Chapitre 7

   Le sol sous mes pieds grince et se plaint, lorsque je décide enfin de quitter cette petite chambre qu'on m'avait attribuée la veille.

Je souffle légèrement, m'agrippe à la rampe des escaliers et sens le bois se courber légèrement sous mon poids, comme s'il n'était pas capable de me supporter et qu'il menaçait de s'effondrer. Je descends les escaliers en retenant mon souffle, la gorge nouée et le ventre serré par une certaine peur et une timidité subite, m'efforçant de me distraire en regardant le plafond, les bougies essoufflées et salies par leur cire qui dégouline, le petit tapis qui m'attend au bas des marches. Pas encore habituée à sentir cette odeur si caractéristique du bois vieux et pourrissant, je me pince le nez discrètement, accélère ma démarche alourdie par mes jupes et je déambule dans une petite salle avec un faux sourire accroché aux lèvres.

Une exclamation fuse lorsque je fais mon entrée, un homme se redresse et une femme court vers moi, s'empressant de me rejoindre.

De prendre mes mains.

-Vous voilà enfin, Lisanna ! Oh, que je suis heureuse de vous voir ! Vous êtes resplendissante ce matin !, s'écrie-t-elle en me souriant, écartant d'un geste indifférent ses longs cheveux pâles.

-Moi de même, je suis heureuse de vous voir... Juvia, c'est ça ?

Elle acquiesça et entreprit de me guider, toujours avec son humeur joviale, vers un des petits canapés verts qui trônaient au milieu de la salle. Il devait sans doute s'agir du salon, en jugeais-je en regardant les murs plutôt bien décorés, ainsi la cheminée, étonnamment grande et belle, d'une couleur blanche tirant sur légèrement sur le beige, qui trainait dans un coin. Des grandes vitres nous donnaient l'accès à une vue magnifique, une vue nécessairement composée de vallées blanches, étincelantes sous le soleil et sur les arbres, les nombreux pins qui se dressaient fièrement devant mon regard, tels des soldats, semblables à une armée de géants hostiles. Dans le ciel d'un bleu incroyable, limpide mais sans aucun doute d'une pâleur froide, volaient des oiseaux. Des aigles, sans aucun doute.

Je restais ainsi, émerveillée devant les fenêtres du salon, pendant des secondes et des minutes, ma petite bouche entrouverte sur un ''oh !'' silencieux, admirant encore et encore la vue que mes yeux m'offraient. Ces paysages, je les avais vus dans des livres, décrits par des voyageurs courageux et robustes, vulgaires parfois mais qui savaient raconter des histoires intéressantes. J'avais entendu parler de ces vallées, de ces montagnes, de ces forêts vertes, sombres dans lesquelles des créatures dangereuses mais tellement belles s'y cachaient.

Mon rêve le plus secret était de pouvoir les voir de mes propres yeux.

Ainsi, lorsque je m'ennuyais et que la princesse Lisanna était en plein cours de danse ou d'écriture, je m'autorisais de temps en temps à emprunter des papiers et de la peinture, m'amusant à peindre tout ce que mon imagination voulait, m'amusant à coucher sur ces vieux papiers des songes et pensées enfuies quelque part en moi.

Puis, quand je terminais et que mon inspiration me quittait, je jetais mes œuvres dans le feu et détournais la tête. Revenant sur terre après ces courts instants de rêverie.

Après tout, j'étais une noble, une dame de compagnie et je ne pouvais risquer de passer pour un de ces vulgaires peintres que le roi employait afin de décorer ses murs.

-C'est magnifique, n'est-ce pas ?, me demanda la voix sereine du majordome.

Je tressaillis, m'arrachais à ce spectacle pour me poser sur les deux seules personnes présentes dans le salon. Un fin sourire éclaira mes lèvres, accompagné d'un bref hochement de tête.

-Ah ! Je me rappelle ma réaction lorsque j'ai vu ce paysage pour la première fois !, s'exclama Juvia. Je me souviens également mais surtout de vous, Gray... vous étiez tellement beau, à contempler ces vallées avec votre expression songeuse et grave ! Je pense bien que c'est à ce moment là que je suis tombée sous votre charme.

La jeune femme gloussa légèrement, plissa ses yeux brillants en regardant l'homme qui se tenait à ses côtés, homme qui s'empressa de se lever d'un bond et d'ébouriffer ses cheveux d'un geste nerveux, jetant un rapide coup d'œil à la porte grand ouverte. Ses joues légèrement teintées de rouge, il se détourna et quitta la chambre à grandes enjambées, nous lançant un bref '' je vais aider Erza dans la cuisine''.

Un soupir se fit entendre.

Je jetais un coup d'œil à la jeune femme assise à mes côtés, occupée à jouer avec ses boucles bleues, un sourire songeur posé et fermement vissé sur son visage.

-Pourquoi... réagit-il de cette façon ?, osais-je enfin demander après un court moment de silence.

-Ahah ! J'imagine qu'il est seulement effrayé par moi. Mais bon, je ne lui en veux pas plus que ça; comment le pourrais-je ? Moi aussi je serrais terrifiée de savoir qu'une nymphe cherche à me charmer.

-Une... une nymphe, vous dites ?

Ma voix s'étrangle et je me raidis malgré moi. Je fixe Juvia avec mes sourcils arqués et ma bouche ouverte par l'étonnement et par le nombre de questions qui naissent dans ma tête, tellement nombreuses qu'elles ne peuvent franchir la barrière de mes lèvres. La surprise m'oblige à rester clouée sur place et à regarder les yeux bleus de la femme assise juste à côté de moi, fixant son visage parfait en quête d'un quelconque signe d'amusement, quelque chose qui me dirait que ce n'était pas vrai, que tout était faux, que tout était une énorme plaisanterie, un canular. Je reste ainsi, figée et incapable de dire quoi que ce soit, l'esprit vide, la tête vide et le cœur pétrifié, puis je m'oblige à reprendre le contrôle.

À déglutir.

-Ah, oups ! Je n'aurais peut-être pas dû vous le dire ! Natsu sera furieux contre moi !

Elle gloussa, rigola et sourit, insouciante et amusée.

Habituée à ce genre de réaction.

Je me raclais la gorge, me redressais.

-Excusez ma réaction, c'était très malpoli de ma part... j'ai été surprise, et je... je ne sais pas vraiment quoi vous dire. Vous êtes la première nymphe que je rencontre. La première que je vois. En fait, je pensais que votre existence n'était qu'un mythe mais...

-Pourquoi les dragons et les malédictions ont le droit d'exister mais pas nous ?

-C'est juste. Je suis désolée.

Elle hocha la tête, gardant toujours son sourire et son regard pétillant d'amusement.

Je baissais les yeux sur mes mains.

Sur mes dix doigts qui s'accrochaient désespérément à ma jupe froissée, tendus et méfiants, mais surtout effrayés et intimidés. Je regardais ma peau fine s'étirer et m'autorisais à me perdre dans mes pensées, m'autorisais à me souvenir de tous les livres que ces petites mains ont touché, ont feuilleté et que ces yeux ont lu jusqu'à ce qu'ils se ferment d'épuisement. Je me souviens de ces contes, de ces histoires et légendes qui circulaient au sujet de ces créatures, de ces femmes, esprits de la nature et qui savaient manipuler l'eau comme elles le souhaitaient. Ces femmes qui charmaient les hommes et les entraînaient au fin fond des lacs et des rivières, les noyant violement.

-Je... je pensais que les nymphes vivent dans l'eau, dis-je en relevant mes yeux et en fixant Juvia, l'incompréhension se lisant sans doute sur mon visage.

-Ah, ma chère, vous savez, toutes ces histoires qu'on raconte à notre sujet ne sont pas vraies. Nous vivons comme vous, parmi vous, et certes, parfois nous prenons le plaisir à noyer nos conquêtes dans les fleuves, mais... la vérité est que nous charmons les hommes et arrachons leur cœur de leur poitrine lorsqu'ils tombent amoureux.

Cette fois-ci, je ne pus empêcher mes mots de sortir de ma bouche.

-C'est horrible !

Mon exclamation fuse dans la chambre et se heurte aux oreilles de la jeune femme aux longs pâles parcourus de reflets bleutés. Mes mots se heurtent à ses oreilles et je vois son sourire se fissurer, pendant quelques instants se perdre et s'effacer, remplacé par une grimace. Grimace qui me fait sursauter et reculer instinctivement, détourner le regard et chercher à fuir, tout d'un coup craintive et terrifiée à la simple idée de l'avoir mise en colère. Mais tout cela ne dure qu'un instant, instant rapidement balayé par un battement de cils et elle reprend son expression joviale et adorable, son sourire insouciant et incommensurablement gentil. Incommensurablement faux.

-Je le sais, dit-elle d'une voix douce. C'est pour ça que j'ai accepté de me joindre à Natsu ; je l'aiderais à trouver un moyen de rompre sa malédiction tant qu'il m'aidera à rompre la mienne.

-Malédiction ?

-Oups, cette fois j'en ai vraiment trop dit, cette fois !, s'exclama-t-elle en m'offrant un clin d'œil. Viens, allons voir où en sont Gray et Erza avec les préparatifs du petit déjeuner.

Elle se leva d'un bond énergique et se dépêcha de quitter le salon, saisissant mon bras et m'entrainant à sa suite.

Nous entrâmes rapidement dans une autre pièce, située juste à côté de celle que nous venions de quitter. Au milieu de cette dernière se tenait fièrement une petite table rectangulaire dotée de seulement cinq minuscules et simples chaises. Recouverte d'une nappe blanche, cinq assiettes remplies de céréales nageant dans le lait et cinq verres d'eau étaient posés confortablement sur le tissu.

Gray et Natsu levèrent le regard lorsque nous nous approchâmes, l'un le détournant aussitôt en fronçant les sourcils et l'autre me souriant gauchement.

Le soir tombé, lorsque le soleil était en train de se cacher derrière les vallées blanches et colorant le ciel clair de tons pastel, j'entrais dans ma chambre et fermais la porte derrière mon dos.

Un soupir m'échappa.

Fermant les yeux lentement, je laissais le manque m'envahir. Submerger mon cœur et le plonger dans une tristesse confuse, tristesse peuplée et nourrie par les nombreux souvenirs de ces nombreuses personnes que je connaissais, que j'avais rencontrées et que j'avais dû laisser derrière moi. Personnes qui me manquaient terriblement, à présent.

Je me mis à penser à Lisanna, au roi qui avait été comme un père pour moi.

Père...

Tout d'un coup, je me mis à penser à mes parents, à cette mère et ce père que j'avais lorsque j'étais enfant, ces deux personnes que j'avais aimé sans aucun doute plus que tout au monde mais qui m'avaient si sauvagement été arrachés, ne laissant derrière que les souvenirs incompréhensibles d'un enfant de cinq ans. Et parmi ces souvenirs douloureux figuraient ceux de l'odeur de ma mère, des livres qu'elle me lisait et des bras forts de mon père qui venaient me border. Je me souvenais encore de leur gentillesse, de leur amour, de leur tendresse, des regards qu'ils lançaient sur moi et des encouragements qu'ils me donnaient lorsque je tombais sur un obstacle.

Un hoquet s'empressa de s'évader de mon esprit.

Je me couvris la bouche.

Secouais la tête, faisant valser autour de moi mes boucles blondes.

Je ne voulais pas penser à ça. Je ne voulais pas remplir mon cœur de tristesse et de mélancolie.

Dirigeant mon regard dans la chambre à la recherche d'une quelconque échappatoire disponible, je tombais sur la couverture bleue du livre que j'avais commencé à lire la veille au soir.

M'approchant lentement de lui, je l'ouvris avec précaution et prudence, m'assis sur le lit et cherchais la page sur laquelle je m'étais arrêtée, commençant rapidement ma lecture :

« Les dragons se regardèrent, incrédules, leur bouche grande ouverte et leurs yeux écarquillés. Ils se regardèrent pendant des minutes sans rien dire, puis, enfin, alors que le temps commençait à peser de plus en plus lourd sur leurs poitrines effrayées, un tremblement secoua la terre.

Un grand et vieux dragon s'approcha.

Il ouvrit sa bouche et sa voix, lourde de reproches et de menaces s'abattit sur les cinq voyageurs, les secouant et les clouant sur place :

-Vous ne connaissez donc point les règles de notre village ? Misérables humains, pourquoi êtes-vous venus ici ?

Les hommes se baissèrent leur regard sur le sol, serrèrent contre eux, dans un grand mouvement de honte et de terreur, tous leurs trophées et leurs beaux manteaux. Ils se regardèrent, encore et surtout effrayés par ce spectacle intimidant, se regardèrent pendant des longues minutes en silence et déglutirent. Osèrent sourire.

-Nous sommes là parce que nous avons besoin d'un endroit où nous abriter pour la nuit, s'avança le premier, dans une fausse confiance.

Les quatre autres acquiescèrent dans un même mouvement de tête, terrifiés mais gardant néanmoins encore leur sourire tremblant.

Un autre moment de silence passa, un moment prenant lequel le chef du village toisa de son regard dur comme de la pierre, les cinq voyageurs. Personne n'osa bouger, personne n'osa parler, emprisonnés par le temps, retenus par les liens du silence. Mais plus les secondes passaient, plus la peur des inconnus s'effaçaient et leur maudite confiance, leur maudit orgueil refaisait surface. Bien assez tôt, ils se redressèrent, gonflèrent leur torse et sourirent d'un air narquois, se croyant supérieurs à ces hommes bêtes qui froncèrent leurs sourcils.

Le troisième chuchota à l'oreille de son voisin :

-Moi, Charles, je n'ai pas peur de ces monstres.

Et sur ces mots remplis d'une confiance malsaine que le vent avait enlevé et porté jusqu'aux oreilles de ses compagnons, le voyageur malheureux se redressa, se cabra et fonça vers les dragons. Il sortit son épée et transperça d'un seul coup, fort et rapide, la première bête, puis la seconde et enfin la troisième. Elles n'eurent même pas le temps de se défendre, que déjà l'homme sur son puissant cheval se dépêchait de prendre la vie d'un autre de ces dits monstres. Et lorsque ses victimes s'affaissèrent dans un long râle, dans une plainte horrible, le noble sourit, rit et cria à ses compagnons, l'air plus triomphant que jamais :

-Vous voyez ! Elles sont totalement inoffensives !

Un tremblement effroyable le secoua.

Ses amis n'eurent point le temps de répliquer quoi que ce soit, ils n'eurent même pas le temps de se regarder ou de cligner des yeux, et encore moins déglutir de nervosité, que déjà la terre s'ouvrit sous leurs pieds dans un grand cri horrible et ils se retrouvèrent en train de tomber, de tomber et de tomber. Ils hurlèrent, supplièrent, appelèrent à l'aide de toutes leurs maigres forces, mais en vain. Leur chute terrible dura pendant quelques secondes, secondes qui leur parurent se transformer en minutes ou en heures. Mais bientôt, ils atteignirent le sol, s'écrasèrent contre la terre noire et humide et se retrouvèrent aspergés.

Aspergés du sang de leurs victimes, qui avaient dégringolées avec eux. »

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