Chapitre 12
Je déglutis avec difficulté.
Assise sur un tabouret de bois qui tanguait et menaçait de s'écrouler à n'importe quel moment, les mains jointes sur mes genoux, mes doigts ne cessant de jouer avec le tissus rêche des pantalons qu'Erza m'avait forcée à porter, je fixais, les yeux plissés pour mieux masquer ma terreur, les trois personnes qui se tenaient devant moi, debout au milieu d'une toute petite pièce, devant une cheminée ardente et un lit de fortune.
Un lit de fortune sur lequel on avait allongé un Natsu blessé.
Je déglutis de nouveau, levais la main et touchais le bandage serré autour de mon front, levais la tête, bougeais légèrement, tentant d'apercevoir le corps de mon compagnon, son visage, ses yeux, ces écailles dorées qui décoraient ses joues. Dévorée par l'inquiétude et brûlée à vif par la curiosité, par l'envie de savoir, cette envie si grande, tellement immense qu'elle m'écrasait de tout son poids et m'empêchait de respirer, de réfléchir, plongeant dans l'ombre toutes mes autres pensées. Je voulais, je souhaitais, je désirais savoir ce que faisait la sorcière, debout devant le corps inerte de Natsu, à mélanger des plantes dans son pot tout en récitant des vers dans une langue mystique, en agitant sa main au-dessus de cet étrange mélange. Quel genre de sortilège lui jetait-elle ? Quelles étaient ses intentions cachées derrière ses actions ?
Je me mordillais la lèvre, me mordis la langue, poignardée par l'impuissance, par l'incapacité de savoir, la peur de demander, d'oser demander et interrompre ce silence saint qui s'était installé. Je détestais rester ainsi assise, à ne rien faire, à tout simplement fixer le sol, à fixer mes bottes, à réarranger ma cape ou mes cheveux encore et encore en fixant l'horloge déréglée accrochée au mur et mes mains qui ne cessaient de se tordre. Le cœur saignant, je baissais la tête, fronçais mes sourcils, réfléchis et réfléchis encore, me posais des questions, songeais au fait que je commençais à suffoquer et à en avoir marre, d'être toujours aussi enfermée dans mon propre esprit, toujours aussi coincée, toujours aussi effrayée et lâche.
Alors, ces pensées me traversant l'esprit en me glaçant encore un peu plus, je me levais, doucement, fis un pas en avant, baissais la tête puis la relevais, ravalais ma peur, cachais mes tremblements et mes dix doigts figés derrière mon dos, en me raclant la voix, en forçant ma voix à faire sortir ces mots qu'elle s'était pourtant habituée à garder prisonniers.
-Excusez-moi...
Ce chuchotement, mon chuchotement est rauque et insignifiant, presque inaudible et pourtant assourdissant dans le silence indéformable de la petite cabane.
Trois paires d'yeux se braquèrent sur moi.
-Je voulais... je voulais juste savoir ce que vous faisiez... et si Natsu allait bien, je balbutie et baisse la tête, baisse mon regard, fixe le sol, les joues dévorées par la honte.
Pendant un moment qui me parut éternel personne ne dit rien, personne ne fit rien, tout le monde étant figé, figé dans une inspiration ou expiration, figé dans une réflexion, figé dans l'attention qu'on portait sur ma petite personne et, ainsi, dans un mutisme collectif, nous, quatre grandes personnes, attendîmes quelque chose, que quelqu'un dise quelque chose, que quelqu'un s'exprime ou tout simplement que le temps passe et s'envole, se dérobe, disparaisse tout simplement. Une attente longue et gênante, longue et embarrassante, longue et inutile s'était éprise de nos cœurs et refusait de nous lâcher.
Un rire éclata, tellement fort et inattendu qu'il eut l'effet d'une gifle sur moi.
Un rire fort et chaotique, fort et incompréhensible mais surtout ennuyant, un rire qui avait cette résonnance moqueuse et railleuse, cette résonnance méchante, cet éclat de dureté à l'état pur, tellement blessant, tellement méchant qu'il me fit tressaillir et perdre toute confiance, perdre tout courage, m'enleva toute dignité et toute forme humaine.
Un rire mauvais.
Je levais les yeux, croisais une paire de prunelles rouges, assoiffées de sang, un regard de reptile s'étant approprié la couleur du rubis, semblaient capter la lumière et toute forme de vie possible. Un regard malicieux, un regard agressif qu'il me renvoyait, alors qu'un immense sourire se dessina sur le visage de l'homme qui se tenait devant moi. Enfin, l'homme... s'était plutôt une bête, s'était plutôt un monstre, un dragon qui avait tant bien que mal essayé de prendre forme humaine sans pour autant y arriver tout à fait. Des écailles, noires comme la plus sombre des nuits couvraient la totalité de son visage, la totalité de son corps tandis que des griffes venaient allonger ses doigts. Une longue chevelure toute aussi sombre que ses écailles, des cheveux en bataille et indomptables tombaient dans le dos de cet homme tandis que des cornes, grandes, toujours aussi noires et épaisses venaient décorer le sommet de sa tête. Des oreilles, longues et fines venaient s'ajouter de chaque côté de sa tête. Et ce sourire, toujours aussi grand, toujours aussi blanc, contrastant affreusement avec la couleur de ses écailles, ce sourire cruel qu'il me renvoyait me montrait parfaitement la longueur de ses canines, la rangée de ses dents à l'allure incroyablement tranchantes.
-Regardez-moi ça, la mademoiselle s'inquiète pour son petit monstre chéri !
Il parla d'une voix gutturale, une voix caverneuse, une voix profonde, grave et surtout menaçante, une voix qui n'avait absolument rien d'humain.
Une voix qui me donna la chair de poule et me fit me rassoir sur mon tabouret.
En baissant la tête. Dégoutée par ma propre soumission.
-Gajil, arrête avec tes plaisanteries, siffle la sorcière en me tournant le dos, s'empressant de continuer son travail. Elle a tout à fait le droit de s'inquiéter, le monstre qui t'accompagne a causé pas mal de dégâts à ce dragon.
-Wendy n'est pas un monstre, grogne le dénommé Gajil en s'affalant sur le sol. Et cet homme est tout sauf un dragon.
Il décocha à Natsu un regard rempli de mépris, en fronçant le nez et en faisant une grimace, les bras croisés, les jambes tendues devant lui et ses ailes repliés dans son dos jetant des ombres noires sur son visage, le rendant encore plus menaçant.
-Gajil !, brisa le silence une petite voix, une voix aigüe et stridente, une voix animale.
C'était comme si un serpent avait appris à parler.
Un être plus petit, beaucoup plus petit que le sombre géant vint se caler contre lui, un être magnifique, un autre dragon qui avait emprunté les traits d'une petite fille, qui avait un visage de petite fille humain, un visage noyé par une multitude de petites écailles blanches, immaculées et qui brillaient d'une allure dorée, illuminées par la lumière de la cheminée. Des yeux noirs, une longue chevelure sombre, des oreilles grandes, longues et fines, une queue blanche venait se ranger à côté de ses jambes tendues. Elle leva son regard sombre sur son protecteur et sembla lui sourire, lui faire un sourire affectueux, rayonnant, rempli de gentillesse et de bonheur, d'un amour fraternel tellement doux et tellement authentique. Elle lui sourit, souleva le bras de Gajil et posa sa tête sur son torse, fermant les yeux et s'autorisant à dormir, sereine.
C'était lui, l'ombre qui valsait dans la nuit, c'était lui, la créature contre qui se battait si désespérément Natsu. C'était lui... lui et elle, songeais-je en posant mes yeux tour à tour sur Gajil et sur celle qui devait répondre au prénom de Wendy. Je fixais longuement le visage si doux de la petite, ayant du mal à croire qu'elle puisse faire du mal à qui que ce soit, qu'elle ose faire du mal à qui que ce soit. Elle semblait si fragile et si innocente, tellement gentille. Il faut croire que les apparences sont souvent trompeuses, ajoutais-je avec amertume tout en détournant les yeux.
-Je n'accepterais jamais une chose pareille !
Un tremblement terrible me secoua, fit rapidement dissiper mon rêver alors qu'un grognement me fit frémir et frissonner alors que, dans une simple et rapide secousse, je me relevais, me relevais d'un bond et ouvris grand mes yeux, frottais mes paupières, alertée, intriguée, piquée à vif par une peur brûlante et soudaine qui semblait me coller à la peau, ces dernières semaines.
-Et pourquoi donc ?
La voix de Natsu résonna, calme et profonde mais cachant un soupçon d'aigreur, cachant un soupçon de colère derrière une politesse feinte.
Devant mes yeux ébahis, devant mes prunelles incrédules se tenaient Natsu et Gajil, chacun empoignant le col de l'autre, l'un las et fatigué tentait de parler, de dire quelque chose, tandis que l'autre révolté, hautain et méprisant ne cessait de s'agiter, de crier, de hurler, de frapper et de cracher des insultes que jamais je n'aurais cru pouvoir entendre quelque part. Gajil poussa Natsu, le fit tomber sur le sol et ignora ses propres blessures qui commencèrent à s'ouvrir, son propre sang qui se remettait à couler, trop furieux, trop aveugle, épris d'une colère palpable que je n'arrivais pourtant pas à sentir, pas à comprendre.
Je cherchais rapidement du regard la sorcière, en souhaitant qu'elle intervienne, en souhaitant qu'elle arrête ces trois dragons de s'entre-tuer, en espérant que cette femme si étrange et puissante soit là pour tout arrêter.
Mais elle n'était pas là.
-Pourquoi devrais-je me rallier avec un être aussi abject que toi ?, siffla l'ombre noire, sa voix se muant à un grognement animal. Un être qui a tant de puissance mais qui la refuse, qui la renie, un être qui veut à tout prix devenir humain. Je ne me rallie pas avec les humains !
Wendy vint se mêler à la danse également, tendue sur ses quatre pattes et le dos hérissé elle venait mordre, cracher, encourager son protecteur.
-Sérieusement, qu'est-ce que j'y gagne ? À jouer avec un groupe de faiblards !
Encore des grognements, encore des cris, encore des actions qui s'enchaînent et s'enchaînent, me laissant ainsi perplexe, me laissant ainsi de côté, encore et toujours de côté. J'étais incapable de comprendre l'origine de leur dispute, de quoi ils parlaient, pourquoi ils se battaient, pourquoi toute cette haine et cette violence qui fait pourtant tant de ravages ! Je ne comprenais pas, je ne comprenais pas, je ne comprenais pas.
L'esprit confus et paniqué, le cœur au bord des lèvres, le cœur épris par ce sentiment écrasant et défaillant qu'était le rejet, je fixais la scène, regardais ses yeux verts briller, les flammes commencer à recouvrir le corps de Natsu, des flammes rouges et brûlantes, tandis que Gajil, au-dessus de lui, l'étranglait de toutes ses forces, ses membres possédés par une haine noire et absolue.
Le temps me piquait, le temps se transformait en toutes petites aiguilles qui fonçaient vers la peau nue de mes bras et me piquaient, me piquaient et me piquaient encore. Le temps se transforma en plomb et m'écrasa de tout son poids, me suffoqua et me fit paniquer, me fit m'inquiéter et angoisser, mettre mes deux mains devant ma bouche et mourir d'envie de me recroqueviller, de me cacher dans un coin pour ne plus avoir à tout regarder, morte, foudroyée dix fois par ces images, par ce besoin de faire quelque chose pour aider mains ne sachant quoi faire, je me retrouvais impuissante. Impuissante. Inutile. Tellement, tellement inutile.
Gajil continuait d'écraser le cou du dragon ambré.
-Écoute-moi, souffla Natsu, la voix teintée par la douleur, effacée par le manque d'air.
Dégoûtée, je détournais le regard, fermais les yeux, serrais les poings. La pression se fit grande, la pression se fit lourde et insupportable, mais je devais faire quelque chose. Je devais agir. Je n'avais besoin que de quelques petites secondes d'inattention, gagner quelques petites et malheureuses secondes de ce temps précieux et fugitif.
Alors je bombais le torse. Inspirais, et fis quelque chose dont je ne me serais jamais crue capable un jour.
Je poussais un hurlement.
-ARRÊTEZ-VOUS !
L'effet fut immédiat.
Le dragon noir lâcha prise, étonné, surpris, se tournant vers moi et me fixant, incrédule. Bouche bée. Il resta immobile encore un moment, encore un moment court mais suffisant pour que Natsu ait le temps de le repousser et de se relever, de mettre quelques mètres de distances entre lui et les deux autres bêtes toutes agitées, s'approchant de moi et me lançant un coup d'œil tout aussi surpris.
-Ça alors, elle en a, dans le ventre, la petite !, siffla Gajil.
Totalement calmé.
Il se releva à son tour, se mit debout et nous domina de toute sa hauteur, un léger sourire flottant sur ses lèvres, nous jaugeant pendant un court instant, quelques brefs battements de cils rapidement effectués avant qu'il ne nous tourne le dos, avant qu'il n'aille se laisser choir au fond de la pièce sur une chaise en bois, accoudé à une table, nous regardant toujours avec ses yeux brillants, ignorant la petite Wendy qui s'accrochait à sa jambe.
-C'est grâce à elle que je te laisse en vie, le traître. C'est uniquement grâce à elle. Mais sache que si jamais tu oses me reposer cette même question, je ne manquerais pas à t'exterminer, vermine.
Natsu resta debout, tendu, hésitant, peut-être même terrassé par un affreux dilemme. Il resta debout et fixa Gajil, le fixa en fronçant ses sourcils et en plissant ses yeux, réfléchissant, partagé, toujours et toujours aussi plongé dans ses sombres et sinueuses pensées. Il resta ainsi un moment long ou court, tout dépend du point de vue, à fixer son rival, à regarder ses rivaux, impuissant, les poings serrés et la mâchoire contractée, avant de finalement faire quelques pas.
Avant de s'assoir sur le bord du lit et de prendre sa tête entre ses mains, ébouriffant ses cheveux, fixant ses pieds, ignorant ses blessures rouvertes et saignantes.
La gorge nouée, le ventre contracté et cherchant toujours mon audace, la curiosité me donnant des ailes pour aller mieux m'écraser, tandis que j'observais Natsu, tandis que j'attendais que le temps passe et que mes doigts noués ensembles reprennent leur forme, que mon cœur stressé et dévoré par mes émotions recommence sa course normale et que mon envie d'en savoir plus me laisse enfin tranquille. J'attendis, j'attendis et j'attendis encore, j'attendis pendant des longues minutes indéfinissables, j'attendis le regard perdu dans le vague et la lèvre douloureusement mordillée, le ventre noué par mes hésitations ridicules, les mains croisées dans mon dos et mes jambes si confortablement installées dans ce pantalon qu'on m'avait prêté.
J'attendis, pesais le pour et le contre, cherchais et amassais mon courage invisible et vain, pris mes ailes et décidais d'arrêter d'être aussi coincée, aussi effrayée, aussi mal à l'aise et nerveuse, décidais que j'en avais marre d'être toujours rejetée et d'être toujours la personne qui se retrouvait à côté de la plaque, celle qui ne savait jamais rien, celle à qui on ne disait jamais rien. J'attendis et je déglutis, poussais un soupir et serrais mes doigts jusqu'à m'en écorcher la peau de ma paume, puis, ignorant la douleur, je fis un pas en avant.
Je fis un pas misérable et flangeolant, mais un pas tout de même, avant de m'assoir sur le bord du lit, tout en prenant soin de mettre quelques mètres entre nos deux corps fiévreux, deux corps tourmentés par des désirs différents.
-Natsu... de quelle question parle donc Gajil ?
Ma voix n'est qu'un murmure qui ne manque de se briser en dix mille morceaux incollables, qu'un chuchotement rauque inconnaissable et méprisable, un chuchotement que je regrette mais assume en me redressant, en levant la tête, en soutenant le regard indéchiffrable que me lance mon compagnon.
-Pourquoi sommes-nous venus ici ?
Il me fixe encore, me regarde encore et encore pendant que le silence, long et pesant, ne devienne gênant, pendant que le silence ne me fait brusquement douter et me sermonner, et ce n'est que lorsque je me retrouve à deux doigts de me relever et de murmurer une vague excuse, un prétexte pour m'échapper qu'il ne se décide enfin de me répondre :
-Lisanna, la raison pour laquelle nous sommes ici est parce que je prévois de faire un coup d'État. Et que j'ai besoin de ces deux-là pour y parvenir
Mots d'auteur : voilà ce fameux chapitre douze ! En espérant qu'il réponde à vos questions et qu'il apporte des éclaircissements sur le chapitre précédent !
Sinon ne soyez pas trop étonnés, si vous voyez des grosses fautes d'orthographe ; je ne me suis pas relue (j'ai trop mal à la tête pour le faire... Oui bon, c'est vrai, c'est une excuse..)
Enfin, j'espère que ce chapitre vous a plu ! :3
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