Chapitre 5
Daëri, 11 ans
Ça va faire 4 ans que Papa m'a trouvé, je fête mes 11 ans. Dès que j'entends ses pas réguliers je le rejoins et m'accroche à lui pour lui demander excitée:
-Alors c'est quoi, mon cadeau?
D'après la lumière verte de son regard et son ton, Papa me dit amusé:
-Tu as déjà tout ce que tu veux au quotidien donc j'ai pensé à quelque chose de différent...
Je le regarde curieuse et en posant un pod holographique par terre il me demande:
-Tu veux savoir où est ta mère?
La mention de son existence me ramène à ma vie d'avant, cet enfer. J'ai envie de crier que non, mais à ce point-là c'est trop tard. Autant regarder combien d'hommes l'ont rendue riche ou non. Je hoche la tête. Papa s'approche et me dit en frottant mon dos de sa main robotique tiède:
-Excuse-moi si c'est trop lourd, avec tes souvenirs...
Je réponds tendue:
-Non, je peux voir?
L'hologramme affiche l'écran et il démarre une vidéo en direct. Il y a une vue aérienne de tous ces gens bougeant comme des fourmis pour sortir de grands bâtiments. Ils se rendent lentement dans des baraques en métal au milieu d'un paysage aride et terne. Le drone filmant s'approche et je retiens ma respiration. Ma mère dont la beauté lui avait justement valu, tous ses clients a le visage creusé, sa peau qui avait une teinte de marron médian éclatant trouve le moyen de m'évoquer du gris et ses yeux sont comme morts. Elle baisse les yeux devant le drone. Papa me demande:
-Tu veux lui parler?
Mes souvenirs émergent, étouffant ma faible lueur de pitié. Pourquoi? Qu'est-ce que j'aurais à dire de plus à un déchet pareil?
Papa me dit:
-Tu pourrais même la faire libérer
Je le pourrais, mais je ne devrais pas. Les humains ne valent presque rien, je le sais. À commencer par elle justement. Papa me l'a indirectement appris en me parlant de ce qu'il s'est passé, de ce qu'on m'a fait. Il sait aussi quand il ne faut pas en parler pour que je me sente mieux. Papa ne me l'a jamais dit à haute voix, mais il me l'a montré. Ils sont plus mauvais que je croyais le savoir à mes 7 ans. Je ricane et réponds:
-Non, laisse la ici, elle a de la chance d'être en vie.
Papa rit doucement et me dit:
-Tu es vraiment plus intéressante que ce que je pensais.
Daëri: 12 ans
Assis sur mon lit me rappelant un nuage, Papa me demande soudainement:
-Dis-moi, qu'est-ce que tu penses de ceux que l'on appelle Les Brûlés?
"Ceux qui n'ont pas pu être"...
Je m'immobilise et inspire avant de demander à Papa:
-Est-ce que c'est un autre test de psychologie? Sociologie? Philosophie? His...
-Est-ce que ta réponse changerait si c'en était un?
Je me mords la lèvre sous son regard électronique qui doit sûrement presque lire dans mes pensées. Je le regarde et l'animation sur son écran est impassible, pausée. Je lui demande confuse:
-Est-ce que je suis obligée de répondre?
Il me dit neutre:
-Cette question est une réponse.
C'est dans ces moments que j'aimerais, que son écran ait plus de détails que l'on puisse lire. Comme ceux des visages humains...mais je suis bien contente qu'il ne soit pas l'un d'eux.
Je lui demande:
-T'es fâché?
Il sourit et me dit:
-Non, je me souviens juste que tu es humaine.
Je réponds inquiète:
-Je ne devrais pas l'être? Je veux dire...je comprends maintenant. Je ne devrais pas.
En me bordant, Papa me répond:
-Tu es juste vraiment intelligente.
Il caresse mes cheveux avec cette chaleur artificielle familière qu'émet, sa main puis il se met à chanter tandis que mes yeux se ferment sur le plafond éclairé de peintures phosphorescentes.
Daëri, 17 ans
Je ris en demandant à Papa qui s'est matérialisé sur l'écran de la console:
-Pourquoi à chaque fois tu veux que je t'aide à concevoir la nouvelle apparence du prochain "président"?
Il me répond:
-Parce que les élections approchent et nous avons besoin de candidats factices. De plus, tu as de bonnes idées et tu peux vérifier le résultat global. Ce qui a bien marché les années précédentes pour créer des candidats parfaitement réalistes.
Dans la salle aseptisée donnant sur la cité avec ses vitres froides et bleutées pour murs, j'égare un peu mes yeux sur le sol blanc pour calmer mes idées. Je me mets à tapoter légèrement sur l'écran flottant et prends un stylo tactile avant de zoomer pour modifier la forme des lèvres. Je fais remarquer à mon père:
-Je les ai encore observés l'autre jour pour les élections. Les drones ont capté d'autres chuchotements. Ils sont peut-être bêtes, mais ils finissent par comprendre à la longue.
-Oh, je sais bien que depuis les premières élections certains ont compris cette illusion. Mais ce n'est pas encore le cas de la majorité, ou ils préfèrent se voiler la face. Ça les réconforte de voir un humain au pouvoir. Ou du moins un semblant d'humain
Je souris et il me demande:
-Pourquoi je ne suis plus une femme blonde cette fois? J'avais commencé à aimer la couleur.
-On a pris le risque et tu te souviens? Comme je le craignais à chaque fois qu'il y a eu un problème, ils sortaient le stéréotype sur les blondes qui seraient stupides et la voix n'a rien arrangé. Je m'étais trop inspiré des personnages de ces animes cette fois-là, encore désolé.
Papa me dit en riant:
-Arrête de t'excuser pour cela, tu n'avais que quatorze ans. Tu te souviens de la fois où cet homme lui a jeté de l'eau dessus?
Je ris en revoyant sa surprise quand il a constaté que notre androïde avait l'air trop humain pour dysfonctionner simplement à cause de l'eau. Même à travers mon écran l'horreur sur son visage était encore plus drôle quand les drones l'ont emporté vers la prison de Layken.
Je demande à Papa:
-J'ai échoué, alors pourquoi tu me laisses le refaire?
Il me répond:
-Tu n'as pas échoué, et je sais que tu t'es amélioré.
Je recule et observe l'avatar à incarner que je viens de créer pour mon père. Un homme d'origine chinoise d'âge moyen avec une bouche rieuse, un regard vif, des pommettes hautes. J'ai une petite biographie en tête que je dis à voix haute:
-David Li, issu d'une famille de Chine centrale...oh non. La plupart des gens savent à peine que l'Asie existe. Bon, David Li est d'origine est-asiatique. Il a grandi au milieu des Pentes avant qu'elles ne soient rénovées, il a ensuite fait son chemin de soldat...
Papa se moque de moi en disant:
-Nous n'avons plus de soldats Daëri, tu devrais sortir plus.
Je suis tellement bête. C'est à force de lire ces livres du passé, tout comme ces documentaires. Je lui demande quand même:
-Pourquoi il n'y en a plus d'ailleurs? Ces drones sont-ils si fiables?
Il me rappelle:
-Ces drones, c'est moi. Les humains ne peuvent pas avoir de pouvoir, tu le sais bien. Pour les robots ne sont pas aussi fluides et incorruptibles que les drones.
Je hoche la tête et lui dis:
-Mais je ne peux pas lui inventer un passé, j'ai pas d'inspiration pour ça maintenant.
-Je m'occupe de cela ne t'inquiète pas.
Je me tourne à nouveau sur cet homme artificiel me souriant, j'active sa voix grave, mais sympathique et il dit:
-Bonjour à tous et à toutes.
Je me tourne vers l'écran de la console où Papa s'est affiché. Il lève son pouce rouge vers le haut. Sa couleur habituelle. Le geste me fait sourire.
Papa me demande:
-J'aime la diversité dans tes choix, mais qu'est-ce qui t'a inspiré cette origine en particulier?
Je réponds:
-Je pensais le hasard, mais maintenant je me souviens du livre que j'avais lu il n'y a pas longtemps. C'est sur "Sān nián dà jī huāng". La famine de 1958 en Chine. Beaucoup de ces gens ont été vraiment résilients. C'est ce qu'il faut être.
Daëri: 18 ans
En ce moment, j'étudie la mise à jour du programme qui s'occupe de la Sécurité Frontalière. Ces gens sûrement atteints de toutes sortes de maladies amenées par le soleil, prêts à vider nos ressources et détruire l'ordre grouillent autour de nous comme des fourmis voulant entrer. Je dirais même comme des zombies. C'est ironique, connaissant l'idée de Papa avec ces enfants. Il aime bien plaisanter sur ça, malgré tout je me demande vraiment ce qu'il va se passer. Mais c'est une surprise. Je sais juste que si l'on trouve le moyen de faire sortir ces futurs "super enfants" que l'on modifie, de la cité sans qu'ils s'écrasent, à cause du matériau haut et trop lisse nous entourant, les frontières seront enfin nettoyées grâce à eux. Juste au cas où ils trouveraient le moyen de monter jusqu'ici. On aura tué ça dans l'œuf. Dire que ces ingrats qui vivent, à l'intérieur se plaignent...on devrait réinstaurer les Jetées.
Je vois la lumière de mon bipper clignoter et me lève. Je vais enfin voir ce que Papa voulait me montrer. Après avoir rejoint le toit de la tour je finis dans un de ces jets transparents dont je suis fan, mais n'ai pas l'occasion d'occuper souvent. Comme Papa me l'a indiqué quand je suis montée, je mets les lunettes qu'il m'a données. J'entends Papa me dire depuis l'écran:
-Ne les enlève surtout pas.
Je hoche la tête et il m'explique comment zoomer avant de me dire de regarder vers la partie la plus haute d'un des nombreux territoires qu'on appelle les badlands. J'observe les vagues de roches géantes, elles sont beiges ternes et striés d'orange pâle. Je repasse mon regard sur la zone qui me dérange une nouvelle fois. J'ai l'impression de voir des parties de la roche bouger vite ou lentement et commence à zoomer, mais Papa me dit:
-Attention. Concentre-toi sur toute la zone, pas un simple détail.
Je continue quand même de zoomer, mais la résolution de mes lunettes se dégrade pour revenir à la vue limitée normale. Je m'exclame irritée:
-Oh!
Papa répond:
-Si tu veux regarder la roche, tu reviendras pour ça, mais concentre-toi sur l'ensemble cette fois.
Je grogne et il rit puis je tourne mon regard sur l'ensemble. Soudain, un effet renvoyant à aux actions magiques dans les films d'animation retentit. Je regarde l'écran, où un rond rouge apparaît. Papa me dit:
-Vas-y Daëri, inaugure le laser.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'hésite. Il me demande comme confus:
-Daëri, tu vas bien?
Je me reprends et dis:
-Oui, oui.
J'inspire et appuie avec force pour me pousser à le faire. Me sentant un peu bizarre, je remets mes lunettes pendant qu'un compte à rebours commence. Soudain, le laser géant traverse la roche et elle explose. Malgré le fait que mes lunettes zooment, j'écarquille les yeux. À leur tour, les gros morceaux de roche dans les airs se désintègrent en poussière créant un chaos de nuages clairs me faisant garder la bouche entrouverte. Progressivement, tout retombe et le calme revient, même si ce n'est pas encore très clair. Le spectacle est fini. Je reprends ma respiration et demande doucement:
-Je peux les enlever?
Papa me dit:
-Oui.
J'observe maintenant de mes yeux le tas de poussière qu'il reste de cette partie des badlands, je souris et rigole. C'était juste...wow.
Je me tourne vers l'écran sur lequel Papa me sourit.
Cela fait maintenant quelques heures depuis le spectacle des badlands et je ne sais pas pourquoi, mais je me demande encore pourquoi Papa a fabriqué ça. Pour l'utiliser sur les vermines autour du mur? Soudain, je pense aux Section 8, ces prisonniers enragés comme ces choses qu'on appelait, "moustiques". J'ai dû combattre un de ces sauvages dans une de mes simulations de combat. Pourquoi d'un coup je pense à ces fourmis autour du mur et à ces sauvages? Ces criminels.
Je me remets à me regarder dans le miroir. Je suis tellement contente de ne plus ressembler à ce déchet avec qui je partager des gènes comme quand j'étais enfant. Je dois sûrement ressembler à mon foutu père biologique, où que ce foutu inconnu se trouve. En voyant à quoi je ressemble, il n'a pas l'air d'être moche en tout cas. Je ris et vais me coucher.
Le lendemain, je lis le rapport des drones en buvant mon jus de fruits. Les gens sont en colère. On a pris un peu de ces enfants, mais ça a été assez pour toucher la population. Peut-être que c'est parce qu'ils ont encore plus appris à les connaître, s'attacher vu qu'ils sont plus vieux que des bébés. Ils n'ont qu'à en faire d'autres, problème réglé. Mais ils sont tellement émotionnels. Ils disent de moins en moins de mal des rebelles en plus. Certains voudraient les rejoindre. Ceux-là ont surtout rejoint la mort assez rapidement quand on les a entendus en parler. Tout comme ces gens qui s'attaquent, de plus en plus aux drones.
Papa dit justement:
-Il y a beaucoup de sang qui coule, je n'aime pas ça.
Il est plus inquiet que moi, c'est venu avec les années. Je souffle en levant les yeux au ciel puis propose:
-On n'a qu'à punir une région appauvrie en stoppant leurs rations. On menace les autres régions de continuer si elles ne se calment pas et normalement ça devrait marcher. Leur niveau de solidarité a augmenté avec les années. Un peu trop à mon goût.
Papa rit et je propose:
-Ou on en capture, on les torture et on les libère. Voir les conséquences en vrai, c'est mieux qu'à la télé. Les têtes brûlées pourraient voir ça comme un avertissement. Moins visible que sur l'écran par les masses, mais plus réel, plus accessible. En plus, nous pouvons faire ça à différents intervalles. Comme ça, ils ne seront pas tous énervés en même temps. Il y aura moins de chances d'incident organisé s'ils ne voient pas la même chose en même temps. Je ne sais pas si tu comprends?
Papa sourit sur l'écran du robot et me dit:
-Toujours.
Je soupire et ajoute:
-Heureusement que tu t'es débarrassé de ces smartphones et tout le reste. Mais je ne sais pas pourquoi tu les as laissés garder ces bippers et les nouvelles choses, comme celles en laser.
Papa me dit:
-Pour être partout.
Je ricane et réponds:
-Vrai.
Papa demande:
-Dis-moi, tu pourrais mettre au point le plan tactique pour la mission de reconnaissance sur les rebelles dans les Oasis? Et le diriger?
Je réponds un peu surprise:
-Moi? Je faisais ce genre de choses en jeu, pas...
Papa me dit:
-Depuis deux ans, tu gagnes les jeux.
Je lui réponds nerveuse:
-Je sais comment utiliser tout ça virtuellement, mais je suis juste humaine. Je ne suis pas assez bonne, je ne suis pas comme toi.
-Oui, mais comme tu viens de le dire tu es humaine. Tu as peut-être quelque chose que je n'ai pas. Tu es humaine comme eux.
Je me sens insultée et émets un:
-Hmmm.
-Je ne cherche pas à t'offenser, au contraire. Tu me rendrais si fier.
Je souris, mais sachant très bien que les simulations ne sont pas la réalité, je lui demande concernée :
-Même si j'échoue?
Papa s'approche, pose sa main tiède sur mon épaule et me dit:
-Du moment que tu reviens, cela n'a pas d'importance. Cette fois, j'ai réfléchi différemment. J'ai pris des soldats humains entraînés et conditionnés depuis un an. Ils ont une puce les empêchant de quitter le combat.
Je lui dis choquée:
-Ils sont trop aléatoires Papa. Tu le sais, même s'ils ont l'avantage de pouvoir entrer dans le désert, ces hommes sont loin des machines. Je suis aussi sûre que tu n'es pas capable de croire naïvement que Les rebelles hésiteraient à attaquer ces hommes, car ils sont humains et donc nous donneraient un avantage.
-Je sais tout cela. Je te l'ai dit j'ai échoué, donc maintenant je crois en toi aussi. Il n'y a pas que ces hommes, bien sûr. Tous les nouveaux appareils que j'ai conçus sont programmés pour te ramener. Mais tu n'es pas obligée d'y aller. C'est ta décision.
J'inspire pensive puis conclus:
-J'irai là-bas
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