Chapitre 7 : Au revoir joli coeur


Horror avait été silencieux, trop silencieux. Il avait perdu en appétit et avait mal dormi la veille. Ce matin il avait comme chaque jour depuis deux mois pris le chemin de la mine avec ses camarades de fortune. Rien d'inhabituel en cette journée d'été n'aurait pu perturber son nouveau quotidien, excepté son poids. Un boulet invincible avait entravé ses chevilles et il fut prit de contraction involontaire au niveau de sa nuque et de son dos. Il était comme alourdi et traînait des pieds.


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« « - Tu vas transporter tout ça tout seul !?

Plum était ébahi devant une charrette surchargée de nourriture. Elle appartenait à Horror qui se mit à le dévisager.

- Évidemment.

- Tu risques de te coincer une cervicale, pourquoi ne pas prendre une mule ou un bœuf pour la tirer ?

Le squelette mutilé rit gras et prit une mine effrayante.

- J'aurais pu, mais la pauvre bête ne serait jamais revenue d'Horrortale. Et puis ça coûte un bras !

Plum frissonna.

- Oh...

Il secoua sa main droite devant le visage comme pour disperser toute vision sanglante et morbide relatives à ce qu'il venait d'entendre.

- Tu... tu comptes y rester longtemps ? Demanda-t-il timidement la tête basse et les pommettes violacées.

- Nightmare m'a accordé cinq jours de perm', et je compte bien en profiter pour rendre visite à mon frère. Répondit Horror sans subtilité.

- Oh...

Plum fit la moue, grattant le sol avec son pied.

- Attrape !

Horror lui jeta une pomme qu'il sortit d'un de ses cageots. L'apatride s'en saisit de justesse en hoquetant avant de relever son regard sur son ami qui lui avait tourné le dos précipitamment, songeant à se mettre en route le plus tôt possible.

- Merci joli cœur, tu m'auras bien déchargé !

Il le salua en présentant le dos de sa main tout en trayant sa marchandise.

- Essaye de ne pas mourir !

C'était une façon singulière d'espérer à l'autre une bonne journée ou simplement d'exprimer son soucis. Plum, s'étant sentit tout drôle et fiévreux, resta muet. Il observa avec attention le présent. La peau était parfaitement lisse et d'un rouge brillant et éclatant comme si on l'avait lustrée. On aurait dit qu'Horror aurait choisi la plus belle. L'amoureux transit sourit, serrant le fruit contre sa poitrine.

- Toi aussi... Dit-il tout bas à destination de l'élu de son âme qu'il vit s'éloigner. » »


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Ils étaient entrain de se changer aux vestiaires quand Color y entra sans les prévenir, faisant fi de leur intimité.

- Horror, veuillez bien me suivre s'il vous plaît ! Rhabillez-vous !

La morosité apparente du contremaître avait refroidit l'air, si bien que toute tentative de négociation ou toute question était d'avance vaine. Horror obéit, sans pour le moins cogiter, sous les yeux de ses amis stupéfiés. Inquiets, ils virent partir l'un des leurs sans explication et auraient à faire sans lui.

Une fois entre eux, dès qu'ils prirent l'ascenseur, les suppositions allèrent bon train.

- Vous croyez que c'est grave ? Interrogea Red.

- Je n'aime pas ça ! Quelque chose a du se passer ou on lui reproche quelque chose... Ajouta Dust.

- Reprocher quoi ? Il n'a rien fait de mal !

- Je suis tout aussi perdu que toi. Ou peut-être qu'ils espèrent nous déstabiliser en nous l'enlevant.

- Ils iraient jusque là !?

Le poussiéreux ricana et répondit à l'ancien guerrier rouge en s'autodésignant.

- T'as bien vu jusqu'à où Color est capable d'aller, mais cette fois je ne tomberai pas dans son piège !

- Si ce que tu dis est vrai, qu'est ce qu'on fait ? Demanda à son tour Killer sentant son âme se serrer.

- C'est bien simple, nous aurons qu'à faire comme si de rien n'était et jouer aux ouvriers zélés et exemplaires. Ils finiront par se lasser.

Le temps qui s'en suivit se fit dans le silence. Chacun s'attaquèrent à leur besogne, centrés chacun sur soi, espérant malgré tout que rien de répréhensible n'était arrivé. Quelques heures plus tard, un bruit mécanique et grinçant provenant de l'ascenseur les firent se retourner. Horror était de retour.

- Horror ! Appela Dust en venant vers lui. Que s'est il-

Mais le squelette mutilé passa devant lui, l'ignorant, la mine baissée et assombrie. Dust tourna sa tête le suivant du regard.

- Horror ?

Ce dernier l'ignora encore, de même pour les deux autres qui le fixèrent inquiets. Il prit sa pioche et frappa contre la paroi frénétiquement avec fureur et gestes incontrôlés, comme si il cherchait à se défouler. Un petit rocher se détacha et vint faire ricochet sur son front. Il poussa un cri effroyable, glaçant le sang de ses codétenus, plaquant par la même occasion ses paumes contre le point d'impact. Il vit alors entre ses phalanges qu'on l'observait comme une bête de foire. Il leur lança un regard assassin.

- Ne me demandez plus rien, ne comptez pas sur moi ! Assena-t-il, sa voix aussi sombre que ne l'était son aura.

Ils reculèrent avec effroi avant de se retourner, Horror n'étant plus enclin à toute discussion. Le boucher s'était délibérément mis en retrait toute la journée et personne n'osa l'approcher. Dust avait à plusieurs reprise tourné un regard furtif envers son ami le plus précieux. Il le connaissait mieux que personne, le considérant comme un frère sans même s'en rendre compte. Il l'avait vu mainte fois en colère, c'est vrai, mais la fureur qu'il dégageait était différente et masquait sans aucun doute quelque chose de réellement préoccupant. Il savait également ô combien Horror cachait très bien ses états d'âme.

De retour à la baraque, le squelette mutilé n'avait point bougé de son pieu, assis sur la couverture, les pieds ancrés sur le plancher et ses coudes reposant sur ses rotules la mine basse. Red et Killer avaient bien compris qu'il fallait le laisser pour le moment, attendre qu'il se détende pour parler. Mais c'était sans compter Dust qui perçut dans les yeux de son « frère » une terrible souffrance. Il lui en fallut assez pour s'approcher, tendre son bras et lui toucher l'épaule avec affection. Horror le repoussa sans ménagement, le faisant décoller du sol et retomber sur le dos contre le sommier où dormait Red. Le geste était si violent que le choc provoqua un bruit sec, suivi d'un couinement douloureux.

- QU'EST-CE T'AS PAS COMPRIS DANS « FOUTEZ MOI LA PAIX! » Eut-il aboyé en le projetant sous les yeux horrifiés de Red et Killer.

Dust s'en trouva tétanisé, incapable d'émettre ne serais-ce que le moindre son. S'était présenté à lui une bête sanguinaire, Horror avait disparu. Il rassembla cependant toute ses forces restantes pour dégager de sa vue et monter l'échelle amenant à son lit pour s'y cacher et étouffer ses sanglots. Enfin débarrassé du poussiéreux, le boucher put s'attarder sur les deux autres qui le toisaient méchamment.

- Il a été prévenu tout autant que vous ! Je serai moins sympa envers le prochain !

D'un geste barrière symbolique, Red plaça ses mains devant lui.

- Ok! Ok ! On sait que t'es pas dans ton assiette, mais est ce une raison valable de t'en être pris à lui comme ça ? Tu nous inquiète Horror ! Qu'est ce qu'il se passe ? Tu n'es pas toi-même depuis ton escapade de ce matin.

Celui au centre de toute les attentions se leva d'une traite et fila droit vers lui qui regretta aussitôt son répondant. Il ferma les yeux et s'arrêta de respirer voyant sa dernière heure arriver. Red se sentit légèrement bousculé, Horror l'ayant seulement frôlé pour atteindre la table et y abattre ses poings. Il s'essouffla en ce faisant et on entendit de lui que sa respiration suffocante. Killer fit un léger pas vers lui.

- Horror ?

La soudaine accalmie dérouta tout autant. C'était un mélange de réserve et d'inquiétude avec lequel le tueur à l'âme ciblée s'avança. Le craquement du plancher le trahit et Horror se crispa, faisant arrêté l'autre.

- Ne posez plus de question, laissez-moi... dit-il d'une voix tremblante.

Killer se fit plus discret et avança à pas de loup et, arrivé à distance suffisante, pencha son crâne de façon à voir de plus près la face abattu de son ami à la boîte fendue.

- Est-ce que tu pleures ?

Tournant subitement la tête Horror se montra, le visage cette fois consternée. Sa pupille avait enflé, était injectée de sang et une minuscule goutte d'eau semblable à de la rosée s'y était logée au coin. Le boucher ne dit plus rien, fusillant le tueur impassible du regard. Red y vit deux chien de faïence se battant en duel. Le premier finit par cligner des yeux, perdant la manche et sa retenue. Il pleura. Killer tira une des chaises et le fit s'asseoir avec l'aide de Red.

- Il...il... Il est partie ! Il est mort ! Ils l'ont butés ces chiens ! Dit-il enfin.

- Quoi !? S'atterra Red

- Qu'est ce que tu racontes ? Qui est mort ? Surenchérit Killer.


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« « - Et vous êtes venu pour me dire ça !?

Horror fit de son mieux pour dissimuler ses émotions. Son visage s'était entièrement crispé. Crescent l'avait reçu en personne au parloir pour lui annoncer une mauvaise nouvelle.

- Je me suis dit que tu avais besoin de l'apprendre le plus posément possible, lui répondit l'Empereur solennellement.

Le bagnard qui avait été arraché plutôt ce matin de la mine s'esclaffa. Le digne héritier de Nightmare était donc venu le déranger pour lui présenter ses condoléances ?

- Je suis vraiment désolé... ajouta sincèrement le jeune souverain qui ne se laissa pas impressionné par la posture inconvenante à la situation.

- Arrête gamin, lui répliqua le mutilé, j'y crois pas un traître mot. T'espérais quoi hein ? Me voir m'effondrer et en vouloir à la terre entière ? Eh bien tu as tout faux gamin, tu pourras me faire ou me dire ce que tu voudras, je ne t'offrirai en rien ce plaisir. T'as beau le détester de toute ton âme, t'es le portrait craché de Nightmare !

- Horror ! Vous devez respect à l'Empereur ! Le réprima Color qui était au repos auprès de de son employeur.

- Ce n'est rien Color ! Le reprit Crescent puis s'adressa au guerrier déchu. Horror, tu ne le sais peut-être pas mais je te connais et je sais à quel point il a pu compter...

Horror leva une arcade.

- Ah ! Et qu'en sais-tu ? Demanda-t-il sarcastiquement.

- Comme je te l'ai dit, je me suis rendu sur les lieux juste avant qu'il n'expire. Il a répété ton nom avant de tomber en poussière dans mes bras.

À court d'argument, il évita aussi bien son roi que son contremaître du regard, fixant un mur latérale.

- Horror, tu crois tout régler en réprimant tes sentiments ? En faisant semblant ? En jouant les méchants comme tu sais si bien le faire ? Plum avait raison à ton sujet, tu n'as pas changé finalement !

- C'est quoi encore ces salades ?

- Tu sais pertinemment de quoi je veux parler. Tu as fait le choix d'oublier, mais moi je m'en souviens très bien ! Je sais encore différencier une morille d'un gyromitre.

Color avait penché le crâne sur le côté. De quoi parlait Crescent ? Il se nota dans un coin qu'il irait lui parler tout à l'heure. » »


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C'était un Horror éploré qui rapporta à ses camarades tous les détails que Crescent lui avait rapporté. Un apatride résident et connu de la cité avait été violemment agressé dans les docks. Un marin l'aurait découvert tôt la veille entre des conteneurs agonisant et sur le point de tomber poussière. Il baignait dans son propre sang, son visage était tuméfié, était dépareillé et, sur ses os, des obscénité avaient été gravées. La marin avait donné l'alerte et le malheureux à demi mort fut évacué dans une taverne vide non loin de la scène de crime. Lorsque l'Empereur était arrivé parfaitement escorté, une foule de curieux bloquait l'entrée, tentant de voir ce qui s'y tramait. L'intérieur était tout aussi bondé. Les gardes frayèrent un passage au jeune souverain qui vit avec effroi l'état de l'homme qui lui était familier. Quelques un qui l'entouraient s'étaient improvisés infirmiers faisant de tout leur possible pour arrêter les saignements mais il était trop tard, le patient était depuis un moment dans le vague. Il mourut peu après l'arrivée de la garde et son roi.

- C'est affreux... commenta Killer effaré.

- C'est ma faute ! J'ai essayé de lui dire de s'éloigner, mais cet idiot ne m'a pas écouté. Répondit Horror en essuyant ses pommettes avec sa manche tout en reniflant.

- Pourquoi dis-tu ça ? Tu n'es pas responsable de...

- Tu te trompes ! Pendant des années personne n'avait eu l'audace de le toucher sans savoir quels risquent ils encouraient. Plum était en « sécurité » tant que j'étais là. J'étais garant et c'est ce qui aura causé sa perte. Personne n'a rien vu, mais j'en mettrais ma main à couper, ces enfants de catins qui ont fait ça en avaient après lui et moi depuis longtemps. Ô Plum... C'était la gentillesse incarnée, trop bon pour ce monde ignoble. Pourquoi a-t-il fallu qu'il paye les conséquences de mes actes ?

Le tueur le regarda tristement. Lui comme comme Red se sentirent impuissant face au chagrin d'Horror qui essaya de réprimer ses larmes la tête dans ses mains.

- Je suis désolé, s'excusa Killer, je ne sais pas ce que je dois dire...

- C'est mieux comme ça, j'ai besoin de calme, j'ai besoin d'être seul.

Le tueur vint tout de même le serrer contre lui. Horror n'émit aucune résistance, s'accrochant même à sa blouse. Red ne fut pas insensible à la douleur ambiante, aussi bien pour lui mais également pour Dust qui n'avait pas quitté son lit. Il fut profondément troublé, ne s'attendant pas à ce que leurs situation ne puissent être pire. Ça en était presque inconcevable. Ou peut-être est ce qu'on cherchait à le faire ? L'ancien guerrier rouge se rappela alors de la conversation qu'il avait eu avec le poussiéreux dans l'ascenceur.

- Désolé de te demander ça mais... Es-tu au moins sûr que Crescent t'ai dit la vérité ? Et si c'était un mensonge pour t'atteindre et nous avec ?

Horror secoua le crâne avec accablement.

- Cette pensée m'a effleuré c'est vrai, mais... Ils ont pris soin de me fournir des preuves. Crescent m'a montré sa chemise qu'il avait porté sur lui ce jour là. Elle était tachée de sang et recouverte de poussière. Il aurait pu prendre une vieille chemise, la saupoudrer de cendre et de sang de bœuf pour me berner, mais il y a une chose, un détail qui a fait la différence.

Il s'arrêta pour déglutir.

- Sur la chemise, l'odeur de Crescent était présente mais aussi celle de Plum...

Red baissa la tête à son tour. C'était terrible, et si le lendemain on lui annonçait quelque chose concernant son frère ou quelqu'un d'autre sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit ? Rien que d'y penser suffisait à l'angoisser.

- Horror, appela doucement Killer, c'est possible d'avoir ta clé ?

Le mutilé opina, sortant ledit objet en fer de sa poche.

- Voilà... servez-vous, prenez tout ce que vous voulez je n'en ai rien à faire.

Le tueur se tourna vers les casiers et ouvrit celle dont il possédait la clé. Il y trouva le panier garni que Plum avait offert à son bien aimé. Il farfouilla à l'aveugle et trouva ce qu'il cherchait. Il referma et verrouilla la porte puis revint vers son ami, une barre chocolatée à la main qu'il lui tendit. Horror s'en saisit fébrilement et fixa la friandise l'âme serrée.

« Regarde du chocolat ! C'est plein de magnésium et ça donne de l'énergie en cas de besoin. C'est bon pour les nerfs tu sais ? »

« Continue à écarter les cuisses à ta convenance si ça te plaît tant ! Mais tu ne me dois rien et inversement. Oublie moi. Je ne veux plus de ton aide et encore moins revoir ta face de gourgandine ! »

- Ô Joli coeur...souffla-t-il pour lui-même en serrant la barre contre son front, j'aurais préféré goûter à autre chose que cette chose insignifiante. Malheureusement tu ne le sauras jamais.

Il se leva et se dirigea chancelant vers sa couche.

- Je vais aller me coucher, je suis fatigué, s'adressa-t-il à ses camarade.

En s'y rendant, il vit perché sur le lit au dessus du sien une petite montagne. Horror n'avait pas été le seul à pleurer ce soir là et il venait d'en prendre pleinement conscience. Dust n'avait évidemment pas quitté d'une semelle les dernières révélations depuis son mirador de fortune, dissimulé sous les couvertures. Le mutilé regretta amèrement son comportement mais refusa de s'en repentir, trop affaibli par tant d'émotion. Alors il se contenta de déposer sous l'oreiller du poussiéreux le chocolat de Plum.

- Pour me faire pardonner... Dit-il avant de rejoindre Morphée. 

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