Chapitre 16
Daëri
Dans la soirée, je me réveille et j'ai encore faim, mais bien sûr il n'y a rien dans mon frigo. Je jette mon livre sur mon lit et mets un cardigan. Ces sacs à viande n'ont qu'à me fixer en pyjama s'ils veulent. J'espère que la machine que j'ai vue a des choses mangeables. Enfin pour moi en ce moment c'est aléatoire avec tous leurs nouveaux plats. Malgré l'espace de l'appartement, à cause du faible éclairage je heurte ma cuisse contre une chaise. Je ressens encore une légère douleur. Il m'a pas raté ce connard. J'ouvre la porte pour trouver au loin sur l'herbe bleuie par l'obscurité, la lumière d'un grand feu bleu, je pense. Je regarde mieux, c'est un feu de camp vraiment grand. Il semble y avoir tout le monde, ça explique le calme ici ce soir.
Je les entends rire de loin et tente de repousser ce sentiment honteux de tristesse. Il me rappelle celui que j'avais plus jeune quand les enfants n'étaient plus avec, mais contre moi. Je m'en fous, j'ai autre chose à faire. J'essuie ma larme de souvenir et accélère le pas.
Le repas que j'ai acheté avec ma paye était à vomir, mais je me suis forcée à le manger. Papa m'a bien appris à ne pas gâcher. Malgré tout j'ai dormi comme un bébé, je pense que c'est ce qu'on dit. Même si j'en ai jamais vu un en vrai.
**
Aujourd'hui, mes collègues de travail ont fini par me lâcher, quand ils ont compris que je n'avais aucune envie de jouer le jeu de la sociabilité et des messes basses. Je ne sais pas si c'est ça ou le fait que paradoxalement je passe mes nerfs sur une tâche aussi minutieuse, mais j'ai battu mon record. Ils m'appellent "Le robot" maintenant. Je m'en fiche un peu, mais je ne sais pas pourquoi ils ne me maltraitent pas. Pourtant Moya m'a confirmé qu'on les a bien sûr prévenus de qui j'étais. Je descends les marches couleur sable orangées, mais compactes que je me mets encore à regarder. Ena apparaît soudain dans mon champ de vision, elle fonce droit sur moi. Avec un sourire rendant presque son visage ovale rond, à cause de ses pommettes joufflues, elle me dit:
-Aller on y va.
Je recule et lui rappelle:
-J'avais dit non, je vais pas faire votre visite touristique.
Aelia arrive à ma surprise et son visage a changé. Elle a vraiment l'air de la version adulte d'un de ces anges peints, ou des moutons aux grands yeux tout mignons que je devais élever dans mon jeu vidéo. Je les égorgeais aussi, c'est le cycle de la vie. Elle me dit:
-Salut...j'ai réfléchi et désolé de t'avoir frappé. C'est ton père que je déteste. J'ai juste voulu passer mes nerfs sur la chose la plus proche. La personne.
J'émets un:
-Hmmm.
Ena me dit:
-Et toi?
Je réplique:
-On ne va pas jouer à ce jeu-là, elle a commencé j'ai fini.
Aelia rit et semble se retenir de répondre. Je lui demande:
-Qu'est-ce que tu fais là?
Elle dit:
-Je suis venue vous accompagner.
Je leur lance:
-Vous savez pas que c'est mort en fait?
Je sursaute surprise par une voix derrière moi:
-Elle a peur.
Je me retourne et vois Zy avec son grand sourire à fossettes puis souffle avant de dire:
-La psychologie inversée, ça marche pas avec moi.
Ena propose:
-Et si je te donne ma tablette?
Je lève les sourcils intéressés, ce qui la fait rire. Elle a une tablette?! Ils en ont? Même les gens de la cité à la surface n'en ont pas vu depuis que Papa est apparu. Enfin presque tous, foutu marché noir. Aelia dit à Ena:
-T'as pété les plombs ou quoi?
Ena répond:
-Je peux en acheter une autre. Le modèle commence à dater, ils viennent enfin de sortir la nouvelle.
Aelia ajoute:
-Même, tu peux gaspiller tes crédits pour elle je m'en fous, mais je me fous pas du fait que Moya nous tuera si on lui donne accès au flux.
Ena semble réfléchir. Ils ont même accès au flux, en dehors de la tour? C'est une blague.
Mais peut-être que je pourrais contacter Papa avec. Zy dit:
-Regardez, elle se fait déjà des plans pour nous ramener sa famille en métal.
Je lui lance un regard noir et il m'informe:
-T'inquiète pas. On peut accéder qu'aux sites gérés ici. On n'est pas connecté au truc de ton cher père. Ça lui sert à que dalle, d'ailleurs, vu qu'il le garde pour lui. Je me demande même si t'avais des sites sur lesquels aller. Même pas de porno?
Je le fixe impassible et il 'apprête à continuer, mais Aelia lui dit:
-Zy ferme ta gueule, et toi Ena laisse tomber.
Ena souffle puis avec un nouveau sourire elle me dit:
-Il n'y aura pas Atmos.
Je demande intriguée:
-Pourquoi?
Elle répond:
-Je lui ai dit de ne pas venir.
J'hésite puis je ne sais même pas pourquoi, je finis par dire:
-Ok.
Ça doit être l'ennui. Les sourires victorieux d'Ena, satisfait d'Aelia et amusé de Zy, sont à vomir.
On passe devant un large bâtiment et on se met devant une de ses grandes fenêtres. Dedans je vois des enfants pour la première fois en onze ans. Face à mon regard, Aelia dit:
-Ils nous voient pas. Il y a des hologrammes à la place pour qu'ils restent concentrés. Les parents viennent parfois voir ce qu'ils font. C'est une partie du centre d'éducation.
Aelia me dit:
-D'après les rumeurs, t'es pas bête.
Elle continue, amusée:
-Elle pourrait être utile avec les enfants.
Ena dit ennuyé:
-Ils la laisseront pas s'approcher d'eux.
Zy ajoute, amusé:
-Absolument pas, même si ça serait l'occasion pour eux de voir ce qu'est l'incarnation du mal.
Je m'approche en répondant:
-Tu veux voir ça?
Ena me stoppe de son bras et dit doucement:
-Pas ici, surtout pas.
Je me calme et Zy ajoute:
-Roooh, elle allait me montrer un truc bien salace. Je voulais voir, moi.
Je décide de l'ignorer. Aelia lui claque la tête et on repart, moi avec un léger sourire. On passe dans un bâtiment dont les bruits me font penser à mon lieu de travail. Ils sont mélangés à d'autres bruits électroniques que je reconnais de chez moi. Effectivement dans le couloir sombre Ena me dit:
-Ici, c'est l'entretien des appareils.
En entrant, je suis surprise qu'ils aient tous ces outils, ce ne sont même pas des modèles anciens. J'utilise les mêmes chez moi, enfin j'utilisais. On sort de la pièce blanchâtre qui n'était pas très bruyante. Près d'une autre pièce assourdissante, on met nos écouteurs qui font aussi casque antibruit à champ énergétique. On entre. Les employés ne nous prêtent pas attention, au milieu des bruits et l'odeur métallique.
Ena me dit dans l'oreillette:
-On vient souvent les voir.
-Pourquoi?
-En général, c'est quand on casse quelque chose
Je hoche la tête et observe un des hommes travailler sur une pièce assez grosse. Je demande à Ena pour être sûre:
-C'est pour la ventilation?
L'homme et la femme à côté me regardent. Merde, j'ai pas vu qu'il y avait un paramètre pour choisir qui peut accéder à la conversation dans laquelle j'articule. La femme semble réaliser quelque chose, ouvre les yeux un peu plus, et hurle dans son micro:
-Eh regardez c'est la gosse du diable!
Ils se tournent tous vers moi. Malgré moi les battements de mon cœur accélèrent. L'homme dit:
-Elle a demandé si ce n'est pas pour la ventilation.
Un autre homme demande:
-Putain, elle a une puce?
Je réplique:
-Je ne serais pas là si c'était le cas.
La femme qui m'a démasqué dit:
-Tu devrais être dans une cellule au lieu de fouiner.
L'homme de la ventilation lance aux autres:
-Cette connasse doit sûrement être capable de foutre en l'air la ventilation et tous nous asphyxier, juste parce qu'elle en a envie.
À ma surprise, Zy plus rapide que moi leur dit:
-C'est bon là non?
La femme qui m'a dénoncé rit et lui demande:
-Qu'est-ce qu'il y a Zyron? Elle te plait?
Ils rient et je regarde Zy qui a une expression blasée avant de dire:
-On se casse.
Je soupire et les suis. Ena me demande:
-Tu veux continuer?
Comme mise au défi, je réponds:
-Oui.
On finit dans un bâtiment vitré avec une odeur qui me rappelle certains plats de Papa. Ceux avec des fruits de mer. J'aime tellement ça, je ne sais pas comment j'ai pu oublier. En même temps, la nourriture et moi dernièrement...
Je me penche sur un des bassins géants où je vois toutes sortes de couleurs mouvantes, altérées par le filtre de l'eau. Je passe au suivant tout au fond et dedans je distingue quelque chose d'autre qui bouge. Zy me rejoint et dit:
-C'est des pieuvres. Tu sais au lieu de faire comme si tu voulais sauter là-dedans, on peut les voir d'en bas dans les galeries. Et puis ça évitera une attaque à Bria.
En regardant l'employée, je réponds:
-Je l'ai entendu demander si j'avais du poison. J'espère bien qu'elle en fera une d'attaque.
Zy rit et je le suis dans les galeries.
Une fois sortie des galeries immersives des moments après, je me retiens de sourire. Je crois que c'est l'endroit le plus beau dans lequel j'ai été. Il n'y avait pas ça dans mes simulations de parc d'attractions. J'ai vu en vrai ce à quoi ressemblaient ces créatures. Le requin qui me fixait c'était le mieux, même si la vitre était teintée j'avais l'impression qu'il me voyait. J'avais l'impression d'être sous l'eau.
Justement, je reporte mon attention sur Ena. Elle me montre du doigt un endroit qui n'a pas l'air très lointain. Aelia dit:
-T'es sûre qu'on devrait lui dire pour ça?
Ena répond:
-Elle a presque tout vu de toute façon non? C'est pas loin donc autant y aller.
Quand on est devant une des parois immenses de la cité, je devine des galeries commençant plus loin. Dans l'une je vois même la lumière de l'autre côté. Soudain, Exxio qui vient d'arriver en moto dit énervé à Ena:
-C'est quoi, ces conneries? Je vous ai dit de la surveiller. Pas de lui faire faire le tour...pour qu'elle se fasse un putain de plan d'attaque!
Ena lance un regard noir à Aelia qui se défend:
-C'est pas moi. Je crois que Segia, qui nous regardait, a dû entendre ta bonne idée.
Ena se plaint:
-J'arrive pas à croire ça, on balance jamais normalement.
Zy répond:
-Normalement, elle est pas là.
Je soupire et à ma surprise c'est Aelia qui dit:
-Elle fera rien Exxio.
Surpris comme nous Exxio la regarde et elle continue:
-Je le sens.
Exxio se baisse vers elle et lui dit de sa voix basse:
-Tu vas la sentir si ces trucs en métal débarquent ici.
Je reporte mon regard sur la galerie pour ignorer leur dispute inutile. En me faisant sursauter Exxio me crie de sa voix très grave:
-Daëri!
Je le regarde et ses sourcils noirs épais sont toujours froncés. Il menace:
-Je te tuerais moi-même si la cité se fait envahir. J'espère bien que tu me comprends.
Je hoche la tête et il me montre la galerie avant de dire:
-Ça, puisque tu veux savoir, c'est l'eau, si tu la fous en l'air on te noie. Non, s'il arrive le moindre truc à l'eau on cherchera pas de coupable, on va te noyer.
J'écarquille les yeux. Je pensais qu'il y avait une justice ici. Sur ce, il s'en va sous nos regards abasourdis.
En rentrant, on passe devant une porte blindée et je regarde Ena qui me dit:
-C'est le centre de communication.
Zy ajoute:
-T'iras jamais là-bas.
Aelia ajoute:
-Tentes pas.
Savoir que c'est là, maintenant c'est tellement plus frustrant que de ne pas le savoir.
Aujourd'hui, ce truc m'a réveillé que super tard. Sûrement parce que je suis rentrée tard. Ena m'a poussé à passer la fin de la journée, à faire le tour des moindres recoins de la cité, petits parcs inclus. Ce n'était pas au point de m'épuiser, mais j'ai choisi de rester assise à lire pour calmer mes pensées. Je l'ai fait si tard que mon corps ne m'a pas réveillée ce matin. Cette chose doit être réglée sur mon rythme, à mes dépens.
En sortant, je me demande si on ne va pas me virer de mon travail. Ah oui c'est le jour où les supérieurs font leur réunion, avec une inspection de l'endroit. Apparemment il y a beaucoup de jours comme ça où on restera payé pour ne pas se pointer. Moi ça m'arrange pas. La seule raison pour laquelle je me soucie de ce fichu travail, c'est parce que c'est le seul truc qui m'empêche de devenir folle. Avec Edmond Dantès et son comte de Monte-Cristo. Je sursaute en voyant du mouvement à ma droite. C'est vers les failles sombres dans les parois rocheuses près de nos baraques. Failles où je pensais qu'il n'y avait rien et dans lesquelles je n'ai toujours pas osé m'aventurer. Pourtant j'avais acheté une lampe de poche.
À ma surprise, un groupe de gardiens sort des failles. Un autre groupe que je viens de repérer, venant du quartier général, les rejoint avec enthousiasme. Des retrouvailles. Je rentre à nouveau chez moi. Je suis trop blasée pour tenter de comprendre. Mon bipper sonne. Il n'y a que Moya qui a mon numéro. Elle me veut quoi un samedi? J'appuie sur le bouton et me fais agresser par la voix d'Ena hurlant:
-Daëri, on a survécu tous les cinq! T'es où?!
La voix de Zy chantonne:
-On va dans la fleur!
Survécu? La surface. Ils étaient dehors. Papa!
Après un moment d'hésitation anormalement long, je ressors. Je les cherche du regard qui se pose au milieu de l'herbe beaucoup plus loin. Le coin où sont les cottoncair. Les sièges tournants rembourés, une autre invention des rebelles. Ils sont comme une fleur qui se ferme, mais à l'intérieur c'est doux partout, comme du cotton. J'y suis allée une fois et j'ai bien aimé. Mais le fait que j'ai dû tomber sur deux sièges occupés avant d'en trouver un vide m'a bien refroidi. Ils devraient mettre des indicateurs pour dire que c'est occupé. Au moins je suis tombée sur personne en pleine activité salace...bizarrement. Je suis pourtant sûre que beaucoup de ces boules d'impulsions sur pattes, n'auraient pas hésité. Il y a peut-être des caméras ou un système? Bref.
J'enlève mes chaussures puis me lance prête à créer le malaise en tombant sur des inconnus. Je devrais peut-être être le génie que je suis et leur suggérer de numéroter ces foutus trucs. Non, qu'ils continuent de souffrir de leur débilité...et moi aussi. J'approche le premier cottoncair et les sièges flottants s'arrêtent tous pour me laisser entrer. J'écarte une des parois durcies à l'extérieur. Je tombe sur des visages familiers, au soulagement de mon corps qui va éviter la gêne automatique. Sous quelques sourires je m'enfonce dans la douceur avant lâcher un bref:
-Salut.
Ena a son regard nuit qui s'ouvre un peu plus d'excitation, parce qu'elle a survécu je suppose. Elle commence:
-On...
Sous les regards des autres, elle se tait et dit:
-Rien.
Je remets mon propre regard au repos sous les sourires moqueurs de Zy et Atmos. Eux aussi ils sont toujours entiers aussi on dirait. Ils sont même tous propres. Blade, lui, a un sourire en coin. Il plisse son regard qui contraste avec le cotton blanc de notre siège-cocon. De sa voix vibrante et posée il m'informe:
-Oh et en fait ils te cherchent toujours pas.
Je repousse mes doutes, mais mon cœur s'enfonce dans l'obscurité. Malgré tout, je réplique:
-Eh bien c'est bien que vous soyez tous revenus, je crois? Enfin pas comme la dernière fois. Vous vous souvenez? L'escadron? Il a dû y avoir des gens qui ont pris un autre chemin, je suis sûre. Vers l'infini et l'au-delà!
Blade m'attrape et je lui donne rapidement un coup de genou, le faisant me lâcher puis un coup de pied qui le fait basculer vers l'arrière. Il s'écrase sur un côté matelassé et duveteux, de ce qui est devenu notre ring. Remonté, il se dirige à nouveau vers moi. Malgré le manque d'espace il veut faire ça là? Rapidement les autres le retiennent. Ena me demande surprise:
-Comment t'as fait? On t'a vraiment appris à...
Je réplique:
-À rien du tout.
La cottoncair s'ouvre et Blade s'éloigne, ou plutôt se fait éloigner en me criant:
-Je vais te casser la gueule! Attends juste que je t'attrape!
Ça devient habituel. Je me retiens de rire tandis qu'Aelia me dit:
-Tu l'as vraiment énervé.
Je réponds:
-Super.
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