Chapitre 3

Les trois derniers jours de ma vie dans le palais se sont écoulés rapidement. Bien trop rapidement. Les heures, les minutes, les secondes sont passées, ont fugué et ont disparu, quelque part dans le silence, dans le nombre de regards curieux que des inconnus m'ont lancé lorsque je me suis réveillée dans la salle du trône. Lorsque j'ai attendu, attendu et encore attendu, un sourire forcé, faux aux lèvres, les membres crispés, la posture figée. Lorsque les portes de la salle se sont ouvertes brusquement, rapidement et qu'une silhouette enveloppée d'une cape noire est entrée, a marché et s'est agenouillée devant le roi, tête baissé, balbutiant des mots, des phrases incompréhensibles à mes oreilles.

Le souffle court, coupé, bloqué dans ma gorge, retenu par des liens invisibles, j'ai regardé, j'ai cherché. Le cœur battant à une vitesse irrégulière, rapidement, lentement, courant à sa perte, j'ai cherché encore une fois, une énième fois l'éclat pâle des cheveux de Lisanna. J'ai cherché, j'ai regardé, j'ai étudié chaque visage, chaque sourire, chaque regard interrogateur qu'on me lançait, inspecté la salle dans ses moindres coins et recoins, un espoir fou me lacérant le cœur, me déchirant l'âme. Un espoir fou accompagné par des ''peut-être'' que mon esprit me chuchotait, me murmurait, rependait dans mes veines une adrénaline, une énergie nouvelle, inconnue. Étrange.

Peut-être que Lisanna avait fini par venir. Peut-être que cette princesse que je considérais comme une sœur avait décidé de venir me dire adieu, au revoir ou de simplement m'adresser un simple, faux et stupide sourire. Peut-être qu'elle était venue, qu'elle s'était montré et qu'elle allait surgir ainsi, comme ça, de nulle part en me criant de ne pas partir, en essayant de m'empêcher de disparaître avec cet inconnu enveloppé d'une cape noire. Peut-être. Peut-être. Peut-être.

Je continuais de chercher, je continuais de regarder et continuais de laisser le temps, les secondes couler, m'échapper et s'éparpiller dans la salle. Elle n'était pas là. Elle n'était pas venue, n'était pas venue me dire au-revoir, ni me demander de rester avec elle. Elle n'était pas là, elle m'avait laissé seule, seule, seule. Seule dans cette salle remplie, seule devant ce destin étrange, ce destin qui aurait du être sien. Ce destin que j'avais choisis pour la protéger. Et à présent, alors que le roi parla d'une voix forte, vibrante, éclatante, je sentais la déception, la déception pure, amère, s'écraser en moi, me faisant ainsi baisser la tête, fermer la bouche et regarder le sol. Fixer le sol en songeant, en pensant, en oubliant le reste du monde, le monde entier et en m'enfermant dans mon propre univers parallèle.

Puis je sentis que me toucha doucement le bras, qu'on me frôla lentement la main et qu'on m'incitait à lever de nouveau le regard, à remettre les pieds sur terre. Des murmures, des chuchotements et des paroles se mélangeaient dans la salle, incompréhensibles, formant qu'un seul et unique, simple brouhaha. Des questions fusaient, des remarques naissaient et écrasaient le silence auquel j'étais habituée.

Devant moi se tenait un individu. Un humain. Un simple et normal humain, sans intérêt, sans quelque chose de spécifique, sans rien de particulier, rien qui me fera sursauter ou qui fera tressauter mon cœur, qui embrouillera mon esprit. N'ayant rien à voir avec celui que j'avais vu, que j'avais aperçu et qui m'avait si longtemps observée, il y a de cela trois jours.

Et je devais avouer que j'étais soulagée. Je devais avouer qu'un long soupir traversa mes lèvres et me fit sourire.

-Lisanna, ma fille, cet homme va vous accompagner à la demeure de votre futur époux.

Je déglutis, sursaute et lève un regard étonné sur le roi, le fixe sans comprendre. Bouche bée. Perdue. Confuse. Et soulagée. Heureuse. Le cœur tout à coup léger.

Et je m'arrête aussitôt, je me fige aussitôt. Me pétrifie et écarquille les yeux, sens mes lèvres s'entrouvrir. Je suis tout à coup épouvantée. Terrifiée. Coupable. Comment peux-je me réjouir de voir mon amie partir, subir ce sort. Comment puis-je être soulagée de me rendre compte que je ne devrais plus avoir à renoncer à ma belle vie dans ce château ? Je me sens dégoûtée mais heureuse. Contente. Terriblement, confusément contente. Et le savoir, le sentir, le connaître me fait faire une grimace, me fait refermer la bouche, plisser les yeux, froncer les sourcils, et regarder ailleurs.

-Lisanna...ma fille, avez-vous décidé de m'ignorer ?, demande la voix tendue du roi.

Je lève les yeux, le fixe, le regarde, l'étudie. Et ne comprends pas. Ne saisis pas, ne saisis toujours pas pourquoi son regard est rivé sur moi, pourquoi il ne cesse de m'observer, les yeux plissés, la bouche crispée, figée, les lèvres en suspense comme s'il aurait voulu ajouter quelque chose mais ne savait pas quoi. Je le fixe, l'observe et sens mon regard dériver vers les visages des inconnus qui m'entourent, les visages de toutes ces personnes qui chuchotent, gloussent nerveusement. Je cherche, encore, toujours, le visage familier de Lisanna, la couleur pâle de ses cheveux, la couleur chatoyante de sa robe préférée- celle qu'elle ne mettait que lors des bals ou des occasions spéciales.

Mais rien, rien et rien encore. Je cherche, je cherche et j'ai beau chercher, beau plisser mes yeux, froncer mes sourcils et me sentir agacée, je ne vois pas, ne trouve pas et ne comprends toujours pas. Elle n'était pas là. Elle n'était pas venue. Alors pourquoi son père lui parle-t-il ?

Je relève la tête et le regarde. De nouveau. Encore. Et vois qu'il me regarde. Il me regarde, moi, celle qui était supposée prendre la place de sa fille, celle qui va donner sa main à la place de sa fille. Il me regarde et semble tendu, me regarde et ouvre la bouche pour parler une troisième fois, pour insister encore une fois mais je le devance. Mais je me dépêche de faire une courbette, une révérence et de m'incliner, obéissante et soudainement triste. Tellement, tellement triste. Pour la seconde fois de la journée déçue, alors que j'avais vue, alors que j'avais senti le fol espoir coupable naître dans la noirceur, dans la profondeur de mon esprit.

Comment avais-je pu être si naïve ?

Comment avais-je pu oser espérer aussi facilement ?

Après tout, c'est moi, c'est moi-même qui a choisit, qui a eu le choix. J'aurais pu fuir, partir, courir et m'éloigner, abandonner ce destin, abandonner cette histoire. Mais je ne l'ai pas fait. J'ai choisi de rester, de rester dans ce palais. J'ai choisi de donner ma main à la place de celle de la princesse. Tout ça c'était moi. C'était mon choix, mon unique et stupide, idiot sans doute, choix.

Alors je relève la tête et souris. Fixe le majordome, sans doute, du dragon, le regarde droit dans les yeux. Une force nouvelle, une confiance nouvelle en moi-même. Je souris, me redresse, décroise mes bras et les laisse reposer le long de mon corps.

Confiance. Confiance. Confiance.

Avoir confiance. Inspirer. Expirer et regarder droit devant, ignorer les murmures, ignorer les regards ainsi que la peur, cette peur horrible qui paralyse, déstabilise et fait trembler mes membres, fais trembler mon cœur. Me fais hésiter. Réfléchir. Et tenter de me défiler.

-Bien. Vous pouvez partir, maintenant, finit par dire le roi, le monarque, doucement, lentement, et pour la première fois depuis longtemps, depuis des années, un sourire triste, chaleureux, heureux et soulagé éclairant son visage.

Comme ça, ainsi, il m'adressa un sourire, un regard et un remerciement muet, invisible. Il me fixa avec compassion, me regarda avec gentillesse lorsque je lui tournais le dos.

Lorsque mes pas tremblants, hésitants et mon cœur se balançant à un rythme irrégulier, telle une étrange pendule détraquée, me guidèrent vers la sortie. Lorsque nous sortîmes dehors, dans la cours et courûmes jusqu'à la voiture tirée par quatre chevreaux bruns qui nous attendait.

-Mademoiselle, si vous avez froid, n'hésitez pas à vous couvrir de cette couverture, fit légèrement la voix du majordome en me souriant amicalement lorsque je finis d'arranger mes jupes, lorsque je finis par m'installer confortablement.

Je l'ignorais, le narguais, lui tournais le dos, tournais mon regard vers la vitre, vers le paysage blanc qui s'offrait à mes yeux.

Un blanc infini. Sans limites. N'ayant pas de frontières, pas de scrupule à s'installer, à nous donner cette impression de vivre dans le vide. Dans le néant. Une neige blanche, éclatante, froide, glaciale, de la même couleur que ce ciel morne et capricieux qui nous couvre et s'étend sous mes yeux. Devant mes yeux. Des fins flocons de neige tombent des nuages, lentement, doucement, en effectuant leur étrange danse, leurs étranges mouvements. Ils tombent en se tortillant, en tournant sur eux-mêmes, tombent ainsi, aussi simplement comme ça, en s'abandonnant à leur sort, en s'abandonnant au vent qui, furieux, en colère, les emporte loin, tellement loin. Un vent qui gifle les branches, les silhouettes noires des arbres, les silhouettes statufiées, pétrifiées de ces gigantesques, intimidants arbres.

Et moi, je fixe, j'observe ce spectacle ennuyeux qui me calme, qui me donne force, courage. Je regarde en essayant de ne pas penser, de pas m'abandonner à toutes ces questions, toutes ces paroles, ces rêves stupides, cette imagination abondante. À ces souvenirs douloureux qui ne veulent pas s'effacer, ne pas me laisser tranquille, ancrés comme ils sont dans ma mémoire. Dans mon cœur.

Le visage de Lisanna, déçu, en colère, triste et coupable revient encore une fois, encore une fois devant mes yeux, fort, fortement, subitement, comme une gifle. Je la revois me tourner le dos et je me revois baisser la tête. Regretter. Repenser. Hésiter. Je la vois encore une fois me tourner le dos et je me revois aujourd'hui, dans cette salle si richement décorée aux nombreux invités, la chercher encore, le souffle coupé, retenus dans ces profondeurs abyssales qu'est mon esprit, le cœur rapide, en le suppliant d'être là.

Et je ressens cette déception, cette colère suivie par des remords me rongeant.

Et je déglutis en fermant les yeux, en me crispant, en essayant de ne plus y penser.

-Princesse, vous devriez prendre cette couverture, lance la voix calme du majordome. Après tout, nous avons encore un long chemin devant nous.

Je refusais toujours de la prendre, refusais toujours de me retourner, de le regarder et préférais continuer de fixer ce paysage, ce morne, triste et froid paysage.

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