quatre-vingt-douze


- Pierre, qu'est-ce que tu fais...

Isis l'observe s'éloigner sans pouvoir le retenir, un mal de tête énorme l'assaille. Elle papillonne des yeux si bien qu'elle ne parvient pas à rester concentrée sur le pilote qui se saisit de son téléphone portable pour composer un numéro d'urgence. Ses yeux se ferment alors que Pierre revient à sa hauteur tout en répondant à une multitude de questions.

- Chat, souffle-t-il en caressant sa joue. Est-ce que t'as mal au ventre ?

- Un peu, gémit la plus jeune.

- Montre moi où.

Elle glisse sa main sur la partie supérieure droite de son abdomen et  Pierre s'empresse de décrire la zone concernée au téléphone dans un italien fluide. Il continue de répondre à quelques questions avant de raccrocher, Isis croise de nouveau ses yeux bleutés et elle tente de se rassurer :

- C'est pas si grave alors...

- Une ambulance arrive dans dix minutes, grimace Pierre. J'vais te chercher un pantalon, tu bouges pas d'ici en attendant.

- Tu veux que j'aille où ?

- C'était pas une question, lance-t-il en disparaissant vers leur chambre.

Lorsqu'il revient quelques minutes plus tard avec un jogging, Isis a la vision brouillée par les larmes à cause de la douleur qu'elle ressent. Elle a l'impression que son crâne va exploser et le simple fait de bouger légèrement les jambes pour enfiler son bas accentue son mal de crâne.

- Je veux pas aller aux urgences...

- C'est juste pour faire de petits contrôles, rassure-t-il en embrassant son front.

- T'as le nez qui se plisse quand tu mens, chuchote-t-elle tout bas.

D'une main distraite, Pierre caresse les petites mèches qui ornent son front. Il ne répond rien, sachant que ça ne sert à rien de cacher son inquiétude qui se voit comme son nez au milieu de sa figure.

Les ambulanciers finissent par arriver devant leur appartement, Pierre part ouvrir la porte et les deux équipiers vont irruption au beau milieu de leur salon. Pierre leur laisse de l'espace en tenant la golden retriever à distance, tout en restant suffisamment près pour traduire l'échange qu'ils ont avec la brune.

Il ne faut que quelques minutes, pas plus, pour que la décision d'emmener Isis aux urgences soit prise. Elle est rapidement descendue en bas de l'immeuble sur un brancard et Pierre se tient à l'extérieur de l'ambulance alors que ses constantes sont prises.

- Pierre, j'veux pas y aller toute seule, gémit elle. La dernière fois, c'était à la Belle-Equipe...

Il grimace lorsqu'elle évoque les attentats, un frisson parcourt son échine. Il cherche à capter le regard de l'ambulancier pour le questionner et ce dernier désigne la golden retriever du doigt :

- Les chiens n'ont pas le droit de monter à l'arrière pour des raisons d'hygiène mais vous, vous pouvez si vous me laissez faire mon travail.

- Il n'y a pas une autre solution pour le chien ? interroge le pilote en italien.

- Le chien peut venir avec moi à l'avant, intervient le conducteur. Seulement s'il bouge pas.

- Elle ne bougera pas, s'engage Pierre.

Il suit le conducteur vers l'avant du  fourgon où il installe la golden retriever, lui ordonnant de ne pas bouger. Puis, Pierre rejoint l'arrière où il monte dans l'ambulance pour être au près de la brune. Sa main se saisit de la sienne alors que le véhicule démarre et que l'ambulancier continue de prendre différentes mesures qu'il note sur sur une fiche.

- Depuis le temps que t'attendais la saison deux, dit-elle d'une voix étranglée par la douleur.

- C'est pas grave, soupire-t-il en se pinçant les lèvres. Les épisodes ne vont pas s'envoler.

- Et moi si ?

- T'en racontes des bêtises, toi.

- C'est toi qui sous-entend, chuchote-t-elle alors qu'une grimace étire son visage.

- T'entends que ce que tu veux entendre, chat.

Elle acquiesce en essuyant ses larmes d'un geste de la main, elle ne pensait pas faire un voyage en ambulance, ni même terminer aux urgences dans la soirée. Pourtant, c'est bien ce qui est en train de se passer.

Elle est rapidement installée dans une salle gynécologique à l'écart de toute l'agitation et heureusement pour elle, Pierre est autorisé à rester avec la golden retriever en attendant l'arrivée d'un obstétricien qui va prendre en charge son dossier.

L'attente est insoutenable, Isis ne peut s'empêcher de planter ses ongles dans l'intérieur de ses cuisses. Heureusement pour elle, le tissu de son jogging est assez épais pour qu'elle évite de s'entailler la peau et Pierre finit par attraper sa main dans la sienne. Elle a toujours aussi mal à la tête et sa vision est tellement floue qu'elle plisse les yeux pour apercevoir le médecin pénétrer à l'intérieur de la salle d'examen.

- Je parle un peu français, explique-t-il en s'approchant d'Isis. J'ai avec moi le dossier constitué par l'infirmière quand vous êtes arrivée. Depuis combien de temps durent les maux de têtes ?

- Milieu d'après midi, gémit elle.

Elle baisse les yeux pour éviter le regard interloqué de Pierre qui devine qu'elle s'est bien gardée de lui parler de sa douleur. Sa main ne lâche pas la sienne, il exerce même un peu plus de pression pour signifier à la brune que ce n'est pas bien grave qu'elle ne lui ait rien dit.

- Je vais reprendre votre tension, déclare-t-il en s'exécutant.

Puis le médecin jette un coup d'œil aux chevilles de la future maman en relevant le bas de son jogging, son expression ne laisse rien transparaître. Il se redresse en murmurant qu'il va effectuer une prise de sang, Isis grimace en détestant particulièrement ce moment.

Elle ne cesse de sangloter silencieusement en serrant douloureusement la main de Pierre, elle pensait que tout allait finir par s'arrêter mais l'obstétricien l'achève un peu plus en lui tendant un pot destiné à l'analyse de ses urines. Elle s'éclipse aux toilettes durant quelques minutes avant de lui rendre le flacon.

- Je reviens d'ici une heure avec les résultats et je ferais une échographie de contrôle au cas où.

- L'ambulancier en a déjà fait une, bredouille Isis.

- L'ambulancier n'a rien vu de grave mais ce n'est pas un spécialiste dans ce domaine, lance-t-il en quittant la salle d'examen.

Isis déglutit difficilement en se tournant vers Pierre qui se mord l'intérieur de la joue avec force. Il ne dit rien, il se contente de se pencher pour appuyer son front contre l'avant bras gauche de la brune. Un profond soupir s'échappe de ses lèvres, ce qui ne rassure pas sa compagne.

- Ça va durer combien de temps ?

- Une heure, il a dit.

- Pourquoi c'est si long ?

- Ça prend du temps, c'est comme ça, explique doucement Pierre.

Un nouveau soupir s'échappe de ses lèvres rosées, Isis le sent sur la peau de son avant-bras et cela l'a fait frissonner. Elle finit par glisser sa main droite dans ses cheveux pour y tracer de petits gestes circulaires, c'est sa manière à elle de le rassurer comme elle le peut. Elle a la gorge si nouée qu'elle se retrouve dans l'incapacité de parler, elle 

- Ils auraient pu te donner un truc pour la migraine, maugrée Pierre après quelques minutes de silence. Comment ça me rend fou de te voir comme ça.

Isis est sûre et certaine qu'il ne s'agit pas d'une simple migraine, mais elle ne dit rien. Elle voit bien que Pierre encaisse difficilement depuis qu'ils sont arrivés à l'hôpital, il n'est pas aussi serein qu'à l'accoutumée. Ses doigts glissent sous les quelques mèches de cheveux qui cachent son front, elle les déplace légèrement sur le côté avant de déposer un baiser à cet endroit précis.

- Pierre... quelqu'un veut te faire un câlin, fait-elle remarquer d'une voix douce en s'éloignant.

Le pilote baisse le regard sur la golden retriever qui a posé sa tête sur sa cuisse. Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il n'avait pas prêté attention à Joyce qui a senti qu'il était stressé. Il s'empresse de glisser sa main entre ses oreilles et étrangement, sentir ses poils contre la paume de sa main le fait se sentir un peu mieux.

Après deux heures d'attente, l'obstétricien finit par revenir dans la salle d'examen. Il fait sursauter le couple qui était pris dans une torpeur d'attente et d'ennui depuis tout ce temps. Il ne dit rien, il se contente de s'approcher de la table d'examen sur laquelle est allongée Isis.

Il lui fait signe de relever son pull et son t-shirt. Il applique un gel froid sur son ventre sans plus de cérémonie, faisant grimacer la brune. Il ne tarde pas à se saisir de la sonde d'échographie. Ses yeux parcourent l'écran au fur et à mesure qu'il déplace la sonde sur le ventre arrondi de sa patiente.

Son visage reste toujours aussi impassible et Isis sent son cœur s'accélérer à tout rompre à l'intérieur de sa poitrine. Elle a un mauvais pressentiment, celui qu'elle connaît bien, celui qui l'habite et qui torture son esprit comme bien trop souvent.

Il finit par poser la sonde, il recule sa chaise avant de se saisir du dossier avec lequel il est rentré dans la pièce et il se tourne vers le couple pour expliquer d'une voix neutre :

- Les résultats d'analyse montrent la présence de protéines dans les urines, c'est caractéristique d'une atteinte rénale et hépatique avec les douleurs abdominales sur le côté droit. Les maux de tête sont associés à l'hypertension, vous m'avez parlé de trouble de la vision, n'est-ce pas ? Une vision floue ?

Elle acquiesce alors que sa main se met à trembler dans celle de Pierre. Elle se sent mal, encore plus mal que lorsqu'elle est arrivée aux urgences plutôt dans la soirée.

- Je ne vais pas vous mentir, les résultats sont inquiétants. L'échographie que je viens de faire est une échographie doppler, elle me permet de voir les vaisseaux sanguins au niveau du placenta, des deux placentas dans votre cas, rajoute-t-il. Il y a une anomalie du flux sanguin, il y a un manque d'apport en oxygène et en nutriment pour l'un des deux fœtus, c'est ce qu'on appelle une inversion du flux dans le cordon ombilical.

Il marque une pause, comme pour être sur que le couple face à lui comprenne le poids de ses paroles. Pierre ne fait que le fixer, écoutant attentivement le moindre de ses mots alors que la brune a le regard fixé sur son ventre arrondi qui est toujours couvert du gel de l'échographie.

- Pour une grossesse gémellaire, c'est normal que les fœtus soient en dessous des courbes de poids standards, continue l'obstétricien. Mais l'un d'eux a un gros retard de croissance intra-utérin, je ne peux pas dire lequel puisque les positions dans lesquelles se trouvent les deux foetus cachent les sexes. Tous ces symptômes sont liés à votre état de pré-éclampsie.

Ce dernier mot semble être l'élément déclencheur, Isis relève immédiatement la tête vers le médecin. Elle s'en doutait jusqu'à présent mais l'entendre de vive voix est un vrai coup de fouet. Elle semble reprendre possession de ses pensées puisqu'elle balbutie :

- Qu'est-ce... qu'est-ce qu'on peut faire ?

- Je vais vous faire transférer dans une maternité de niveau trois, vous allez y être hospitalisée car vous pouvez accouchez n'importe quand, conclut-il.

Isis est transféré par une ambulance dans une autre maternité de la ville.
Pierre est resté des heures à son chevet. Il a observé les infirmières prendre sa tension, lui injecter des corticoides pour accélérer la maturation des poumons des fœtus pour prévenir d'un accouchement prématuré. L'inquiétude lui noue les entrailles, le ronge de l'intérieur comme un poison lent. Elle est hospitalisée et il ne sait pas comment gérer cette situation. L'idée même qu'elle ou les bébés puissent être en danger lui coupe le souffle.

- Essaye de dormir un peu. En attendant, j'vais rentrer pour récupérer quelques affaires d'accord  ?

Elle secoue la tête, ne voulant pas que Pierre parte. Sa main s'agrippe à son poignet lorsqu'elle le retient, Pierre voit bien sa réticence puisqu'il rajoute la voix légèrement tendue :

- Ça ne prendre pas longtemps, je reviens vite.

Elle secoue la tête, son regard s’embuant d’inquiétude.

- Non, reste… je veux pas que tu partes, souffle-t-elle.

Pierre s’arrête net, son regard s'assombrissant. L’angoisse accumulée depuis des heures semble sur le point d'éclater en lui. Il retire sa main un peu trop brusquement et fait un pas en arrière.

- Bon sang, je peux même pas sortir cinq minutes sans que tu t’accroches à moi ? s’emporte-t-il. Je suis là depuis des heures, je fais tout ce que je peux, et maintenant je peux même pas aller chercher de quoi tenir la nuit.

Isis sursaute en l'entendant hausser le ton. Ses lèvres se mettent à trembler légèrement, le voir ainsi lui serre le cœur mais elle se refuse de le laisser partir, surtout au milieu de la nuit.

- J’ai juste… j’ai peur d’être seule ici… murmure-elle faiblement.

La tension dans son regard se fissure aussitôt. Il passe une main dans ses cheveux. Un soupir bruyant s'échappe de ses lèvres avant qu'il ne se laisse tomber sur la chaise à côté du lit, les coudes sur les genoux, la tête baissée.

- Je sais… Je sais, putain… déclare-t-il plus pour lui-même que pour elle.

Isis hésite un court instant avant de tendre de nouveau sa main. Pierre l’attrape sans réfléchir, la serrant fort. Sa colère s’est évanouie aussi vite qu’elle est montée, remplacée par un profond épuisement. Il ferme les yeux un instant, cherchant à retrouver un semblant de calme.

- D’accord, je reste, concéde-t-il enfin d’une voix rauque.

Elle relâche un soupir de soulagement et serre ses doigts avec force.

- C'est pas un caprice, j'veux juste que tu restes avec moi, ajoute-t-elle. Je... j'aime pas les hôpitaux...

- Je sais, je pars pas d'ici.

- C'est pas égoïste, hein ?

La gorge de Pierre se noue face aux insécurités de la brune. Elle a toujours les mêmes peurs, elle sous-entend que Pierre s'enferme dans leur relation avec l'obsession qu'elle a de tout contrôler.

- C'est moi, pas toi, avoue-t-il coupable. J'ai pas envie d'être là, je voulais me barrer pour réfléchir... c'est un peu le bordel dans ma tête. J'suis tellement en colère.

- Contre moi ?

- T'es souvent le centre de mon monde, mais pas cette fois-ci, chat.

Un silence s'installe durant lequel Pierre finit par se détendre un peu. Il a perdu son sang-froid et Isis voit bien qu'il est autant fatigué qu'elle par cette soirée qu'ils ont passé aux urgences, puis à faire des examens complémentaires dans le service de la maternité.

Elle se décale sur un côté du lit afin de lui faire une petite place, elle lui fait signe de le rejoindre. Pierre s'allonge à ses côtés en prenant gardes à ne pas toucher ses perfusions. Immédiatement, la plus jeune se blottit contre son torse, sa tête trouve le creux de son épaule alors que Pierre l'enlace doucement. Il n'ose pas toucher son ventre.

- Désolé, je suis un peu nul aujourd'hui. J'ai juste envie de chialer comme une fillette, avoue-t-il  tout bas.

- T'as un problème contre les paires de nibards ?

- Si t'avais pas une aussi belle paire, je t'aurais jamais calculé.

- Petite mais belle.

- C'est ça, ouais.

Il embrasse le sommet de son crâne. Elle n'a pas besoin de voir son visage pour savoir qu'il pleure, elle l'entend renifler et elle sent son torse se soulever de manière irrégulière à chaque fois qu'il tente de réprimer un sanglot.

Elle ne dit rien, elle se contente de passer un bras autour de son bassin. Il est rare que Pierre pleure, encore plus devant quelqu'un et elle ne veut pas qu'il se sente épié par elle. Elle préfère lui montrer sa présence en déposant de petits baisers sur son cou, la seule zone qui est accessible pour ses lèvres, mais elle ne fait aucune remarque pour ne pas le gêner.

- Isis, articule-t-il difficilement après quelques minutes.

Il est inhabituel que Pierre l'appelle par son prénom, si bien que l'entendre produit une étrange réaction dans le corps de la plus jeune. Instinctivement, elle se loge un peu plus contre lui comme pour se protéger de ce qu'il pourrait dire.

- On n’a toujours pas choisi leurs prénoms…

- On attendait d’être sûrs, souffle-t-elle en hochant doucement la tête. Mais maintenant… je sais même pas si on doit en choisir un ou deux.

- Si on n’en choisit qu’un, c’est comme si qu'on effaçait l’autre…

- Et si… si jamais ça tourne mal… Si on les perdait tous les deux ?

- Je ne peux pas penser à ça, rétorque Pierre d'une voix étranglée.

- Je ne veux pas y penser non plus mais je ne peux pas m’en empêcher, avoue-t-elle en reniflant douloureusement. Alors on choisira deux prénoms... Même si… même si l’un d’eux ne reste pas avec nous, il existera toujours.

Pierre acquiesce. Un silence s’installe, chargé de douleur, mais aussi d’une promesse silencieuse : ils feront face à cette épreuve ensemble, quoi qu’il arrive.

bonjour, bonjour. j'espère qu'il y a toujours du monde ici après une si longue absence de plus de trois mois 🥺

je suis toujours vivante et je vous souhaite une bonne année 2025 à toutes et à tous!

ici, ça a commencé avec une crève de l'enfer. j'ai eu le tout dernier cours de ma vie à l'école, ma dernière soirée à l'école, mon déménagement et le tout début de mon stage de fin d'étude, avec des partiels entre temps 🥳 reste plus que le mémoire et le diplôme youhouu

bref, si y a encore des personnes ici, pas d'inquiétudes cette histoire aura sa fin! il fallait juste que j'ai du temps pour continuer à écrire !!

des bisous sur votre fesse droite (pas la gauche elle mérite pas)

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