Chapitre 9
-Comment avez-vous trouvé cet endroit ?
Son interrogation est courte et simple, simple à comprendre, simple à y répondre. Et pourtant, me voilà, qui recule encore et qui ouvre la bouche, balbutie, rougis, tousse, fixe mes mains et mes jupes, cherche une excuse pour m'enfuir et m'échapper et n'en trouvant aucune, reste clouée sur place comme une parfaite imbécile. Je relève le regard, humiliée par ma propre lâcheté et souhaitant être plus forte, plus brave, souhaitant pouvoir répondre clairement et que ma voix enrouillée cesse d'être aussi faible. Alors je ramasse, cherche toutes les forces qui se trouvent en moi et les ramasse, déglutis, arrive enfin à formuler quelque chose.
-C'est Happy... Il est sorti de ma chambre tellement vite que ça m'a surpris ; alors je l'ai suivi.
Je me redresse, lève le menton dans un mouvement de vague courage, tout en songeant que j'en avais marre, de toujours ressentir cette peur, cette peur de dire, de faire et le fixe, le regarde, lui, le monstre, attends à ce qu'il se déclare, à ce qu'il dise quelque chose, attends cet homme-bête, dont les yeux brillent d'un éclat doré, qui garde cette pose qui se veut sans doute nonchalante, avec une main dans ses cheveux et une autre posée sur un livre encore ouvert. Et tout d'un coup, lui, il plisse ses yeux et m'observe, semble réfléchir ou analyser mes paroles, se demandant sans doute combien de vérité ais-je mit dans ces mots. Il laisse tomber son masque de nonchalance et s'avance vers moi en abordant une expression décidée, me transperçant avec ses yeux dorés.
Et moi je suffoque. Je tremble. La peur m'empoigne le ventre et mon cœur me crie de reculer, de bouger, de faire quelque chose, d'arrêter d'être une idiote et de me sauver.
-Faites attention...ce sont des vieux livres..., murmura-t-il d'un seul coup, se baissant lentement et ramassant un ouvrage gisant par terre, ouvrage sur lequel j'avais sans doute marché, en entrant dans la pièce.
Un soupir s'échappa de ma bouche et soudain, cette pression qui me retenait, cette peur qui me suffoquait s'évapora et me laissa ainsi, un peu plus confiante, un peu moins inquiète, un peu plus détachée.
-Désolée, dis-je, doucement, alors que Natsu se levait en gardant les yeux baissés sur la couverture éraflée du livre.
Il eut un mouvement d'hésitation, me jetant un rapide coup d'œil, m'analysant brièvement avant de regarder, encore, les murs si grands et si remplis d'ouvrages tellement anciens, que des générations et des générations de personnes toutes plus belles, plus fortes ou plus intelligentes les unes que les autres aivaient dû écrire. J'osais à peine imaginer tout le temps qu'ont dû passer ces inconnus ici, à écrire, à raconter, à imaginer, à se confesser, et, accompagnant cette vague pensée, un sentiment d'excitation naquit dans mon ventre. Soudain, j'avais envie de lire, de connaître, de comprendre, de savoir. La curiosité, aussi terrible que la soif m'empoigna et refusa de me quitter, refusa de lâcher prise sur mon esprit qui ne cessait de regarder les étagères, la table, la bougie, Happy et enfin Natsu.
Natsu qui, pendant tout le temps que j'avais passé à m'émerveiller, m'avait regardé. Me voyant lever les yeux, il détourna son regard ambré, fixa un mur ou le sol, se racla la gorge, sans doute gêné ou honteux, embarrassé.
-Aimez-vous lire ?
Sa voix était douce et profonde, remplie d'une curiosité qui pouvait sans doute égaler la mienne, alors qu'il se tournait de nouveau vers moi.
-Oui, beaucoup.
Je fus étonnée par la fragilité de mon souffle, tandis que je gardais les yeux rivés sur mes pieds, le cœur serré par l'horrible attente d'une réponse, dans l'espoir fou et fatal d'une proposition, de quelque chose, quelque chose que moi-même je ne saisissais pas tout à fait.
-Alors, si vous le souhaitez, bien évidemment, vous pouvez venir ici et lire tout ce que vous voulez, autant que vous voulez.
Il eut un bref sourire embarrassé, rempli d'incertitude et d'une certaine forme d'inquiétude, un sourire tellement adorable et surprenant, incroyablement gentil que je ne pus m'empêcher de le lui rendre.
C'est ainsi que je pris la décision de rester, de lire, d'étudier le moindre livre de la bibliothèque souterraine. C'est ainsi que je passais ma nuit, puis la journée suivante, et encore celle qui suit, incapable de me détacher, incapable de lâcher prise, habitée par la curiosité qui me dévorait, essayant de trouver des réponses quant à ma présence aux côtés du demi-dragon, ce que j'étais sensée faire, quel lien avait le conte bleu dans cette histoire et surtout, qu'était-il arrivé à sa dernière page. Assise par terre, ou sur une chaise qu'on avait pris le soin de m'apporter, accoudée à la vieille table et soufflant de frustration lorsque la flamme faible et mince de la bougie s'éteignait. Et lorsqu'il ne restât de ce vieil bâtonnet de cire qu'une flaque jaunâtre et liquide, il fallut la changer, aller en chercher une autre dans le marché du village le plus proche, celui qui se trouvait à une centaine de kilomètre de ma nouvelle demeure.
L'envie d'y aller moi-même, rien que pour voir le village, pour voir d'autres visages, pour entendre d'autres voix et pour cette sensation formidable qu'était l'appartenance à un certain groupe de personnes.
Je ne m'étais pas encore rendue compte à quel point cela me manquait, de mener une vie ''normale'' et faire cela, aller au marché du village le plus proche s'apparentait le plus à ce que la plupart du monde dit normal faisait.
Ce fut Jubia qui s'était portée volontaire de m'accompagner, heureuse et désireuse de quitter pendant quelques heures les environs qu'elle jugeait trop «ennuyants». On prépara donc les chevaux, deux grands chevaux bruns d'allure simplette, si on les comparait à ceux que j'avais l'habitude de voir au château, en général.
Natsu vint aussi, muni d'une grande cape noire dont la capuche cachait la totalité, ou presque, de son visage.
-Comme s'est inhabituel !, s'était exclamée Jubia en écarquillant ses grands yeux bleus. Tu n'as pas pour habitude de sortir faire les courses ! Puis-je te demander le pourquoi de cette étrange décision ?
Elle susurra, rapprochant son corps de l'homme-dragon, levant ses mains comme pour le toucher, et le fixant, un sourire amusé peint sur ses lèvres.
-Y-a-t-il un rapport avec notre mignonne petite princesse ici présente ? T'inquiètes-tu pour elle ?
-Cela ne te regarde guère, Jubia, rétorqua-t-il, le ton froid, sévère, en se tournant vers le paysage enneigé que nous dévoilait la fenêtre.
-Tu t'attaches trop vite, mon cher.
Elle souffle ces mots d'un ton détaché, avant de finalement s'écarter et de s'éloigner, le visage soudainement sombre et grave malgré le sourire qu'elle se force de garder, levant le regard vers moi et soupirant.
-Tu sais très bien que tu finiras par souffrir, Natsu.
Lui, le principal intéressé de cette discussion se contentait de tout simplement ne rien dire, concentré sur ce que ses yeux dorés voyaient ou plongé dans des profondes réflexions. Il gardait son air sérieux, grave, ou tout simplement las, gardait sa main posée fermement sous menton pour soutenir son visage, adossé contre la vitre, dans une pose qu'il voulait être détaché.
Le reste du parcours se passa en silence, dans un profond silence rempli de malaise, un silence inconfortable que j'aurais aimé pouvoir rompre, mais ne sachant comment, je préférais garder mon attention sur mes mains soudées ensembles. Un soupir s'échappa du fin fond de ma gorge, un soupir profond qui témoignait de mon impuissance face à cette situation tendue et désagréable, cette atmosphère que des mots hasardeux et lancés à la légère ont rendue glaciale. Après avoir passé un certain temps ainsi, tendue et piégée dans les fils épais et invisibles du silence indestructible, je me résolus à abandonner et à imiter la pose de mes deux camarades qui semblait lutter contre cette tension par sa nonchalance.
Les chevaux coururent pendant un temps infini, un temps si long que mon ennui ne faisait qu'empirer. Puis, enfin, ils semblèrent ralentir, mais tellement doucement, presque imperceptiblement que j'eus l'impression que le temps s'étirait, et que tout se passait au ralentit, tandis que les arbres que je voyais défiler derrière ma vitre se raréfiaient, se raréfiaient tellement que plus qu'une poignée d'entre eux ne restait dressée là afin de braver le froid, nous nous arrêtâmes.
-Enfin arrivés !, s'exclama la jeune nymphe en sautant à terre et en tendant ses bras vers le ciel.
Sans un seul mot, Natsu descendit à son tour et se tourna vers moi, m'offrit sa main pour m'aider à quitter notre carrosse. Me voyant hésiter, fixer son gant noir en fronçant les sourcils comme si j'étais confrontée à des profondes réflexions, il finit par l'empoigner, la prendre brusquement mais en la serrant à peine, comme s'il avait peur de me blesser, de me briser.
Le remerciant d'un bref signe de tête, le regardant à peine, préférant fixer les maisons en pierre qui commençaient à se dessiner à quelques mètres de nous, les personnes qui marchaient, tellement insouciantes, tellement innocentes, les mères qui allaient faire leurs courses, qui parlaient aux vieilles femmes et aux hommes vendant des poissons ou des fruits, les enfants qui couraient partout en criant, en se poussant et en se frappant, sourds aux cris inquiets de leurs mères et aux protestations de ceux qui se faisaient bousculer.
Nous nous mimes en marche, nous approchâmes de plus en plus du village, du marché, du monde normal et à chaque pas décidé que nous faisions, à chaque mot qui venait se joindre dans le brouhaha immense que créait toute ce beau monde, mon cœur, ma poitrine se remplissait d'une nostalgie bouleversante, d'un manque indescriptible et d'une joie sans bornes. Le cœur serré, je tournais la tête, regardais à gauche, à droite, devant, derrière, en haut, voulant enregistrer chaque parcelle de ce village dans ma mémoire. Des larmes, résultats de tous les sentiments qui ne cessaient de s'agglutiner au fond de moi, montèrent et je répondis d'un sourire à une question inquiète de Juvia, question que j'entendis à peine.
Tout d'un coup, je me mis à penser à Lisanna, au roi, qui fut comme un père pour moi. Je me mis à regretter la vie que je menais avant, à regretter la simplicité de ce futur qui aurait dû être mien. Je me mis à en vouloir à celle que je considérais comme ma sœur, à lui en vouloir tellement, tellement que je finis par me détester. Détester ce sentiment de regret et de colère, de revanche, d'amertume qui prenait place si confortablement quelque part dans mon esprit, parce qu'après tout, c'était moi, moi et moi seule qui avait choisi ce chemin.
Je ne voulais pas passer le restant de ma vie à chercher un coupable, à rêver de cette vie que je ne connaîtrais pas, de cet avenir que je n'aurais pas.
Je baissais la tête, pressais mes lèvres ensembles, me mis à trembler doucement.
Finalement, venir ici n'était pas une très bonne idée.
Soudain, un bruit sourd se fit entendre.
Me tournant dans un mouvement rapide et faisant un bond en arrière, manquant d'oxygène et prenant le temps d'écarquiller les yeux, je vis un enfant qui, trop pressé de rattraper son ami, s'était cogné, avec une force incroyable, sans doute le résultat d'une course effrénée, contre Natsu. Et, comme si toute cette scène était tissée avec les fils argentés et invisibles d'un rêve impassible, avec une lenteur disproportionnée, l'homme dragon recula, faillit perdre son équilibre, et sa capuche le laissa tomber, dévoilant son visage au monde entier.
La réaction des villageois ne se fit pas attendre; des cris, des hurlements stridents, déchirants commençaient à s'élever, des mères inquiètes ramassaient leurs enfants, laissaient tomber leurs courses et s'empressaient de se cacher ou de s'engouffrer dans une quelconque maison. Des marchands se cachèrent derrière leur marchandise, pleurant et criant, terrifiés, suppliant l'homme au visage de monstre à les épargner.
-M...monstre..., murmurait le petit garçon en reculant, des larmes perlant aux coins de ses yeux et en fixant Natsu avec leurs grands yeux écarquillés.
Il tremblait, tremblait tellement qu'il eut du mal à marcher, à rester debout et à fuir, eut besoin que son père, inquiet et terrifié, vienne l'empoigner par la main et le tirer vers une maison, le mettant en sécurité.
En quelques secondes à peine, les rues sales et vieilles du village devinrent vides, et pas une seule âme qui vive n'osait les approcher. Plus personnes, pas même un chat ni un chien ne les arpentait, et ce village aux allures festives et colorées, ce village rempli d'un monde entier n'était plus qu'un fantôme.
Natsu serra les poings.
Il trembla, serra les dents et ferma les yeux, semblait en colère, ou triste, impuissant ou dégouté face à ce genre de situation. Il resta ainsi, le visage vissé sur le sol, comme s'il n'osait se tournait vers personne ou qu'il avait trop peur de nous regarder et de lire une quelconque trace de terreur dans notre regard. Puis il sembla se calmer.
Il remit sa capuche et serra ses mains, les cacha dans les poches de sa cape et, telle une ombre furtive et solitaire, s'engouffra dans les ruelles désertes du village fantôme.
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