait des pattes en guise de main, et avait conservé ses deux yeux toujours aussi verts. D'un coup, les traits de la sorcière se détendirent légèrement, et un rictus apparut sur ses lèvres.

— Zéas, arrête ton numéro et rentre, tu ne pourras aller nulle part comme ça, lança-t-elle.

Le félin enleva son chapeau et répondit en un sourire, dévoilant des canines pointues :

— Au contraire... Allez, adieu !

Il resta immobile un moment, puis se recroquevilla légèrement, de nouveau sans bouger, les yeux clos. Colombe regardait la scène sans comprendre, d'abord frappée par la beauté de l'homme que Zéas était devenu, puis troublée par son immobilité soudaine. La sorcière quant à elle éclata de rire devant ce spectacle, et Zéas, se rendant compte que ce qu'il avait tenté n'avait pas fonctionné, se redressa honteusement, un regard plein de haine fixé sur la rousse qui se moquait ouvertement de lui. Croisant son reflet dans la vitrine, il resta bouche bée en voyant les oreilles dépasser de son chapeau, puis observa avec dégoût ses mains velues, qui bien qu'à pouce opposable, restaient des pattes de chat.

— Allez, ordonna la rousse en se reprenant, rentre maintenant, ton petit cirque a servi à rien.

Le félin resta immobile, une expression indescriptible sur le visage, toujours en toisant son reflet dans la vitrine.

— Et toi, ajouta la vendeuse d'un ton plus sévère, qu'est-ce qui t'a pris d'ouvrir la porte ? Tu voulais que je revienne sur ma position et te laisse te débrouiller seule ? Non mais faut être vraiment stupide pour faire...

La phrase resta suspendue, et son visage se décrispa. Elle avait compris ce qu'il s'était passé dans la tête de l'humaine, et il fallait absolument qu'elle y fasse quelque chose.

— Stupide ou... Colombe, est-ce que tu es amoureuse ? Non... il faut que...

La discussion s'arrêta subitement, alors que la sorcière aperçut un mouvement du côté de Zéas, qui s'était mis à reculer, s'éloignant de la vitrine. D'un coup, Zade réalisa le danger que le félin pouvait constituer et du nombre d'informations qu'il avait en main, pouvant facilement gâcher leur plan d'évasion. Elle se leva rapidement, mais il était trop tard, Zéas s'enfuyait déjà, rapide comme un félin, en direction du château.

— Merde, merde, merde, Colombe il faut le rattraper !

Sortant du magasin en tirant l'humaine par le bras, Zade s'élançait déjà à sa poursuite, suivie de Colombe, dépassée par la situation.

— Quoi ?

— Colombe, il sait que tu es humaine ! Il va te dénoncer au monarque !

Les deux femmes accélérèrent alors, maintenant toutes deux conscientes de la menace que constituait Zéas.

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(Chapitre réécrit)

Voilà pour le deuxième chapitre, les choses se compliquent pour Colombe. J'espère ne pas vous avoir trop perdu avec toutes ces infos... Le chapitre suivant reprendra certains éléments et les clarifiera un peu, vous inquiétez pas.
Est-ce que vous vous y attendiez ?

À bientôt pour le prochain chapitre !

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