quatre
Isis a la gorge sèche d'appréhension en passant la porte d'entrée ouvre par son père. Elle offre un sourire crispé à ce dernier en sentant les yeux de sa femme posés sur elle. Elle est immédiatement mal à l'aise par sa froideur qu'elle dégage notamment lorsqu'elle souligne avec dédain :
- Ça change de ta tenue habituelle, tu ne ressembles plus à une prostituée débraillée.
Isis ne relève pas, elle jette un coup d'œil à sa tenue colorée qui diffère de ses habituels vêtements noirs. Son tailleur est d'une couleur verte qu'elle aime particulièrement, c'est la couleur de la chance, venant chasser ses mauvaises superstitions. Elle passe une main sur le pantalon de son tailleur comme pour se rassurer que ce dernier n'est pas plissé.
- Qu'est-ce qu'on fête ? questionne-t-elle l'air de rien en s'asseyant sur l'un des fauteuils.
Isis se doute bien qu'elle n'est pas conviée par hasard, elle sait qu'elle vise juste en apercevant son père lever les yeux au ciel. Il est habillé d'une veste de costume qu'il ne sort que dans les grandes occasions et la jeune femme est persuadée qu'un autre contrat a été signé dans la journée.
- Nous avons eu un accord avec l'Oréal pour une nouvelle gamme de shampoings, explique-t-il.
Isis acquiesce, ça ne lui fait ni chaud ni froid. Elle s'attend à recevoir l'habituel coffret contenant tous les échantillons inutiles de cette collection de cosmétiques mais son père ne semble pas en avoir acquis un cette fois-ci pour son plus grand soulagement.
- Tu pourrais montrer un peu plus d'engouement à cette annonce, rétorque-t-elle. Ça concerne ton avenir. Mais peut-être que tu préfères vivre sur nos rentes et profiter comme la petite dévergondée que tu es devenue.
Isis encaisse sans broncher. Il s'agit d'une habitude qu'elle a acquis avec le temps, après les événements qui ont laissé des traces indélébiles sur sa manière d'agir. Elle est différente, elle s'est coupée du reste du monde. Elle a tout arrêté, elle ne montre qu'un désintérêt constant poir toutes les choses du quotidien.
- Ce Mathieu avait peut-être tous les défauts du monde mais il faut dire qu'il savait s'y faire pour que tu ailles à l'école de commerce.
Isis ne réagit pas, elle est amorphe malgré que ses paroles blessent profondément son cœur déjà meurtri par ce deuil qu'elle n'a toujours pas fait, ou du moins, elle se persuade qu'elle est passé au-dessus de cette perte. Seul son regard se perd dans le vide, en repensant à ses yeux azurs.
Elle aperçoit du coin de l'œil son père dépassé par les événements, par le comportement néfaste de cette femme qui ne fait que s'amplifier au fil des années. Il est bridé dans cette relation, il n'a jamais le courage de s'exprimer et de défendre Isis corps et âme, comme le ferait un père.
Si seulement Isis avait encore sa mère, si seulement elle l'avait vue plus longtemps que quelques brèves secondes lors de sa naissance, avant que ses yeux ne se ferment à tout jamais.
Isis n'en veut pas à son père d'avoir épousé Nathalie. Elle ne lui en veut pas d'avoir reconstruit sa vie, de l'avoir élevé du mieux qu'il ait pu en gérant l'entreprise d'une main ferme. Elle aurait simplement souhaité que cette fermeté professionnelle puisse être similaire dans leur vie privée, pour qu'elle puisse éviter de se sentir menacée à tout instant par sa belle-mère. Il aurait réussi à s'imposer.
- Si vous n'avez rien d'autres à dire, je vais m'en aller. Merci papa pour l'invitation et félicitations pour le contrat, dit Isis tout bas.
Elle enlace simplement son père tandis que ce dernier ne la raccompagne jusqu'à l'entrée, elle ne veut pas rester plus longtemps devant cette femme qui l'observe telle une harpie et qui exerce une emprise si intense sur son paternel, que ce dernier n'ose même pas s'excuser.
Pourtant il aimerait.
Isis sait qu'il n'est pas bien méchant, qu'aime juste profondément une femme pour en oublier une autre. Elle sait qu'il aurait souhaiter qu'elle se rende au procès mais encore une fois, Nathalie en a décidé autrement et les conséquences sont irréversibles.
Sept années se sont presque écoulées et Isis n'a toujours pas fait ses deuils.
Le deuil de Mathieu, l'acceptation du départ de Camille.
Et surtout le sien.
Elle n'est plus la même, un bout de sa vie est parti. Un bout de son âme s'est décroché sous les coups de feux, sous les appels stridents des sirènes, sous les gyrophares des équipes de secours et sous les cris terrifiants de ceux dont les cœurs battaient encore, hurlant à la mort.
Sombre journée où l'état d'urgence a été décreté dans un pays tout entier.
Isis essuie une larme sur sa joue tandis que ses pieds marchent instinctivement dans la capitale parisienne illuminée. Elle est esseulée, elle est brisée en morceaux et Isis ne sent pas à l'aise. Sa tenue verte est bien trop voyante, elle ne passe pas inaperçue et Isis se sent fébrile comme une proie à la portée de tous.
Un vulgaire animal que l'on peut abattre à tout instant.
Lentement l'angoisse d'être exposée monte. Elle prend possession de son corps, de ses émotions et de son être tout entier. Cette angoisse persistante est à l'origine de ses troubles devenus obsessionnels, Isis doit toujours tout vérifier. Elle est en état d'alerte permanent, le moindre bruit suspect la fait sursauter.
Elle s'engouffre dans un immeuble, elle monte les escaliers à en perdre l'haleine malgré ses talons hauts. Elle s'arrête devant une porte en essuyant ses larmes à la va-vite d'un revers de main et elle frappe en espérant qu'Alexis ouvre sa porte. La crise n'est pas bien loin et quand ce dernier apparaît enfin, il n'est pas seul.
Isis perd pieds en constatant le monde, ils sont une demi-douzaine dans son étroit salon à s'exclamer sur l'écran télévisé dont les gestes de frustration indique qu'un match de football se déroule. Elle ne fait que fixer ce regard bleuté inquiet derrière l'épaule d'Alexis et la brune se sent intimidée par la présence de Pierre.
Elle se sent mal à l'aise par sa présence, elle se souvient de cette nuit deux semaines plus tôt et la manière dont elle s'était enfuie. Elle n'entend pas la voix de son meilleur ami, elle est perdue dans ses pensées.
- Isis, répète-t-il. Ne reste pas dans le couloir, il fait froid.
Son bras enlace ses épaules tandis qu'elle est attirée à l'intérieur par son meilleur ami. Isis est amorphe, elle ne réagit pas vraiment en étant consciente du sourire qu'elle offre aux garçons présents. Elle est sonnée par la situation, elle est déboussolée par autant de présence et surtout par celle de Pierre qu'elle avait oublié.
- Alex, je... je pensais que c'était demain... le match...
- C'est rien, allons dans la chambre.
Isis passe la porte de cette dernière en essuyant ses larmes d'une main tremblante, elle s'en veut de paniquer. Elle s'en veut de pas pouvoir se munir des faux-semblants qu'elle aborde habituellement. Il faut dire que la conversation avec Nathalie l'a retournée, c'est ce qu'elle s'empresse d'ajouter :
- Elle le détestait... elle détestera toujours n'importe qui...
- C'est un secret pour personne, souffle Alexis. Devine quoi ? C'est réciproque, je ne suis pas son plus grand fan.
Il parvient à faire esquisser un sourire à la brune et Isis est soulagée lorsqu'il change de sujet. Il reste à ses côtés durant une partie de la soirée avant de se lever pour suivre le résultat du match, laissant Isis assise sur le bord de son lit.
- Est-ce que tu veux des wings de poulet ?
Elle tourne la tête vers le jeune homme se tenant dans l'encadrement de la porte. Pierre tient une assiette entre ses mains, il semble si maladroit avec cette manière de l'aborder que Isis comprend qu'il n'est pas rancunier vis-à-vis de sa disparition au réveil.
Elle opine de la tête, le normand se permet de rentrer dans la chambre pour donner l'assiette à la brune, elle le remercie s'attendait à ce qu'il disparaisse pourtant il n'en fait rien. Il s'installe même à ses côtés sur le bord du lit.
- Ça te va bien le vert, mais le noir aussi, soulève Pierre.
Isis aimerait presque pleurer tellement ses propos diffèrent de sa belle-mère, elle avoue tout bas :
- J'ai mis du vert pour me porter chance mais ça n'a pas trop marché. J'ai fait des efforts mais ça ne plaît jamais.
- C'est l'intention qui compte.
Leurs regards se croisent et Isis se perd dans ce regard azur qu'elle aime tant. Elle ne saurait décrire la couleur avec précision, seulement un océan de plénitude qu'elle pourrait rester des heures à contempler pourtant une lueur semble s'être éteinte dans ces derniers. L'envie, le désir s'y trouvent encore, mais la joie n'y est plus.
- Moi aussi, ça a été une semaine de merde, j'ai eu des problèmes avec une grue, avoue-t-il.
- Vois le positif, t'es toujours vivant.
- J'ai failli y passer.
Isis déglutit en ne lâchant pas son regard, elle aimerait dire qu'elle comprend ce qu'il ressent. Cette peur effroyable de crever à tout instant, mais comme à chaque fois, les mots lui manquent et seule cette peur immense paralyse le moindre de ses sens.
je voulais vraiment vous remercier pour vos retours sur les premiers chapitres, ça me touche beaucoup et c'est très important pour moi <3
on remarque que Isis est très superstitieuse :/
encore un petit rapprochement hihi
on ne parlera pas des parents de Isis notamment de sa belle-mère...
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