Chapitre 17

Happy vint à notre encontre, tout heureux, tout excité.

La chaleur de la vieille maison nous accueillit également, dès que la porte fut ouverte dans un grincement mélancolique, elle nous assaillit avec cette odeur de bois brûlé dans une cheminée oubliée, et cette douce lumière dorée qui émanait d'une bougie fatiguée. Et tandis que nous pénétrions dans la demeure, encore fatigués, encore essoufflés, encore gênés et frigorifiés, Erza apparut, un léger sourire flottant sur ses lèvres, les bras croisés sur sa poitrine et talonnée par Gray. Ce dernier s'arrêta quelques pas derrière la figure imposante de la dame aux cheveux rouges, ses sourcils formant un pli soucieux sur son visage rongé par l'ombre. À peine on enleva nos longues capes noires qu'il s'avança et se décida :

-Juvia est partie.

Natsu se figea et leva la tête, interpellé.

-Partie ?

-Elle est allée au village il y a de cela un jour... et je n'en sais rien, mais j'ai un mauvais pressentiment.

-Elle reviendra, Gray. Pourquoi partirait-elle ? C'est absurde. Elle ne peut pas juste... s'en aller. Sans rien. Sans ses vêtements, sans son argent, sans toutes ces choses auxquelles elle est si solidement attachée.

-N'empêche...

-Ça suffit Gray, intervint Erza en lui lançant un regard sévère. Natsu et moi devons discuter d'affaires plus importantes que la visite qui a duré plus longtemps que prévu de Juvia. Il y a des choses plus importantes qui sont en jeu. Des vies que nous devons sauver.

Happy sauta brusquement et s'écrasa contre mon ventre, s'accrochant à mes vêtements avant de lever la tête, me fixant avec ses grands yeux noirs, remuant ses oreilles et ses ailes se dépliant dans son dos, le recouvrant d'ombre. Je le serrais contre moi par reflexe, étonnée par sa lourdeur et titubant légèrement, un rire forcé m'échappant, tentant d'ignorer les regards inquisiteurs, les regards de ces trois autres personnes qui ne cessaient de me brûler la peau, d'enflammer mes joues.

C'est Natsu qui se détourna en premier, un léger rictus déformant ses traits.

-Allons dans un endroit plus tranquille pour discuter, lança-t-il à Erza, me tournant le dos et s'effaçant derrière la porte qui menait à sa bibliothèque secrète, ses pas lourds et amers résonnant dans la petite maison, faisant tressaillir ses murs endormis.

Elle le suivit en me jetant un étrange coup d'œil, curieuse, peut-être un peu menaçante, comme si elle tentait de me donner un bref et invisible avertissement.

-Lisanna !, piaillait le dragonneau qui n'arrivait pas à ressentir la lourde atmosphère tombée dans le salon.

Je grimaçais et pris une profonde inspiration, fermant mes yeux, une seconde, rien qu'une seconde pour tenter de ralentir les battements si rapides, trop rapides de mon cœur. Affolé. Il était complétement affolé, tout simplement affolé, ne savait plus quoi faire, avait fini par perdre la raison et par succomber au silence, aux secrets, succomber à cette lourde tension qui pesait sur moi, m'écrasait contre le sol et transformait mes os en poussière. Je grimaçais et pris une profonde inspiration, m'abandonnais au noir avant de revenir et de refaire face à la réalité dans un sursaut. Happy quitta mes bras et s'éloigna, devint un point lointain, disparut à son tour derrière un mur, derrière une porte, se cachant dans une autre pièce secrète dont j'ignorais l'existence.

J'étais seule.

Je m'en rendis compte, enfin, dans un bref soupir et un mouvement de lassitude. J'étais seule et je me sentais abandonnée, complétement rejetée, encore une fois mise de côté. Ils étaient tous, là, réunis, quelque part dans cette minuscule maison et pourtant trop grande pour que je puisse les rejoindre tranquillement. Ils étaient tous ensemble et parlaient, discutaient, étaient amis, se connaissaient. À moi, on ne voulait rien me dire. On ne voulait pas m'avouer, on ne voulait pas me confier des secrets. Je n'étais sans doute qu'une enfant, qu'une princesse stupide et ignorante à leurs yeux. Ils ne voyaient en moi qu'un être fragile qu'on devait protéger, mettre à l'abri, éviter de trop encombrer de mots trop compliqués. Étais-je si indigne de confiance ? Natsu avait mis tellement de temps pour me dire la vérité qui se cachait derrière sa malédiction. Trop de temps. Bien trop de temps.

Nous n'étions encore que des étrangers.

Cette pensée vint comme une révélation, comme un coup dans le ventre et un poignard dans le cœur. Mon esprit se divisa, mon esprit se figea, cessa de bouger, cessa de réfléchir, se contenta de ressentir. Ressentir cet abandon. Ressentir ce rejet. Ressentir cette tristesse que j'ai tenté de dissimulé pendant si longtemps. Je n'étais pas comme eux, il fallait que je l'admette. Je n'étais pas comme eux et jamais je ne serais leur amie. Jamais je ne serais plus qu'une princesse dont le simple rôle sera de tomber amoureuse d'un prince déchu.

Pourtant, c'est-ce que je voulais, non ?

C'est mon désir, de les aider, de les voir réussir.

Je veux faire quelque chose de bien, au moins une fois, rien qu'une fois dans ma vie. Quelque chose de propre à moi, de propre à mon existence, quelque chose qui laissera des traces derrière moi, qui prouvera mon existence. Peu importe si cette même existence se résume à un mensonge, peu importe si ces personnes ne verront jamais en moi leur amie.

Peu importe si ça me blesse.

Si ça me tue.

Je serais toujours seule.

Peu importe.

Même si je finis par l'aimer, ça ne sera jamais réciproque.

Peu importe.

Je l'ai vu dans son regard, c'était inscrit sur ses traits, une fois qu'il s'était détaché, une fois que nos corps se sont éloignés, que nos lèvres furent descellées et qu'il rouvrit les yeux, qu'il me fixa avec surprise, avec confusion, avant de se diriger vers ses mains et avant de se rendre compte que ses écailles étaient toujours là. Toujours présentes, faisant une révélation agaçante et douloureuse.

Tôt ou tard, il finira par comprendre. Il finira par se rendre compte de ma réelle nature, de mon imposture et quand ce jour viendra... quand ce jour viendra...

Je ne pourrais jamais l'aider, en fin de compte, réalisais-je en m'appuyant contre le mur, en montant les escaliers marche par marche, le pas trainant, allant me réfugier dans ma chambre, sur mon lit si inconfortable. Jamais je ne pourrais l'aider, jamais je ne pourrais faire quoi que ce soit, mise à part attendre, attendre que mon heure sonne et qu'il finisse par apprendre cette vérité empoisonnée.

Je me cachais dans les couvertures épaisses qui recouvraient mon lit et accueillis l'obscurité avec une joie malsaine. Recroquevillée, les membres tordus, les mains serrées contre ma poitrine et les yeux grands ouverts sur le vide, je soufflais et attendis.

Attendis.

Attendis.

Puis je me rendis à l'évidence et je ressentis une gifle imaginaire s'abattre sur ma peau. Le souffle court, la peau gelée, les membres distordus, je me relevais et me mis sur pied.

Il fallait, il fallait, il fallait.

-Il faut que j'agisse, murmurais-je ne me jetant sur la porte.

Le cœur battant.

-Il faut que je lui dise, continuais-je en ignorant le silence, en narguant la solitude. Il faut que je lui avoue, il, il faut, il faut. Il faut que je sois plus courageuse. Que j'arrête de me défiler.

La poignée tourna, la porte s'ouvrit dans ce grincement effroyable mais tellement mélancolique et je me lançais, traversais les escaliers en courant, en serrant ce bref courage, cette bouffée d'air frais, cette excitation qui n'acquis dans mon ventre et me donna la force, me donna la bravoure, me donnant mes ailes que j'ai moi-même arraché. Je courais, ridicule et essoufflée, ridicule et petite, insignifiante, ridicule et larmoyante, atteignis la porte menant à la bibliothèque secrète dans une ou deux, voire trois secondes interminables, l'ouvris, entrais et descellais mes lèvres frigorifiées.

La bibliothèque était vide.

Complétement vide.

Il n'y avait ni Happy, ni Natsu, ni Erza et encore moins Gray, le majordome aux cheveux de jais. Il n'y avait personne et je mis encore un instant court et pourtant trop long pour tenter de comprendre, de déchiffrer le vide et le message qu'il était censé me donner. Je cherchais, en plissant les yeux, en plissant les lèvres, en pinçant ma peau et en m'approchant, en m'éloignant, perdue, complétement déboussolée, je cherchais sur les étagères, dans les livres échoués sur le sol, dans la chaise rejetée et gisant loin de la table, dans les papiers, dans la bougie mourante, dans ce café duquel s'élevait encore une vapeur blanche. Je cherchais une réponse. Je cherchais une vérité. Je cherchais quelqu'un ou quelque chose pour me dire ce qu'il s'était passé, pour enlever ma perplexité.

Mais le vide me répondait.

Alors je reculais, alors je me remis en marche, me remis à courir, me mis à ouvrir toutes les portes, une par une, jetant un coup d'œil dans les placards, dans la cuisine, dans le salon, dans toutes les chambres et toutes les pièces de la minuscule maison.

Ils sont partis, me murmura à l'oreille une voix insupportable.

Ils t'ont abandonnée, poursuivit mon cœur. Tu as vu sa réaction, après le baiser. Tu as vu son regard, tu as vu la douleur, tu as vu la froideur de ses mouvements. Il t'a abandonnée. Il est parti sans rien dire. Tu ne vaux même pas la peine qu'on te prévienne. Insignifiante, petite, pathétique créature.

Non.

Je sortis dehors, en oubliant ma cape, en oubliant ma tête et courus vers la grange, la neige et la glace coupant mes pieds dénudés, ma peau exposée.

-Elle est vraiment partie, murmura une voix grave et profonde. Je n'y crois pas ; comment, pourquoi ? Il y a pourtant encore de l'espoir ! Tout n'est pas terminé ! Elle ne doit pas y renoncer !

-Il faut vite la retrouver. L'empêcher de... de commettre l'irréparable.

-C'est de ma faute, j'aurais dû... j'aurais dû...

-Arrête de te morfondre, Gray, et viens m'aider. Nous devons partir le plus vite possible.

La nuit était claire, la nuit était blanche, le soleil se levait et perçait les épais nuages annonciateurs de tempête. Le vent soufflait légèrement et des flocons fragiles et uniques tombaient doucement du ciel, s'illuminant, scintillant, nous chatouillant. Alors que je m'approchais encore plus des voix de ces tristes connaissances, je serrais mes bras contre moi, serrais ma mâchoire, fermais mon esprit, fis taire toutes mes pensées, devins une poupée. Collais un sourire sur mon sombre visage, me préparant à jour ce rôle d'une princesse insignifiante, stupide et ignorante qu'on m'avait attribué avec mon propre accord.

-Vous partez quelque part ? soufflais-je d'une voix fluette. Serais-je de trop dans votre aventure ?

Je croisais le regard vert de Natsu, le soutins, vis sa froideur, entendis sa colère, fus attaquée par sa tristesse encore, encore, encore avant de me tourner vers Erza. Avant de subir son rictus.

-Si son altesse désire se joindre à nous... pourquoi pas ?

Natsu se raidit en entendant ses propos.

Gray disparut dans la charrette, une carte dépliée dans la main.

Bientôt nous le suivîmes et nous nous assîmes, bientôt Erza fit partir les chevaux et nous nous retrouvâmes ainsi, fatigués et amers, tous plongés dans nos pensées les plus noires et les plus profondes, alors que le soleil se levait.

-Elle est allée ici..., murmura Gray en pointant un endroit en particulier sur sa carte, le montrant à Natsu. C'est très loin... et elle a une journée d'avance sur nous. Mais nous avons une chance de la rattraper. Une chance que j'aie réussi à convaincre Erza d'utiliser son sort de localisation. Ça aide, d'avoir une fée sous la main, dis-donc.

-Erza est une fée ?, demandais-je dans un souffle, étonnée.

Ils se tournèrent vers moi, levèrent leur tête et me fixèrent comme s'ils venaient de se rappeler de ma présence. Se consultèrent d'un simple regard, hésitèrent, hésitèrent, hésitèrent encore avant de soupir. Avant que Gray n'ouvre la bouche et que Natsu ne se détourne, fermé et toujours aussi froid.

-Je vous suggère de vous coucher, princesse, le voyage est long et vous avez peu dormi.

C'était donc ça, la seule réponse à laquelle j'avais droit.

C'était peut-être mieux ainsi, finalement.

Pour une menteuse comme moi.



Merci d'avoir lu !

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