Chapitre 37

Daëri

Je fixe la table blanche de la salle à l'air aseptisée du conseil. Havo me dit irrité:
-Daëri.

Je garde le silence, donc Yoa me demande:
-Tu veux qu'on t'enferme jusqu'à ce que tu parles?

Je plante mon regard dans ses iris obsidienne et elle le soutient. Après un moment à se fixer, je reporte mon attention sur la table. Nyx comprendra. Je leur dis:
-Vous avez raison. La puce va se formater avant que vous ayez pu tout transférer, si vous faites le transfert avec un câble sur le serveur. Vaut mieux prendre la puce, enfin la désinstaller. Mais rapidement.

Moya me dit:
-Merci, tu peux y aller.

Je m'exécute. Putain je viens juste de les aider à avancer dans leur foutue révolution.
Ironiquement après ça j'ai passé des heures à finir leurs affiches, au point que mon travail avec les drones me manquait. Mais ils m'ont bien dit qu'ils ne me donneraient pas d'autres occasions, en me laissant en assembler. Il commence à faire sombre et je cherche encore Atmos, un peu alerte, ma dague à l'esprit au cas où je devrais m'en servir.

Aelia m'a dit qu'il était vers l'atelier de soudure. J'y arrive et fais le tour, pourtant il n'y a personne, mais en rebroussant chemin, je vois une porte entrouverte. Je l'ouvre et elle donne sur une autre porte, en bas d'un petit escalier. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je descends, puis ouvre la porte. Je tombe sur une salle où Moya, Exxio, Havo et Atmos semblent travailler sur quelque chose. Ils ont leurs ordinateurs et des composants électroniques sur la table. Moya laisse échapper un:
-Merde!

Je demande intriguée:
-Qu'est-ce que je suis pas censée voir encore?

Exxio répond:
-Rien, en fait...

Il esquisse un sourire plissant son regard azur avant de me dire:
-On construit juste notre propre Nyx.

Havo le regarde, ou plutôt le mitraille du regard. Ils se mettent à regarder Atmos. Il s'arrête de fixer l'écran d'ordinateur, qu'il s'est dépêché de détourner de mon champ de vision, dès que je suis arrivée. Il me sourit lentement avant de me dire:
-On l'a appelé Winx. Ça vient d'un très vieux dessin animé sur des fées. C'est d'un de nos anciens DVD mis en streaming, c'est aussi un des premiers artéfacts que j'ai trouvé.

J'ignore le léger signe de tête de Moya à Atmos et dis:
-Donc vous vous foutez de Nyx en plus...

Idiots. Je demande à Atmos:
-Tu veux dire quoi par artéfacts?

Exxio dit à Atmos:
-Tu devrais pas...

Ce dernier répond:
-Je sais ce que je fais Papa.

La façon enfantine dont il a laissé traîner le dernier mot, est presque aussi drôle que la tête d'Exxio, qui lui dit:
-Je t'ai déjà dit que je suis pas ton père sale chieur.

Havo se met à rire puis Atmos lui demande:
-Pourquoi tu ris Maman?

Havo réplique:
-J'aurais dû t'étouffer dans ton sac à dos.

On rit encore et Atmos se lève pour me rejoindre en leur disant:
-Je reviens.

Il prend ma main et je le suis. Je lui demande:
-Tu les appelles vraiment comme ça des fois?

Il rit et me répond:
-Non, c'est juste quand je veux les faire chier.

-Mais ils t'ont un peu élevé non?

-Pas carrément, mais oui je les voyais souvent. Et dernièrement encore plus. Mais c'est pas pareil. J'ai un père et une mère biologique quelque part. Même si je les ai jamais rencontrés. Moya, Exxio et Havo ont fait plus qu'eux, mais ils sont pas eux. Tout comme Nyx n'est pas ton vrai père. Tu devrais peut-être essayer de le retrou...

Je m'énerve:
-Tais-toi! Me dis pas ce que j'ai à faire, ok?!

À la lumière des lampadaires, je vois l'air choqué d'Atmos qui laisse échapper un:
-Ok...

Je baisse la tête et dis:
-Désolé, ça me rappelle...je veux rentrer me coucher.

Il reprend ma main dans la chaleur de la sienne et l'embrasse avant de me dire:
-Pas avant que je te montre quelque chose.

-Quoi?

Avec un air malicieux plissant son regard limpide, il me dit:
-Mon secret

En face d'un des ascenseurs, je murmure à Atmos, comme s'il y avait des gens autour:
-On peut plus sortir comme ça, t'es malade?!

Je distingue son sourire, à l'éclairage des lumières des portes électroniques. Il me dit:
-Si on peut à nouveau, ils me font confiance.

Je murmure:
-Pas moi.

Il ouvre les portes en me disant:
-C'est pas important, aller suis moi Princesse robot.

Je ris et m'exécute.
Une fois dehors, Atmos monte sur une moto et me dit:
-Viens.

Je préfère en prendre une autre, ce qui le fait rire. Je réponds:
-J'aime bien conduire quand je peux.

Une fois arrivés, on est au milieu de nulle part, près d'une arche rocheuse et imposante. Son ombre créée par la forte lueur de la lune, noie la silhouette d'Atmos avant qu'il n'approche. Il y a aussi deux sièges. Je lui demande:
-On fait quoi ici? Il n'y a rien. À part ces chaises.

Il secoue la tête en souriant et s'approche d'un endroit au sol, qui est un peu plus sombre. Il répond à ma question imminente par:
-C'est des sables mouvants.

Soudain, il y saute et mon cœur s'emballe, en même temps que mon estomac coule dans l'anxiété. Je cours en criant:
-Atmos! Qu'est-ce que tu fous?!

Je m'approche pour tenter de l'attraper, mais il me tire et je tombe avec lui. Avant que je ne puisse comprendre quoi que ce soit, Atmos dit dans ma tête:
-Ne lâche pas ma main et retiens ta respiration.

J'hésite entre obéir et me mettre à crier, mais je serre sa main et le fixe, ne sachant pas quoi dire tellement je suis effrayée. Il disparait plus rapidement que je le pensais, mais je sens sa main me tirer vers le bas, avant de glisser rapidement à mon tour. Ce n'est pas la mort qui m'accueille, mais de l'eau dans laquelle je me débarrasse du sable restant. En bougeant, je me rends compte qu'elle n'est pas normale, la vélocité est différente, donc je bouge plus vite dans cette eau tiède et douce. J'ouvre les yeux, puis ouvre presque la bouche de surprise, au milieu de l'arc-en-ciel de couleurs.

Des teintes d'orange, violet, bleu, jaune et vert sont formées par la flore aquatique. Il y a des bancs de poissons colorés et des pieuvres qui passent devant moi. Maintenant une tortue, mais surtout derrière, il y a quelque chose ressemblant à une ville, d'où émane la lumière me permettant de voir tout ça. Je viens aussi de me rendre compte, que je ne manque pas d'oxygène. Je regarde Atmos qui sourit et me dis télépathiquement:
-Tu vois? Ça va. Viens, on va les voir.

Les?! J'écrase presque sa main d'appréhension. En nageant jusqu'à une espèce de kiosque avec des bancs en corail, il me dit:
-T'inquiète pas, ils sont gentils tu verras.

Je m'efforce de me détendre un peu jusqu'à ce que les fameux, "ils" arrivent. Des êtres bleus pale avec les yeux remplis par leurs grands iris bleus clair. Ils ont aussi seulement deux ouvertures en guise de nez. Ils sont chauves avec une sorte de nageoire plate sur la tête, et ont des taches lumineuses qui semblent changer de couleur. Ils en ont sur le haut du visage, les épaules et le long des bras. Ils sont également plus petits que nous avec une queue de poisson. Des sirènes? Je regarde Atmos qui faisait signe aux créatures, comme s'il leur parlait aussi. Il a maintenant l'air de rire, d'après son expression et les bulles s'échappant de son nez.

Soudain je sursaute en entendant une voix calme, mais plus vague que celle d'Atmos quand il me parle télépathiquement. Elle dit dans ma tête:
-Bonjour, nous sommes les Savio, nous vivons dans cette sorte de nappe phréatique sous votre désert.

Ils parlent par télépathie. La sirène venant de dire ça, d'après le changement de couleur de ses taches pendant qu'elle "parlait", regarde Atmos. Je l'entends lui demander amusé:
-Ceci est donc ta femelle?

Dans ma tête j'émets un:
-Oh!

Les sirènes semblent m'avoir entendues, car elles portent leurs mains à leurs bouches, pour certaines. Celui ou celle qui m'a parlé semble même sourire. Je demande:
-Pourquoi on ne vous a jamais vus? Je n'ai jamais entendu parler de votre existence.

Une autre sirène me répond:
-La dernière fois que nous sommes allés voir la surface, pour considérer nous montrer, vous brûliez vos nouveau-nés. Nous ne voulions pas d'un monde aussi malfaisant.

Atmos dit en riant mentalement:
-Ils ont failli me tuer quand j'ai fini ici, jusqu'à ce que je leur parle télépathiquement. C'était les seuls êtres qui pouvaient me répondre. Et là, ils te permettent de le faire aussi avec leurs pouvoirs.

Je souris et demande:
-Mais vous avez toujours été ici?

La première sirène qui m'a parlé secoue la tête et me révèle:
-Nous étions humains avant.

Ça explique le fait que leurs expressions corporelles ne soient pas si différentes, et qu'ils aient des éléments humanoïdes. Atmos dit dans ma tête:
-Ils nous ont aidés avant La catastrophe. Ils nous ont prévenus qu'ils arrivaient.

La deuxième sirène dit peinée:
-Mais ça n'a pas suffi.

Atmos répond:
-C'est pas de leur faute. Quand je suis revenu à la cité pour prévenir les autres, on m'a pas cru au début. Le temps qu'on se prépare, il était trop tard. J'aurais dû être plus rapide.

Je caresse le visage d'Atmos et secoue la tête. Je sens un sentiment d'attendrissement venant des sirènes. J'ai tellement de questions, mais Atmos dit:
-On reviendra, on ne peut pas s'absenter trop longtemps, ou ils vont paniquer et croire qu'on est partis. Ce côté là, c'est une longue histoire.

La deuxième sirène dit télépathiquement, en me désignant de la main:
-Tu es donc juste venu nous la présenter?

J'entends des rires, Atmos hoche la tête avec un sourire. Je recommence à cligner un peu des yeux. Ils ne sont pas habitués à l'eau. Atmos semble se souvenir de quelque chose quand il dit:
-Désolé, j'ai oublié de vous ramener quelque chose.

La première sirène dit amusée:
-Ce n'est pas grave. On t'avait dit que ce n'était pas nécessaire, mais tu aimes trop nous gâter.

Atmos répond mentalement avec un léger sourire:
-J'appelle ça un échange...on doit y aller. C'était super de vous revoir!

La première sirène dit:
-Pour nous aussi.

Elle touche son épaule droite et ouvre sa main devant nous en la baissant, Atmos l'imite et je fais pareil. Je m'éloigne énergiquement, mais m'arrête en voyant Atmos toujours là-bas. J'hésite à y retourner pour savoir ce qui se dit, surtout avec leurs mouvements de bras. Mais quand je me décide à y aller, ils se saluent à nouveau.
Une fois à la surface j'ai l'impression que les sables mouvants ont aspiré toute l'eau. Je ne sais pas par quel mécanisme, mais ils semblent me remonter aussi, même si Atmos me ramène sur terre rapidement.

Je m'époussette du maximum de sable possible et demande à Atmos:
-Comment t'as su que tu pourrais respirer la première fois?

Il me raconte:
-Petit je suis tombé là-dedans et comme un idiot Blade m'a suivi pour me sortir. J'ai cru qu'on allait mourir tous les deux, mais on a fini sous l'eau et on paniquait, quand les sirènes sont arrivées. On a failli se faire tuer jusqu'à ce que je me mette à hurler mentalement. Ça les a bien perturbées. Après plusieurs aller-retour dans la poche d'air vers la surface, qu'ils nous ont montrée, on a compris que je pouvais "respirer" sous l'eau, et permettre à Blade de le faire. Mais on n'est pas restés longtemps, et après cette fois Blade a refusé d'y retourner, mais moi, je l'ai fait.

-Un vrai poisson. Avec ton signe astrologique en même temps...
Les gens ont dû flipper quand il ont vus les sirènes non?

-C'est une des rares choses secrètes, pour l'instant. Il n'y a qu'Exxio, Moya, le conseil et Blade avec qui je venais ici qui le savent, enfin savaient...

Il y a un silence. C'est un de ces moments où je me déteste. J'inspire et lui demande:
-Ena, elle le sait pas?

Il secoue la tête et répond:
-Non.

Je demande confuse:
-Pourquoi? Elle est comme toi.

Atmos me dit:
-On m'a dit que je ne devrais pas le dire à plus de gens, et je voulais pas de toute façon. C'est mon secret.

Je lui demande en souriant:
-Pourquoi tu me l'as montré?

Il rit doucement avant de dire:
-Parce que t'es ma femelle.

Je le pousse pendant qu'on rigole. Je lui fais remarquer:
-Peut-être pas la dernière, t'imagines un manège de "femelles" qui passeront ici? Les sirènes deviendront cinglées.

Atmos s'approche en me disant:
-Hey.

Il prend doucement mon menton avant de continuer:
-Arrête tes conneries Daëri.

Il m'embrasse lentement et j'ai des chauves-souris dans le ventre, comme souvent. Je lui réponds doucement:
-Merci de m'avoir montré un autre monde que le pourri qu'on a.

-Il est pas si pourri, on doit juste le reprendre. Il est à nous.

J'expire puis hoche la tête. Il prend ma main et me ramène à un endroit, plus éclairé par la lune, avant de me dire:
-Tends ton poignet.

Je m'exécute curieuse. Il attache un beau bracelet à breloques argenté autour de mon poignet. Je reconnais des éléments de Peter Pan. Je lui souris, mais avant que je ne puisse parler, il m'explique:
-J'aurais pu leur demander de trouver des bijoux extravagants, mais j'ai trouvé ça moi-même sous l'eau, la dernière fois. Et je sais pas, je me suis dit que peut-être que t'aimais les breloques. J'ai fait de mon mieux pour le restaurer m...

Je l'embrasse puis lui dis doucement:
-Merci.

En repensant à ce qui me préoccupait, je demande à Atmos:
-T'es vraiment sûr que ces sirènes sont pacifiques?

-Oui pourquoi?

-On dirait que tu te disputais avec en partant.

-Ils savent quelque chose qu'ils refusent de me révéler sur les mutants.

Face à mon regard, il répond:
-On devrait pas s'en inquiéter.

-Mais ça pourrait t'aider.

Il hausse les épaules en disant:
-On ne peut pas les forcer.

-Je peux essayer.

Il prend mes épaules doucement, mais me dit sérieusement:
-Ne fais de mal à personne.

Je ne sais pas pourquoi ma voix tremble, quand je réponds:
-Je voulais juste leur parler. Je veux plus torturer ou tuer, de bonnes personnes. Je te jure que je suis désolée pour Blade, je s...

Il me prend dans ses bras et me dit:
-Je suis désolé d'avoir pensé ça. Je suis tellement désolé.

On reste comme ça un moment, jusqu'à ce qu'Atmos bouge pour regarder ce qui me choque aussi. La vision est encore plus décontenançante, sous la lumière lunaire. Deux sirènes ayant maintenant de longues et fines jambes tachetées, comme le reste de leurs corps, se tiennent sur les sables mouvants avec une malle transparente. Elles s'approchent et je recule instinctivement, tandis qu'Atmos leur dit:
-Je pensais que vous ne pouviez pas quitter l'eau, je pensais que vous nous aviez visités à travers des points d'eau seulement. D'où elles viennent vos jambes?

Une des sirènes dit télépathiquement:
-Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas Atmos.

Malgré leur proximité, elles ne semblent pas dégager d'odeur. Elles ouvrent la malle et la poussent vers nous. L'intérieur est miraculeusement sec et à force de regarder, je pense voir des disques durs. Les sirènes disent mentalement, sûrement à Atmos:
-C'est toi, d'où tu viens. Ils ont essayé de tout détruire, mais on a pu avoir cela.

Atmos dit perdu:
-Me...merci.

L'une des sirènes secoue lentement la tête, comme si elle était toujours sous l'eau, puis dit:
-Non, nous sommes désolés de te l'avoir caché. Mais nous ne voulions pas que ta colère, te pousse à te dresser contre Nyx trop tôt. Mais il semblerait que tu sois prêt.

Atmos dit à voix haute:
-Ma colère...

Après que les sirènes soient parties, Atmos me regarde et me demande:
-Tu peux aller chercher mon ordi steuplé?

Un peu effrayée à l'idée de ce qu'il pourrait voir, je réponds:
-Le conseil ne te cachera pas la vérité s'ils regardent ça avant.

Il réplique ennuyé:
-Je m'en fous, je veux voir ça d'abord. J'ai le droit, c'est mon histoire. Je peux pas retourner en bas, ça me donnerait l'occasion d'hésite.

Je soupire puis m'éloigne vers les motos.
À travers mon bipper, j'ai dû débattre avec Moya pour qu'elle me laisse retourner à la cité, en montant l'ascenseur. Je sais très bien qu'elle le faisait exprès. Elle m'a aussi soulé pour me laisser ressortir, parce que je refusais de répondre à ses questions, sur mon usage de l'ordinateur. Après un bon mensonge, j'ai réussi à passer.

En avançant dans l'obscurité, j'arrive enfin au niveau d'Atmos. Il est toujours assis sur un des fauteuils tressés, la tête entre les mains. En me voyant, il se redresse. Quand on les observe, on se rend compte qu'il y a des numéros, sur les disques durs. Ce sont des modèles anciens. Ils datent sûrement de vers la fin de la guerre, à l'arrivée de Nyx. Je passe le numéro 1 à Atmos. Je sais qu'il tremble en le branchant, mais par miracle ça fonctionne. Il y a juste un dossier nommé "Projet S". Dedans il y a beaucoup de fichiers et sous-dossiers, mais comme je l'aurais fait, Atmos appuie sur une des vidéos. Il semble qu'elle date d'il y a longtemps. Avant le que le soleil ne brûle les peaux, avant que les drones n'envahissent les rues. Peut-être que ça date de quand les IA commençaient à peine à se répandre, d'après le modèle de voiture électrique que j'ai aperçu. J'ai vu cet endroit avant, dans les bases de données de là où j'habitais avec Nyx. C'est un centre de recherche dissimulé en musée. Atmos me regarde avec un air interrogateur, et je ne peux pas m'empêcher de sourire pour le calmer. Mais il ne m'imite pas, ce qui me fait grimacer. Je lui dis:
-C'est avant le soleil et la guerre.

Atmos continue doucement:
-Avant tout...

Il appuie sur "play", le plan sur le musée disparait et on est choqué par des cris perçants, tandis que des informations apparaissent en rouge sur l'écran. La femme criant n'a que 19 ans, et ils l'ont attaché. Elle est dans une blouse médicale et se débat, pour échapper à une insémination, d'après ce qui est écrit à l'écran. Elle se calme quand on la menace avec des sédatifs, puis se laisse faire avec des pleurs déchirants. Je ne me sens pas bien et j'ai envie de courir, mais je ne peux pas.

Dans la prochaine vidéo, on la voit marcher avec des menottes. Par la suite, la plupart du temps, elle est dans son lit ou dans un fauteuil. Elle est enfermée entre sa chambre et ce qui semble être un jardin. Elle pleure beaucoup et ignore tout ce qu'ils lui proposent pour la distraire. Pendant que son ventre s'arrondit de plus en plus, on a des informations dessus à l'écran. Des fois ce foutu Docteur Cander, nous explique comment ils surveillent ces bébés, avec attention. Des vidéos plus tard, dans le silence et l'obscurité du désert, d'où l'on regarde ces morceaux de passé, les cris perçants de la prisonnière retentissent.

Elle donne naissance à ses enfants. Atmos accélère jusqu'à ce qu'on la voit tenter de résister, quand ils veulent lui prendre ses jumeaux à peine nés. Ils crient, eux aussi. La vidéo se termine. C'était la dernière du dossier. Atmos ouvre un fichier document et on lit son histoire. Elle s'appelait Sarah et étudiait le droit. Ils l'ont utilisé à cause d'une tonne de gènes dormants dans son ADN, des mutations. Ils se sont servis d'elle comme du bétail pour reproduction. Ils ont prélevé ses ovules, les ont modifiés, et fécondés avec les spermatozoïdes aussi modifiés, de candidats avec lesquels ils auraient le plus de chance de réveiller ces gênes.

Après cela, ils l'ont inséminé. Ils ont fait ça trois fois. La troisième l'a tué d'une crise cardiaque quand elle accouchait. Après de nombreuses tentatives pour échapper à cette réalité, elle a fini par réussir à s'en aller.
À chaque fois, elle a eu des jumeaux. L'idéal pour doubler le nombre de sujets d'études, et moins risqué qu'une grossesse avec un plus grand nombre. Tous les bébés ont survécu, tous "doués". Avec la même marque de naissance, en forme de croissant, que leur mère. La même qu'Atmos...

Ce dernier absorbé par l'écran se rend sur le dossier 32E2. En vidéo, on voit un bébé grandir, mais avec le temps on se rend compte qu'il est différent. Il commence à faire bouger des choses par la pensée, et les gens qui s'occupent de lui l'encouragent. Des scientifiques. Ils se mettent à l'entraîner dès ses 11 ans, et même quand il est fatigué ils le poussent plus loin, avant de jouer les personnes pleines de gentillesse. Je demande:
-Où est sa sœur? Il y a deux sujets mentionnés dans le titre.

Atmos accélère, mais à part des mentions on ne ne voit pas la sœur du garçon. Il parcourt d'autres vidéos, jusqu'à ce qu'on tombe sur une fillette de, peut-être, cinq ans. Elle est en train de hurler en pleurant. Un peu par-dessus, la vidéo Atmos ouvre un document et on lit leur dossier. Le garçon a un pouvoir de télékinésie, et peut aussi brûler des choses en manipulant les bons éléments. Une sorte de pyrokinésie. La fille, elle, peut entendre de très loin, sentir les menaces aussi. Elle peut également ressentir les émotions des gens. Atmos confirme doucement:
-Elle est comme moi.

Je lui souris, mais il ne le rend toujours pas et retourne sur l'écran, tandis que le malaise m'envahit. Sur une autre page, on apprend qu'on a séparé les jumeaux à quatre ans. C'était sans compter sur le fait qu'ils avaient un lien télépathique, qui leur a permis de continuer à communiquer. C'était comme un échange de signaux, donc ils les ont remis ensemble pour les étudier. On va à la page d'après.

Je retiens ma respiration, m'attendant au pire, après avoir lu quelque chose sur un incendie. Mais je fronce les sourcils en lisant qu'ils se sont échappés. Atmos parcourt les autres dossiers et on découvre les autres enfants. Mais ils ont tous fini par s'échapper dans ce même incendie. Je souris, et il me regarde en souriant enfin aussi. J'espère qu'ils s'en sont sortis dehors.

On branche le disque suivant. C'est surtout de l'espionnage, de l'espionnage sur ces enfants qui sont devenus adultes. Qu'ils traquent. Je grimace à la première vidéo où l'un des enfants de Sarah devenu adulte, se fait tuer par surprise. Sur une autre, dans l'obscurité, un autre de ses enfants s'échappe, avec les bonds et l'agilité d'un chat. Non loin, une fille ressemblant à celle qui avait les pouvoirs d'Atmos s'enfuit.

Elle est éclairée, elle aussi, par des lumières. Comme une proie. Ils sont sur le point de l'avoir en ouvrant le feu, quand ils semblent se faire tirer dessus. Pourtant il n'y a personne devant. Son frère ne doit pas être loin. Il a renvoyé les balles? La caméra tombe avec le soldat avant que quelqu'un ne s'approche et l'écrase. Je souris. Au moins les différentes paires de jumeaux se sont retrouvés on dirait.

Il y a malheureusement une autre morte et apparemment ils ont proposé à certains de se rendre, en échange de leurs vies. Ils ont refusé et tout simplement disparu.
Dans un fichier, on lit qu'il y a une inquiétude grandissante. Une autre source de motivation derrière cette traque. D'après des tests effectués avant qu'ils ne s'échappent, l'une des deux paires de jumeaux encore en vie, peut transmettre ses gènes dormants modifiés juste par fluides. Comme la salive. Comme changer l'ADN des autres? Ça sonne juste fou, mais ça m'amuse.

Cette fratrie n'est pas moche de ce que j'ai vu, donc je ne doute pas qu'ils transmettront beaucoup trop de gènes, selon le gouvernement de merde qui les a créés. Je fronce les sourcils en lisant ensuite qu'ils ont perdu toutes traces d'eux peu avant que le soleil ne commence à chauffer beaucoup trop.
Le disque d'après date du début de la guerre. Je pense que c'est une erreur de date, jusqu'à ce que je lise les mots à l'écran. Ma confusion est venue, car l'enfant s'entraînant à la télékinésie ressemble exactement au jumeau qui avait renvoyé les balles sur les soldats.

Mais c'est en fait un clone. Je pensais que la technologie pour en créer n'était pas bien maîtrisée...
Effectivement, les infos s'affichant à l'écran, confirment la courte espérance de vie de l'enfant. Dans un document, il y a écrit que la plupart des clones, n'étaient effectivement pas utiles longtemps, avant de tomber malade. S'ils ne mouraient pas à leurs naissances ou n'étaient pas malformés. Le fichier d'après nous apprend, que le gouvernement, a réussi à trouver d'autres personnes comme la fratrie. D'autres mutants.

Des vrais, pas des clones. Ces vrais mutants se sont fait attaquer par les clones, en pleine guerre mondiale. C'est ce qui est arrivé, à ceux que le gouvernement a indirectement créés, en voulant concevoir des armes. Je souris sarcastiquement à la situation. Rapidement je ne souris plus, quand dans la vidéo d'après, ils sont en train de cribler de balles une maison, et surtout la famille y vivant.

Il y a le bruit des balles, recouvrant presque les cris des enfants et des parents, puis le silence. La caméra corporelle nous montrant le point de vue d'un de ces meurtriers, s'approche d'un enfant, pendant que mon cœur bat toujours aussi vite. Le soldat enlève les chaussures roses tâchées de la petite fille, et observe un de ses pieds maculés de sang. Un autre soldat donne un chiffon au porteur de la caméra. Ce dernier essuie le pied de l'enfant avec un calme déconcertant. Le nettoyage a révélé une tache de naissance, en forme de croissant de lune.

Mon cœur fait un bond, et je me souviens de la première fois, qu'Atmos m'a montré sa marque. Un autre soldat finit sûrement de chercher une tache sur le corps du garçon, qui a l'air tellement petit. C'est si inhumain, la façon dont il fait ça. La manière dont il étale tout cet ocre, sur le petit corps dénudé et sanglant, à la recherche d'une putain de marque. Après un moment douloureux à voir, il conclut:
-C'était à côté de son aisselle cette fois.

Le soldat qui a la caméra dit:
-Vérifiez-les tous, je veux savoir si...

Plus loin, un soldat l'interrompt en criant:
-Chef, l'autre garçon n'a rien! Cette autre fille non plus!

Le soldat portant la caméra laisse échapper un:
-Putain.

Il dit sûrement dans une oreillette:
-Doc, vous aviez raison. Ils ne l'ont pas tous. On a deux pertes. Terminé.

Deux pertes?! Deux putains de pertes?! Je réalise qu'Atmos me regarde, il me dit:
-On peut arrêter si tu...

-Non.

Dans les fichiers suivants, il y a encore plus de massacres. Tout ça pendant qu'une guerre, tuait déjà des gens par milliers. Mais les autres personnes alentour se contentaient de laisser-faire, vu que ce n'était pas eux. C'est familier. J'appuie sur pause et dis:
-On a compris.

Mais Atmos fait bouger la souris ailleurs et dit:
-Celle-là a l'air différente.

Il met une vidéo et il y a deux personnes dans une cage en verre. Une fille et un garçon, on dirait des adolescents. Une scientifique explique aux autres:
-Comme les deux Transmetteurs l'ont fait il y a des années, ces nouveaux mutants ont développé une autre habilitée, en lien avec leurs fluides corporels. Celle-ci faisant encore plus d'eux une menace.

Elle se tourne vers les deux dans la cage et ordonne:
-Faites-le.

Les deux adolescents, se mettent à se regarder sans bouger. La scientifique dit:
-Oh s'il vous plaît, on vous a observés. On n'a pas le temps d'attendre que vous vous avouiez vos sentiments. Nous sommes des scientifiques. Maintenant, allez-y, comme on vous a dit que vous devriez le faire. Ne me faites pas vous remplacer.

L'aura meurtrière de sa dernière phrase les fait se rapprocher, et s'embrasser longuement. J'ai l'impression d'assister à quelque chose d'illégal, ça l'est certainement, mais c'est eux la loi. Quand les ados se détachent l'un de l'autre, ils se fixent. La scientifique éclate leur bulle en disant:
-Maintenant, montrez-nous de quoi vous êtes capables.

Les adolescents se mettent à faire des démonstrations de tous les pouvoirs visibles des mutants originaux. Comme faire léviter les objets dans la cage, en brûler et sauter à une hauteur anormale. Il y a aussi les réflexes accrus, quand le garçon évite tous les projectiles de la fille. Ils doivent également communiquer par la pensée, parce qu'ils se mettent à faire tout ça sans parler.

Les gens en différents uniformes gouvernementaux, qui sont assis à la table, semblent surpris, inquiets ou pensifs. Il y en a certains qui ont un visage impassible aussi.
La scientifique continue:
-En simple, ce baiser chargé en ocytocine, a permis de partager et réveiller, tous leurs gènes dormants. Tous les gènes de mutants sont révélés et réveillés dans leurs corps en temps réel. Et non pas juste transmis à leur descendance plus tard, en quantités dépendant de probabilités. Voilà pourquoi nous avons été écrasés toutes ces récentes fois. Même les couples simples, sont dangereux. Tuez-moi ceux-là.

On entend la moitié d'un cri, et les murs transparents du cube les enfermant, sont recouverts de sang. Je sens la colère dans la respiration d'Atmos qui s'intensifie. Il passe au dernier disque: Projet S-2.
On voit des fœtus dans des cuves. Sur l'écran, on a écrit que ce ne sont pas des clones, mais des sujets venant des embryons viables restants de Sarah. On les a altérés. Les lettres à l'écran révèlent, que tous les sujets sont en bonne santé cette fois. Même après leur naissance.

Donc ils ont sûrement réussi, à faire une gestation artificielle avec des sujets en bonne santé? Alors pourquoi Nyx n'a jam...putain c'est pas le moment. On voit les fœtus grandir, mais ils ont bien l'air différents, pas humains. Atmos ouvre un document et j'inspire de surprise, en les reconnaissant. Il y a écrit qu'ils sont censés vivre sous le sable. C'est les sirènes. Elles sont nous effectivement, elles sont humaines.

Le fichier dit beaucoup de choses fascinantes. Je retiens surtout que les sirènes cristallisent et se camouflent en minéral, avant de se déplacer lentement sous et sur terre. Elles peuvent même blesser en changeant leur forme dure si nécessaire.

Leurs déplacements peuvent durer des années, jusqu'à trouver une source d'eau, de préférence souterraine. Ça les attire comme des aimants. Ils n'ont même pas besoin de beaucoup, car avec leurs pouvoirs, ils arrivent à démultiplier de petites quantités d'eau, grâce à un phénomène physico-chimique.

Ils sont le fruit d'un grand investissement en ressources scientifiques, humaines et financières. On les a créés pour nous remplacer, quand on pensait que la torture du soleil durerait pour toujours, et que la guerre aidait à nous effacer.

Tout ça pour qu'ils nous méprisent, et ils n'ont même pas tort. J'inspire et submergée par toutes ces informations, je fixe un point sur l'écran. Je me tourne pour regarder Atmos. Fixant l'écran, il me dit:
-Je veux tuer ton père.

Je réponds doucement:
-Je sais...

Sa voix monte pendant qu'il me regarde, les iris durcis:
-Et les humains normaux, ils n'ont jamais rien fait. Ils ont rien foutu! Ça m'énerve tellement.

-T'es un humain normal Atmos.

Il m'incendie du regard et me dit irrité:
-Daëri, on a passé les mêmes heures devant ce bordel? Pour que tu viennes me dire qu'on est pas différents?

Il a raison, c'est le genre de truc qui m'énerverait. Comme les gens qui sortaient "je ne vois pas les couleurs", à l'époque. On est différents et on ne devrait pas le cacher, ou l'ignorer comme certains le veulent. C'est ce qu'on est. Je lui propose:
-On devrait rentrer chez nous, sans se soucier de ces humains. Ceux qui comptent, c'est ceux qui sont ta famille. T'as de la chance de les avoir, donc t'enfuis pas juste parce que...je sais pas.

Je me sens soudain envahie par les émotions, alors que ça doit être pire pour Atmos. J'ai peur qu'il s'en aille, et comme une idiote, c'est moi qui fuis sous ses appels. Je veux juste rentrer et dormir. Je peux pas.

Cette nuit, je me suis endormie auprès d'Aelia, qui miraculeusement n'était pas avec Jev. Parce qu'elle est plus intelligente que j'aime le prétendre, et sûrement plus que moi émotionelement, elle n'a pas posé de question.

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