Sora soupire, et s'appuye contre un mur. Il échange un regard complice avec Nathan, qui se tient à quelques pas de là, contemplant avec béatitude des tissus blancs. Le magasin où les deux hommes se trouvent avec leurs compagnes respectives est presque vide, et les vendeurs orbitent, désoeuvrés, autour de leurs uniques clients. Enfin, de leur cliente. L'autre femme semble déjà passée par là, d'après ce qu'ils voient et entendent de la conversation. Ils sont venus en cet après midi pluvieux bien décidés à faire un choix. L'un des vendeurs tente une approche mais l'un des hommes prend la parole, et le vendeur bat en retraite.

Sora demande, excédé :

-Rappelle moi ce qu'on fait là.

-Ne fais pas ta sale tête, chéri.

- Emma, tu ne m'appelle jamais comme ça, tu as horreur de ce surnom... avoue tu n'as pas envie non plus d'être ici...

- Chut. Ça ne te rappelle rien du tout ?

- Si. Une grosse galère. Des mois de galère.

- Tu exagère !

Emma s'avance vers une cabine d'essayage occupée et lança :

-Chloé, tu es prête ?

- Attends, j'arrive pas à fermer cette... de fermeture éclair !

Emma pouffe et passe la tête entre les rideaux de la cabine.

- Viens là.

Sora observe avec amusement les rideaux qui s'agitent. Effectivement, ça lui rappelle des mois de galère. Le dos de sa femme aidant Chloé le fait sourire. Ce sourire s'élargit quand il remarque que son épouse manque de tomber, entraînée par on ne sait quoi.

-Chloé reste donc immobile deux secondes !

- Je peux pas ! Emma tu m'as pincée !

- Désolée, c'est cette fermeture qui va mal. Ah, enfin ! Ça va mieux ?

- Oui merci.

Emma sort et demande à Sora :

- Au lieu de rire bêtement dis moi ce que tu en penses.

- Ça va bien.

-Allez mets y du tien !

-Elle te va bien, peut-être qu'elle sera un peu trop serrée, non ?

- Et toi Nat' ? Ton avis ?

- À quoi ça sert que je donne mon avis, grogne Sora, faussement boudeur. Nathan hausse les épaules.

- Je ne sais pas... elle est pas mal mais ne te met pas en valeur...

Emma hoche la tête, satisfaite.

- Suivante, alors ! Allez Chloé on y retourne.

La jeune fille lève les bras.

- Aidez moi...

Emma saisit le regard du pauvre vendeur qui n'ose pas les interrompre, et l'interpelle.

- Excusez-moi ! Vous avez un instant ?

- En quoi puis-je vous aider ?

- Vous auriez des conseils à nous donner, pour cette jeune fille ?

Le vendeur prend les choses en main. Au bout d'une heure les quatre sortent, Chloé illumine le chemin de son sourire, son bonheur est contagieux. Emma saisit la main de son mari, qui la serre fort, et se rapproche d'elle. Elle lui souffle, se hissant sur la pointe des pieds :

- Tu vois, c'était pas si mal...chéri...

- C'aurait pu être pire, oui.

*

Le soir, Emma appelle Hanna pour lui faire part de la bonne nouvelle. Son amie réagit avec un enthousiasme à peine modéré.

- Génial ! Ahlala...et dire qu'on s'est fait du souci pour eux...

- En même temps Nat' a mis du temps à se décider, c'est ça qui m'a surprise ! En quelques semaines il a totalement changé de vision des choses, lui qui a horreur de prendre des risques. Je ne sais pas quelle mouche l'a piqué.

On se le demande vraiment, en effet...

-Tu as dit quelque chose Hanna ?

-Non pourquoi ?

- Rien, j'ai dû rêver. Bref, si tu veux je t'enverrai des photos. Dommage que tu aies chopé la crève à ce moment !

- Au moins je ne la donnerai pas à Chloé elle serait dégoûtée, c'est dans si peu de temps...

- Tu m'étonne. Enfin...

- Et toi ? Ça fait longtemps qu'on n'a pas eu l'occasion de se parler, non ?

- J'ai vraiment l'impression de tout faire de travers, si tu veux tout savoir. Mais après tout...

- N'en dis pas plus, tu te mets le cafard toute seule. Tu n'as donc rien appris ? Tu te démoralise trop rapidement !

- Hanna ça fait 15 ans ! 15 ans que je fais de mon mieux pour l'aider !

- Non. Ça fait 15 ans que tu ne l'a vu que comme un problème à résoudre, pas comme un enfant à élever ! Le problème vient de toi Emma ! De toi !

Le choc rend Emma muette. Hanna reprend, plus douce, comme une excuse :

-Écoute, il faut bien que je sois honnête. Mets toi un instant à sa place. Il sait qu'il n'est pas voulu, il arrive après Yuichi, qui disons-le est l'enfant parfait, il doit faire face au baby blues de sa mère, à un père amoureux de sa femme trop jeune pour être père, à l'accident de son frère aîné qu'il adore et qui l'adore, aux changements de son corps à lui, l'adolescence, et biend'autres choses encore. Tu n'es pas parfaite, mais lui non plus, et c'est un être humain plus faible que tu as en face de toi, il est sous ta responsabilité, certes mais tu as le devoir de l'éduquer plus que de le corriger !

- C'est facile pour toi de dire ça.

Le ton d'Emma n'est ni convaincu ni convaincant, Hanna le sent. Elle s'adosse au mur, entortille une de ses mèches de cheveux autour de son doigt, attend. Emma fonctionne comme ça, elle réfléchit en silence, pèse le pour et le contre, se calme. La blonde entend un bruit de soupir. C'est son interlocutrice qui remet ses idées en place.

-Tu es encore là Em' ?

- Non c'est mon fantôme qui te parle je suis décédée.

- Ton humour est à la hauteur de la vitesse de ta réflexion mon amie.

- Oh la ferme.

Emma sourit au bout du fil. Hanna fait des allers retours dans son couloir, guettant la reprise de parole de son amie, qui ne tarde pas.

- Hanna...c'est trop tard ?

- Ah ! Bah ça, c'est toi qui voit ma belle !

Elle continue avec un ton plus calme, plus chaleureux :

-Emma, je crois en toi. Vraiment.

- Tu ne devrais pas.

- Courage ! Ton fils est une perle, il est intelligent, il est capable de comprendre que toi aussi tu fais des erreurs, et l'accepter.

*

Alors ?

Hanna repose le téléphone sur une table basse.

- C'est difficile.

Tu es la seule à pouvoir faire ça tu le sais ?

- Quoi ? Je suis juste franche avec elle.

C'est bien.

-Ouais...au fait !

Oui ?

- Je ne cause pas toute seule, au moins ?

Non non. J'existe. Enfin je crois.

-Ah non ça suffit, je vais finir par me faire payer, moi, si je joue les psys chaque fois !

Je te laisse à ton chéri, Hanna Klein.

- Hein ? Mon quoi ?

La présence disparaît, on sonne à la porte. C'est Xavier.

***