1.

Mais qu'avait-t'il bien pu me passer par la tête ? Pourquoi n'avais-je donc pas décliné cette proposition de vacances ?

Quelques semaines plus tôt j'avais été informée par courrier de ce voyage qu'on m'offrait "tous frais payés". Sans plus tergiverser, ma colocataire et meilleure amie s'était empressée de répondre à cette proposition par l'affirmative.

"- Ça te fera du bien." m'avait-t'elle dit. Et toute ahurie que j'étais, encore sous le choc d'avoir reçu une lettre - À moi ? Vraiment ? - je n'avais pas protesté plus que cela.

Les réveils s'étaient enchaînés, j'avais chaque jour usé un peu plus l'assise des bancs de la fac. Ma vie monotone d'étudiante se pousuivait : mon réveil avait reçu quelques insultes de plus, un nouveau tas d'habits sales s'était installé sur ma chaise de bureau et deux nouveaux paquets de penne vides s'étaient retrouvés au fond de ma poubelle.

J'avais eu le temps de perdre deux fois mes clefs avant de pleinement réaliser ce que ces vacances représentaient. Un saut de deux semaines vers une destination méconnue, seule et sans aucun proche pour m'appuyer.

Impossible, je ne peux pas.

Demander son chemin à un inconnu est une épreuve pour moi. M'avancer, sans garantie de la bonne volonté de la personne en face de moi, faire un pas de côté et gêner son chemin afin de pouvoir lui adresser la parole, croiser ses yeux et ne pas baisser le regard pour capter son attention, ouvrir la bouche et laisser échapper quelques mots, une simple phrase puis repartir, avec ou sans réponse, sans oublier le "merci et bonne journée", avant de saluer d'un signe de tête l'inconnu qui vient de t'orienter.

Rien de plus facile n'est-ce pas ?

Mais je ne m'en sens pas capable. Je ne sais pas me sociabiliser. Je fuis les nouvelles rencontres, je suis une véritable adepte des sweats trop grands à la capuche rabattue devant mes yeux. Je ne supporterai pas ces quinze jours de voyage, aussi généreux que soit mon donateur.

La seule amie que j'ai est ma colocataire et au départ, je ne l'ai choisie que pour des aspects logistiques : la localisation de l'appartement et le montant du loyer. Les affinités qui ont pu se créer depuis mon emménagement chez elle ne sont que secondaires. Diviser les repas et les corvées vaisselle, faire les trajets ensemble, partager les mêmes galères de chaudière ou d'électricité... Malgré tout ça rapproche et nos quelques sourires timides ont laissé places à force clins d'oeil et éclats de rires.

Tout ceci pour vous dire que j'étais dans l'incapacité de survivre à cette quinzaine de vacances. Mon été avait déjà été prévu depuis des années : je passais ces deux premières semaines de juillet à la campagne, dans la maison secondaire de mes parents. Et comme chaque été depuis bien longtemps déjà, mes journées se découpaient entre lecture, lecture et lecture. Mes grands-parents, oncles, tantes et cousins venaient passer quelques jours au domaine emplir leurs poumons d'air pur avant de remonter sur la capitale peu de temps après.

Je passais ainsi la majeure partie de mon temps seule, décompressant de la folie de la fac et des courses contre la montre quotidiennes. Cet isolement ne me touchait pas. Ma vie se déroulait entre les pages de mes livres et cette existence par procuration me satisfaisait pleinement.

N'ayant pas le courage de faire les démarches annulant ces vacances imprévues, - les échanges téléphoniques interminables avec un inconnu (homme ou automate !) au bout du fil, très peu pour moi - je me retrouvais dans un superbe hôtel de la côte atlantique.

J'avais hésité en me présentant à la réception, mais après avoir décliné mon identité et fourni mon formulaire complété par Constance, ma colocataire, tout s'était déroulé sans accroc. J'avais quitté la réception d'un pas neutre, emprunté l'ascenceur et trouvé mon numéro de chambre sans que personne ne m'en ait empêché.

Je ne m'étais pas faite remarquer et nul ne m'avait questionnée sur les raisons de ma présence dans cet édifice.
J'aurais d'ailleurs été bien en peine de répondre, ignorant l'identité de mon hôte et le motif de ma venue.

En entrant pour la première fois dans la pièce qui allait me servir de refuge durant ces deux semaines, je restai béate d'admiration. Les murs étaient décorés avec goût et la lumière entrait à flot dans la pièce. Une immense baie vitrée occupait la paroi du fond et les voilages qui l'aggrémentaient donnaient à la luminosité une teinte cuivrée.
La taille du lit me paraissait invraisemblable et la multitude de coussins disposés çà et là m'avait d'ores et déjà conquise. Une plante grimpante était entortillée autour d'un luminaire et une orchidée trônait sur le bureau.
Paisible, lumineuse, agréable, cette chambre venait de faire voler mes appréhensions en éclats. Je m'y sentais étrangement à ma place.

La pièce était splendide et je ne me lassai de la vue du balcon sur les vagues, le ressac et les motifs de l'écume sur l'océan ; mais sans livre à dévorer et sans présence à mes côtés, les heures défilaient avec une lenteur irrésistible. En effet, après l'indéniable beauté de cet espace, le vide qui caractérisait cette chambre m'avait frappé, et mes premiers jours sur la côte me paraissaient bien longs.

J'avais tiré puis réouvert les rideaux et j'avais arrosé l'orchidée. J'avais plié les draps du lit et testé l'ensemble des échantillons de savons, gel douche et autres soins pour le corps.
Avec pour seul contact humain le room service et comme unique passe-temps les longs bains dans la magnifique salle d'eau attenante à ma chambre, la vie dans l'hôtel m'ennuyait.

Ce furent des garçons qui me tirèrent de mon désoeuvrement, sans même qu'ils en soient conscients.
La première fois, des rires portés par le vent me firent m'approcher, puis plus tard leur vitalité, le sourire sur leur visage et la chaleur qui se dégageait de leur personne m'apprivoisèrent.

Ils étaient peut être cinq ou six, la peau dorée par le soleil. Bruns ou blonds, certains plus petits, d'autres plus musclés et ils ne tenaient pas en place.
Ils avaient fait du carré de sable sous mon balcon leur quartier général.

Et moi, pour tromper mon ennui, je les observais. De derrière ma fenêtre pour commencer, puis je m'étais aventurée directement sur mon balcon.
Volley, foot, surf, baignade, que ce soit pleine mer ou marée basse ils étaient là. De vrais gamins d'une vingtaine d'années qui profitaient de leurs vacances.

Ils m'avaient conquise sans même m'avoir rencontrée. Mais eux, plus que l'océan, plus que le sable doux ou que le soleil de plomb m'avaient décidé à m'aventurer sur la plage.

J'avais précédemment pris un livre au hasard dans la bibliothèque de l'hôtel. En effet, peu importe le nombre de personnes présentes sur la plage, un roman constituait pour moi la meilleure barrière face au monde. On n'invite pas une fille qui lit paisiblement à jouer au volley ou aux raquettes. On n'éclabousse pas une fille en pleine lecture et on n'adresse certainement pas la parole à une personne un bouquin dans les mains. Un livre est un refuge, une protection, un obstacle dressé face à l'univers exterieur.

Ces derniers jours, j'avais évolué dans un climat hostile, bien loin de ma petite routine et des mes habitudes quotidiennes. Malgré moi, j'avais été projetée dans un hôtel donc la somptuosité n'avait d'égale que l'immensité, dans une région magnifique mais que je ne connaissais pas et, excepté ma colocataire, personne ne savait que je ne logeais plus dans mon appart d'étudiante.

Alors ce livre représentait pour moi un lien, ténu certes, mais un lien tout de même avec mon quotidien rassurant qui me manquait tant. Ce roman était la condition sine qua none de ma présence sur la plage.

Les cinq ou six gars m'avaient belle et bien attirée, mais je comptais y aller étape par étape. La première était de me poser sur le sable. Plus tard, peut être, le moment de faire leur rencontre arriverait. Mais trop d'angoisse et d'appréhension vivaient encore dans mon corps, et cet infime geste signifiait déjà énormément pour moi, habituée à ma solitude.

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