quatre-vingt-deux


Le monde de Pierre s'effondre en entendant sa voix brisée. Ses yeux bleutés ne font que fixer sa peau ensanglantée, il a soudainement la nausée alors que ses mains deviennent moites. Le jeune homme est parfaitement réveillé désormais, il a l'impression de s'être pris une claque en pleine figure ou d'avoir foncé tête baissée dans un mur.

Il s'approche de la plus jeune en jetant un regard inquiet à Nathalie qui nettoie le sang immaculé sur la peau de sa belle-fille. Pierre déglutit difficilement, il s'agenouille près de Isis sans toutefois la toucher. Il n'ose pas. Elle ne fait que trembler, ses genoux s'entrechoquent entre eux empêchant sa belle-mère de nettoyer l'intérieur de ses cuisses correctement.

- Je voulais pas qu'il t'appelle, je te jure que... je voulais pas te déranger...

- C'est rien, dit-il d'une voix qui se veut la plus rassurante possible. Est-ce que tu te sens d'aller à l'hôpital ?

Elle secoue la tête et Pierre comprend qu'elle n'est pas en état de se lever. Il sort son téléphone pour commencer un composer un numéro d'urgence mais la main tremblante de Isis se pose sur la sienne pour l'en empêcher. Leurs regards se croisent un court instant, elle gémit douloureusement :

- Je veux pas y aller, ça sert à rien.

- Il faut vérifier que tout va bien pour nos petites crevettes, d'accord ?

En disant cela, Pierre constate que les mains de Isis sont recouvertes de sang, ses ongles en sont incrustés et il déglutit encore plus difficilement. Sa gorge se noue.

- C'est moi le problème.

- Dis pas de bêtises.

- C'est moi, répète-t-elle tout bas. C'est moi, je... c'est de ma faute...

La suite est inaudible, ses paroles sont entrecoupées par des sanglots de plus en plus déchirants. Pierre l'appelle plusieurs fois par son prénom d'une voix calme et ferme mais la brune n'est pas réceptive. Le cœur de Pierre se serre douloureusement dans sa poitrine, il se pince l'arrête du nez tentant de refouler ses larmes. Il est fatigué, épuisé mais surtout plein de culpabilité d'avoir laissé Isis seule. Désemparé, il se tourne vers sa belle-mère qu'il questionne :

- Pourquoi vous n'avez pas appeler les secours ?

- Ils sont déjà venus, souffle Nathalie. Elle s'est arrachée les bandages qu'ils lui ont fait.

En regardant le corps de la brune, Pierre y aperçoit des marques. Des griffures, des coupures et des traces d'ongles sont présentes sur l'intérieur de ses cuisses.

- Les bébés....

- Tout va bien pour eux, rassure Nathalie. Le samu a fait une échographie.

- Mon dieu, je pensais que...

Un soulagement immense l'envahit en comprenant que les bébés ne sont pas la raison de tout ce sang. Pierre met quelques secondes à encaisser, il se ressaisit rapidement en questionnant :

- Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ?

- Elle nous a réveillé en hurlant, explique son père d'une voix tremblante. Il y avait du sang partout, elle s'est fait ça en dormant. Elle disait qu'elle avait pas pu les sauver, qu'elle était désolée... elle s'arrêtait pas de pleurer alors j'ai appelé le samu. Tout allait bien, ils l'ont recouchée mais ça a recommencé peu de temps après.

- Puis elle s'est arrachée les pansements, conclut Nathalie.

Pierre reporte son regard bleuté sur la jeune femme qui tremble toujours autant. Ses yeux sont vitreux bien que les larmes roulent sur ses joues rosées, le haut de son corps se balance d'avant en arrière en un rythme régulier.

- Il va se passer un truc... je... je sens qu'il va se passer un truc, répète Isis en s'agrippant au sweat-shirt du jeune homme. Pierre, faut pas que tu partes...

Les ongles de la brune s'enfoncent dans ses avant-bras, Pierre grimace sans toutefois la repousser. Il comprend qu'il doit rassurer la brune, il récupère un coton imbibé de désinfectant pour soigner la jeune femme. L'une de ses mains se pose sur son genou pour lui intimider d'écarter doucement les jambes afin de pouvoir accéder aux blessures qu'elle s'est infligée.

- Je m'en occupe, rassure Pierre en jetant un coup d'œil à Nathalie.

Son regard bleuté lui intimide de les laisser, ce qu'elle s'empresse de faire en entraînant Cédric. Elle referme la porte de la salle de bain laissant Pierre avec la brune qui ne cesse de sangloter. Il ne peut rien faire puisqu'elle le repousse constamment à chaque fois qu'il approche une compresse de sa peau.

- J'veux pas... ça sert à rien... je vais jamais guérir...

- Bien sûr que si, chat. Il faut un peu de temps et de patience.

- J'en ai marre d'attendre, je veux que ça s'arrête. Je veux que tout s'arrête, sanglote-t-elle en s'agitant un peu plus.

Pierre a les larmes yeux, son cœur se serre douloureusement lorsque la brune se débat. Elle le repousse, elle gesticule dans tous les sens en hurlant, elle ne veut pas de son aide et Pierre perd le contrôle de la situation. Ses ongles griffent sa peau lorsqu'elle hurle :

- Je veux pas !

- Mais arrête de bouger, putain ! tonne soudainement Pierre.

Sa voix s'élève par peur, par crainte de la perdre mais la brune ne s'arrête pas de bouger. Elle se débat encore plus fort, le repoussant à l'aide de ses bras et Pierre finit par perdre patience. Il enterre sa douceur habituelle pour bloquer le corps de Isis contre son grès. Il se saisit de ses bras qu'il bloque avant de la porter alors qu'elle se débat, lançant des coups de pieds.

- J'aurais dû crever, s'exclame-t-elle. C'est de ma faute, et... lâche-moi !

Ses hurlements se mêlent aux aboiements de la golden retriever présente dans la pièce. Elle se met en travers du chemin de Pierre manquant de le faire trébucher alors qu'il porte Isis jusqu'à la douche. Une fois chose faite, le français ne perd pas de temps. Il allume le jet d'eau froide accentuant les hurlements de la brune.

Il ne faut que quelques secondes avant qu'elle ne se taise face au choc thermique. Pierre coupe aussitôt le jet d'eau pour observer la jeune femme qui grelotte de froid, son regard sombre est rivé sur l'eau qui s'écoule jusqu'au siphon, l'eau est rouge à cause de son sang qui s'y dilue.

- Pierre... je saigne, souffle-t-elle à mi-voix complètement estomaquée par la vision qui s'étend devant elle.

Elle ne crie plus, elle est sidérée. Sa main se porte jusqu'à son épaule gauche comme pour chercher la source de tout ce sang qu'elle ne fait que fixer. Ses dents s'entrechoquent à cause du froid et la main brûlante de Pierre vient se poser sous son menton pour attirer son regard vers le sien.

- Regarde moi, dit-il tout bas. C'est terminé, d'accord ?

- Je sais pas ce qui s'est passé...

- Ce n'est rien, je suis désolé pour la douche, grimace Pierre en la voyant grelotter. Je vais t'aider à enlever tout ça.

Isis acquiesce, elle relève les bras pour qu'il puisse retirer son t-shirt de pyjama. Le tissu est trempé tout comme sa culotte qu'elle retire en surélevant son bassin. Le jeune homme fait glisser son sous-vêtement le long de ses jambes entaillées et Isis ne peut retenir un gémissement douloureux.

Il glisse une serviette sur ses épaules, il frictionne tout doucement le haut de son corps pour l'aider à se réchauffer. Isis est complètement sonnée, elle est amorphe, vidée de toute énergie. Ses batteries sont déchargées par cette crise d'une rare intensité, que Pierre n'avait jamais expérimenté. Il pensait avoir vu les sommets de son trouble du stress traumatique mais cette crise de déréalisation vient de lui prouver le contraire.

- Hé, susurre-t-il doucement alors que les paupières de la brune se remplissent d'eau. C'est terminé, il ne peut plus rien vous arriver.

- Je m'en veux, tu devrais pas être là. T'es revenu à cause de moi, soupire-t-elle.

- Je suis revenu pour toi, corrige Pierre en caressant sa joue.

- Je suis désolée, je voulais pas gâcher ta soirée...

Pierre se pince les lèvres, si seulement la brune savait. La soirée et la nuit qu'il comptait passer sont loin de ce qu'elle pouvait imaginer, il s'en veut un peu plus de l'avoir laissée dans cet état. Il l'aide à se relever et à sortir de la douche. Il la porte pour qu'elle puisse s'asseoir sur le meuble de l'évier, l'une de ses mains se posent sur sa hanche pour la maintenir alors qu'il ouvre la trousse pharmaceutique.

- Je vais tamponner avec une serviette pour essuyer l'eau puis je vais mettre des petites compresses avec du sparadrap juste ici, explique-t-il en désignant ses jambes blessées.

- Ça va faire mal ?

- Un peu, ça risque de piquer.

- J'ai le droit de te mordre pour me retenir de hurler ? demande-t-elle d'une voix enfantine ce qui arrache un sourire au pilote.

- Non mais t'as le droit de serrer ma main très fort. Prête ?

Les doigts d'Isis s'agrippent à sa main gauche, elle presse les doigts de Pierre entre les siens. Lorsque la texture rugueuse de la serviette rentre en contact avec sa peau, Isis se pince les lèvres pour retenir ses plaintes de douleur.

- J'ai presque terminé, je désinfecte et le plus dur sera fait, dit Pierre en attrapant un coton imbibé de désinfectant.

Il se dépêche de déposer des compresses qu'il fixe avec du sparadrap qu'il a pris soin de découper préalablement. Il inspecte la zone pour s'assurer qu'il n'a pas oublié une petite plaie puis il déclare que tout est terminé, il dépose un baiser sur le front de la brune qui le remercie en enroulant ses bras autour de sa nuque pour le garder près d'elle. Son souffle s'écrase dans le cou de Pierre lorsqu'elle soupire de soulagement et de fatigue.

Le jeune homme lui rend doucement son étreinte en passant ses mains dans son dos, il inspire profondément ne souhaitant plus lâcher la belle brune. Elle glisse ses doigts dans ses cheveux, ses ongles taquinent son cuir chevelu et Pierre craque à son tour. Les larmes dévalent ses joues, il ferme les yeux pour ne pas les apercevoir dans le miroir se situant devant lui. Son corps est pris de petits hoquets et l'étreinte de Isis se fait plus puissante.

- J'ai tellement eu peur, avoue-t-il la gorge nouée. J'ai cru que t'avais perdu les bébés, puis après j'ai cru que j'allais te perdre. Je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer tout ça. Je crois que je m'en serais jamais remis si ça avait été le cas...

- Pierre...

- Laisse moi terminer s'il te plaît, implore le rouennais. Je pensais avoir vécu le pire ces dernières semaines mais ce qui vient de se passer, je... j'ai pas les mots pour décrire ce que j'ai ressenti. La vérité c'est que... putain, je sais même pas comment te le dire, lance Pierre avec frustration.

Il soupire en s'arrachant brusquement de l'étreinte de la brune, il essuie ses larmes d'un revers de manche avant de s'éloigner pour s'appuyer contre le mur face à Isis. Son regard bleuté se visse sur le carrelage alors qu'il cherche ses mots. Isis attend, elle ne peut faire que ça en ayant les bras ballants.

- Je t'en ai voulu quand j'ai reçu cet appel, lâche-t-il soudainement.

Son regard bleuté s'ancre dans le sien, le blanc de ses yeux est injecté de sang. Des vaisseaux sanguins ont explosé à cause de la fatigue, de la colère et du stress et Isis se mordille l'intérieur de la joue en le voyant aussi déchiré par ses sentiments.

- Je t'en ai voulu alors que t'y peux rien, c'est ça le pire. Quel genre de personne je suis, hein ? Ce n'est même pas de ta faute et moi, la première chose que je me suis dite c'est que j'aurais pas ma nuit complète, dit-il d'une voix étranglée par la culpabilité. La vérité, c'est que je dors rien depuis plusieurs jours et que j'suis à bout de cette situation. J'en peux plus, Isis.

Isis encaisse, elle ne dit rien. Seules ses lèvres se mettent à trembler, elle aimerait lisser le pli barrant le front du jeune homme, elle aimerait l'embrasser mais elle est incapable de bouger. Elle est suspendue à ses lèvres, à chaque mot qu'il dit, tétanisée par le tournant que prend leur histoire.

- T'enchaines les terreurs nocturnes, avant c'était espacé... maintenant s'il y en a que deux par nuit grand max, c'est un véritable soulagement pour moi, continue Pierre. T'as pas remarqué que t'as passé ces deux dernières semaines dans le noir complet, à constamment sursauter au moindre bruit. Quelque part je suis soulagé de ce qu'il vient de se passer, je me dis que c'est le point culminant et qu'on pourra pas voir pire mais... j'aimerais bien comprendre ce qu'il se passe pour que tu sois comme ça.

- J'sais pas, bredouille-t-elle en baissant les yeux sur ses mains.

- Je vais pas pouvoir tenir, ajoute le plus jeune en passant une main dans ses cheveux avec nervosité. Il faut qu'on trouve une solution.

- Pierre, tu vas partir ?

- J'ai pas dit ça, chat.

Les sourcils de la plus jeune se froncent, elle n'ose plus regarder Pierre. Elle s'occupe de coincer un bout de sa serviette pour que cette dernière tienne, elle sait où Pierre veut en venir mais elle se refuse d'avoir cette discussion maintenant avec lui, ce qui a le don de l'agacer encore plus.

- Isis, regarde moi s'il te plaît, implore-t-il en s'approchant de nouveau d'elle.

Ses grandes mains prennent délicatement les siennes, ce contact l'oblige à relever la tête dans sa direction et Pierre sent son cœur se serrer à la vue des larmes qu'elle contient difficilement.

- Je t'aime, chuchote-t-il en pressant ses doigts. Je t'aime très fort mais j'suis arrivé à un stade où tout l'amour que je te donne ne suffit plus. Il faut que quelqu'un t'aide, qu'un professionnel comprenne quel est l'élément qui a déclenché ce qui s'est passé aujourd'hui.

Il ne peut s'empêcher de penser que les nouveaux médicaments de la brune marchent moins bien, il s'agit d'équivalents et de substituts qu'elle prend suite à la découverte de sa grossesse en suivant les conseils du médecin.

- J'veux pas retourner en thérapie toute seule, bredouille-t-elle.

- J'ai pas dit que tu allais y aller seule, d'accord ?

Pierre embrasse sa tempe avant de l'attirer vers lui, il rajoute au creux de son oreille :

- Puis tu fais partie de mon équipe et je laisse personne tomber.

- Surtout pas ton plan...

- C'est ça, t'as tout compris.

Ses mains se déposent sur sa taille, il soulève aisément la brune avant de la reposer sur le sol de la salle de bain. Il l'entraine jusqu'à la chambre, Isis s'assoit sur le lit lorsqu'il cherche un t-shirt en guise de pyjama dans sa propre valise.

- Désolé d'avoir mouillé ton pyjama, souffle-t-il en lui tendant un de ses vêtements. T'as besoin d'autre chose ?

- Une petite culotte, lâche-t-elle d'une petite voix alors que ses joues prennent une teinte rosée.

Pierre trouve ce qu'elle demande sans faire de blague salace, il est bien trop fatigué tout comme la jeune femme qui se glisse immédiatement dans les draps après s'être changée. Elle appelle la golden retriever qui vient se lover contre elle et Pierre ne tarde pas à les rejoindre. Il se colle contre le dos d'Isis, il passe un bras par dessus son bassin pour l'attirer contre son torse et sa main vient se poser sur son ventre arrondi comme pour s'assurer que tout va bien. Il a du mal à s'endormir malgré le fait qu'il soit épuisé ; il est encore trop sonné par ce qu'il s'est passé.

- J'ai oublié, souffle Isis d'une voix lointaine signe qu'elle est sur le point de s'endormir contrairement à lui.

- Quoi donc ?

- Je t'ai pas répondu quand tu m'as dit que tu m'aimais alors je te le dis maintenant, je t'aime Pierre.

Et c'est les mots que Pierre attendait pour plonger dans les bras de Morphée.

désolée de vous avoir fait peur au chapitre précédent...

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