Chapitre 1 : Premier jour d'un condamné
La descente se fit dans le plus grand des silences. Horror, Red, Dust et Killer se virent comme jetés dans la géhenne. La petite cage de fer maintenue en suspension dans laquelle ils se trouvèrent tremblait, grinçait et dégringolait en ne manquant pas quelques à coup. L'air devint de plus en plus froid et irrespirable à mesure qu'ils s'engouffraient dans les abîmes. Red en frémissait, il réalisait à peine ce dans quoi on l'avait envoyé. Horror ne lâchait pas Dust d'une semelle et ce-dernier oppressé par celui-ci ne fit aucune vague. Il marmonna quelques bribes inaudibles à son défunt frère dans son coin. Puis il y avait Killer qui se trouva être le plus discret, mais pas moins attentif à ce qui l'entourait. La présence de celui qui l'avait autrefois sauvé et défendu la veille l'avait quelque peu perturbé. C'était bien Color, on ne pouvait se tromper avec ses brèches et ses flammes qui couvraient son crâne, mais il était tout à la fois méconnaissable. Ce Color était froid et impassible, rien à voir avec le doux et gentil vagabond volant de plaines en forêts. S'agissait-il d'un jumeau ou d'une illusion ? Qu'importe se dit le tueur « je suis d'une certaine façon déjà mort, ils ont enlevé mon roi. »
Color et ses bagnards finirent leur course dans une galerie en piètre état. Elle avait besoin d'être renforcée et désencombrée. Le contremaître qui s'assurait n'être jamais de dos se fraya un chemin entre les anciens guerriers et se positionna face à eux.
- Pour cette matinée vous aurez à déblayer et renforcer la stabilité des parois. Premièrement vous ramasserez le minerai éparpillé au sol et la déposerez dans la berline qui se trouve juste devant vous. Je reviendrai dans une demi-heure pour vous apporter les poutres. Vous aurez ensuite à enlever les structures rongées par l'humidité et le temps puis les remplacer. Si vous estimez qu'une simple colonne ne suffit pas renforcez-là en ajoutant une autre.
Il pointa son index dans la direction opposée du champs de vision de ses auditeurs qui se retournèrent.
- En cas d'urgence il y a une sonnette à chaque entrée de chaque niveau, en cas d'incident ou autre désagrément il suffit de la tirer et mes confrères ainsi que moi-même seront prévenus et sauront intervenir. Je ne pense pas avoir besoin de vous définir la notion d'urgence n'est-ce pas ? Je vous déconseille de jouer avec ou préparer un mauvais coup. Vous avez bien vu lors de votre transfert à quel point le bagne est soigneusement surveillé, aussi essayer de filer en douce ne vous servira à rien sauf à alourdir votre dossier. J'attire votre attention sur le fait que toute dissidence ou tentative de perturbation quel que soit sa nature est passible de sanction. Avez-vous bien tout saisie M.Dust ?
Le poussiéreux avait depuis tout à l'heure porté son nouveau référent en grand dédain, et malgré son œil unique Color l'avait trop bien senti.
- Oui... baragouina-t-il sans le regarder.
- Je n'ai pas bien entendu !
Horror lui donna un coup de coude.
- Oui contremaître ! Força-t-il les dents serrées.
- Parfait messieurs ! Dans ce cas travaillez bien, à tout à l'heure !
Color fit de grandes enjambées à reculons, atteignit l'ascenseur et remonta en les abandonnant.
- Allez on s'y met ! Encouragea Horror qui commençait à ramasser les débris.
- À quoi tu joues ?
Le boucher soupira, il n'y avait que lui pour tout gâcher.
- J'obéis sans broncher et tu devrais en faire autant Dusty ! Lui répondit-il sèchement sans prendre le temps de le regarder.
- Tu te fou de moi !? T'as quelque chose derrière la tête pour agir comme tu le fais, ne me dis pas que...
Il fit une pause et gloussa.
- Attend ! T'essayes de me dire que tu crois à leurs conneries de réinsertion ? T'es plus con que je ne le pensais !
Red baissa et détourna le regard.
- Comment Red ? Toi aussi ? Ma parole vous êtes tous devenus cinglés ! Ah au moins ce brave Killer a gardé ses pieds sur terre ! Répondit-il à son propre monologue en se collant au tueur qui réagit à peine.
Horror se redressa et bomba le torse face au poussiéreux. Celui-ci lâcha Killer et recula sous la menace de son camarade. Il fut pris au piège entre lui et une paroi qui l'arrêta.
- Je veux que les choses soient bien claires entre nous Dusty ! Crois-moi, être bloqué ici, dans cette merde, ne me plaît pas autant que toi ! Et à plusieurs reprises je me serais fait une joie d'arracher la tête du contremaître de mes propres mains. Mais nous sommes dans le même bateau, mais moi, contrairement à toi visiblement, je veux faire en sorte que la situation soit le plus « supportable » possible ! Et je ne laisserai rien pas même toi tout foutre en l'air ! Jusque là j'ai été bien trop sympa avec toi...
Son unique pupille rose gagna en intensité, Horror montra les dents.
- ALORS MAINTENANT TU VAS SORTIR LES DOIGTS DE TON COCCYX ET TE METTRE À BOSSER COMME TOUT LE MONDE !
Sans que le message ne leur soit destiné, Red et Killer se mirent précipitamment à l'ouvrage, effrayés. On ne pouvait gagner face à un Horror en colère. Ce-dernier rapprocha sa face au plus près de Dust et lui souffla.
- Me suis-je bien fait comprendre Dusty ?
Le poussiéreux avala sa salive.
- Co-comme tu le voudras Horry...
Horror s'écarta et changea subitement d'attitude.
- À la bonne heure ! Ah et pour commencer je veux que tu restes près de moi.
- Oui maman... minauda Dust.
Le poussiéreux se laissa un peu devancer le temps de souffler un mot à son défunt frère.
- Ce Color... il a corrompu l'esprit de notre Horror ! Ça ne se passera pas comme ça bien longtemps crois-moi !
Les poings serrés, il suivit son ami à contre cœur.
Color les rejoignit peu de temps après leur apportant les poutres. L'entrée de la galerie se révéla plus praticable après le passage des forçats.
- Très bien, très bien ! N'avancez pas plus loin dans la galerie, renforcez d'abord là où vous venez de passer.
Red lâcha le minerai qu'il avait entre les mains et se mit à inspecter les charpentes.
- Celle-là est très bancale, il faudrait passer un coup de maillet dans la colonne pour l'enfoncer davantage, et celle là-bas est sur le point de céder. Faut la changer et en mettre une supplémentaire, et puis...
Il fut perturbé par le contremaître faisant le piquet qui prenait des notes. Le guerrier rouge n'aima pas l'idée d'être épié.
- Faites comme si je n'étais pas là, lui dit Color, je ne fais que m'assurer du déroulement des travaux, continuez je vous prie.
Red tenta de poursuivre son investigation avec difficulté. Color n'arrêtait pas de griffonner dans son calepin sans se détourner de l'ancien guerrier rouge. Cela le stressa et son discours devint incohérent. Même en mauvaise posture le contremaître ne l'épargnait pas. Un boule se logea dans sa gorge l'empêchant d'articuler et de respirer correctement, accentuant son angoisse. Il fallait que ça s'arrête.
- Arrêtez-ça ! Grogna-t-il à Color
Ce dernier leva une arcade.
- Plaît-il ?
- Questa à me regarder comme ça ! Arrête-ça tout de suite !
Red comprit trop tard son erreur en hoquetant. Mécontent le contremaître baissa les orbites sur son calepin. Horror le regarda inquiet.
- Je... je... je...
- Hm ?
- Je suis... Je suis désolé...
Il s'accouda sur le rebord de la berline et plongea sa tête dans ses coudes. L'ancien guerrier rouge tremblait. Killer qui avait été jusque là peu démonstratif pressa son épaule sans rien dire.
- Red, venez avec moi je vous prie, reprit calmement Color, les autres retournez au travail.
Le contremaître conduisit Red en retrait pour clarifier les choses. Pendant ce temps Horror, Dust et Killer s'attaquèrent à une structure en bois.
- Qu'est ce qu'il est entrain de lui dire à votre avis ? Demanda Killer.
- Ah ben Killer t'as retrouvé ta langue ? Remarqua Horror.
Le tueur haussa les épaules. Le boucher jeta un coup d'oeil derrière lui pour voir Color en pleine conversation avec Red non loin de l'ascenseur. Ce-dernier se frottait le coin des orbites pendant que le contremaître, les bras croisés, semblait l'appréhender en douceur mais avec une certaine fermeté.
- Il n'a pas l'air de le pourrir en tout cas... Supposa Horror.
Peu après Color fit signe à Red de rejoindre les autres. Il sembla calmé. Horror l'accueillit en lui tapotant l'humérus.
- Ça va ?
Red acquiesça en reniflant. On ne lui posa pas plus de question.
Ils portèrent, soulevèrent, ramassèrent et tapèrent toute la journée dans la houille et la sueur, si bien que malgré les basses températures ils se virent contraint d'ouvrir leurs combinaisons, et cela sous l'œil attentif de Color. Ils purent savourer leur pitance vers midi : de la nourriture protéinée lyophilisée à réhydrater ainsi que quelques biscottes. Les premières faiblesses se firent sentir en début d'après-midi à l'exception d'Horror qui était de meilleur constitution. Lorsque sonna six heure, ils étaient sales et surtout exténués.
- La journée est finie, affirma Color, il est maintenant temps de vous doucher, ensuite je vous conduirai à votre baraquement.
Les forçats le suivirent en traînant les pieds.
De retour à la surface ils durent ranger maillet, pioche, casque et lanterne dans les casiers. Chaque bagnard était soigneusement palpé et fouillé avant la sortie. Non loin de la mine il y avait un camps militairement bien gardé constitué de plusieurs baraques. L'une d'elle faisait office de salle de bain collective comprenant rangées de vasques et quelques douches. Red et Dust s'y précipitèrent ne voulant pas attendre plus longtemps cet instant de grâce. Ils furent nus en premier alors qu'Horror et Killer prirent leurs temps à se déshabiller.
- Je vous déconseille de... alerta Color.
Trop tard ! Quelle ne fut pas la stupeur et la déception des deux impatients lorsque le jet glacé atteignit leurs os.
- AAAAAH ! Hurla Red.
- Bordel !!! Elle est gelée ! Râla Dust.
- Désolé, ajouta Color, vous ne vivez plus au château désormais il va falloir vous y faire !
Adieu bain chaud et hammam qu'ils avaient connus dans leur ancienne vie. Dès à présent ils goutteraient au train de vie du bas peuple. Eux au moins étaient relativement libres. Après la toilette on leur donna des vêtements propres et secs.
Il était six heure et demi lorsque les forçats arrivèrent en compagnie de Color dans leur baraque. C'était un bâtiment de bois de vingt mètres carrés éclairé par une lanterne plafonnier ne disposant que d'une seule fenêtre barreaudée à gauche de l'entrée. Deux lits superposées fixés au sol (il en était de même pour tout l'ameublement) se faisaient face parallèlement au fond de la pièce, et en face une table et quatre chaises. Non loin de l'entrée se trouvait une grande armoire avec quatre placards cadenassés pour les effets personnels.
- Je vous laisse prendre vos aises, un gardien vous apportera votre dîner. Le couvre-feu est imposé à onze heure. Dormez bien et ne vous battez pas pour choisir votre couchette. Sur ce bonne nuit !
- Bonne nuit contremaître, dirent les bagnards en chœurs.
Color disparut en claquant la porte. Lorsque Dust entendit le son du verrou il se précipita vers les lits espérant choisir le premier.
- Tût tût tût ! Le freina Horror en le chopant.
- Quoi ? C'est la règle ! Premier arrivé premier servi !
- Non non non Dusty, j'ai une place toute choisie pour toi !
- Comment !?
Horror le dépassa et désigna un des lits du haut.
- Tu vas dormir ici ! Moi je dormirai en dessous, comme ça je m'assure que tu ne feras pas de conneries.
- Depuis quand tu joues les chefs toi !?
- Ça n'a pas l'air de déplaire aux deux autres, répondit le boucher fièrement en regardant en coin Red et Killer.
- Pfff, pesta Dust, ce sont des poules mouillées qui ont simplement la trouille de toi !
- Si c'est vrai, ils ont raisons ! Prends en de la graine Dusty et fais ce que je te dis !
Dust émit un râle et s'installa là où Horror l'avait décidé. Ce-dernier se tourna vers les deux autres.
- Cela vous conviens à tous les deux ? Mettez vous d'accord qui dors en bas ou en haut.
Red et Killer acquiescèrent.
- Ça ne te dérange pas que je dorme en bas ? Demanda Red. Je n'ai pas trop envie d'être en face de Dust...
Le tueur fit non de la tête, où dormir était bien le cadet de ses soucis.
L'ancien guerrier rouge s'affala à sa place.
- Bordel je suis rouillé ! À ce rythme on sera mort avant la fin de la semaine !
- Va falloir vous y habituer les gars, ça sera long et pénible au début mais notre corps saura s'adapter, rétorqua Horror.
- Tu n'as pas mal toi ? Questionna Killer.
- Tout baigne pour moi, merci de t'en inquiéter Kills. Je vous conseille de bien dormir ce soir sinon vous allez pas tenir demain.
Perché sur sa couchette, Dust railla en cachette les propos de son meilleur ami. Qu'est ce qu'il fut agaçant à jouer les darons.
À sept heure leur gardien apporta le souper avec des couverts en bambou. Il déposa les plateaux et dit froidement.
- Merci de déposer les plateaux et les couverts à l'entrée quand vous aurez terminé.
Et il repartit aussi rapidement qu'il fut venu.
- Celui là a vachement l'air d'aimer son taff, se moqua Dust.
- C'est pas tout ça mais j'ai une faim de loup ! Bon appétit les amis ! S'extasia Horror devant le potage et les tartines de rillettes.
- Killer tu vi-
Red se stoppa en constatant que Killer s'était écroulé de fatigue sur sa couchette.
- Laisse-le, recommanda Horror, son corps a parlé il a besoin de sommeil.
Le squelette borgne se leva et couvrit son camarade endormi. Il laissera quelques tartines de côté au cas où le tueur exprimerait le besoin de se substanter.
Après dîner et quelques bavardages, ils se préparèrent à aller se coucher quand tout d'un coup le gardien surgit en braillant.
- Il manque un couvert ! Je les ai compté ! Qui n'a pas rendu son couteau ?
Le vacarme réveilla le pauvre Killer en sursaut. Horror se tourna instinctivement vers Dust lui dardant un regard assassin.
- Dust...
- Ce n'est pas moi !
- Je ne te crois pas ! Rends.le.couteau !
Dust resta de marbre.
- C'est bien simple, reprit le gardien, si je ne retrouve pas ce couteau vous dormirez enchaînés dehors !
Horror s'approcha dangereusement de Dust.
- Bon maintenant je ne rigole plus, OÙ EST CE PUTAIN DE COUTEAU ?
Les deux compères se toisèrent en chien de faïence, mutuellement furieux l'un contre l'autre.
- Sous mon matelas... répondit le poussiéreux en baissant la tête.
Le boucher souleva ledit matelas et réceptionna le couteau de bambou qu'il remit au gardien qui s'en alla bougonnant. Dust maintenait son regard sur le plancher. C'était la goutte de trop.
- Faut qu'on parle sérieusement de ton comportement Dusty !
Le poussiéreux bouscula son camarade et se mit au lit très fâché. Horror soupira.
- Très bien une autre fois alors quand tu seras disposé à enfin m'écouter...
Et ils se couchèrent de bonne heure en prévision d'une autre journée dans la houille et la souffrance.
Plus à l'écart Color, le contremaître, avait acquis un petit logement de fonction. C'était loin d'être le plus bel appartement de l'Empire de la Lune, mais il avait tout de même gagné en confort. Il dîna en solitaire comme il en avait l'habitude et replongea dans ses dossiers. Il parcourut et mit à jour celui d'Horror, celui de Dust, celui de Red et enfin celui de Killer. Il y avait peu de chose à dire sur le tueur à l'âme ciblée en cette première journée. Alors l'enflammée rangea sa plume et caressa le portrait de celui-ci avant de le refermer.
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