vingt-cinq

Isis ne s'arrête plus de pleurer, elle reste roulée en boule dans son canapé dans ce qui semble durer une éternité. Ses sanglots s'arrêtent quand la fatigue prend le dessus. Elle finit par se résigner, leur relation est définitivement terminée.

Elle pensait que Pierre était différent des autres, qu'il avait mesuré et compris son stress post-traumatique mais il faut croire qu'elle s'était trompée. Il est comme les autres, il a des attentes pour lesquelles Isis n'est pas à la hauteur, ce constat l'atteint d'une incommensurable douleur.

Isis finit par s'extirper du canapé lorsque Joyce attrape l'ourlet de son t-shirt pour la tirer vers sa chambre. Isis est désemparée en entrant à l'intérieur de la pièce où elle trouve les affaires que Pierre a laissé après son départ précipité.

Il y a des t-shirts traînant sur le lit, sa valise entrouverte sur le sol paraît éventrée. Les vêtements rayonnent autour de cette dernière et en rentrant dans la salle de bain, Isis trouve sa brosse à dent dans le pot, près de la sienne. Cette vision l'écoeure si bien qu'elle ne souhaite plus se brosser les dents.

Elle s'écrase dans son lit, elle pousse un cri déchirant contre l'oreiller pour expulser toute sa douleur. Elle n'est que colère et rancœur, ses doigts glissent dans les poils fauve clair de Joyce venue s'allonger à ses côtés dans le lit et cela suffit à la calmer pour un temps.

Quelques heures plus ou moins mais son anxiété finit toujours par revenir à l'assaut. Elle ferme les volets se plongeant dans le noir total, elle avale ses cachets mais le sommeil ne vient pas. Elle aimerait dormir, elle aimerait se reposer, elle aimerait que ses yeux arrêtent de brûler par la fatigue qui s'accumule.

Isis aimerait rêver, cauchemarder, ou être prise dans des terreurs nocturnes si seulement des pensées pouvaient s'arrêter. Elle pense à Mathieu et ses yeux bleus. Elle pense au jeune homme qu'elle a aimé depuis ses quinze ans jusqu'à son dernier souffle. Elle se souvient de son regard inerte, elle se souvient de son sang tachant le sol et son cœur vient se pétrir de douleur.

Elle trouve un regain de force pour se saisir de son téléphone, elle renifle péniblement en venant murmurer le prénom de son meilleur ami dans le combiné. Sa bouche est pâteuse, rendant sa voix éraillée :

- Alexis...

- Pierre est avec moi.

Il est direct dans ses propos pourtant il n'y a pas une once d'animosité ou de colère dans sa voix qui n'est que douceur. Isis aurait dû se douter que Pierre irait se réfugier chez son ami comme il souhaitait se rendre à sa soirée, sujet de leur dispute.

Elle se sent immédiatement mal de mettre Alexis dans une telle situation. Une situation qu'elle redoutait et que le jeune homme ressent par son silence sans équivoque. Elle tente de contenir ses sanglots qui s'échappent de ses lèvres tremblantes et Isis finit par s'excuser.

Elle s'excuse une dizaine de fois auprès de son ami, elle ne veut pas qu'il prenne parti. Elle ne cesse de s'excuser, elle répète qu'elle est désolée d'avoir tout gâché mais Alexis finit par l'arrêter d'une voix basse :

- Isis, je suis un grand garçon. Je sais faire la part des choses, d'accord ? Je vous connaissais avant votre rencontre et rien ne va changer pour moi, assure-t-il.

Elle l'écoute en acquiesçant, il explique que Pierre est arrivé chez lui et qu'il n'a pas souhaité s'expliquer. Il a seulement dit que c'était terminé entre eux, sans s'éterniser dans la discussion et qu'ils ont débuté une partie de PlayStation qu'ils viennent d'interrompre pour elle.

- D'accord, balbutie-t-elle d'une petite voix. Je vais vous laisser dans ce cas.

- Tu m'appelles au moindre problème, d'accord ?

- Je vais aller chez mon père, décide Isis.

Elle le laisse pas le temps à Alexis de rétorquer qu'elle a déjà raccroché. Un profond soupir s'échappe de ses lèvres lorsqu'elle essuie ses larmes, elle se sent fébrile et elle craint de tomber dans une autre crise intrusive alors que les souvenirs semblent revenir. Isis ne doit pas se laisser submerger par les émotions, elle ne doit pas être seule. Elle le sait sinon elle sera dans l'incapacité à empêcher ses souvenirs de revenir le hanter.

Il existe une triade de symptômes que Isis reconnaît bien. Elle y est habtuée, il y a l'intrusion où ses souvenirs se manifestent lors de ses rêves, de ses cauchemars, de ses terreurs nocturnes ou lors de véritables flash-back qui la tétanisent.

Il y a l'évitement qu'elle n'a connu que lors des trois premières années à une forte intensité. Elle ne parlait pas, elle ne racontait pas les événements. Il a fallu des dizaines et des dizaines de rendez-vous chez la psychologue pour débloquer sa parole. Elle évite tous les sujets pouvant lui rappeler ce jour, elle évite de parler de son ancienne vie. Elle évite les lieux publics comme la peste.

Mais l'hyperstimulation reste son pire fléau. Cette dernière s'exprime par de véritables phases où Isis sombre dans la paranoïa. Elle surinterprète tout, le moindre bruit, le moindre geste et tout cela peut la plonger dans une véritable nervosité, avec cette impression constante de danger.

Et aujourd'hui, Isis sent la crise arriver à grands pas. Ses cachets ne font pas effet et son insomnie ne fait qu'accroître son anxiété, laissant la porte grande ouverte à ses souvenirs venus la hanter. Elle s'empresse d'attacher le harnais de Joyce et de chausser ses Dr. Martens, elle quitte immédiatement son appartement sans se rendre compte que la pluie s'est abattue sur la capitale.

Il pleut des trombes d'eau et Isis se contente d'avancer tête baissée en tenant fermement la laisse de la chienne. Elle marche peut-être une demi-heure, ses cheveux collent à son visage et elle ne fait qu'avancer dans cette nuit noire.

Elle finit par se présenter sur le pallier de l'appartement de son paternel, la moquette du couloir finit trempée par ses vêtements dégoulinant d'eau tandis qu'elle attend inlassablement qu'il daigne ouvrir.

Il n'est pas réjoui de la voir sur son palier, il semble encore endormi après avoir été réveillé en pleine nuit par sa fille. Ses yeux s'attardent sur ses vêtements humides, ses cheveux mouillés et sur la chienne dont les poils sont emmêlés. Isis tremble de la tête aux pieds, elle est gelée.

- Est-ce que je peux dormir ici, cette nuit ?

Elle baisse les yeux sur ses pieds face au regard perdu de son paternel. Il semble déstabilisé par la présence de sa fille, encore plus, alors qu'il ne l'a pas convié et qu'elle ne l'a pas prévenu de sa venue. Son inquiétude ne fait que s'accroître lorsqu'il constate son teint blafard et son collant effilé au niveau de ses cuisses.

- Isis, il est trois heures du matin...

- Je veux juste dormir papa mais j'y arrive pas.

- Nathalie est ici, bredouille son père.

- Je veux juste dormir, répète-t-elle.

Son père finit par la laisser rentrer, il l'observe retirer ses chaussures dans l'entrée. Elle tremble de froid mais il ne fait rien pour l'aider puisqu'une ombre se tient assise dans le canapé. La cinquantenaire les observe d'un regard suspect dont la lueur n'est qu'animosité.

Isis ne réagit pas, elle ne souhaite que s'écrouler dans un lit et dormir. A la place, elle se contente de détacher le harnais de la golden retriever qui s'empresse de se secouer pour se sécher.

Isis sait que son père ne réagit pas en la présence de Nathalie. Elle se souvient de sa dernière crise en novembre dernier où il était présent à ses côtés, Isis se contente de se diriger vers la chambre qui était autrefois la sienne mais une voix l'en arrête :

- Et tu crois que je ne vais rien dire ? Tu viens au milieu de la nuit comme si cet appartement était le tien.

- Il s'agissait de ma chambre avant que tu viennes poser tes affaires dans la chambre que ma mère partageait avec papa, rétorque Isis. J'aimerais juste dormir.

- Tu as un lit dans l'appartement que nous avons acheté pour toi !

- C'était surtout pour que tu puisses te débarrasser de moi et de mes terreurs nocturnes.

Et Isis s'attendait à une répartie de sa belle-mère qui ne trouve rien à redire. Elle ne peut pas contredire la véracité des propos de la jeune femme qui finit par pousser la porte de sa chambre en sifflant Joyce pour que cette dernière puisse la suivre.

Elle referme immédiatement la porte derrière elle, son cœur bat à tout rompre dans sa poitrine et Isis se demande réellement ce qu'elle est venue faire ici, en plein milieu de la nuit. Elle aurait dû rester dans son appartement, son insomnie aurait fini par craquer et son corps aurait fini par sombrer dans le sommeil.

Mais Isis est terrifiée de se retrouver seule.

Elle est terrifiée par le moment où elle fermera les yeux et que son inconscient prendra le relais, là où son conscient ne peut plus repousser ses pensées intrusives et ses souvenirs meurtris.

Son père a peut-être tous les défauts du monde mais elle sait qu'elle peut compter sur lui pour la tirer d'un mauvais rêve, comme quand elle était petite. Et ainsi disparaît son appréhension et son insomnie s'évapore. Elle sombre immédiatement dans son lit sous le poids des cachets en sachant qu'elle ne sera pas à son réveil.

hello, je m'excuse pour la longue absence sur cette histoire. Je bloquais précisément sur ce chapitre mais j'ai eu le temps d'avancer les chapitres qui suivront !

petite Isis qui se retrouve désemparée et seule :(

je tenais à rappeler quelque chose d'important vis à vis du précédent chapitre, Isis est vue comme quelqu'un ne faisant pas ""d'efforts"", mais le SSPT est une pathologie invalidante. Elle touche l'intégrité physique et psychologique d'une personne, et aussi de son entourage, voilà. Des personnes atteintes d'un SSPT peuvent être bénéficiaires des cartes mobilité-inclusions, ainsi que de chiens d'assistance (cf : lacap.org )...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top