19. Départ

Il y a deux ans

— Père, mère, je m'en vais, définitivement.

La voix douce de Kaly résonnait dans l'opulente salle à manger et les couverts cessèrent d'atteindre les assiettes.

— Je me suis fiancée, ajouta-t-elle d'une petite voix, dévoilant une bague délicate entourant son annulaire gauche.

Une fourchette tomba lourdement sur le sol, tinta contre le carrelage de marbre.

— Avec cette orpheline qui vit seule à Klervis ?

La voix de son père qui sortait de sa barbe noire était tendue, mais se voulait calme, son poing vide se serrait, blanchissant ses jointures, et la transpiration perlait à son front.

— Oui, je vais vivre avec Zade, à Klervis.

Le poing tapa sur la table, la chaise recula, le père se leva.

— Hors de question, ma fille, elle n'est pas recommandable !

La voix n'était plus calme, l'ordre se rapprochait du cri, l'ambiance légère du repas s'était alourdie, une tension régnait autour de la table.

— Je me fiche de ce que...

— Zéas, monte dans ta chambre, ordonna le père, il faut qu'on discute avec ta sœur.

Le blond se leva et quitta docilement la pièce, non sans lancer un regard à Kaly pour lui intimer de laisser tomber cette idée, mais qui butta contre l'air déterminé de sa grande sœur, maintenant levée de sa chaise.

Quand Zéas fut sorti, la mère posa une main sur l'épaule de sa fille, son portrait craché, et lui murmura gentiment.

— On t'en trouvera une autre, il y a beaucoup de nobles encore céliba-...

La blonde se défit furieusement de ce contact.

— J'en veux pas de vos longues lignées de vampires ! s'exclama-t-elle, les larmes aux yeux.

— C'est tout ce que tu auras, tu es privée de sortie, monte dans ta chambre.

Son père l'empoigna et commença à la traîner vers la sortie. L'injustice était trop grande, une vague de colère, de rage naquit en la femme, ses canines s'allongèrent et elle se retourna pour frapper le poignet de son père d'une telle force qu'il lâcha prise.

— J'ai bientôt trente ans ! cria-t-elle, aveugle de larmes. Je m'en vais et vous ne me ferez pas changer d'avis.

— Kalystos, si tu sors aujourd'hui de cette maison, tire un trait sur cette famille, tu ne seras plus jamais la bienvenue...

La blonde se retourna et détailla ses parents. Son père la fixait de ses yeux gris, aussi froids que l'atmosphère de dispute qui régnait dans la pièce, et sa mère lui tenait la main, les larmes aux yeux, suppliants.

— Adieu.

Chacun de ses pas résonna dans le vide qui venait de se créer dans la grande demeure. En passant dans l'embrasure de la porte, elle croisa Zéas, qui ravalait ses larmes.

— Tu... vas pas vraiment partir, Kaly ?

Le silence lui répondit et la vampire disparut dans l'obscurité du hall. Les portes se refermèrent sèchement derrière elle.

La fraîcheur de la nuit tempéra son bouillonnement intérieur et elle s'élança dans les rues, d'abord en marchant, puis en courant. Elle passa les grandes portes qui menaient à la nation voisine et s'engouffra sur le chemin de la maison de sa bien aimée, sa maison.

— Eh ma jolie, où est-ce que tu cours comme ça ?

Une voix grasse retentit devant elle et elle ne tarda pas de distinguer deux silhouettes. Elle n'y fit pas attention et tenta de les contourner, mais les deux armoires à glaces lui barrèrent la route.

— Bah quoi, tu réponds pas ?

— Je... Je suis fiancée, laissez-moi rentrer chez moi s'il vous plaît.

En un instant, la colère avait disparu, laissant place à la peur et au regret, la force se transforma en faiblesse.

— Ah oui, une jolie fille comme toi, continua l'homme, ça m'étonne pas.

Kaly fixait le sol, silencieuse, tremblante, la haine coulait à nouveau dans ses veines. Si ses parents l'avaient laissée partir plus tôt, avant que la nuit tombe, jamais elle ne serait tombée sur ces deux voyous. Elle aperçut des mains munies de poignards s'approcher d'elle et sans qu'elle ne s'y attende, l'un des hommes lui attrapa le visage et le colla contre le sien. Alors que sa langue entrait dans sa bouche, il se recula immédiatement. Kalystos pleurait, impuissante, les idées retournées, elle voulait rentrer chez elle.

— C'est une vampire, tue-la.

— Quoi ?

Une main sortit un pieu d'une sacoche alors qu'une autre lui tenait le bras. De toute ses forces, elle essayait de s'en défaire, en vain, les forces étaient inégales, la puissance l'emportait sur le désespoir. Elle s'épuisait, utilisant toute l'énergie qu'elle avait encore pour fuir, mais ce n'était pas assez. Des pas résonnèrent dans les rues et une petite voix se fit entendre.

— Kaly ? T'es là ? Reviens à la maison, les parents... Qu'est-ce que...

Zéas déboula dans la rue et s'arrêta net, les yeux grands ouverts, coi. Sa sœur l'aperçut, et sachant son combat perdu, elle s'empressa d'utiliser le peu qu'il lui restait pour avertir son frère, criant :

— Zéas, pars d'ici, tout de s-...

Sa peau se perça, le pic entra dans son cœur et le traversa, ressortant de l'autre côté. Son corps frêle tomba sur le sol, sans un bruit. Un lourd silence s'abattit dans la rue. Zéas, les yeux écarquillés, fixait le cadavre au sol. Les larmes coulaient seules sur ses joues, brulant sa peau, l'image se grava dans sa tête, brulant son cœur.

— Qu'est-ce que vous avez fait...

Le débit de parole était lent, la voix était ferme, avec une pointe de colère.

— À ton tour maintenant, lança l'un des deux hommes en s'avançant.

Lâchant le corps de la vampire, les yeux verts fixèrent les deux meurtriers. Des yeux nouveaux, vides de colères, pleins de folie.

Ses canines pointues sortaient progressivement, révélées par son sourire qui s'élargissait. Ses muscles se contractèrent et un homme courut à son encontre, sa lame en avant. D'un simple geste, Zéas attrapa son bras armé, le stoppant dans sa course avec une telle force que l'épaule du sicaire quitta son emplacement habituel, arrachant un cri à son propriétaire. Le blond s'empara de son arme et s'en servit pour poignarder l'autre qui courait à lui, tout en maintenant l'avant-bras dans son poing.

Il retira la dague du cœur tachée du sang de sa victime avec une telle satisfaction qu'il réitéra l'action. Il planta la lame dans la chaire, l'extirpa. Il exécutait ce geste tout en forçant l'homme à observer son confrère se déformer par les entailles. Une fois que leurs visages et vêtements furent tachés de sangs, Zéas murmura :

— À toi maintenant...

Avec le même plaisir de vengeance que plus tôt, il faisait glisser la lame sur le corps du tueur, entaillant légèrement sa peau, tout en empoignant fermement son bras, l'empêchant ainsi de bouger. Il finit par achever sa victime en lui tranchant la gorge. Il lécha ses lèvres ensanglantées, puis but le sang des deux hommes morts au sol. Il s'approcha de sa sœur, tremblant, les larmes se mélangeaient au sang, des spasmes s'emparèrent de tout son corps alors qu'il réalisait peu à peu qu'elle ne reviendrait pas.

Il se leva, déterminé, les dents serrées et les joues encore inondées de larmes qui coulaient en un flot incessant. Il courut, si rapidement qu'il arriva à sa destination en un temps record. Il poussa violemment la porte qui s'ouvrit accompagnée d'un tintement. Une voix lui parvint au loin, qu'il n'entendit qu'à moitié.

— Kaly, c'est toi ? Je t'attendais, je commençais à m'inquiéter. Je...

Zade émergea des rideaux pourpres et aperçut Zéas, couvert de sang.

— Qu'est-ce que tu lui as fait... articula-t-il, en s'avançant, l'arme souillée toujours en main.

— Zéas, commença la sorcière, la voix tremblante. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Elle reculait lentement, les sourcils froncés, ne parvenant pas à détacher ses yeux des taches de sang qui maculaient le jeune homme.

— Tu as tué Kaly... Si tu n'avais jamais existé, elle serait encore là... Tu vas payer pour ce que tu nous as fait.

La sorcière tremblait et les larmes commencèrent à tacher son visage. Sans demander plus d'informations, elle avait compris en lisant les pensées de son futur beau-frère, visionnant le film de la mort de sa bien-aimée qui tournait incessamment dans l'esprit du blond. Elle avait compris la situation, que sa vie ne serait plus jamais la même, que Kaly était morte, par sa faute.

— Non... Je...

Elle s'appuya sur le comptoir, le choc de la nouvelle avait été si violent qu'elle ne tenait plus debout. Sa respiration était saccadée, les larmes coulaient, irrépressibles, tandis que Zéas brandissait la dague au-dessus de la rousse recroquevillée. La lame fonça, mais rebondit contre une bulle verte qui s'était créée autour de la sorcière, un réflexe magique indépendant de Zade, envahie par ses idées noires. Le vampire grogna et martela ce bouclier, de son arme, de ses poings, de sa rage, mais sans succès. La protégée ne cillait pas, les yeux inondés de larmes, le cœur noyé de regrets, de deuil.

Zéas finit par abandonner sa cible inatteignable et sortit dans les rues, égaré, n'ayant plus nulle part où aller. Il était impuissant, seul et dévasté. Après quelques minutes à errer dans les rues, l'âme vide, une main faible se posa sur son épaule, tremblante, et une autre se saisit sagement de l'arme. Il se laissa faire et fit face à Zade, puis fondit en larmes dans ses bras. Sans un mot, la sorcière l'entraîna à l'intérieur et l'accueillit chez elle, dans ce qui devait être la future maison de sa sœur, maintenant décédée.

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