Emma enfouit la tête dans l'oreiller. Pour la première fois depuis des années elle tente d'oublier la sonnerie entêtante de son réveil. Un gémissement la fait se dresser sur son séant d'un coup. Elle dresse l'oreille, soudainement attentive au moindre bruit. Rien. Elle s'apprête à se rendormir, quand un murmure la fait sursauter. "Tout est de ta faute, maman. Tu n'es pas mieux qu'elle..."

*

Une larme dévale la joue de la jeune femme, qui ouvre lentement les yeux. Devant elle, à sa main repliée, son alliance accroche un rayon de soleil et l'éblouit. Elle s'étire en observant son environnement. Une chambre blanche, un lit sur lequel elle s'était accoudée, puis endormie. Elle murmure, d'une voix rauque :

- Un rêve. C'était un rêve.

En face d'elle dans les draps, son fils endormi. Elle distingue la forme de ses petites jambes musclées par les entraînements de foot sous la couverture fine et passe ses mains dans ses cheveux quu rebiquent. Son mari est en face d'elle, les bras croisés et la tête courbée en avant, légèrement sur le côté. Elle ne peut s'empêcher de prendre une photo, avant de l'appeler. Il émerge lentement.

- Sora ? Ça va ?

- Ça pourrait aller mieux... je suis courbaturé. Et toi, tu as réussi à dormir, à ce que je vois.

Emma secoue sa tignasse emmêlée et sourit.

- Oui, j'ai rêvé, surtout.

Son époux la rejoint, comprenant que sa courte nuit ne l'a pas reposée, et l'attire hors de la chambre. Ils croisent une infirmière, qui entre dans la pièce en prévenant le couple qu'elle va s'occuper du garçon. Elle a les cheveux violets et les yeux bleus, l'air gentil et calme. Elle s'appelle Camellia. Sora et Emma se retrouvent seuls dans le couloir, et le jeune père étreint sa femme, qui lui rend son câlin anxieux. Sora l'embrasse sur la tempe, et elle se sépare de lui.

-Il faut qu'on voie Kyousuke.

- Tu compte faire quoi ?

- On a le trajet pour réfléchir, je vais demander à l'infirmière si on peut s'absenter un instant.

Elle revient peu de temps après.

-On en profitera pour récupérer des vêtements pour Yun, à la maison. Ensuite on prend Kyousuke, puis on aura rendez-vous avec un medecin, qui s'occupera de notre fils, enfin c'est ce qui est prévu.

Sora acquiesçe et prend la main de sa femme. Il ne dit rien, elle n'a pas besoin de paroles, et lui ne saurait que dire. Elle ne semble pas s'accabler inutilement concernant l'accident, ce qui soulage déjà Sora d'un poids. Ils feront face ensemble. Sur le trajet qui mène chez eux, le silence les accompagne.

*

Quand ils sonnent chez Nathan, l'absence de parole se fait sentir. Le jeune homme ouvre la porte, il a les traits tirés, la mine inquiète. Emma le rassure, et demande à voir Kyousuke. Le petit est dans le salon, sur le canapé. Il sourit en voyant ses parents.

-Maman ! Papa ! Vous m'avez manqué !

- Mon chou tu vas bien ? Tu nous a manqué aussi.

-Et Yuichi ?

- On va le voir, bientôt. Il dort encore mais quand il sera réveillé il aura reprit des forces. Mais il ne faudra pas que tu cries.

- Promis ! Mais tu sais papa, c'est pas ma faute.

Le petit a la voix qui tremble, son père s'accroupit pour se mettre à sa hauteur, tandis que Emma s'éloigne un peu pour parler à son frère. Sora répond :

-Je sais, c'était un accident.

- C'est le ballon ! C'est pas moi !

-Ne te justifie pas, tout va bien. On reparlera de tout ça plus tard. Pour le moment, on va voir ton frère et tu dois lui montrer ton plus beau sourire !

- Oui !

Kyousuke sourit de toutes ses quenottes, dont une manque sur le côté, la dernière dent de lait, tombée, une semaine auparavant. De son côté, Nathan ferme son coeur à sa jumelle.

-Merci, pour hier. Ça m'a aidé.

- C'est le moins que je puisse faire, Em'.

- Tu m'as encore sauvée, Nathan.

-Ne dis pas ça, s'il te plaît. Sora ne pense pas comme toi, tu sais.

- Laisse Sora, je m'expliquerai avec lui.

-Non, ce sera pire !

- Hey, Nat', ça fait longtemps qu'il n'a mangé personne.

Emma se veut légère, mais son frère semble craindre vraiment la colère de son mari, pour l'instant cachée, refoulée. Elle reprend :

-Vraiment, tout va bien. Il n'a pas perdu ses jambes, on va voir le médecin tout à l'heure.

-Que lui as-tu fais ?

-Pour simplifier, morphine magique pour la douleur, et accélération des facultés soignantes. Mais rien de significatif, ni définitif.

-Et le Conseil le sait ?

Silence éloquent. Nathan soupire et avertit sa soeur :

- Tu as du bol qu'Aru et le Département 5 soit de ton côté. Je ne suis pas sûr que la Reine laisse passer ça...

- J'habite sur Terre, je ne suis pas soumise à leurs lois.

- Mais tu as signé leurs contrats, comme Ayame. Et elle t'a dit le temps que ça lui avait prit, pour pouvoir employer ses pouvoirs aussi librement qu'elle le fait ?

- Ne me fais pas la morale, Nathan, ce que j'ai fait, je le sais et je le revendique. Aika pourra dire ce qu'elle veut.

- Je ne suis pas contre toi, Emma, je te préviens juste de ce qui est susceptible d'arriver.

- Je te remercie, mais je vais gérer. Tu me fais confiance, cette fois, pour que je me débrouille ?

- Oui.

-Tant mieux, parce que de toute façon tu n'aurais pas eu le choix.

La réplique est dite en souriant, mais Emma ne plaisante pas. Nathan reconduit la petite famille, et ferme la porte de son appartement.

- J'ai fais ce qu'il fallait ?

Tu étais sublime.

- Je n'aime pas la mettre en colère.

Mais tu l'as convaincue de faire ce qu'il faut qu'elle fasse. Elle ne doit pas douter, ce qui l'attend est difficile.

-Vas-tu répondre à mes questions ?

Non. Merci de ta coopération, Nathan Swift.

*

- Monsieur Tsurugi, madame. Je suis le docteur Haruhiko Arai, en charge de votre fils. C'est la première fois que nous nous voyons, il me semble.

- Bonjour Docteur. Exact, oui.

-Bien. J'ai pu jeter un oeil sur les analyses de votre fils. Il n'y a pas de lésions définitives, rassurez-vous. Par contre...

- Par contre ?

Le médecin fait une pause, et Emma demande à son fils de quitter la pièce. Le petit s'exécute sans comprendre, et le Arai continue :

-Il va falloir beaucoup de temps, avant qu'il puisse remarcher. Mais si l'on ne fait rien, il sera trop tard. Il faut opérer.

-Nous n'avons pas les moyens.

- Je ne dis pas ça contre vous, mais c'est la seule solution. Prenez quelques instants pour en discuter, entre vous.

Il se penche sur ses dossiers, et le couple échange un regard. Emma s'écrie :

-Il en est hors de question.

- Réfléchis, c'est le plus avantageux ! Eux ils ont les moyens, et ils nous doivent quelque chose !

- Sora, ce n'est pas vraiment...

- Et tu crois qu'on va faire comment ? Si on ne leur demande pas on sera vraiment bloqués !

-Il y a d'autres moyens.

- Lesquels ?

-...

-Tu vois...tu es sûre d'être aussi catégorique ?

- Je ne veux pas dépendre d'eux.

- Ce n'est pas la vraie raison.

Emma soupire.

- J'ai utilisé ma magie. J'ai violé le contrat, je ne peux rien demander.

Son conjoint ne laisse rien transparaître, et Emma demande au médecin :

- Docteur Arai, il...quelles alternatives s'offrent à nous ?

À cet instant, la porte grince, et un Kyousuke larmoyant apparait dans l'encadrement. Emma se précipite vers lui, le serre fort.

-Tu ne dois pas pleurer, Kyou. Papa et Maman vont trouver une solution. Chut, calme-toi.

Le docteur appelle Sora et lui glisse deux mots. Sora acquiesçe et fait signe à sa femme qui prend son fils dans ses bras. Ils s'inclinent et quittent le bureau du médecin.

***