vingt-six
Isis trouve son père assis sur le bout de son lit en se réveillant, elle émerge lentement et elle ne peut s'empêcher de se questionner sur l'heure qu'il est. Son père répond qu'il est bientôt quatorze heures et qu'elle ne s'est pas réveillée une seule fois de la nuit depuis qu'elle s'est endormie à quatre heures du matin. Ce qu'il s'est passé la veille lui revient en mémoire. Elle ne voulait pas se retrouver seule avec ses pensées, surtout lorsqu'une autre crise pouvait surgir.
Isis observe son paternel caresser la tête de la golden retriever. Elle a la bouche pateuse face à la situation qu'elle trouve étrange alors qu'il a toujours refusé d'avoir un chien quand elle était petite. Il a fini par changer d'avis face à son stress post-traumatique, sans que Isis n'est su l'expliquer et depuis qu'elle a Joyce, il s'occupe de cette dernière du mieux qu'il peut.
- Je l'ai promenée ce matin.
Isis a du mal à imaginer ce patron d'entreprise promener un chien dans les rues parisiennes mais il faut croire qu'il s'implique. C'est peut-être la moindre des choses qu'il puisse faire pour Isis, comme un besoin de se faire pardonner de lui infliger une belle-mère désastreuse depuis toutes ses années.
- Désolée pour hier, je...
- Ce n'est rien, je préfère te savoir ici.
- J'ai fait une crise, avoue-t-elle. Je pense que ça va
Un silence s'installe. Isis a soif, elle ne fait que fixer ses mains pour éviter de confronter le regard de son paternel qui attend des explications plus précises sur son état. Il se doute qu'il ne s'agit pas d'une simple crise liée à sa maladie et qu'il y a autre chose qu'elle omet.
- Est-ce que c'est en rapport avec ce garçon...
- Quel garçon ?
Isis se redresse brusquement sur son lit, ce geste attire l'attention de la golden retriever qui couine. Il n'y a aucun doute sur le fait qu'elle sente sa stupéfaction à l'entente de sa voix montant dans les aiguës. Isis tente de jouer la carte de la surprise, cette dernière ne paraît pas très convaincante à la vue du rictus étirant les lèvres de son père, encore plus quand il rajoute :
- Je sais que je ne suis pas le père le plus présent, mais je fais attention à toi et à tes fréquentations.
La jeune femme est estomaquée qu'il soit au courant qu'elle fréquentait quelqu'un ces derniers mois. Ce choc semble blesser son paternel qui se pince les lèvres, conscient de ses absences et de ce désintérêt constant qu'il montre à son égard. Elle s'empresse de se rattraper par peur de le blesser :
- Il s'appelle Pierre.
- Pierre Gasly, note-t-il. Pardon, j'arrête de t'interrompre, je t'écoute.
Elle grimace en avouant qu'il s'agit bien du pilote Alpine et finalement, Isis n'est pas surprise qu'il le sache. Il a très bien pu le savoir par l'intermédiaire des médias ou de sa belle-mère qui l'a déjà surprise aux côtés du pilote dans son appartement.
- Je... je l'ai rencontré en octobre dans un petit restaurant avec Alex, puis nous nous sommes revus plusieurs fois chez Alexis et... voilà. C'est devenu sérieux, il passait souvent à Paris pour me voir jusqu'au moment où... il m'a reprochée de ne pas faire d'effort pour sortir. Je sais que je ne sors pas, je le vois au nombre de sorties que je refuse mais... c'est plus fort que moi, avoue-t-elle d'une voix brisée. Je n'y arrive pas, je ne me sens pas bien quand je suis dans un endroit que je ne maîtrise pas, et quand il y a beaucoup de monde que je ne connais pas.
Elle s'arrête en cherchant ses mots sous le regard peiné de son père, elle caresse nerveusement la tête de Joyce. Ses doigts s'entremêlent au poil fauve clair de la bête pendant qu'elle s'égare dans ses pensées. Isis se sent vide, elle a l'impression de se retrouver après l'acceptation du départ de Mathieu. Elle se souvient avoir mis plusieurs mois à réaliser ce qu'il s'est passé. Elle a du encaisser les événements, se remettre d'une blessure par balle où la rééducation a été éprouvante mais Isis a surtout fait un deuil.
- Le plus dur c'est qu'on sera sans doute amené à nous recroiser mais pas tout de suite, il a du prendre son avion pour l'Arabie Saoudite aujourd'hui. C'est tout ce que je voulais éviter, je ne voulais pas que Alexis soit impacté par mes relations et finalement, hier c'est chez lui que Pierre a dormi.
- Il ne t'a pas seulement reprocher de ne pas sortir, n'est-ce pas ?
- Je l'ai comparé à Mathieu, avoue-t-elle d'une voix brisée.
Ses yeux se remplissent de larmes des qu'elle prononce le prénom de ce dernier et son père s'empresse de l'étreindre. Ce geste ne s'est produit que très peu de fois, Isis ne compte ses câlins que sur une main. Elle ne saurait dire combien de temps elle reste ainsi, son corps ne cesse d'être secoué par les sanglots lorsqu'elle gémit entre deux hoquets :
- Je m'en veux tellement de l'avoir fait. Je ne fais que les comparer, tout le temps, à chaque instant. C'est comme au début, je comparais sans arrêt Jade à Camille, explique-t-elle. J'ai l'impression que je suis capricieuse et que je ne peux pas me satisfaire de ce que j'ai.
- Isis...
- C'est horrible, gémit-elle en reniflant.
- J'ai comparé Nathalie et maman pendant des années et parfois, je le fais encore.
La jeune femme se redresse instantanément pour croiser le regard brisé de son paternel. Il s'agit de la première fois qu'elle entend ses aveux et elle se sent stupide d'avoir toujours cru que personne ne pouvait la comprendre, surtout pas son père, quant à la perte de Mathieu. Mais lui-aussi a perdu son premier amour dans des circonstances tragiques.
- Ce n'est pas mal, c'est humain, reprend son père. C'est ce qui entretient nos souvenirs et la mémoire que nous leur portons, nous soulevons les différences pour ne pas oublier les qualités qu'ils avaient. Tu t'accroches aux comparaisons, aux similitudes qui te rassurent mais il faut essayer de se détacher du modèle que tu as en tête. Tout le monde est différent et personne n'est parfait, Mathieu ne l'était pas et ce Pierre ne l'est pas non plus.
Elle acquiesce en comprenant qu'elle doit bousculer ses habitudes, elle n'en veut pas à Pierre de l'avoir blessée en pointant du doigt son absence d'efforts. Il n'a pas tout à fait tord sur ce point, Isis doit faire des progrès mais elle est surtout blessée par l'image d'elle-même qu'elle a montré. Elle est déçue d'avoir comparé les deux jeunes hommes, cela doit être encore plus blessant pour Pierre qui s'est retrouvé comparé à quelqu'un qu'il n'a jamais connu.
Elle est déçue puisque cette comparaison montre qu'elle ne fait aucun progrès depuis des années. Cette comparaison reflète son absence de progrès, un problème plus profond qui montre qu'elle ne parvient pas à se détacher des événements survenus ce treize novembre. Elle n'a toujours pas oublié Mathieu, mais elle est au toujours au même stade, cloîtrée chez elle et le moindre petit pas à l'extérieur relève du miracle.
- Je peux t'aider, Isis. Il faut juste que tu m'autorises à le faire.
Elle acquiesce en sachant pertinemment qu'elle doit se tirer de cette routine dans laquelle elle s'est enfermée.
- Il faut faire des choses que tu aimes, c'est pour ça que je t'ai toujours proposée des invitations à des petites événements de mode qui pourraient te plaire.
- Nathalie...
- Elle est maladroite.
Isis se retient de rétorquer, elle ne veut pas soulever un problème plus épineux que le sien. Elle se contente d'écouter son père autour d'un petit déjeuner en ce début d'après-midi, il parle des récents événements de leur entreprise et de la création d'une nouvelle gamme de produits ainsi qu'un rafraîchissement de leur logo. Il montre plusieurs esquisses de propositions de logo sur une tablette numérique, écoutant les avis de Isis qui est bien plus douée que lui dans le domaine artistique.
- Nous avons un placement de produit dans un court-métrage qui sera présenté au Festival de Cannes, finit par dire son père.
- C'est dans combien de temps ?
- Dans deux mois, en mai.
Isis acquiesce et durant les semaines qui suivent, elle n'arrête pas un seul instant de travailler. Elle ne quitte pas le petit bureau de son appartement où elle confectionne de nombreuses tenues pour elle-même. Elle travaille sur ses projets créatifs, dessine ses idées sur des carnets, confectionne les patrons et assemblé les tissus entre eux.
Et à des miliers de kilomètres, Pierre ne termine pas la course de Melbourne, pris dans un accident avec son coéquipier. Il ne repart qu'avec un double abandon pour son écurie et il se retient de sortir cette boîte de médicaments traînant au fond de sa valise.
désolée pour mon absence, j'ai mis du temps à écrire ce chapitre mais les autres sont pratiquement tous écrits ! on espère que les deux loustiques vont se remettre...
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