Chapitre 16
-Vous avez failli le tuer ! s'écria-t-elle, s'élançant vers les bois, accrochée fermement à son cheval et sa cape volant dans son dos.
Je grimaçais, me rembrunit, secouais la tête et donnais un petit coup dans les côtes de mon animal noir, serrant ses cordes avec frustration et une culpabilité qui ne cessait de grandir en moi tandis qu'il s'élança et qu'il se mit à galoper, à pourchasser la silhouette si frêle et minuscule de cette princesse colérique. Elle allait à toute allure, elle ne cessait de crier des choses folles et incompréhensibles, elle était paniquée et effrayée, elle ne savait plus quoi faire, elle ne savait plus quoi croire.
« Monstre !», devait-elle dire.
« Monstre !», m'accusait-elle sans doute.
Et comme un « monstre », je me sentais, renfermé et prisonnier de mes mensonges, prisonnier de mes illusions, prisonnier de toutes ces choses que je souhaitais faire, toutes ces étoiles dans le ciel que je voulais attraper sans pour autant parvenir à tendre la main. Je l'étais, ce « monstre » qui s'apprêtait à lui voler son âme, j'étais cet être affreux et grincheux, insupportable et incapable qui n'était doué que pour tuer, massacrer, s'acharner sur ses ennemis encore et encore et encore, la soif de sang toujours le torturant. Je l'étais et je le savais, je le savais, ce mot était gravé dans chaque parcelle de mon corps et de mon esprit et pourtant, pourtant voilà que ma bouche s'ouvrait, que mes lèvres remuèrent et protestèrent, jetèrent des mots incompréhensibles dans les airs.
-Tu ne sais pas de quoi tu parles ! ripostais-je en la poursuivant toujours, son corps n'était plus qu'à quelques mètres de moi. Tu ne sais pas ce que c'est, ce que ça te fait, d'avoir le cœur d'un dragon ! Tu ne sais pas à quel point c'est difficile de résister à la tentation, à quel point c'est facile de laisser ce feu te consumer ! Tu ne sais rien, rien de rien, alors évite de me traiter de monstre s'il-te-plaît !
Je revis le corps gisant par terre, le sang sur mes mains qui ne se lavera plus jamais, les yeux fous de mon adversaire, et la joie, une joie mauvaise, une joie horrible et affreuse qui remplit mon cœur de bonheur, fit taire toutes mes pensées, fit de moi son esclave, son automate et me donna des pouvoirs, me donna encore plus de pouvoir, fit de moi un être surpuissant, capable de tuer le Soleil et l'Univers. Et pourtant ce n'était pas assez. Et pourtant j'en voulais plus, je désirais plus, je désirais encore plus de force, plus et encore plus pour tuer, tuer, tuer.
Des frissons me parcoururent, tandis que je clignais des yeux, tandis que je m'aperçus de l'étendue enflammée qui s'étendait devant moi, de ce ciel rouge sang.
Le soleil se couchait, avec une lenteur paresseuse et exaspérante, disparaissant derrière des maisons et des collines, ouvrant ainsi les portes des enfers, laissant ainsi les ombres envahir les bois dans lesquels nous progressions, la lune et son œil jaune, vitreux, maitre suprême, nous fixait attentivement, suspendue dans son firmament à peine naissant.
Elle s'était arrêtée.
Elle s'était arrêtée et gardait sa tête baissée, fixait ses jambes ou le sol, observait le silence qui s'étendait entre nous et créait un fossé entre nos deux âmes perdues. Elle s'était arrêtée et ne dit plus un mot, cacha son visage avec sa frange et ses dix doigts nerveux ne cessaient de s'agiter, ne cessaient de s'emmêler et de se démêler dans la crinière de son cheval brun.
-Lissana...
Ma voix n'était qu'un souffle, qu'un pauvre murmure chétif qu'un vent colérique aura bientôt effacé et pourtant elle la fit tressaillir, réagir, lever son visage, se tourner enfin vers moi et me regarder. Me regarder avec des yeux remplis de questions, de tristesse, d'une peine infinie et irremplaçable tandis que ses membres se mirent à trembler, tandis que son corps se mit à chercher des réponses. Elle me regarda pendant mille et une années, plongée dans son mutisme exubérant et m'observant, semblant attendre, semblant hésiter, choisissant ses mots avec une extrême prudence.
-Vous n'êtes pas un monstre, Natsu, finit-elle par dire, chuchotant, comme si c'était un secret honteux que personne ne devrait jamais connaître.
Elle descendit de son cheval, fit quelques pas, toucha un pin aux branches basses et aux épines jaunies. L'air se fit plus froid et la nuit plus noire, le soleil ne devenant plus qu'un point doré derrière l'horizon et le ciel s'imprégnant d'une douce couleur rosée, tandis que la forêt sembla prendre vie, s'élever, les branches se secouer doucement, la neige devenant soudainement une sorte de poussière magique, scintillant d'une lueur argentée, et des hiboux parlaient, racontaient des histoires incroyables et secrètes que personne n'entendra jamais. Au loin, un loup hurla.
D'autres lui répondirent.
-Tu n'es pas un monstre, Natsu, répéta-t-elle en regardant quelque chose, au loin, perdue dans ses pensées, dans ses questions, perdue dans ce paysage infini qui ne cessait de s'étaler juste sous nos yeux ébahis. Tu n'es pas un monstre, Natsu, je le sais bien, mais... tu as failli le tuer.
Sa voix devint un murmure tandis qu'elle se tourna de nouveau derrière moi, soufflant, chuchotant, tout bas, tout doucement :
-C'est juste que... je n'y peux rien. Je ne peux m'empêcher de ressentir de la peur, même si je sais que vous... que tu ne me feras pas de mal. Mais j'ai vu ce dont tu es capable. J'ai vu le sang tacher ta peau, j'ai vu l'éclair de folie illuminer ton visage. Je t'ai vu, te délecter de sa souffrance, je t'ai vu t'acharner, je t'ai vu continuer à frapper alors qu'il était par terre et je... je ne sais pas. Je ne sais plus. Parce que tu as raison, je ne sais pas, ce que ça fait, d'être comme toi. De ressentir ce pouvoir. D'être capable de tuer. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas.
Elle serra ses poings et me regarda, me donna un visage rempli de tristesse, d'une peine que je voudrais connaître et que je voudrais effacer de ses traits. Elle serra ses poings, pinça ses lèvres, fronça ses sourcils et baissa son regard, ses yeux dorés s'illuminant, se remplissant d'une infinité de larmes douces et amères.
-Je suis égoïste. Je suis tellement égoïste. Si seulement tu savais à quel point je m'en veux, me confia-t-elle, toujours à voix basse et secrète, se mettant tout d'un coup à trembler, à frissonner. Parce que je l'ai pensé, tu sais ? Je t'ai traité de monstre alors que je savais que tu ne l'étais pas, alors que je sais à quel point tu as souffert, d'être mis à l'écart encore et toujours à cause de ta différence. Je t'ai vu, dans ce village, j'ai vu la façon dont ces personnes t'ont traité et je n'ose même pas imaginer à quel point ça doit être difficile. Mais malgré tout, malgré tout... te voilà, qui veut les aider. Tu veux les sauver.
Elle se tut et baissa la tête, fixa son corps, fixa ses mans et ses pieds, laissa échapper un léger rire amer.
-Pourquoi je n'arrête pas de trembler ? Pourquoi ?
Je fis un pas en avant et saisis ses mains, les serrais doucement, ne sachant quoi dire, quoi penser, quoi ressentir, me contentant tout simplement de me taire et de la regarder, serrant ses membres ses fragiles, caressant sa peau du bout du pouce.
La surprise et l'interrogation devaient sans doute flotter sur mes traits, des questions muettes devaient sans doute illuminer mon regard tandis que le ciel avait complétement fini sa course, avait disparu et avait fini par être avalé par la lune et son royaume d'ombres et de mystères.
Un soupir m'échappa et un nuage de vapeur s'éleva de ma bouche, flotta entre nous deux avant de disparaître, avant de s'effacer complétement, emporté par un vent subtil et cachottier.
-Lissana...
-Comment je peux t'aider, Natsu ?, m'interrompit-elle en se rapprochant encore plus. Pourquoi je suis ici ? Pourquoi as-tu besoin de moi ?
Elle plongea son regard doré dans le mien et me fixa, m'observa, m'implora de lui donner des réponses, me supplia de lui fournir des explications tandis qu'elle attendait, silencieuse et plus déterminée que jamais.
Elle semblait avoir grandi, pendant ce bref séjour chez une sorcière. Elle semblait avoir compris quelque chose, semblait avoir mûri, vieilli de plusieurs années, avoir décidé quelque chose, a conclu un pacte avec quelques idées bien ancrées dans son esprit brisé. Peut-être que me voir me battre lui avait montré quelque chose, lui avait ouvert les yeux, avait ouvert une porte dans sa tête et à présent elle voulait, elle voulait faire quelque chose avec toutes ces choses qu'elle venait de saisir, d'attraper dans le vent et de s'en imprégner. Peut-être que cette sorcière immortelle lui avait confié une poignée de secrets que jamais je ne connaitrais. Peut-être, peut-être, peut-être. Tant de si et des peut-être s'immigraient dans mon esprit, s'emmêlaient et se démêlaient, formaient un tout incassable qui faisait naître dans mon esprit un millier d'hypothèses.
J'ouvris la bouche, remuais les lèvres, me rapprochais encore plus d'elle, la regardais, admirais ces yeux dorés qui semblaient hanter la nuit et ses cheveux, des longs fils dors tombant dans son dos, lâchement retenus par un ruban bleu, qui brillaient d'une lueur argentée, reflétaient la lune, reflétaient ces étoiles infinies qui couvraient nos petites têtes fragiles et insignifiantes. Je la regardais et elle me renvoyait chacun de mes regards, chacune de mes hésitations, chacun de tous les mots que je voulais lui dire, que je voulais avoir le courage de prononcé mais que je n'étais pas capable de relâcher, comme s'ils étaient beaucoup trop dangereux et qu'ils mettraient fin à mes jours.
Elle est magnifique, songeais-je, le souffle coupé, le cœur bouleversé. Et c'est elle, c'est son âme à elle que je dois dérober.
-Je suis maudit, Lissana, lui murmurais-je à l'oreille. Je suis maudit, je suis issu d'une famille maudite depuis tellement d'années déjà... et la seule chose qui pourra me délivrer de mes chaines est un baiser. Le baiser d'une princesse amoureuse de moi, le baiser d'une princesse de sang pur.
Je m'approchais encore plus d'elle, mes mains tenant les siennes devenant bientôt un étau qui la piégeait. Je m'approchais encore plus d'elle, fis un pas en avant et hésitais, nos souffles s'emmêlant et se caressant, le bout de nos nez se touchant, s'effleurant et nos yeux, toujours aussi ouverts et ébahis reflétaient l'autre. Nous étions deux, deux êtres perdus, deux êtres qu'on avait arraché à une famille, à un foyer, nous étions deux êtres, l'un maudit et l'autre pur, l'un menteur et l'autre naïf et nous nous regardions, subjugués par la beauté de l'autre, le souffle court, le cœur lent et fatigué courant, courant, courant encore et toujours. Nous étions deux êtres complétement opposés, deux personnes qui venaient de créer quelque chose, qui étaient reliées par un lien magique et indestructible, incroyable. Mais l'un de nous est destiné à tuer l'autre. L'un de nous est destiné à voler l'âme de l'autre. C'est notre destin.
Je me penchais, me penchais et me penchais encore, le temps ralentissant, s'amortissant, se perdant en chemin.
Nos lèvres s'effleuraient, doucement, hésitantes et encore effrayées par la présence de l'autre.
Quelle triste destinée, murmura le vent à la lune qui nous observait de son gros œil jaune et vitreux.
Je pressais mes lèvres sur les siennes.
Mot de l'auteure : Voilà un chapitre... dans lequel Natsu et Lucy s'embrassent enfin ! Et qui me permet officiellement de vous annoncer que nous n'avons plus que TROIS OU QUATRE CHAPITRES AVANT LA FIN !
Ouf, excusez-moi, je me suis juste un peu importée u.u Enfin, bref, comme je le disais, plus que trois ou quatre chapitres avant la fin de tome, ce n'est pas rien, quand même ! Ça va faire bientôt un an que je travaille sur cette fiction et franchement... c'est long ! Mais j'espère que ce voyage vous a tout de même plu et vous a diverti, même si j'avoue qu'Il est un peu trop tôt pour parler de l'ensemble de la fiction (vu qu'il me manque encore un élément de l'histoire que je vais tenter de caser en trois ou quatre chapitres).
Sinon, discutons de ce chapitre, chers amis ! Qu'en pensez-vous ? Certains doivent se demander pourquoi ce chapitre se passe à l'apogée de la journée alors que la bataille de Natsu et Gajil a lieu le matin... eh bien je vous assure tout de suite, ce n'est pas une erreur de ma part, c'est juste que Natsu et Lucy sont resté pour voir comment va Gajil avant de partir (enfin, vous aurez plus de détails dans le prochain chapitre, avec le POV de Lucy). Justement, parlant de POV, que pensez-vous de celui de Natsu dans ce chapitre ? Et aussi, pensez-vous que j'aurais du insister plus sur les sentiments de Natsu au sujet de ce qu'il a fait à Gajil ? Tout en sachant que pas mal d'heures sont passées entre les deux événements, et puisque est habitué à se battre...
Bon, je vous laisse avec mes questions, parce que ce mot commence à devenir presque aussi grand que le chapitre ! xD
Merci d'avoir lu !
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