Chapitre 1

Il y a 11 ans, 14 ans après le début de La Brûlure.

Un jour, le lait s'est transformé en sang, les récoltes ont presque disparu et les tempêtes se sont faites plus nombreuses, emportant de pauvres malheureux. Selon Nyx, une IA dont l'âge s'est perdu, la venue des mutants était responsable de la colère de Dieu et, pour y remédier, il fallait les faire disparaître dès leur naissance. La peur a poussé les gens à s'y plier. Du moment que c'est une minorité, du moment que ce n'est pas eux, ils préfèrent tourner la tête, à bout et épuisés par toutes ces catastrophes. Au début, on disait qu'on les endormait, qu'ils ne sentaient rien. Mais la vérité était plus sombre et moins coûteuse. On pouvait le sentir dans l'air. Ça a duré des années, mais ils avaient toujours du mal à s'habituer à cet air. Tous les mutants étaient reconnaissables par la tache de naissance en forme de croissant de lune sur une partie de leur peau.

Daëri, 7 ans.

Je suis née vers la fin de La Brûlure, "Le nettoyage", "Le sauvetage de l'humanité". Peu importe comment ils appellent ça. En vérité, ils ont brûlé des nouveau-nés parce qu'ils étaient nés avec une tache de naissance, signe de leurs mutations. Maintenant, ils naissent de moins en moins. Presque plus. On dit que La Brûlure a réussi à effrayer les entrailles des femmes. Ils étaient censés être plus doués que nous donc on les a exterminés.

C'est ce que j'ai compris des messes basses que j'écoute sans cesse depuis petite par ces hommes, qui parlent comme des pies, racontaient à ma mère en se rhabillant. Avant que je devienne assez grande pour que ce soit à moi de...
Depuis ma naissance, on ne cache plus grand-chose à la population. Du moins c'est l'impression, d'après ce que chuchotaient les plus vieux du bar où ma mère me forçait à attendre.

D'après ce que j'ai compris, les informations les plus sombres sur ce qu'il se passe dans ce monde, sont plus comme un subtil murmure. On comprend très bien un murmure. Beaucoup de ceux-là sur Nyx nous font savoir ce que l'on nous fera si on le force à crier.

Nyx ne veut pas nous faire de mal, donc ne le forçons pas à nous faire des choses inimaginables. Merci "Maman" pour m'avoir montré le premier exemple de ce genre de dynamique auquel j'ai pu comparer l'idée.

Je rate souvent les cours depuis que j'ai commencé cette saleté, mais je suis maligne apparemment. Je comprends trop de choses, malheureusement. Tout comme mon cerveau a compris et appris à s'échapper pour éviter ces moments. Je m'en vais, je suis bonne à m'en aller quand ils m'attaquent ou que ma mémoire ressurface.
Quand les souvenirs m'assaillent, je la sens, la douleur, partout. Comme ces hommes et parfois même elle, qui m'ont entourée et fait du mal pour que j'obéisse. Pour que je fasse ces choses dégoûtantes.

Mais depuis que mon cerveau a appris à le faire, je m'échappe. J'ignore tout quand j'arrive dans ce lieu, un champ. Je n'en ai jamais vu un vrai, mais de toutes les façons mon champ est blanc, blanc comme un nuage, comme des meringues, comme le lait. Il contraste avec mon teint brun tentant de rejoindre l'onyx. Je me roule dedans et m'endors jusqu'à ce que ce soit fini. Là-dedans, le bruit extérieur n'a plus d'importance, le toucher ni le reste non plus. Daëri n'est plus là. Seul mon corps agit, comme un cadavre. Ces monstres ne pouvaient plus avoir que cela, pas ma présence, pas moi.

Malgré tout, j'ai aussi compris que c'était fini, je devais arrêter de subir ça. Je ne veux plus réfléchir aux retombées, je ne veux plus ressentir, je veux rester dans mon champ. Pour toujours. Je sors de mes pensées, qui se bousculaient pendant que je marchais. On dirait que je saigne moins du nez. Mais mes larmes qui coulent depuis ma dernière raclée, d'un autre cinglé, me brouillent toujours la vue. Malgré tout je continue de descendre les marches lisses de la rue en pente. Dans cet endroit où j'ai grandi, des maisons ont poussé sur la végétation qui apparemment commençait à revenir vers ma naissance.

Dans ces rues sombres, j'entends des rires venant des fenêtres tandis que mes pieds arpentent les lieux où je courais pour échapper aux enfants du quartier. Ils se moquent de moi à cause de ce que je fais, ce qui m'arrive. Je ne veux pas imaginer ce que leurs parents, qui auraient dû me sauver, leur disent pour expliquer cette abomination. Je crois que ce mot correspond. Oui, je me souviens de la définition. Je crois qu'il est bon. Je dois en finir, je n'en peux plus. Je vais mourir maintenant, à 7 ans. J'ai déjà appris plus de choses que beaucoup en peu de temps, j'ai eu des pensées plus poussées aussi. Des pensées qui ne serviront pas. Éphémère. C'est le bon mot.

Dans ce monde en fait horrible, on a créé toutes sortes d'implants, pilules et autres. On a même rendu la stérilisation gratuite après avoir constaté le nombre de femmes qui tuaient leurs bébés. Mais elle m'a eue. Sûrement pour être payée plus par l'état et le reste...ce qu'elle me force à faire. Est-ce qu'elle l'avait prévu? C'est encore pire que de ne pas naître. Ma maîtresse d'école voulait absolument m'emmener dans ce centre pour surdoués. Ma vie aurait pu changer. Mais quand n'importe qui peut prendre des décisions pour vous, on se retrouve ici. Avec la bibliothèque locale pour vous élever, là, comme une petite flamme dans l'obscurité, en dépit des tentatives de sabotage de celle qui est censée vous aimer. Je grimace à cause de la douleur dans mes côtes, mais déterminée, je ramasse une pierre de taille moyenne. Je pourrais y arriver avec mes deux mains.

Un des drones, qui se baladent dans les rues comme des chats indifférents mais bien là pour nous surveiller, passe. Indifférents mais prêts à riposter si on les provoque. Je les ai vus tirer une fois. Un large disque lumineux avec un faisceau bleuté passe. Un drone. Je lance la pierre qu'il esquive, j'en prends une autre et la jette. Il l'esquive aussi avant d'émettre de sa voix non naturelle un:
-Avertissement

J'espère bien qu'il ne m'épargnera pas à cause de mon âge. Non, pas avec la façon dont a fini le gosse des Higgs. Je prends une nouvelle pierre plus petite et l'atteins. Mon cœur bat de plus en plus vite à l'instant où le drone s'immobilise devant moi. Il émet maintenant du rouge. Je n'arrive plus à respirer. On n'est jamais prêt à ça, surtout à 7 ans. Surdouée ou pas.

Je vois le faisceau rouge et, d'après sa direction, je sais que le point laser est pile sur ma tête. C'est le moment, le moment où l'on choisit si on va vivre ou non, quand on a le choix. Je ferme les yeux, serre ma dernière pierre, les rouvre et la lance de toutes mes forces. Je referme instantanément les yeux. Pourtant la lumière essayant de traverser mes paupières n'est pas mon champ blanc, et j'y vois encore moins les yeux ouverts.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top