Sans un bruit, Sora fait semblant de dormir. La voix de Zero résonne dans son esprit. Il murmure :

-Tu as quelque chose à me demander ?

Je veux que tu soutienne Emma.

- De quoi tu parle ?

Elle va faire quelque chose de très dangereux et aura besoin de ton soutien.

- Moral, encore une fois. Je ne fais pas partie de ses plans ?

Un petit silence et Sora se mord la lèvre inférieure. Il se remémore la discussion qu'ils ont eut avec Maya, deux jours auparavant. Il connait les Elfes et leur caractère sans doute mieux que sa femme elle-même, il sait combien ils sont secrets. Emma ne fait pas exception. Elle ne lui a jamais dit ce qu'elle avait fait pendant SQP.

Tu pense à quoi ?

- Toi. Qui es-tu ? Une Elfe ?

Ce n'est pas parce que je te donne un conseil que je vais te répondre pour autant. Tu ne sauras rien.

- J'en ai assez de ne rien savoir.

Et ce n'est pas fini. Crois moi, j'aimerais t'en dire plus. Mais si je le fais c'est ma vie que je risque.

- Tu es en danger ?

Non, c'est pire que ça.

Sora médite sur cette réponse mais ne trouve pas d'explication.

-Je pourrais te voir ?

Le moment venu, oui.

-Quand saurai-je quand le moment sera venu ?

Il y a un silence, et Sora imagine un sourire sur les lèvres de Zero, un sourire doux.

Ne t'en fais pas pour ça, tu le sentiras.

Et sa présence disparaît. Sora se rendort, sommeil lourd et sans rêves. Sa femme, quant à elle, dort difficilement. De temps en temps, sa migraine revient, assortie de maux dans les reins et le bas ventre. Elle fronce les sourcils en retenant un gémissement de douleur. Sora bouge à ses côtés, sa main se pose sur sa taille. Il dort, mais chaque fois, il a la même réaction lorsqu'Emma est mal, ce qui la surprend et rappelle à la jeune femme qu'il a l'instinct elfique, lui aussi. Elle ne pourra pas le duper, car c'est bien de duperie qu'il s'agit, elle ne pourra pas le duper facilement, comme pour les autres.

Le lendemain matin, le couple agit comme si de rien n'était, comme tous les matins ils préparent leur fils aîné, emmènent leur cadet au lycée et Sora va travailler, Emma a ce matin un entretien d'embauche. Elle n'avait pas repris le travail depuis sa première grossesse, la deuxième étant arrivée trop rapidement avec des complications.

-Bonne journée, Em' !

Elle arrête son geste, le regarde :

-Ça va pas ? Tu m'appelle jamais comme ça.

- Ah bon ? Peut-être...

- Mais bonne journée à toi aussi, chou.

C'est à son tour de sourire. Il fourrage dans ses cheveux foncés en partant :

-Ce surnom est gênant...à ce soir !

Elle lui fait un geste de la main et il part. Leur familiale rouge fait de la résistance mais finit par démarrer. Emma sourit en s'imaginant Sora pester après le moteur récalcitrant, et termine de se préparer. Jupe noire aux genoux, chemisier blanc, veste et collants noirs, petits talons, couette haute, elle est prête. Un dernier regard dans le miroir, s'assurer qu'elle est prête. Elle marmonne sa présentation pour s'assurer qu'elle l'a bien en tête, prépare ses affaires et s'en va.

*

Kyousuke boit un coup, profitant d'une pose. La dernière ligne droite avant la finale du tournoi de la Route du Sacre est en vue, leur coach se fait non pas plus pressant, mais un peu plus exigeant qu'avant. Mark Evans est très talentueux, mais Kyousuke aurait préféré apprendre le foot avec sa mère et son oncle, comme lorsqu'il était petit. La paix de ces moments, et le plaisir qu'il en retirait lui manquent. Maintenant, c'est complots, argent, secrets et spectacle. Depuis que Alex Zabel a repris la direction du tournoi national, tout a changé. Tout est 'sous contrôle', pour le plus grand malheur des jeunes footballeurs avides de détente et de compétition. Kyousuke ne se rappelle plus comment exactement il a été recruté par le lycée Imperial, très sélect. Il y est juste entré. Mais il croit que toute cette histoire a un lien avec sa mère. A plusieurs reprises il a entendu Alex parler à des personnes dans un dialecte proche du langage que ses parents utilisent quand ils se disputent, mots murmurés, théoriquement hors de la portée des oreilles sensibles de leurs fils. Ils doivent pourtant s'en douter, Kyousuke parle couramment EFN, grâce à l'aide conjuguée de Ayame et Gaënya, ses grands-mères magiques comme il les appelle.

Encore un autre élément louche, à partir du moment où il a quitté Imperial, il recevait régulièrement des messages non pas menaçants, de simples mises en garde, de la part d'inconnus, jusqu'au moment où il s'est réconcilié avec sa mère. Il ne lui a jamais dit pour les messages, mais elle a accepté chacune de ses décisions, et son mystérieux expéditeur s'est tu. C'est ce qui le fait tant douter. Il se concentre tant bien que mal sur ses étirements, mais s'y prend de telle sorte qu'il est sûr de se coltiner des courbatures dès le lendemain.

Il se demande ce que Yuichi pense de toute cette affaire, les Elfes, leurs origines, les sombres magouilles dans lesquelles leur mère a le don de se fourrer, et la place qu'ils ont eux dans ce bazar. Son frère se montre étonnamment pragmatique et calme quand Kyousuke lui en parle, le soir, alors qu'il s'apprête à se coucher.

- Maman et papa savent ce qu'ils font, je pense.

-Je veux bien, mais j'ai le sentiment que tout va un peu trop loin.

Et il lui montre les messages. Aucune réaction notable de la part de son aîné, qui se contente d'un "ce n'est pas grave" léger. Ce qui évidemment ne satisfait pas Kyousuke.

- Tu n'étais pas avec moi quand j'ai traversé le portail, c'était...impressionnant. Maman était en prison, en prison et sans raison en plus ! De la part d'Elfes censément plus intelligents que nous, plus compétents aussi, je trouve ça un peu louche.

- Je sais que tout ira bien, je ne peux pas t'en dire plus mais je le sais. Alors ne t'en fais pas. Si tu veux être rassuré parle à maman...

- Tu es bien mystérieux toi ! C'est rageant d'être le seul qui ne sait rien justement !

Le jeune homme se calme et souhaite bonne nuit à Yuichi. Une fois seul, ce dernier reprend la conversation abandonnée à l'arrivée de son frère.

- J'ai fait tout comme il faut ?

Oui, tu es trop fort. Mais ça ne te dérange pas, qu'il soit inquiet ?

- Inquiet mais pas seul. Je suis là, et nos parents aussi.

Je sais, je voulais te l'entendre dire.

-À te croire c'est toi la plus inquiète dans tout ça.

Probablement oui.

-À qui tu as déjà parlé, Zero ?

Devine...

- Papa ?

Il croit entendre un sifflement admiratif.

Exact, tu as du flair.

- C'est tout ?

Non le docteur aussi.

-Arai ? Ha ! Ça a dû lui faire tout drôle !

En effet, je crois que tu aurais aimé la scène.

-Et maman ?

Pas encore. Elle, elle comprendrait tout tout de suite, et ce ne serair pas drôle.

Yuichi a un instant de réflexion.

- Ça m'étonnerait que tu veuille simplement être drôle, Zero. Tu peux me laisser ? Demain, la journée sera longue.

Tu as raison, ce n'est pas mon but. Si tu veux. Bonne nuit...Yuichi.

-Tu as enfin prononcé mon nom, je n'y croyais plus.

La présence disparaît, Yuichi sombre dans les bras de Morphée, pas assez rapidement pour ne pas sentir une présence, physique cette fois, lui caresser la joue timidement, comme un enfant hésitant. Dans son demi sommeil, des prunelles émeraude, une peau pâle apparaissent dans le brouillard de sa vision.

***