Chapitre 1
-Père, je n’arrive pas à y croire ! Comment osez-vous ! Comment osez-vous faire une chose pareille !, crie une voix aigue en brisant le silence épais qui s’était installé dans la grande salle du trône.
Un soupir et des brefs mots marmonnés viennent répliquer. Le roi baisse sa tête et gratte l’arrière de son crâne, un air fatigué flottant sur ses traits. Épuisé, lassé de tous ces problèmes, de tous ses cris, de ces paroles incontrôlables qui ne font qu’accroître sa fatigue, de tous ces ‘’pourquoi’’ qui suscitent des accusations et de ces futiles interrogations. Il soupire encore une fois et semble hésiter, réfléchir encore plus ou peut-être profiter de ce bref instant de silence, de calme, avant de finalement relever la tête. Avant de croiser mon regard et de laisser un sourire triste apparaître sur ses lèvres.
-Il arrive dans trois jours…dans trois jours, notre problème sera réglé.
-Je n’arrive vraiment pas à croire que vous osez donner ma main à ce…cette…ce monstre !
De bout près de la princesse, au milieu de cette discussion qui gagne en intensité, je regarde, je fixe, j’observe et j’hésite. J’hésite à prendre la parole, j’hésite à attirer l’attention de ma maîtresse sur moi. J’hésite et je me tais, me contentant d’attendre, impatiente, nerveuse, ce que le roi avait à dire, quand le roi allait le dire. Mais il se tait. Il se tait et attend, se tait et réfléchit tandis que moi, je ne comprends pas :
Pourquoi continuer ce jeu ? Après tout Il n’y a aucun intérêt à faire durer le suspense plus longtemps, à faire durer les cris, l’angoisse, les brefs moments de silence poursuivis par des exclamations, des indignations incrédules.
-Ma chère, voyons, de quoi parlez-vous ?, rétorque-t-il doucement, une ointe d’incrédulité et de fausse surprise transperçant sa voix.
-De quoi je parle ? De quoi je parle ! Seriez-vous devenu fou, mon père ? Auriez-vous oublié ce qu’il vient justement de se passer ?
Un rire et encore un soupire, puis le roi finit par se redresser, par regarder sa fille droit dans les yeux et par lui annoncer, sa voix vibrant dans la pièce :
-Ce n’est pas ta main que je vais donner à la bête, ma fille…
Il se tait, inspire, hésite. Tend les cordes que la tension avait liées autour de mon cou puis continue :
-Mais plutôt celle de ta dame de compagnie.
J’ai le souffle coupé.
Je ne comprends pas pourquoi; je m’y attendais, pourtant. La solution était tellement simple, tellement facile, tellement proche que je la sentais déchirer mon cœur, étirer mon âme mais j’ai quand même le souffle coupé. Coupé par la surprise, coupé par cette vérité qui s’est étalé devant moi. Coupé par cette vérité qui est devenu, tout à coup, bien trop visible, bien trop réelle pour que je l’ignore tout simplement. Pour que je fasse comme si ce n’était rien. Et à présent, ce cœur déchiré se bat, se débat tel un oiseau en cage dans ma poitrine, désireux de sortir, de s’enfuir, de riposter, de laisser des paroles invisibles essayer en vain de me sauver d’une chute.
Le silence s’est installé encore une fois, rempli de froid, rempli d’exclamations et de protestations prisonnières qui aimeraient tellement sortir, s’enfuir et s’aplatir contre se plancher de marbre. Je sens le regard surprit de la princesse se diriger vers moi et me fixer d’un air incrédule. Choqué. Déchiré et coupable de se rendre compte que cette solution l’arrange. Ses yeux bleus hésitent, se détournent aussitôt pour s’accrocher aux murs, aux rideaux, à son père… m’évitant ainsi.
-Je ne peux pas l’accepter, chuchote-t-elle d’une voix petite, fragile, tout à coup, comme si elle était devenue de cristal et qu’elle risquait de se briser à tout instant.
-Ma fille… c’est la seule solution.
-Je sais…je le sais bien, mais je ne peux pas l’accepter !, s’exclame-t-elle tout à coup en fronçant les sourcils. Et toi, Lucy, comment est-ce que tu peux te contenter de hocher la tête sans broncher ?!
Je la regarde sans comprendre, la fixe sans saisir ce que veulent dire ses paroles, l’observe en silence comme si elle est devenue une inconnue, tout à coup, une inconnue qui parle une langue étrangère, qui crie des mots incompréhensible, et qu’on aurait envie de laisser là, de l’abandonner sur un chemin quelconque en faisant semblant de ne pas la voir, de ne pas l’entendre.
Je la regarde puis mes yeux se baissent pour fixer mes mains, mes dix doigts longs et fins, fragiles s’accrocher à ma robe en satin, la tirer de toutes leurs maigres forces comme s’ils essayent de me tirer de là, de me sortir de cette tombe que je suis en train de creuser. Ils serrent, tirent, tripotent en harmonie avec mon cœur, tout à coup sauvage et étranger qui se bat et se débat dans cette cage qu’est ma poitrine.
-Tu n’as donc pas peur ?, demande la princesse aux courts cheveux blancs d’un air horrifié.
Je garde la tête baissée, refusant de lui répondre, ne sachant quoi lui répondre.
Si je n’ai pas peur ?
Oui, bien sûr, évidement que j’ai peur, je meurs d’effroi et tout mon corps, mon âme crie de terreur, tremble et s’agite pour essayer de courir, de s’enfuir. J’ai peur. Très peur et ceci est une évidence, mais je ne peux pas laisser ce sentiment nouer des liens invisibles à mes poignets, ne peux pas laisser mes instincts et ma petite voix me guider aveuglement à travers ce long chemin sinueux qui se profile devant moi.
Je ne peux pas partir, refuser et m’échapper en laissant ma dame, ma princesse, ma meilleure amie.
Ça serait trop égoïste, après tout ce que tu as fait pour moi.
-Je…oui, j’ai peur, admit-je en prenant la parole pour la première fois, ma voix légère flattant dans l’air.
-Alors comment peux-tu vouloir faire ça ?!, crie-t-elle, se révolte-t-elle avant de faire volte-face. Père ! Nous ne sommes pas obligés de lui donner Lucy, nous pouvons prendre n’importe quelle autre dame des cuisines et…
-Non, nous ne pouvons pas, la coupe le roi, calme, posé, sérieux. C’est un dragon, Lisanna; tu ne peux pas duper un dragon, et c’est trop dangereux d’essayer. Déjà, je prends un risque pour te… pour vous sauver, toi et Mirajane.
Je soupire, laisse un long et bruyant râle sortir de mes lèvres et m’avance un peu. Faisant un pas en avant, je déglutis, hésite, encore, encore, et encore, puis finis par ouvrir la bouche. Finis par enfin dire :
-Ce n’est rien…Nous n’avons pas le choix et je comprends que ça vous fasse mal, votre majesté, mais je…
-Bien sûr que ça me fait mal !, me coupe la princesse et braquant sur moi des yeux lumineux, fous, farouches sur moi. Tu es ma meilleure amie, après tout !, s’exclame-t-elle en me tournant le dos, en se mettant à courir.
Elle sort de la salle et laisse derrière elle toutes ces bonnes manières qu’elle a mit tant de temps à apprivoiser. Laisse derrière elle ce silence qu’elle a tant combattu, en préférant s’enfuir, partir, n’osant plus me regarder, ayant peur de cette douleur ou cette culpabilité qui risque de l’assaillir si elle me voit de nouveau.
Je baisse la tête et fixe de nouveau ces dix petits doigts serrer ce bout de tissu lavande, avant de se desserrer et de le laisser filer, ayant perdu toute envie de se battre.
Je souris, lentement, amèrement et laisse cette étrange impression d’avoir perdu, de m’être perdue se répandre dans mon cœur. J’aimerais tant être assez forte pour suivre cette amie aux cheveux blancs, assez forte pour me battre pour moi-même, assez forte pour tenir tête au roi et pour vouloir rester, mais. Mais. Comment pourrais-je le faire ? Comment pourrais-je partir ? M’enfuir? Céder ce triste sort qu’est le mien s’abattre sur Lisanna ?
Je ne peux pas. C’est ainsi. C’est comme ça. Je suis comme un lapin prit dans le piège d’un chasseur; j’ai beau me débattre, beau me battre, beau crier, me révolter, pleurer cela ne résoudra rien, fera juste en sorte que ce piège se resserre encore et encore plus sur moi. Au final, je suis condamnée. À la fin, je partirai avec le dragon.
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