Chapitre 8
Chapitre 8
« Ses amis n'eurent point le temps de répliquer quoi que ce soit, ils n'eurent même pas le temps de se regarder ou de cligner des yeux, et encore moins déglutir de nervosité, que déjà la terre s'ouvrit sous leurs pieds dans un grand cri horrible et ils se retrouvèrent en train de tomber, de tomber et de tomber. Ils hurlèrent, supplièrent, appelèrent à l'aide de toutes leurs maigres forces, mais en vain. Leur chute terrible dura pendant quelques secondes, secondes qui leur parurent se transformer en minutes ou en heures. Mais bientôt, ils atteignirent le sol, s'écrasèrent contre la terre noire et humide et se retrouvèrent aspergés.
Aspergés du sang de leurs victimes, qui avaient dégringolées avec eux.
Un premier cri survint alors.
Puis un deuxième. Et un troisième. Des cris horribles commencèrent à déchirer leur gorge lentement, transpercèrent le silence glacial qui s'était installé. Mais tandis que ces cinq pauvres, ignorants aventuriers peignaient à comprendre ce qu'il se passait, tandis qu'ils prenaient peu à peu conscience de la gravité de la situation, de l'impact de leurs actes, tandis qu'ils se tordaient de douleur et qu'ils fixaient avec incrédulité leur peau couverte d'un liquide foncé, le vieux dragon se redressa, gonfla son torse, paru d'un seul coup grandir de dix mètres, et gronda :
-Vous, humains stupides et vantards, superficiels et détestables, vous qui avez osé trahir l'hospitalité offerte par mon peuple, vous qui avez ri et insulté, teint de sang notre terre sacré, un sort terrible s'abattra sur vous. Oubliez votre vie d'avant, oubliez votre apparence humaine, parce que désormais, des cornes, des griffes, des ailes, des crocs, des écailles vont couvrir votre corps ! Telle sera votre punition ! Ni humains ni dragons vous ne serez ; pris au piège entre deux mondes vous serez !
Sur ces paroles amères, le chef du village s'écarta et s'éloigna, laissa derrière ses pas lourds un fossé où les cinq aventuriers étaient abandonnés à leur peur. Ils tremblèrent, regardèrent autour d'eux avec incrédulité la terre noircie, les cadavres desdits monstres, reniflèrent leur odeur âpre et tentèrent de s'enfuir, tentèrent de remonter et d'échapper aux regards vides de leurs victimes, à leur sang qui collait à leur peau. Ils étaient d'ailleurs tellement préoccupés, tellement obsédés par cette envie de fuir qu'ils ne se rendirent même pas compte des écailles qui commencèrent à se dessiner sur leurs bras, leurs jambes, leur cou et leur visage, ne remarquèrent pas les griffes qui apparurent, les crocs qui se formèrent. Ce n'est que lorsqu'une paire d'ailes commença à naître dans leur dos qu'ils se courbèrent, tombèrent, s'arc-boutèrent et crièrent, hurlèrent. Une douleur horrible, inimaginable s'empara d'eux, tellement grande qu'ils souhaitèrent à ce moment-là de mourir, qu'ils tentèrent, d'ailleurs, de mettre fin à leurs jours.
Cela dura une nuit entière.
Mais le matin fini par se lever, le soleil par réapparaître dans l'horizon et le monde par se réveiller, lentement et doucement, prêt à reprendre sa routine. Comme si de rien n'était, des enfants sortirent jouer, des mères au regard préoccupé allèrent au marché, bavardèrent avec leurs amies tandis que leurs maris peinaient à se lever.
Cependant, une dragonne, grande et vieille, aux traits fins et hautains, quelque peu majestueux, s'approcha du grand fossé, se pencha et parla aux corps inertes, méconnaissables des aventuriers :
-Partez, maintenant, et ne revenez jamais.
Des murmures incompréhensibles lui répondirent...»
Elle avait été arrachée.
Sortant de cet univers sombres et grotesque dans un sursaut, je réalisais que la page finale du petit livre manquait. Une brume d'incompréhension couvrant mes yeux, je continuais de fixer le livre ouvert sur mes genoux, contemplais l'image du fossé, relut les dernières lignes encore et encore et encore une fois. Le souffle coupé à chaque fois. L'envie d'en savoir plus me tordant le ventre et la colère de ne pas pouvoir satisfaire mes besoins me faisant pousser des longs soupirs de mécontentement. Agacée, frustrée, triste, curieuse j'étais. Serrant entre mes longs doigts cette avant dernière page, je fronçais les sourcils et tentais de comprendre. J'avais tellement, tellement, tellement envie d'en savoir plus. J'avais besoin d'en savoir plus, besoin de connaître le fin mot de cette histoire, besoin de savoir ce qu'il est advenu des cinq aventuriers, comment s'en ont-ils sortis, s'ils avaient pu défaire cette malédiction ou comment pourraient-ils défaire ce maléfice. Était-il seulement possible de trouver une solution heureuse à ce conte triste ?
Un soupir s'échappa de ma bouche.
Je desserrais ma prise et m'allongeais, rejetais le livre dans un geste ennuyé, telle une enfant qui boude parce qu'elle ne peut obtenir un jouet souhaité. Fixant le vieux plafond en laissant le temps et l'ennui grandir, glisser sur ma peau, m'empoigner et m'écraser contre ce vieux petit lit inconfortable, au matelas bien trop dur pour une personne comme moi, habituée au luxe et à la richesse, à la beauté et qui a gouté au bonheur de la vie facile, sans problèmes, parfaitement insouciante. Ça me manquait, me rendis-je compte tout d'un coup. Ça me manquait de me pavaner dans les grands couloirs du palais, ça me manquait de parler de tout et de rien, de rire et de danser avec la princesse Lisanna. Ça me manquait d'assister à ces bals, si grands et somptueux, aux milles et unes couleurs, d'écouter cette musique forte et douce qui faisait naitre en moi une sorte de bonheur incommensurable, de gouter à ces plats si somptueux et de voir toutes ces personnes si bien habillées, si souriantes et belles.
Je fermais les yeux.
Me revis encore une fois aux côtés de la princesse Lisanna, à mon dernier bal. C'était le jour de son anniversaire; elle célébrait ses dix-sept ans et toute la cour s'était rassemblée pour l'honorer. Le roi, assis sur le trône, m'avait fait venir près de lui. Il murmura une confidence sans me regarder une seule fois, ne pouvant ôter ses yeux de sa fille adorée, la regardant avec tant de fierté, tant de bonheur : «Lisanna est resplendissante ce soir. Regardez la danser ; elle n'a cessé de sourire pendant toute la soirée. Je ne voudrais pas que cela cesse, Lucy. Vous êtes sa dame de compagnie, sa meilleure amie. Vous devez tout faire pour protéger son rire, sa joie de vivre.
-Je vous promets de rester à ses côtés tant qu'elle aura besoin de moi, majesté.
-Vous savez, vous pouvez lui être très utile en restant loin d'elle également, Lucy.»
Il avait chuchoté cette dernière phrase en regardant toujours son enfant, toujours souriant et toujours aussi heureux, aussi fier. Cependant, sa mâchoire légèrement tendue m'indiqua quelque chose de sérieux dans ses propos. Quelque chose que je n'avais pas tout de suite saisi, n'ayant pas assez de savoir pour le faire.
Néanmoins, je ne pense pas qu'avoir compris ce que le roi complotait plus tôt aurait changé quoi que ce soit à ma situation.
Je sursautais, me relevais.
Quelque chose de rugueux vint se frotter contre me pied, me faisant frissonner et paniquer, regarder partout autour de moi avec mes grands yeux écarquillés et, posant une main glacée sur ma poitrine essoufflée, chercher un éventuel intrus à l'intérieur de ma petite chambre.
Un éclair bleu sorti d'en dessous mon lit, se précipita vers la porte et se cogna contre le bois sombre, lâchant un grognement de frustration et une sardine argentée. Happy le petit dragon fit demi-tour, me regarda et renifla, déploya ses ailes mais ne sembla pas vouloir s'envoler, ouvrant sa petite bouche à la place :
-Lissa ! Porte !
Encore perplexe et désorientée, je restais assise et fixais, bouche bée, émerveillée par cet animal mystique et fantastique, laissant des questions telles que '' comment connaît-il mon 'nom' ?'' ou '' comment est-il entré dans ma chambre ?'' partir sans chercher à les attraper et à y réfléchir. Je restais dans cette position-là, gardais ce sentiment-là de béatitude absolue pendant encore une bonne douzaine de secondes, ou peut-être même une longue minute avant de finalement me lever et de répondre à la demande du dragonnet.
À peine ouvris-je la porte qu'il se précipita dehors, dans le couloir, se cogna contre encore un mur avant de tendre ses ailes et de voler maladroitement et rapidement, brusquement, ses écailles bleues rependant aux alentours une tendre lumière bleutée. Il ressemblait à une fée, me dis-je en le regardant encore pendant quelques instants, le cerveau complétement bloqué et ne sachant quoi faire d'autre.
Puis je me mis à le suivre.
Je me mis à le suivre sans même savoir pourquoi, sans forcément chercher à comprendre pourquoi, laissant tout simplement mes jambes se déplacer et mes yeux fatigués me guider. Je le hélais deux fois, criant un pauvre petit '' Happy !'' qui résonnait dans la petite maison bien trop fort, et ce n'est que lorsque je le rattrapais, que je réalisais l'absurdité de la situation. Suivre un animal comme ça, en oubliant tout, prête à tout pour l'avoir, telle une gamine qui chercherait à attraper un papillon effrayé... je n'étais, après tout, plus une enfant ! Je devais songer à abandonner ces enfantillages qui ne me mèneraient certainement pas dans un bel endroit.
Happy frotta sa tête contre ma jupe, avant de se cabrer et de sauter, bondissant sur une vieille table et frôlant une bougie mourante. Il grogna, doucement, se rapprocha d'une personne qui poussa un rit mélangé à un profond soupir, le caressant tendrement.
Je reculais.
Réalisais, avec horreur, l'endroit où je venais de tomber, la personne qui me tournait le dos et qui, visiblement, lisait quelque chose sous le feu de cette veille bougie. Penché sur sa table, au milieu d'une chambre grande et spacieuse, poussiéreuse, dans laquelle gisaient, sur de très nombreuses étagères, des livres, des livres et encore des livres. Partout, des manuscrits étaient posés sagement ou jetés par terre avec fureur, et on pouvait lire sur leur dos des titres tels que '' la magie des dragons'' ou encore ''les créatures les plus dangereuses vivant dans les Bois Sombres'' ou encore '' Comment contrer une malédiction basique ''.
J'ouvris la bouche, le souffle coupé, les yeux écarquillés, m'approchais, levais la tête encore plus haut et vit, sur le plafond fissuré des images peintes à peine reconnaissables à cause de la veille luminosité. De la même façon, sur le sol, on y trouvait un tapis doré représentant un feu féroce provenant d'un dragon rouge. M'approchant doucement, oubliant pour un minuscule moment, le fait que je n'étais pas seule dans cette bibliothèque, je touchais avec un doigt avide le dos d'un livre rouge. Puis frôlais un autre livre, vert cette fois, et qui comportait des inscriptions anciennes, éraflées, touchées par un temps dur et impitoyable.
Saisissant un petit ouvrage entre mes doigts glacés, je me mis à l'ouvrir, le feuilleter, y jeter un œil curieux et à lire quelques lignes, une dizaine, puis une douzaine.
C'est le son d'une chaise qui est poussée et qui tombe, grinçant et le son d'un poids lourd s'affalant contre le sol en bois résonnant dans la pièce, qui me fit lever les yeux. Rougissant, m'empressant de reposer ma trouvaille à sa place et m'apprêtant à balbutier des piètres excuses, confuses et emmêlées, incompréhensibles, je reculais, cognais mon coude contre une étagère et fit tomber quelques livres poussiéreux.
Toussant, je m'écartais, rejoignis silencieusement la porte tandis que Natsu, l'homme bête se penchait et les ramassait, les rangeait, gardant ses yeux sur ses mains et ses pensées pour lui, ne disant rien ou ne sachant quoi dire, cherchant des mots ou des questions, des reproches, peut-être. Au bout d'une dizaine de brèves secondes, il passa sa main dans ses cheveux, effleura ses petites cornes, puis se tourna, leva son regard vert sur moi et se décida enfin à parler, à demander :
-Comment avez-vous trouvé cet endroit ?
Son interrogation est courte et simple, simple à comprendre, simple à y répondre. Et pourtant, me voilà, qui recule encore et qui ouvre la bouche, balbutie, rougis, tousse, fixe mes mains et mes jupes, cherche une excuse pour m'enfuir et m'échapper et n'en trouvant aucune, reste clouée sur place comme une parfaite imbécile. Je relève le regard, humiliée par ma propre lâcheté et souhaitant être plus forte, plus brave, souhaitant pouvoir répondre clairement et que ma voix enrouillée cesse d'être aussi faible. Alors je ramasse, cherche toutes les forces qui se trouvent en moi et les ramasse, déglutis, arrive enfin à formuler quelque chose.
-C'est Happy... Il est sorti de ma chambre tellement vite que ça m'a surpris ; alors je l'ai suivi.
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