neuf

Isis reste à observer son reflet dans la glace des toilettes durant un temps indéterminé. Elle a ce besoin de respirer, d'apaiser ses pensées fracassant son crâne. Et surtout, elle voudrait que ses mains arrêtent de trembler tandis qu'elle serre la vasque avec force.

Seule une paire d'yeux attire son regard, elle se tourne pour faire face à Garance. Elle a les lèvres pincées et Isis ne fait que la fixer en soulevant les différences qu'elle remarque. Ses joues se sont amincies, elle semble faire du sport à la vue de ses épaules plus imposantes. Ses cheveux sont désormais longs, arrivant juste en-dessous du bonnet de son soutien-gorge.

Elle est mal à l'aise, ses yeux s'arrêtent sur la cicatrice qu'Isis ne cache plus, au niveau de son épaule dénudée. Elle n'a plus peur de montrer ce vestige d'antan, d'une époque révolue où seuls les souvenirs persistent. Isis soupire tout bas pour se détendre :

- Ce n'est pas très beau, hein ?

- Ce n'est pas pire que Camille, rétorque Garance.

Isis déglutit. Elle comprend, Camille est défigurée. Sa mâchoire a été détruite, traversée par une balle tandis que Isis n'a reçu qu'un éclat de balle, dévié par la fenêtre. Elle n'aime pas cette sensation étreignant sa poitrine, ce sentiment de culpabilité l'assaillant comme si qu'elle n'avait pas le droit de s'appitoyer sur son sort.

La première raison de l'implosion de leur groupe d'amis.

Isis ne se reconnaissait pas. Rien ne paraissait légitime aux yeux des autres, sa souffrance d'avoir perdu Mathieu était partagée. Elle ne pouvait en parler avec ses amies, elle ne pouvait pas non plus parler de ses cicatrices, de ses blessures, pas lorsque tout le monde pensait à Camille.

Camille qu'Isis n'a pas pu regarder depuis l'accident. Elle n'a pas croisé une seule fois son regard douloureux, elle a préféré rompre tout contact avec sa meilleure amie dont le visage défiguré rappelait la mort de Mathieu chaque jour. Et Isis sait que ses amies d'antan ont considéré ce geste comme un abandon, excepté Alexis. Il avait compris.

- Je ne suis pas venue pour écouter tes reproches, souffle Isis d'une voix étranglée.

- T'es venue pour te taper ce Pierre ?

Isis ne rétorque rien, elle ne trouve pas les mots face à tant de jalousie malsaine. Elle a toujours été enviée par la vie qu'elle mène, par cette existence de luxe dont elle a hérité, sans nécessité. Seules les larmes affluent à ses paupières lorsqu'elle murmure tout bas :

- J'étais contente de te voir, toi et Flavie.

- Arrête tes formules de politesse que t'a appris ta mère, rétorque Garance agacée.

Si elle savait. Isis n'a pas la force de dire la vérité, elle baisse les yeux sur sa robe bleutée qui scintille. Elle ravale ses sanglots. Elle ne souhaitait qu'un moment de tranquillité, voilà que tous les mauvais souvenirs reviennent à l'assaut. Et encore une fois, Isis s'excuse. Elle s'excuse pour Camille, pour Mathieu et pour tous les autres.

- Je suis désolée... et peut-être que si tu avais été avec nous, ce soir-là... tu le serais aussi envers moi.

Isis ne veut pas écouter sa réplique, elle s'empresse de quitter les toilettes pour tomber nez à nez avec Alexis qui l'attendait visiblement. Leurs yeux se croisent, elle se sent défaillir par ce trop plein d'émotions qu'il remarque bien à travers ses yeux larmoyants.

- Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? lâche-t-il visiblement contrarié.

Isis hausse simplement les épaules, ça n'a pas vraiment d'importance mais son meilleur ami ne paraît pas être du même avis. Il soupire de frustration tandis que ses mains se posent sur les épaules de la brune face à lui afin de la décaler de la sortie des toilettes.

Ses yeux sont perçants et Isis comprend qu'elle ne pourra pas s'échapper de cette discussion qu'elle redoute tant. Elle attend les reproches qui ne viennent pas, elle attend qu'Alexis prenne position, qu'il se range du côté de Garance. Il n'en fait rien, il fait tout le contraire en soufflant :

- Je lui avait dit que tu viendrais, c'était la condition, elle devait bien se comporter avec toi... mon dieu, je suis désolé. Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

Isis se sent coupable, elle voit bien qu'il est partagé entre ses deux amitiés qui continuent de se déchirer. Il a toujours l'espoir que les choses s'arrangent, que leur groupe d'amis redevienne soudé mais tous ses espoirs sont vains.

- Elle a parlé de Camille.

Et aussitôt l'inquiétude saisit Alexis. Isis voudrait glisser un doigt sur son front pour retirer le pli marquant ce dernier. Il se pince les lèvres en cachant quelque chose. Isis le connaît trop bien, elle comprend immédiatement et elle s'empresse d'ajouter d'une voix chevronnante :

- Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Camille ?

- Elle...

Sa voix s'étrangle, son regard devient fuyant. Il déglutit difficilement en soupirant, ses doigts accrochés à ses épaules augmentent la pression et Isis aimerait pouvoir desserrer cet étau qui transperce sa peau. Elle ressent encore cette douleur lacérant son épaule, elle n'ose pas lui dire d'arrêter la pression qu'il exerce inconsciemment.

- Elle a recommencé, avoue-t-il d'une voix étranglée. Elle est retournée à l'hôpital...

- Depuis quand ?

Il n'a pas besoin de répondre, bien sûr qu'elle a compris. Il s'agit de cette nuit de terreur dont personne ne peut rechapper. Cette nuit du treize novembre, qui même des années après, reste éprouvante. Elle déglutit, ses yeux deviennent larmoyants et elle se dégage de ce contact devenu oppressant.

- Tu n'as rien dit, je méritais de savoir, murmure-t-elle tout bas.

- Isis, j'ai pensé que... tu n'es plus en contact avec elle...

- Même si c'est compliqué, elle est la seule à comprendre vraiment ce qui s'est passé ce soir-là, contrairement à toi.

Elle regrette instantanément ses mots sous le coup de la colère. Elle en veut au monde entier, mais surtout aux mauvaises personnes qu'elle croit responsable de son malheur. Personne n'était ici, personne ne peut comprendre le besoin qu'elle a eu de s'éloigner de Camille même si elles resteront liées à tout jamais par les événements tragiques.

Elle retire la main d'Alexis posée sur son épaule douloureuse en s'excusant une nouvelle fois. Elle ne fait que ça. S'excuser. Elle s'est excusée d'être née quand sa mère est décédée à l'accouchement à cause d'une éclampsie. Elle s'est excusée de s'être trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment de trop nombreuses fois si bien qu'elle ne peut plus les compter sur ses doigts.

- Je suis désolée de tout gâcher une nouvelle fois, reprend Isis d'une voix adoucie. Je vais y aller, ça sera mieux pour tout le monde.

Alexis n'a pas la force de rétorquer, il est brisé par le déchirement de la brune face à lui. Elle se contente de déposer un baiser sur sa joue en ajoutant en désignant une table :

- J'espère que ton cadeau te plaira.

- Je n'en doute pas quand il s'agit de toi.

Isis se pince les lèvres en comprenant qu'elle est pardonnée, ou qu'elle n'a pas besoin de s'excuser comme elle vient de le faire. Elle s'éloigne pour aller récupérer son sac contenant ses affaires, elle s'apprête à s'échapper de la petite salle de fête pour retrouver les toilettes du rez-de-chaussée afin de se changer mais un regard bleuté la suit.

Elle s'arrête en sentant la présence de Pierre derrière elle avant qu'elle ne puisse s'échapper de cette soirée. Elle se retourne en se pinçant les lèvres pour lui faire face, il tire une petite moue déçue qui suffit à faire resurgir toute la culpabilité du monde.

- Est-ce que je peux te raccompagner ?

- Tu devrais rester, balbutie-t-elle.

- J'ai peur que cette soirée n'ait plus de grand intérêt en ton absence, avoue Pierre.

- Et Alexis ?

Il hausse les épaules et Isis acquiesce lentement. Elle préfère être accompagnée pour rentrer, elle se sentirait plus en sécurité mais elle ne change pas ses plans. Elle rajoute en désignant son sac :

- Je vais me changer, tu me laisses une petite minute, d'accord ?

Pierre acquiesce en l'accompagnant jusqu'aux toilettes du rez-de-chaussée. Il l'attend patiemment, appuyé contre la porte qu'il garde, veillant à ce que personne ne rentre et la brune finit par réapparaître. Vêtue de noire. Il ne pose aucune question quant à ce changement de tenue qui la camoufle parfaitement au milieu de la nuit, dans les rues parisiennes.

Il marche simplement à ses côtés jusqu'à son immeuble, elle ne ressent pas le froid à ses côtés durant la vingtaine de minutes du trajet. Elle ne saurait dire si c'est l'adrénaline de toutes ces émotions, d'avoir revu des amies d'antan ou si c'est simplement le regard bleuté que pose Pierre sur elle et ses collants effilés.

- Tu ne restes pas ?

Sa voix est déçue lorsqu'il ne montre pas d'intérêt à la suivre dans l'immeuble. Pierre perçoit sa déception. Il la rassure immédiatement en replaçant une mèche de ses cheveux derrière son oreille, ses lèvres se déposent sur sa joue et il murmure non loin du creux de son oreille :

- Je ne veux pas profiter de toi, je ne veux pas être présent que pour ça.

- Je pensais que tu savais, souligne-t-elle.

Les sourcils du pilote se froncent tandis qu'il continue de caresser sa joue du bout des doigts, elle ferme les yeux sous ce doux contact durant quelques secondes. Et quand leurs regards se croisent de nouveau, Pierre perd pieds en comprenant ce qu'elle avoue à haute voix :

- Ce n'est pas que ça, c'est bien plus.

Elle accompagne ses mots en se dressant sur la pointe des pieds, ses lèvres viennent se déposer sur celles de Pierre. Ses doigts se perdent dans les cheveux du jeune homme tandis qu'il lui rend son baiser avec avidité, le cœur battant la chamade comme un adolescent.

- C'est vrai, j'ai hâte d'être la prochaine fois où je pourrais te raccompagner, conclut Pierre en s'éloignant avec un sourire solaire.

j'ai trop hâte d'être au prochain chapitre!!

je suis enfin en vacances, promis je rattrape tout le retard sue vos fictions ce week-end et dans la semaine !

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