soixante-huit
Pierre ne voit pas le bout de cette journée. Il pensait être libéré de ses obligations dès que l'Alpine A524 aurait été dévoilée mais il se retrouve à discuter avec des ingénieurs de Enstone. Il se sent stupide en étant en combinaison de course alors que toutes les personnes présentes sont bien habillées ; costumes, tailleurs ou robes.
Une fois fois qu'il parvient à s'arracher des griffes de toutes les personnes souhaitant échanger quelques mots et prendre des photographies avec lui, il part à la recherche de la brune. Il finit par la trouver appuyée contre un mur de la pièce, aux côtés de Ilies et Guillaume, présents pour l'évènement.
- T'aurais du voir ta tête en voyant la voiture, c'était hilarant.
- J'ai besoin de soutien, pas qu'on me taille, rétorque Pierre à son meilleur ami.
- T'aurais pu faire semblant de sourire, rajoute son manager. Là, j'aurais pu te passer une corde, pas pour te sauver de la noyade, mais pour te pendre !
Pierre lève les yeux au ciel mais ces paroles parviennent à lui faire esquisser un faible sourire. Il croise le regard de Isis qui se mordille la lèvre inférieure en l'observant continuer de discuter avec eux. Elle ne dit pas un mot, elle se contente d'écouter leurs commérages sur la nouvelle monoplace.
Ils parlent d'une voix faible pour ne pas se faire entendre, Pierre risquerait de se faire taper sur les doigts si quelqu'un venait à entendre son pessimisme et ses critiques sur l'Alpine.
Lorsque le moment de partir approche, Pierre part se changer. Il quitte sa combinaison de course dans une petite pièce pour récupérer ses vêtements de civil. Isis est assise sur une table, elle est sur son téléphone en attendant Pierre. Elle relève brièvement la tête vers lui en constatant qu'il prend du temps, elle soulève :
- Dépêche toi au lieu de te dandiner à moitié nu devant moi.
- Tu ne me regardes même pas, souligne Pierre déçu. Normalement, tu me regardes toujours...
- Désolée de t'avoir vexé, rit-elle en reportant son attention sur lui. Je pensais que t'étais assez grand pour t'habiller tout seul, je vois que c'est pas le cas. Câlin ?
Isis ouvre ses bras au pilote qui vient s'y loger. Elle embrasse sa mâchoire, tout en passant une main dans son dos dénudé de haut en bas. Elle murmure qu'il s'agit d'une bonne chose de faite pour aujourd'hui et Pierre acquiesce. Ce début de journée a été épuisant, le launch car est tout ce qu'il déteste. Il ne s'agit que de la communication et il hait particulièrement cette partie de son métier.
- Pierre, avoue-t-elle tout bas. Ça me stresse, tu ne peux pas savoir à quel point.
- Je vois ça, t'es pas très bavarde et tu me mattes même pas quand je suis tout nu, dit-il en laissant glisser ses lèvres sur sa joue.
- Désolée, je... je gère pas aussi bien le stress que toi.
- C'était pas du stress pour moi, corrige Pierre. Ça me fait juste chier de faire semblant de découvrir une voiture en surpoids et en déficit moteur... puis tu ne peux pas comparer les situations.
- Je n'ai pas été d'un très bon soutien depuis ce matin.
- Je sais que tu fais de ton mieux, c'est ça qui compte d'accord ?
Il rajoute que cela lui suffit largement et comme il l'a déjà dit de nombreuses fois, Pierre rajoute qu'ils ne sont pas ensemble pour se rendre des comptes.
- Je ne tiens pas à cahier, glisse Pierre en s'éloignant. Je termine de m'habiller et après à la guerre, soldat !
Il parvient à esquisser un faible sourire à la brune, Pierre termine de s'habiller et le couple par à l'aéroport pour rejoindre la capitale française pour la deuxième fois en quelques jours. Durant le vol, Isis est très reconnaissante d'être avec Pierre.
Il tente de la faire rire par tous les moyens et cela fonctionne. Sa personnalité joyeuse est un véritable rayon de soleil pour Isis, Pierre essaye toujours d'être optimiste. Il est tout le contraire de la brune qui est superstitieuse et pessimiste.
En arrivant devant l'immeuble où se trouve l'appartement de Isis, son anxiété revient de plein fouet. Elle ne dit rien et Pierre l'observe s'appuyer contre l'intérieur de l'ascenseur, les portes viennent tout juste de se refermer lorsqu'il l'entend bredouiller faiblement :
- Tu restes avec moi, hein ?
Il acquiesce en se rapprochant d'elle, son regard est perdu dans le vide. Ses doigts se posent délicatement sous son menton pour qu'elle puisse soutenir son regard, il voit bien qu'elle n'est pas dans son assiette. Elle est bien trop silencieuse depuis le début de la journée et il trouve cela étrangement étonnant qu'elle ait eu la force de se lever ce matin.
- Chat, regarde-moi, souffle-t-il tout bas. Je reste avec toi aujourd'hui et tous les autres jours. Tu ne vas pas y aller toute seule, d'accord ?
- Je veux juste que ça se termine le plus vite possible, j'ai mal au ventre...
Pierre l'étreint tendrement, il a à peine le temps d'embrasser son front que les portes s'ouvrent de nouveau. Il suit simplement la brune dans le couloir, elle s'arrête devant une porte en soupirant. Pierre comprend qu'il s'agit de l'appartement de son père et de sa belle-mère.
La jeune femme se glisse dans ses bras, elle a besoin de force et Pierre dépose une ribambelle de baisers sur sa mâchoire pour l'encourager. Il sait que la situation est compliquée et tout comme Isis, il veut que cela se termine au plus vite pour que disparaisse l'anxiété de sa fiancée.
- J'ai peur de vraiment le perdre, que tout devienne réel et qu'au final Nathalie gagne.
- Je sais que peu importe l'issue de votre conversation, tu vas réussir à t'en sortir comme tu l'as toujours fait, rassure Pierre. Et même si tu tomberas à plusieurs reprises, je serai là pour te relever et t'aider à avancer, chat.
- Ce dont j'ai vraiment le plus peur c'est que même si ça me fait mal sur le coup... dans le fond, je crois que je m'en remettrais, avoue-t-elle d'une voix faible.
Pierre comprend qu'elle s'est détachée de son père lors de ces derniers mois, elle n'a jamais été aussi heureuse qu'en étant éloignée de lui. C'est cette constatation qui est douloureuse, son père n'est plus l'un des piliers de son monde.
- Si tu savais comme je t'aime, articule Isis.
- Je sais, souffle-t-il alors qu'un léger sourire étire ses lèvres.
Pierre vient pincer la joue de la brune, c'est une manière à lui de lui montrer son affection. Il se penche pour déposer délicatement ses lèvres sur les siennes. Dans leur échange, il donne toute la force qu'il possède et il montre tout l'amour qu'il porte à la brune.
Isis caresse distraitement sa joue barbue, elle soupire une nouvelle fois en venant coller leurs fronts. Par habitude, son nez vient se frotter contre celui de Pierre avant qu'elle ne s'éloigne. Seules leurs mains restent liées tandis qu'elle se rapproche de la porte.
Elle reste muette devant celle-ci durant de longues secondes, elle n'est pas sûre d'être prête à le faire. Pierre comprend qu'elle ne pourra pas le faire sans aide, il attend son autorisation pour pouvoir frapper à la porte.
Isis se balance nerveusement sur ses pieds, l'attente semble interminable si bien qu'elle vient à en penser que son père est absent. Elle n'a pas le temps de savoir si elle serait déçue ou non que son père soit absence que la porte s'ouvre.
Leurs regards se croisent, l'estomac de Isis se tord sous l'effet de la nausée et de son anxiété. Elle sent simplement les doigts de Pierre presser un peu plus les siens, comme pour la rassurer qu'il se tient à ses côtés et qu'il ne la laissera pas tomber.
Elle continue d'observer son père, il porte encore son costard signe qu'il vient de rentrer du travail. Elle ne dit rien tout comme lui, Cédric De Beaumont semble figer dans ce silence qui ne tarde pas à être briser par les claquements de talons sur le carrelage.
- Chéri, c'est qui encore ?
Son paternel ne répond pas et Nathalie ne tarde pas à apparaître dans l'encadrement de la porte. Son regard se pose sur le couple et son visage ne tarde pas à se décomposer, elle tonne d'une voix forte :
- Comment oses-tu venir ici après le mal que tu as fait à ton père ? après tout le mal que tu nous as fait ? Tu as passé près de cinq mois sans avoir donné de tes nouvelles !
Isis ne s'était pas préparée à tomber sur sa belle-mère, elle n'est plus habituée à ses crises de colère si bien qu'elle recule d'un pas. Elle lance un regard inquiet à Pierre, elle n'est pas certaine d'y arriver désormais. Elle s'était préparée pourtant les mots semblent lui manquer.
- Vous n'avez pas votre mot à dire dans cette histoire, s'exclame Pierre sans réfléchir. Alors, arrêtez de vous la ramenez et laissez-les parler !
- C'est papa que je suis venue voir, pas toi, finit par bredouiller Isis d'une petite voix.
Elle s'avance pour rentrer à l'intérieur de l'appartement, son père ne l'en empêche pas tout comme Nathalie. Ils sont bien trop sonnés par la prise de position de la jeune brune qui est suivie de Pierre.
- Tu laisses un étranger me parler sur ce ton ?
Isis entend ces mots prononcés par sa belle-mère dans son dos, il ne faut qu'un dixième de seconde pour qu'elle se retourne dans leur direction pour lancer agacée :
- Ce n'est pas un étranger, c'est mon fiancé et j'aimerais que tu aies la décence de le traiter avec respect.
- Tu... tu vas te marier ?
Isis se pince les lèvres face à son père qui a les larmes aux yeux. Elle aurait aimé discuter avec lui plutôt que de lui annoncer cette nouvelle brutalement, elle est démunie en ne sachant pas comment réagir. Il s'agit de la raison de sa venue mais elle avait imaginé la situation autrement.
- Je suis venue pour te l'annoncer, dit-elle tout bas.
Elle ne s'attendait pas à une telle réaction, son père explose en sanglots. Isis ne l'a que très rarement vu pleurer, elle ne sait pas comment interpréter les larmes qu'elle voit luire au coin de ses paupières.
- Est-ce que tu pleures parce que je te déçois encore une fois ?
Isis sent son coeur se serrer douloureusement dans sa poitrine en attendant la réponse de son père. Elle n'aurait jamais dû poser cette question, cela revient à s'excuser alors que rien n'est de sa faute.
- Non, murmure Cédric en essuyant ses yeux. Je... c'est si soudain... je suis content pour toi, tu le mérites.
- Je voulais te l'annoncer en personne et pas que tu l'apprennes par internet ou par les journaux, explique Isis d'une voix frêle. J'ai conscience que je n'ai pas eu l'occasion de te présenter Pierre comme il se doit à cause de...
Elle s'arrête pour déglutir tout en jetant un coup d'œil à Nathalie, sa main devient moite dans celle de Pierre pourtant elle ne lâche toujours pas le jeune homme.
- Mais je voulais te l'annoncer de vive voix, continue-t-elle. Tu restes mon père et je t'aime même si c'est peut-être pas réciproque, voilà. J'aurais aimé que ça se passe autrement, que tu rencontres Pierre avant et que tu vois par toi-même à quel point il est incroyable... maintenant que c'est fait, tu vas recevoir une invitation. Le mariage aura lieu en mars, en Dordogne.
Son père encaisse difficilement la nouvelle, il ne s'attendait sans doute pas à ce que les choses soient aussi précipitées mais le couple s'est décidé deux jours plus tôt. Isis et Pierre ne souhaitent pas attendre, la brune croise le regard bleuté de son fiancé pour chercher les dernières forces qui lui manquent. Le plus dur reste à dire et elle reprend :
- Soit tu viens, soit tu ne viens pas. C'est toi qui décide mais si tu ne viens pas, ça sera vraiment terminé entre nous. Je ne voudrais plus de toi dans ma vie, plus jamais. Je n'attends pas d'excuses pour toutes les choses que tu m'as dites, je pense que c'est trop tard pour me les présenter. Mais si jamais, il te reste un peu d'amour pour moi, ta fille, je ne veux pas d'elle - elle pointe Nathalie du doigt - il est hors de question qu'elle vienne à notre mariage.
- Isis, tente son père.
- Il est hors de question qu'elle soit présente pour l'un des jours le plus important de ma vie alors que tout ce qu'elle a fait depuis que je la connais, c'est de me pourrir mon existence, crache Isis. Le fait que tu l'aimes ne veut pas dire que je dois l'aimer aussi, j'ai bien compris que c'était pareil pour elle... elle me l'a bien fait comprendre qu'elle ne m'aimait pas, n'est-ce pas ?
Isis plante son regard sombre dans celui de sa belle-mère, une lueur de défi brille au fond de ses iris et comme la dernière fois qu'elles se sont vues dans cet hôpital, Isis pourrait attendre indéfiniment des explications qui ne viendront pas.
- Tu n'as rien à dire, même pas une excuse ? Rien ? souffle Isis peu surprise. Je mérite si peu de considération de ta part...
La plus jeune n'observe même plus Nathalie, elle lui a tourné le dos pour faire face à Pierre. Elle n'a pas besoin de parler que ce dernier a déjà compris. Il veut tout de même s'assurer qu'elle est sûre de sa décision en la questionnant du regard, Isis répond simplement :
- Allez viens, on s'en va. Au revoir papa.
Elle lance un dernier regard à son paternel en disant ses mots, juste avant de quitter l'appartement. Une fois que la porte est refermée, Isis soupire profondément en faisant le chemin inverse aux côtés de Pierre. Dans l'ascenseur, elle ne dit pas un mot.
Ce n'est qu'une fois dehors qu'elle se glisse dans les bras du jeune homme. Il caresse doucement son cuir chevelu, ses lèvres se posent sur son front. Il attend qu'elle veuille bien parler, il ne veut surtout pas la brusquer.
- C'est gentil d'avoir pris ma défense, t'es mignon quand tu montres les crocs.
- Je suis soulagé que tu ne m'en veuilles pas, j'ai parlé un peu sans réfléchir, reconnait Pierre en se pinçant les lèvres.
- Merci d'être là, chuchote-t-elle en entourant son corps de ses bras.
- Est-ce que ça serait déplacé de t'emmener au resto après ce qu'il vient de se passer ? Si tu veux bien sûr, rajoute Pierre en constatant son absence de réponse. Je ne veux pas te forcer à sortir, c'était juste une proposition et comme d'habitude, tu as le droit de dire non
Isis croise son regard bleuté qui n'est que sérénité et pour la première fois depuis le début de cette journée, Isis se sent apaisée. Elle se sent en parfaite sécurité tandis que Pierre replace l'une de ses mèches derrière son oreille. Il attend encore sa réponse lorsque Isis se hisse sur la pointe de ses pieds pour embrasser le coin de ses lèvres.
- Je ne vais pas refuser pour la Saint-Valentin.
Cette réponse fait sourire Pierre, ses lèvres rosées s'étirent pour former un cœur. Isis ferait n'importe quoi pour voir ce sourire tous les jours sur le visage du jeune homme.
- J'te laisse choisir dans ce cas, mon chat.
- Je te préviens, ça sera gras. J'ai envie de fromage.
- Ça me va, rassure Pierre en riant.
Et plus tard, le pilote se retrouve à partager une fondue savoyarde avec Isis. Il ne peut s'empêcher de se moquer d'elle à chaque fois que son morceau de pain se détache de son pic pour tomber dans la fondue, déclenchant ses râles de frustration. Ses yeux pétillent d'une nouvelle lueur et Pierre comprend qu'il s'agit d'un nouveau départ dans sa vie, celui qu'elle attendait depuis des années. Elle a réussi à se détacher.
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