Chapitre 14
Chapitre 14
-Commence déjà par me tutoyer.
Lance la voix fatiguée et pourtant fébrile de Natsu, après un silence étrange et étiré. Il se lève et me fixe, me fait un semblant de sourire, toujours ce même sourire à la fois adorable et effrayant, qu'on pourrait confondre avec une grimace mais dont on ne pouvait douter de son éclat. Il se lève, sourit, s'approche de nouveau vers moi, avec des pas longs et assurés, s'approche de plus en plus de moi, me fixant tel un serpent, ses écailles prenant feu, ses yeux me fixant avec une nouvelle lueur, s'approche de moi, de plus en plus près, toujours plus près. Sa subite proximité me fait frémir et trembler, me consume et me transforme en un tas de cendres ambulants qui ne sait quoi plus quoi faire avec ses mains ballantes, et je me surprends. Je me surprends à attendre, avec une impatience nerveuse, une impatience que je ne comprends pas, je me surprends à attendre et à souhaiter sa proximité.
Ses pas longs et assurés l'approchent et se dépêchent de l'éloigner.
Incrédule, je le vois me tourner le dos, continuer son chemin, continuer sur sa lancée et s'ancrer devant le corps petit et maigre de la sorcière.
Ses yeux ensanglantés font des vas et viens entre moi et Natsu.
Ils nous fixent, nous regardent et nous jugent, s'amusent et se délectent de cette scène, des sentiments que nos deux esprits confus dégagent.
Une odeur d'encens se fait sentir dans le petit salon.
Le crépitement du feu se fait assourdissant, tandis que ces belles et grandes flammes lèchent les parois d'une cheminée.
Gajil continue de me fixer avec intensité.
Et Natsu semble m'avoir totalement oubliée.
Il parle, tout bas, beaucoup trop bas pour que je puisse entendre quoi que ce soit. Il parle, chuchote, murmure quelques mots brefs à la sorcière et cette dernière hoche la tête, tout doucement, d'une façon si subtile qu'elle est imperceptible. Elle hoche la tête et son regard, toujours aussi foncé, toujours aussi terrorisant se pose de nouveau sur moi, m'observe, me jauge, m'approuve d'un sourire carnassier.
-Pour un tel service, mon cher Dragneel, vous connaissez le prix. Êtes-vous sur de vouloir le payer ?
Encore un hochement de tête, encore des chuchotements, encore des regards discrètement glissés en ma direction ou vers la mine déconfite de Gajil.
-Dans ce cas, suivez-moi, je vous en prie.
Le sourire malsain de la sorcière s'étire et s'étire encore, son visage jubile, ses yeux s'éclairent, ses traits s'illuminent.
-Cela fait combien de temps que vous vivez avec cette femme ?, demanda ma voix suffoquée.
Un silence morbide me répond.
Glissant un coup d'œil vers Gajil, le fixant avec grands yeux paniqués et mes joues cramoisies, serrant mes jambes contre moi, encore surprise par le confort inattendu de ces pantalons qu'Erza m'avait prêté, il y a de cela quelques heures, à peine. Je laisse mon regard divaguer, analyser les traits tendus et agressifs de cet homme bête, le regarde et le regard encore, une question me nouant le ventre.
Me brûlant les lèvres.
-Comment se fait-il que vous ressemblez tant à un dragon ? Murmurais-je pour moi-même, tout bas, comme si ces mots qu'on a pris et jetés dans la pièce étaient un aveu impossible à libérer. Natsu, à côté de vous, a bien plus l'air d'un humain. Et pourtant, vous êtes tous les deux des... demi-dragons.
Un visage sombre, mordu, dévoré par des écailles noires, noires comme la nuit, noires comme de l'onyx, des écailles qui envahissaient tout son corps, ne laissant de la chair humaine apparaître qu'au niveau des mains, de l'abdomen, du front et du nez. Gajil souffla, mais continuait d'être plongé dans son mutisme, continuait de m'ignorer, continuait et de me détester, d'haïr tous les efforts que je faisais pour essayer de mieux comprendre, mieux saisir leur nature, leur malédiction, leur origine.
La curiosité me tiraillait, plus vilaine et bestiale que jamais.
Elle me dévorait, me poussait, me frappait, me donnait des sévères coups de talons entre les côtes et m'obligeait, m'obligeait à hausser la voix, à m'affirmer, m'exprimer, me donner enfin une vraie couleur. Elle était affreuse, et lourde, elle m'écrasait de tout son poids.
Je me raclais la gorge.
Abandonnais mes mains.
-Pourquoi détestez-vous tant les humains ?
Aucune réponse.
-Pourquoi crachez-vous tant au visage de Natsu alors que tout ce qu'il souhaite, c'est aider des pauvres innocents à sortir de leur misère ? Pourquoi refusez-vous de lui prêter main forte ? Pourquoi me haïssez-vous ? Je ne vous ai pourtant rien fait ! Alors pourquoi tant d'agressivité à mon égard ? Et puis, que faites-vous ici, avec cet enfant... cet enfant qui a besoin d'une vraie maison et d'une vraie famille ! Répondez-moi, cessez donc de m'ignorer ainsi !
-Mais tu vas la fermer, oui !
Il éclata.
Il éclata, se levant d'un bond, furibond, exaspéré, aveuglé par une colère absurde et que je n'arrivais pas à comprendre. Il éclata et se leva, s'approcha si vite, tellement vite qu'avant même que j'eusse le temps d'ouvrir la bouche pour dire quelque chose, pour crier ou pour murmurer encore des questions qui ne cessaient de me tourmenter, de me blesser, son visage se trouvait déjà à quelques centimètres du mien et il me regarda, son souffle rauque me coupant le visage et ses yeux. Ses yeux. Ses yeux me liquéfiaient, me réduisaient à l'état d'insecte, à un état abjecte, me transformait en l'eau, en larmes, me tuaient, me brûlaient à petit feu. Des yeux semblables à des rubis. Qui fulminent, ruminent une colère que jamais, jamais, on ne pourra éteindre. Une colère incompréhensible, née d'un vieux souvenir, d'une veille expérience avec la vie, un profond dégoût et une lassitude sans bornes de la vie. Cet homme, cette bête était meurtri et blessé, semblait n'avoir connu que rudesse et difficulté, semblait n'avoir eu de la vie, encore cette vie difficile et changeante, complétement abjecte et impulsive, que des moments creux et difficiles.
Et moi, telle une enfant, telle l'humaine faible et sans aucune valeur que j'étais, selon lui, le fixait, el regardait droit dans les yeux, le courage, fou et irrésistible me nouant les intestins, m'empoignant le cœur, me déchirant et me poussant, me donnant une force qui finira par me détruire tôt ou tard, la force nécessaire pour lui tenir tête. Pour lui montrer.
Lui montrer que tous les humains n'étaient pas que des êtres petits et dégoûtants, râleurs et stupides.
Même si je n'étais pas sûre d'être celle qu'il fallait pour lui montrer la beauté de l'humanité.
-Tu ne sais rien ! Tu ne sais absolument rien ! Comment une petite dame comme toi peut comprendre ce que les humains nous ont fait subir, à moi et à Wendy. Wendy. Tu vois, cette enfant ? Ce bébé ? Figure-toi qu'elle avait été abandonnée dans la forêt alors qu'elle n'avait que quelques mois d'existence ! Elle avait failli être dévorée par des loups ! Et ces pleurs... ses pleurs, mon dieu, je ne pense pas pouvoir les effacer un jour de ma mémoire. Elle criait à pleins poumons, elle était à deux doigts de mourir... une chance que j'étais là pour la prendre avec moi. Mais même maintenant, je n'arrive pas à comprendre. Je ne peux pas accorder la moindre empathie envers une espèce qui rejette ses enfants, envers des parents capables de jeter leur nourrisson dans la forêt en sachant pertinemment qu'il finira par mourir. Tout ça pourquoi ? Pour notre apparence ? Mais c'est complétement ridicule !
Sa voix se brisa, se cassa en un milliards de petits morceaux que personne n'arrivera jamais à coller tout à fait.
Il recula de quelques pas, me tourna le dois, appuya sa main sur son visage, recouvrit ses traits, me cacha ses prunelles rougeoyantes.
-Ce n'est pas à cause de quelques imbéciles que vous devez condamner toute une espèce, Gajil, murmurais-je.
Les yeux rivés sur le sol, sur mes bottes, sur le tapis, sur les murs, sur la cheminée et son crépitement incessant, sur cette horloge qui semblait à deux doigts de tomber par terre, sur le plafond, sur les bougies, sur le lit, sur la porte. Je déviais mon regard, le laissais tourner, le laissais chercher, chercher des mots que quelqu'un avait caché, chercher les bonnes expressions et les bonnes pensées, les bonnes questions, les bons sentiments. Je le laissais dévier en me tordant les mains et en me dévissant le cou, en serrant mes orteils, ne sachant quoi croire, ne sachant quoi dire, ne sachant comment me comporter envers quelqu'un d'aussi meurtri, d'aussi blessé par tout un tas d'évènements, un tas de situations que quelqu'un avait jeté sur son chemin, avec l'espoir de le faire tomber.
-Je déteste les humains, souffle l'homme à l'apparence de dragon. Je les déteste tous, sans exception. Et c'est pour ça.
Il fit volte-face, se tourna de nouveau vers moi, dans un mouvement grand et gracieux, me jaugeant de toute sa hauteur.
-C'est pour ça que je ressemble tant à un dragon. Tant que notre cœur est bestial, tant que notre cœur sombre encore et encore dans la sauvagerie, nous ne pourrons jamais être humains. Mais nous sommes nés comme ça. Peu importe nos efforts, peu importe nos sourires, peu importe notre bonté, notre cœur reste celui d'un dragon et nous ne pourrons jamais tout à fait nous débarrasser de nos écailles et de nos queues, de nos ailes et de nos pouvoirs. Et voir cet imbécile, avec tous ses idéaux, faire tant d'efforts pour devenir humain m'attriste et me rend en colère. Terriblement en colère. Il agit avec gentillesse, te protège, tente de sauver tous ces humains qui l'ont rejeté durant des années. Sa façon d'agir est tout bonnement... absurde. Et c'est ça, ses convictions, ses efforts pour tenter de devenir humain qui le rendent se faible. Je ne suivrais jamais quelqu'un de faible.
Gajil me cracha ces mots à la figure et me fixa, me fixa encore et encore pendant des minutes qui s'enchainèrent, se dépêchèrent de former une longue et inépuisable chaîne, une chaine qui vint se placer autour de cou et serra mon membre, fin et fragile, le serra encore et encore et encore une fois, m'étrangla de toutes ses forces.
Je laissais échapper un souffle perdu dans tous les sentiments que cet homme renvoyait.
Une certaine forme d'admiration et de respect naissant doucement dans mon cœur.
J'entrouvris les lèvres, les laissais balbutier, se mouvoir lentement, chercher encore quelque chose d'intéressant à répliquer avant de me figer.
La porte s'ouvrit, d'un seul coup, en grinçant horriblement et péniblement.
Elle s'ouvrit, s'ouvrit sur les ombres confuses de Natsu et de la sorcière, tous les deux affichant des airs satisfaits, des airs irradiant de bonheur et d'assurance. Des coups d'oeils complices furent échangés entre eux avant que tout, tous leurs liens ne se brisent et qu'ils ne laissent tomber cette complicité admirable, se rappelant du prix qui les unissait et du dégoût que leur présence mutuelle leur inspirait.
L'une se dépêchant d'alimenter le feu pourtant grand et fier qui flambait dans la cheminé tandis que l'autre s'approcha de nous, de nos deux corps encore tremblants face à tant de mots et tant d'aveux, tant de souvenirs et de sentiments nous traversant. Silencieusement, nous avions conclu quelque chose, comme un accord mutuel, et une certaine forme de lien indéfinissable, pas encore une amitié, nous unissait. Quelque part, au fond, Gajil commençait à m'apprécier. Ou a moins me détester.
Et quant à moi, je continuais d'être ébahie par tout ce qu'il a dû traverser.
Mais le charme, avec le grincement de la porte, semblait s'être dilué et cette entente mutuelle que nous avions trouvé semblait s'être évaporée, tandis que Gajil me tournait le dos et alla s'assoir près de Wendy, cette petite créature qu'il considérait comme sa fille. Il soupira, ferma les yeux, sembla se détendre.
-Vous pouvez dormir ici, ce soir. Natsu, jeune dragon en quête d'humanité et Lisanna, jeune fille qui nous cache un petit secret.
Je déglutis, m'étouffais, comprimais tout l'air de mes poumons et le recrachais, soufflait, toussais, ouvris mes grands yeux et la regardais, elle, cette femme, encore occupée à mettre du bois dans le feu, absorbée par son travail, cette femme qui nous avait jeté à la figure des mots lourds, lourds d'impact sur nos vies, sur ma vie.
Natsu me jeta un coup d'œil, m'observa, observa ma réaction, mes joues rougies et mon souffle pantelant, remarqua mon cœur qui battait si vite et si fort, ce cœur bloqué dans une course perpétuelle. Il continua de m'observer, m'adressa une question muette, une confirmation muette, inquiet et intrigués, en fronçant ses sourcils et en pinçant ses lèvres, ses prunelles vertes me donnant envie de me cacher, me donnant envie de m'y noyer.
-Lisa... qu'est-ce qu'elle raconte ?, me demande-t-il, le souffle court, ne cessant de me fixer, son visage si proche du mien me donnant envie de déguerpir et pourtant de rester encore pour l'admirer.
Nous n'avions rien dit, nous n'avions jamais parlé de mon long monologue, de mon désir de rester à ses côtés en tant qu'amie, il ne m'a jamais tout à fait répondu, ne m'a rien dit à part ce petit et décevant '' commence déjà par me tutoyer''. Nous n'avions échangé aucune parole à ce sujet et pourtant, pourtant quelque chose, quelque chose dans son regard où dans mon cœur, dans mon ventre, dans cette façon qu'avait mon corps de trembler et de se liquéfier à sa présence me signifiait bien que notre relation avait quelque peu changé.
Le voilà, qui commençait à me donner un surnom.
Voilà mon cœur qui se serrait, à force de l'entendre prononcer ce prénom que je commençais à trouver détestable, l'envie de lui chuchoter ''appelle moi Lucy'' me brûlant les lèvres.
Et voilà cette femme, cette sorcière que je n'avais jamais vu auparavant, que je ne connaissais même pas, dont j'ignorais même le nom, venait tout chambouler avec quelques mots rapidement balayés par les crépitements de la cheminée.
-Pourquoi caches-tu donc ta magie à ton compagnon, Lisanna ?, sourit le monstre en relevant son visage, sereinement.
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