Chapitre 10

Natsu Dragneel

Tap...tap...tap...

Je levais les yeux, pour une énième fois, vis le regard perdu et les doigts nerveux de la princesse blonde qui se tenait devant moi. Ses cheveux blonds illuminés par la flamme nouvelle d'une petite bougie, son regard fait en or dirigé sur le bois vieux et écorché de la table sur laquelle elle était affalée. L'air pensif. Les joues légèrement rouges, les sourcils froncés, les lèvres pincées et ce livre qui était ouvert juste sous ses yeux ne semblant guère l'intéresser.

Tap...tap...tap...

Elle continuait de pianoter distraitement mais bruyamment, ne se rendant sans doute pas compte de tout le bruit qu'elle faisait, de tout l'agacement qu'elle commençait à me procurer. Un sentiment amer, désagréable s'infiltra en moi alors que je tentais de me concentrer sur les lettres s'affichant devant mes yeux, lettres qui continuaient à défiler sans que je n'arrive à les saisir, à comprendre leur sens.

Je grognais, la fixais, de nouveau.

Détestant être si distrait par sa présence frivole, je la regardais, néanmoins, l'observais discrètement, profitant de son moment d'absence pour l'analyser en toute tranquillité, analyser son visage, ses cheveux, ses yeux, tenter de comprendre la raison qui se cachait derrière ce tapotement ennuyant, la raison qui se cachait derrière son regard si perdu, si pensif. Quelque part au fond de moi, quelque part dans un coin de ma tête des mots surgirent, des mots tels que ''elle est jolie'' ou encore ''ses cheveux... on dirait de l'or'', mots que je m'empressais de cacher et d'attraper, d'emprisonner dans une boite secrète et introuvable.

Elle soupira.

Ce fut si soudain que je reculais rapidement sur ma chaise, écarquillais légèrement les yeux, tout en tentant de regarder ailleurs, les joues rougies par une certaine forme de honte, me rendant compte d'un seul coup l'étrangeté de ce moment, de cet instant où, tel un voyeur, je la regardais rêver, admirant sa beauté.

Lisanna se frotta les tempes, ferma les paupières et souffla, de nouveau, l'air emprisonnée dans un sinueux dilemme.

Puis elle leva son regard doré sur moi, dans un geste si soudain et imprévisible, l'air différent de cette princesse que j'avais épié en secret, il y a quelques instants de cela. Elle avait l'air plus assurée, moins gênée, moins timide, avait l'air tellement plus forte et plus mûre tout d'un coup et cette différence inattendue me mettait légèrement mal à l'aise, inconfortable sur ma vieille chaise en bois.

-Natsu... puis-je vous poser une question ? Si vous me promettez de ne pas vous emporter...

-Je... oui, bien sûr. De quoi s'agit-il ?, répondis-je dans un souffle effaré en fronçant les sourcils.

Intrigué.

-C'est juste que cette scène, dans le village, quand votre capuche est tombée et que tous les villageois se sont mis à hurler... je me demandais comment vous vous sentiez, à propos de cela. Avez-vous l'habitude de... d'être considéré comme un monstre par tout le monde ? Devez-vous vous cacher le visage et le corps à chaque fois que vous sortez de chez-vous ? SI vous sortez de chez-vous ? Je trouve ça tellement cruel et injuste... et je... je ne sais pas, à vrai dire. Tout ceci trotte dans ma tête mais je ne sais pas vraiment quoi dire, en fait.

J'étais étonné.

J'étais étonné de la voir, elle, cette princesse aux cheveux d'or, cette princesse aux airs insouciants et lunatiques, cette femme que je ne connaissais que depuis une semaine, commencer à s'inquiéter pour moi, commencer à se sentir concernée par moi, commencer à souhaiter m'offrir son aide. Elle souriait gentiment, timidement, rougissante et mourant d'envie de baisser le regard mais trouvant la force de ne pas le faire, trouvant la force pour tenter de se rapprocher de moi, s'intéresser à moi, moi, ce monstre aux allures d'homme qui ne faisait que penser à lui-même, égoïste et froid, insensible, qui ne mérite même pas qu'on lui jette un seul coup d'œil.

Je détournais le regard, ne pouvant soutenir le sien, si bienveillant, si innocent.

Un goût amer commençait à se répandre dans ma bouche, me faisant grimacer.

Et si tout ceci n'était que de la pitié ? Cette pensée s'infiltra dans ma tête aussi vite et sournoise qu'un serpent, et avant même que je ne m'en rende compte, elle commença à empoisonner mon esprit, mon cœur, mon cerveau, les piégeant tous dans son fléau, répandant des '' ce n'est que de la fausse compassion'' ou encore des '' une princesse comme elle ne pourra jamais s'intéresser proprement à quelqu'un comme toi, de toute façon''. La poitrine lacérée par une douleur vive, aigue, le cœur noyé dans une certaine forme de chagrin et de peur, de honte, de frustration, de méfiance, je serrais les poings, me levais si rapidement que j'en fis tomber ma chaise et décidais de la rejeter, elle et ses regards bienveillants, elle est ses paroles douces et compatissantes.

-Je n'ai point besoin de ta pitié, crachais-je brutalement, oubliant toutes les règles de politesse que j'avais apprises jusqu'ici.

Lisanna recula, écarquillant les yeux.

Je restais là, comme ça, pendant une minute ou deux, pendant un temps infini qui ne cessait de se prolonger encore, à la regarder, à supporter son regard effrayé, terrorisé tandis qu'un sourire amer se frayait un chemin sur mon visage. Je m'attendais à ce qu'elle se lève, à ce qu'elle crie, à ce qu'elle déguerpisse et s'enfuisse, et ne la voyant effectuer aucune de ces actions, je me mis à grogner de frustration.

Pourquoi ne fuit-elle pas ? Elle, cette femme si fragile que n'importe quel souffle d'un vent trop féroce ferait tomber, tellement fragile que j'avais peur de la briser, avais peur de m'attacher et avais peur de ressentir de nouveau l'affreuse douleur que causera sa perte, savoir pertinemment que je dois la laisser partir, mais n'en trouvant la force de lui ouvrir la porte.

Et finalement, me voilà, debout devant elle, le visage baissé, le dos courbé et les membres tendus, énervés, bouleversés par l'amertume de la honte.

Quelque part, derrière moi, une porte s'ouvrit soudainement.

Précédant ce long grincement, des petits pas légers se firent entendre et une silhouette familière sortit de l'ombre, s'approchant, souriant.

-Natsu, je l'ai trouvée, la sorcière !, s'exclama Erza en me tendant un papier, une carte vieille et abîmée, sur laquelle des gouttes de sang semblaient s'agglutiner afin de marquer un endroit bien précis, indiquant la position de ladite sorcière.

-Enfin !, ne puis-je m'empêcher de m'exclamer de joie, fixant encore et encore, incrédule, la carte de mon amie la fée.

Elle sourit, simplement, rapidement.

-Viens, je vais préparer les chevaux et quelques affaires. Tu dois aller tout de suite la voir; après tout, elle risque de disparaître à tout moment. Tu sais bien qu'elles changent d'endroit tout le temps, ces sorcières ! Pire que des...

Un bruit de chaise qui se renverse se fit entendre, coupant Erza.

Dans un même mouvement synchronisé, nous nous retournâmes tous les deux, surpris et curieux, et vîmes se dresser devant nous une princesse toute timide, ses joues embrasées témoignant de sa gêne, mais dont le regard décidé brillait d'une lueur dorée.

-Je..., hésita-t-elle, en serrant les poings et s'approchant de nous, S'il-vous plaît, Natsu ! Laissez-moi venir avec vous ! J'en ai marre de vivre ainsi, dans une perpétuelle ignorance ; je veux comprendre, comprendre pourquoi vous voulez aller voir cette sorcière, pourquoi avez-vous cette apparence de dragon, pourquoi m'avez-vous donné ce conte et surtout pourquoi sa dernière page a été arrachée...pourquoi cette bibliothèque est remplie de livres parlant de malédiction, de sortilèges, de nymphes, de fées, de dragons, de sorcières, de centaures....Je veux savoir quel est mon rôle, pourquoi suis-je ici ? Qu'attendez-vous de moi, au juste ?

J'ouvris la bouche, restais en suspension pendant quelques instants, avec ma bouche ouverte et mes pensées désorganisées, à essayer de les attraper, de les attacher et de mettre tous ces mots qui ne cessaient de se chevaucher dans ma tête dans une suite logique. J'ouvris la bouche et restais ainsi, pendant un moment long, inépuisable, avant de finalement la refermer. Ne sachant quoi dire. Ne sachant quoi répondre. Trop surpris pour répliquer, pour faire quoi que ce soit.

La vérité était que j'étais loin de me douter. Loin de me douter que Lisanna se sentait aussi rejetée, aussi mise de côté, aussi seule et déséquilibrée.

La vérité était que je venais à peine de me rendre compte de ce détail, si petit, si insignifiant : Je ne lui avais jamais rien expliqué, lui avais seulement attribué un rôle fictif qu'elle ne connaissait même pas et m'étais contenté de l'éviter, trop effrayé, si peu courageux.

- Nous n'avons point le temps de préparer une charrette, princesse, répondit la voix d'Erza.

Une voix remplie d'une certaine forme de chaleur, indescriptible, insaisissable.

-Je sais monter à cheval, ne vous inquiétez pas pour cela.

-Lisanna, je ne pense pas que ce soit une très bonne idée. C'est dangereux et je ne souhaite pas vous voir blessée.


Me voilà enfin, qui répond sans même m'en rendre compte, toujours surpris, toujours confus, toujours perdu. Ma bouche ayant agi de son propre-chef avait fini par laisser entre nous trois un silence lourd, coupable.

- Laisse-la venir avec toi, Natsu, finit par me chuchoter Erza.

-Elle n'est même pas habillée comme il le faut !

-Je lui prêterai un pantalon et une chemise. Mais il faut que tu saisisses cette chance, Natsu ! En si peu de temps elle a fait plus d'effort que la dizaine de princesses que t'as côtoyé jusqu'à présent !

Je soufflais.

Elle avait raison, je le savais bien, très bien même. Je devais saisir ma chance, me rapprocher encore plus d'elle et la faire tomber. J'étais si proche de mon but, si proche de tout ce dont j'ai toujours rêvé, si proche de devenir un humain à part entière que mon cœur rata un battement et l'excitation, l'impatience se mit à bouillir dans mes veines.

Néanmoins une douleur me fit suffoquer, et reculer, baisser la tête, regretter ces paroles destructrices que je m'apprêtais à lancer :

-Vous pouvez venir.

Je me détournais aussitôt mes paroles lancées, aussitôt une lueur de joie traversant son regard, ne souhaitant pas la voir se réjouir, ne voulant pas l'entendre me remercier, la voir rougir de plaisir et s'enthousiasmer, sa voix s'agitant dans la pièce tandis qu'elle demanderait à Erza des vêtements, des détails, tandis qu'elle se renseignerait de la façon dont elle pourrait m'être utile.

Je sortis de la bibliothèque, sortis de la maison, rapidement, en trombe, sortis dehors et sous la lune, je sortis un papier, vieux et amoché que je gardais toujours dans le fin fond de ma poche.

Tout à l'heure, tandis qu'elle laissait couler un flot de paroles, tandis qu'elle nous expliquait pourquoi venir avec moi lui tenait tant à cœur, elle avait mentionné ce petit conte que j'avais laissé dans sa chambre juste avant son arrivée. Elle avait demandé pourquoi lui avais-je laissé un livre si vulgairement déchiré, pourquoi ce livre avait été pourvu de sa dernière page.

-Oh, princesse, tu ne sais même pas dans quoi tu t'apprêtes à t'embarquer, soufflais-je à la lune en dépliant le papier.

En commençant à lire, rapidement :

« Des chuchotements roques, incompréhensibles, des paroles vulgaires furent lancées à la dragonne. Des tentatives de rébellion furent rapidement échafaudées, les cinq pauvres aventuriers abandonnés à une folie qui les aveuglait étant submergés par leur soif de sang soudaine, par la force terrible qui bouillonnait dans leurs veines.

Ils ne savaient comment réagir face à tant de pouvoir.

Cependant ils furent rapidement expulsés hors du village, abandonnés à leur solitude, à leur terreur, à leur colère. Ils promirent la revanche, ils jurèrent le chaos, alors que leurs silhouettes ternes et recourbées marchaient dans les bois abandonnés.

Ils errèrent ainsi pendant un nombre d'années incalculables, se séparant petit à petit et ces meilleurs amis commençaient à devenir des ennemis qui n'hésiteraient pas à s'égorger s'ils venaient à se rencontrer. Ils errèrent ainsi, semant la peur dans des villages et leur esprit de plus en plus terni semblait se nourrir de toute cette souffrance qu'ils causaient.

Mais, un d'entre ces cinq ennemis s'avéra être plus intelligent, moins influençable, son esprit étant trop fort, trop noble pour succomber à la folie. Ce brave homme-bête passa son temps à chercher un remède à sa malédiction, puisque contrairement à ses semblables, il souhaitait redevenir un humble humain. Il chercha longtemps et durement, fut prêt à renoncer quatre fois, continua à chercher quatre fois après s'être senti aspirer vers le bas, eu le courage de tout essayer.

Et puis un jour, il rencontra enfin une sorcière, une vieille, qui avait élu domicile dans une bien étrange forêt. Elle prétendait connaître la réponse à sa question, expliquant qu'elle avait ouïe de cette malédiction de son ancêtre très éloignée.

Finalement, de sa voix de vieille qui tremble et qui fuit, elle récita :

-Pour retrouver l'humanité, une princesse doit succomber, une princesse de sang royal doit t'aimer suffisamment pour que, lors d'un tendre et funeste baiser, tandis que son corps se transformera en cendres, son cœur pur te sera donné. Seul ce sacrifice sera digne de défaire les nœuds de ta malédiction.





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