Chapitre 34

Atmos voit Daëri dans un bassin naturel au milieu d'une oasis. Pourtant il n'est pas rempli d'eau, mais de sang. L'oasis autour, commence soudainement à mourir, et des corbeaux se mettent à voler au-dessus d'elle. Non perturbée Daëri se tourne vers Atmos. Elle lui donne un œuf immaculé, avant de couler dans le sang, sous les cris d'Atmos n'arrivant pas à la rejoindre.
Ce dernier se réveille en panique sans trouver Daëri auprès de lui, ce qui le fait crier un:
-Putain!

Il se lève et se dépêche de s'habiller, pour la retrouver au plus vite. Ce n'est peut-être rien, mais pas cette fois. Cette fois, il n'ignorera pas l'avertissement qu'il a reçu. Même s'il n'en connaît pas la signification.

Daëri

On enlève enfin ce foutu sac de ma tête et je regarde autour de moi. Je suis assise dans une salle vide et allumée, où il doit y avoir un projecteur assez fort, pour pouvoir afficher le rectangle blanc devant moi. Je croise le regard ébène d'une femme. Elle a des boucles rousses et des lèvres, un peu comme des vagues couleur pêche pâle. C'est la fille avec laquelle Blade faisait connaissance quand...vers quand je l'ai tué. Elle est armée d'un pistolet laser. Son expression lui donne l'air d'une poupée maléfique. Je croise aussi d'autres paires d'yeux. Il y a quatre personnes dans mon champ de vision, armées aussi. La rousse me menace:
-Tu bouges de cette chaise et on te troue de partout.

S'approchant de derrière moi, la voix d'Ena me fait sursauter, quand elle ajoute:
-On le fera. À ce point-là, on en a plus grand-chose à foutre.

Donc c'est ça. Les gens à qui j'ai volé Blade m'ont ramené ici pour se venger. Mais je ne comprends pas pourquoi il y a le projecteur, ni pourquoi ils ne me frappent pas. Ena me sort de mes pensées en demandant:
-Tu te souviens de l'explosion des Badlands non?

Je hoche la tête et demande:
-Pourquoi?

-Tu te souviens aussi des Section 8?

-Oui

Sur l'écran s'affichent des vidéos de prisonniers enchainés. Ils avancent en ligne dans l'uniforme bleu, que j'avais vu l'un d'eux porter, quand je le combattais en simulation. Ces prisonniers ont l'air effrayés et mal nourris, pas musclé et enragés, comme mon ancien adversaire. Sur la file montrée, on zoom sur l'une des personnages. Je fronce les sourcils, ce qui fait dire à Ena:
-Elle a 14 ans, enfin avait. Elle venait de chez nous, mais elle a trouvé le moyen de s'échapper lors d'un entrainement. Elle a volé une moto, et fait le long trajet jusqu'à la ville, qu'elle rêvait de voir depuis petite. Quand on s'en ait rendu compte c'était trop tard. Elle était une des élèves les plus douées, de l'école de gardiens, qu'elle avait réussi à intégrer en avance. Elle s'est tout de même fait capturer.

Assez vite, mon visage se tord, en voyant les images horrifiques de ses séances de torture, et en entendant ses cris interrompus par des pleurs. C'est différent quand c'est quelqu'un de réel, et pas une simulation, ni quelqu'un servant à prouver que l'on n'est pas faible. En fait, c'est juste pire quand on s'est remis à ressentir. En baissant le son, mais sans arrêter la vidéo, Ena continue:
-D'après ce qu'on a récupéré, elle a tenu face aux tortures. Mais au bout d'un moment elle a tenté de se tuer. Malheureusement pour elle, elle était tellement faible, qu'elle n'en avait même pas la force. Elle était à peine consciente et incapable de parler, donc Nyx ne pouvait plus en faire grand-chose. Ses outils ne fonctionnent pas sur un sujet dans cet état.

La vidéo change et je vois la fille dans sa cellule sans lit, me faisant penser à la mienne. Mais la sienne est chromée avec une fenêtre, sûrement pour rêver de liberté. C'est tellement cruel. Il y a un zoom. Je vois mieux tout le sang la recouvrant, et ses plaies ouvertes ou cicatrisant en vain. Elle respire à peine. Moi, j'inspire pour retenir mes larmes, quand Ena dit:
-Ils ont abandonné et saisi l'occasion de la faire sauter aussi. Elle s'appelait Mira.

Sauter? Ena qui a dû mal interpréter ma confusion poursuit, amusée:
-Oui, il y a toujours une fissure. On a regardé dans celle de votre système, et ça nous a bien énervés. C'est pour ça qu'on va vous botter le cul.

J'expire lentement puis demande:
-Il y avait qui d'autre là-dedans?

Il y a des rires pour je ne sais quelle raison et Ena me dit:
-Si tu insistes.

Elle passe à une autre cellule et il y a un garçon encore plus jeune. L'expression sur mon visage doit traduire mon horreur, vu leurs ricanements. Ena m'explique:
-Ika, un prodige de la musique trop malin pour ses 12 ans. Ça doit te dire quelque chose. Apparemment, t'es censée être une surdouée maléfique, un génie du mal. Choisis ton titre.

Ils rient et je garde le silence déjà drainée. Ena continue plus sérieusement:
-Il a fait une chanson sur Nyx, vraiment drôle. Et elle rentre dans la tête en plus. Ça a bien énervé le micro-ondes.

Les autres rigolent. Avec un air accusateur incendiant le charbon qu'est son regard, Ena ajoute:
-Officiellement, Ika a rejoint Les rebelles avec sa famille. Mais en fait, il les a surtout regardé, se faire noyer dans de l'acide.

J'ai la nausée en y pensant et Ena tapote ma tête en disant:
-Oui, retiens ça là-dedans. T'as de la chance qu'on n'ait pas eu ces vidéos-là.

Pendant que j'inspire profondément, il y a de nouveaux rires stupides. Ena s'y remet en passant rapidement plusieurs prisonniers et confirme:
-Tous âges invités, juste pour avoir ennuyé ton Pa-pa.

Les rires encore. J'ai même reconnu celui de Zy depuis un moment, et ça me peine toujours autant à chaque rire. Ena s'arrête sur un homme aux cheveux noirs. Son air fatigué accentue ses rides, sur son visage pâle. Ena s'exclame:
-On a un malchanceux! Lui c'est vraiment un meurtrier, comme deux autres. Mais! Il a tué pour nourrir sa famille en pleine Restriction de nourriture.

J'avoue perdue:
-J'ai jamais su comment ça fonctionnait, on n'a pas voulu me le dire. Il n'a pas voulu...

La voix de Zy me fait sursauter quand il s'approche en commentant:
-C'est pratique.

Il me méprise. Je le vois dans son grand regard nuit, à une époque il était brillant d'étoiles de malice. J'ai détruit ça, je crois. Il explique:
-D'abord, t'es obligé de rester chez toi, après qu'ils aient pris toute la nourriture. Tout ce qu'il y a de comestible, jusqu'au dernier grain de riz. Enfin, ils laissent l'eau pour que tu survives quelque temps. Mais pas toute l'eau. Puis ils mettent un périmètre laser autour de chez toi. Ça te tuera pas si tu le traverses, ce serait trop facile. Mais tu rebondis. Ça a l'air drôle, non?

Ena continue:
-Ça l'est moins quand t'apprends qu'ils te laissent les objets coupants.

Voyant la suite venir, je laisse échapper un:
-Non.

Ena esquisse son sourire arrondissant encore plus son visage brun. Dans un autre contexte, ça m'aurait réchauffé, mais là je suis frigorifiée. Entre ça et le trou noir dans le regard de Zy. Ena me répond:
-Ne dis pas non. C'est bien ça, ma belle. Cet homme a tellement pété les plombs, qu'il voulait tuer sa femme, pour nourrir ses enfants avec, au 11ème jour. Et elle était d'accord. Les drones sont arrivés trop tard. Enfin personne ne croit vraiment qu'ils ont essayé d'arriver. Ils voulaient ça depuis le moment où cet homme a été arrêté pour fraude. Nyx déteste ce genre de chose.

Je marmonne ce qu'on m'avait presque gravé dans le cerveau:
-Tout doit être juste.

Zy répond à ça par:
-Oui ou je ne sais pas ce que ton esprit endoctriné peut répéter en boucle.

Je dis doucement:
-Donc...

Ena réplique:
-Donc quoi? Tu as d'autres questions pour la classe?

Les gloussements encore, et le sourire coupant de Zy qui me tue. La voix trop tremblante, je m'excuse en larmes:
-Non,je...je ne voulais pas voir, savoir tout ça, quand j'étais avec Nyx. J'avoue que je m'en fichais et que j'aurais peut-être pu réussir à changer ça, mais...

Zy s'arrête de m'écouter pour dire à Ena:
-On devrait la laisser dégager non?

Une autre voix lance:
-Oui, elle en a vu beaucoup non?

La rousse et Ena crient presque en même temps:
-Non!

Ena dit plus calmement:
-Avant, je veux qu'elle voit l'œuvre d'art de son père. Les enfants.

Pendant qu'elle dit ça, je ne l'écoute plus trop. Je viens de réaliser que c'est moi qui les ai tués, j'ai fait sauter les Section 8. Les premiers gens que j'ai tués, c'était eux. Eux tous. Je tente de me calmer, quand Ena claque des doigts devant moi. Je la regarde et elle me demande avec un air concerné acide:
-Qu'est-ce qu'il y a Daëri? J'ai même pas encore commencé. Tu veux des pop-corn?

Ces putains de rire retentissent encore. Ma colère calme mes larmes et je racle ma gorge, pour chasser les tremblements dans ma voix, avant de demander:
-J'ai fait sauter les Section 8? Je savais pas, j'ai appuyé sur le bouton et...

Je suis coupée par une claque d'Ena, face à mon regard elle dit:
-Me regarde pas comme ça. C'est toi le monstre. T'as vraiment réussi à descendre plus bas. Tu mérites vraiment l'enfer.

J'essuie mes yeux et moqueuse, elle répond à mon geste par:
-Garde tes larmes pour la fin du film.

Je m'attends aux rires, mais j'ai dû tellement les dégouter qu'ils gardent le silence. Zy est même parti. Quand la vidéo commence, mes yeux s'écarquillent en voyant ces abominations. Il y en a même qui ont gardé leurs têtes d'enfants, sur ces corps horribles. Non, ça ne peut pas être réel. C'est pour les films d'horreur et les jeux vidéo ce genre de choses. Je dois encore être en train de secouer la tête, parce qu'Ena dit:
-Ben si.

Je sors de ma stupeur et les yeux rivés sur la projection, à la qualité douloureusement élevée, je demande tremblante:
-C'est eux? Les enfants?

Je ne pensais pas qu'ils seraient comme ça. Pas du tout. La voix de Zy, qui est revenu, me répond:
-Oui, c'est eux, et si tu te concentres tu peux entendre leurs bruits spécifiques. Ils étaient sentients.

Le pire, c'est que je peux effectivement les entendre séparément, maintenant que je me concentre. Entre les "Je veux jouer", "Je vais te piquer", "Maman" et autres sons, je pense devenir folle. Je ferme les yeux en fronçant les sourcils, mouvement dans lequel part bizarrement une partie de ma panique. Je me sens quand même dépassée par ce que je ressens. Ena me sauve sans le savoir, quand elle me sort de ce tourbillon en tirant mes cheveux pour que je lève la tête. Elle dit:
-La qualité des caméras est tellement bonne que tu pourras voir ça.

Ena me replonge plus profondément dans mon enfer personnel, quand elle zoom pour que je vois Atmos. La détresse me saisit, sachant que je vais sûrement voir quelque chose qui va empirer mon état. Je fronce à nouveau les sourcils pendant qu'une larme continue d'abreuver mon visage. Je vois Atmos se faire sauter dessus par un mutant. Même en sachant qu'il est bien vivant aujourd'hui, mon cœur fait un bond. Il a tiré sur le mutant qui gît par terre sûrement mort. Mais à ma confusion, Atmos s'agenouille près du mutant puis semble essuyer des larmes. Le voir pleurer m'écrase le cœur. D'autres larmes viennent noyer ma peau et Ena ajoute:
-Il connaissait cet enfant.

Non, non, non. C'est lui, celui dont il m'a parlé. Je tente de me calmer. Mais Ena passe un clip d'enfants pleurants et se débattant en vain, dans les faisceaux d'anti-gravité des drones, pour ne pas être séparés de leurs parents. Ces derniers résistent aussi en tenant leurs enfants, pour les empêcher de flotter au loin. D'autres personnes attaquent même les drones pour les aider. Il y a donc des coups de feu, des cris de natures différentes, des noms criés. Le chaos.

J'enfonce mes ongles dans les paumes de mes mains, plus profondément. J'avais juste lu les rapports, pas regardé les vidéos. Je devais bien me douter de ce que ça aurait pu me faire, donc j'ai suivi la suggestion de Nyx. "Ne pas perdre mon temps à regarder de la désobéissance civile". Est-ce que s'il m'avait montré tout ça, ça aurait dépassé la limite? Ou j'aurais continué ma journée? Je n'étais pas là durant La Brûlure, mais ces horreurs...j'ai envie de vomir. Ena continue:
-On n'a pas encore fini, il...

Me foutant maintenant qu'ils me tirent dessus, je me lève et cours dehors. Une fois à l'extérieur je vomis, encore et encore. Quand je suis calmée, je regarde l'obscurité. Elle est crevée par les nombreuses lumières de la cité. Je veux voir Atmos, mais je ne peux pas. Je suis mauvaise, pourrie, foutue. Je dois disparaitre.
Une fois chez nous je prends une de mes dagues, que j'avais oubliées sur la table en répondant à l'appel de Zy. Dire que je pensais qu'il était prêt à me pardonner. Maintenant en regardant la lame, je me souviens de quand j'ai jeté cette pierre, il y a des années. Portée par un sentiment similaire, en regardant ailleurs, je réussis à m'infliger cette coupure profonde et mortelle à la jambe.

Un drone posté non loin, vient de capter le sang venant de cette zone, grâce à sa nouvelle mise à jour. Il se dirige donc rapidement vers la porte de Daëri qu'il a ordre de déverrouiller, de par la situation.

Je respire à une vitesse qui serait inquiétante si ce n'était pas fini. Ce n'est même pas à cause du sang que je perds, ni de la douleur minimisée par l'adrénaline. C'est à cause de la peur. Je ferme les yeux et reconnaissante qu'il soit là, je tombe dans mon champ immaculé. Mais tout pourrit dans cet univers, quand j'entends la voix d'Atmos crier terrifié:
-Daëri!

Je savais que j'aurais dû attendre et partir pour faire ça ailleurs. Mais je ne réfléchissais plus. Je ne voulais pas qu'il voit ça, j'avais fermé la porte. Je ne sais pas, je ne sais plus. J'étais tellement impatiente. J'entends également ce que je pense être Sev, un des médecins. Il crie à Atmos de se calmer. Il y a également Aelia, elle répète des:
-Putain!

Je commence à tanguer même si je sens bien qu'on touche mon corps. Je ne m'en soucie même plus. Je commence à partir, sans mon champ. Juste l'obscurité. Est-ce que je verrais de la lumière de l'autre côté. Est-ce que j'y aurais droit?



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