Chapitre 6 Partie 3
An 2883.
Camp militaire de Ramsat, Karianis.
Six mois après le début de la guerre civile d'Obériande
C'est de bonne heure que Reid et Han se mirent en route le lendemain matin. Ils avaient passé quelques heures la veille à finaliser certains détails. La journée précédente avait parue extrêmement longue au jeune homme. Il était difficile pour lui d'oublier ce que lui avait appris Niila sur celle qu'il avait toujours connue en tant que ''la femme en noir''. Ganyma ; c'était son nom.
Il voulait en apprendre d'avantage à ce sujet. Il savait que Niila ne lui avait pas tout révélé, par soucis de temps, avait-elle prétexté. Il sentait que la générale ne lui avait pas seulement parlé d'elle pour qu'il sache à qui il avait affaire. Elle avait essayé de lui dire autre chose ; il lui fallait lire entre ligne pour comprendre où elle voulait en venir.
Contrairement à elle, il n'avait pas la capacité de sonder les pensées des gens. D'ailleurs, il était bien décidé à améliorer ses défenses mentales. Ce voyage sera aussi pour lui l'occasion de s'entraîner avec un expert.
Il leur faudra environ trois jours pour atteindre Al'Bayam. Les deux jeunes hommes avaient prévu de ne s'arrêter qu'une fois la nuit tombée, pour laisser leurs chevaux se reposer et se rafraîchir. Han connaissait l'emplacement de points d'eau assez discrets qui se trouveraient sur leur chemin. Il avait prévu par lesquels ils allaient passer, à quel moment ils y seraient, et pour quelle durée. Il tenait à ce qu'ils gèrent minutieusement leur temps ; chaque étape devait être réalisée à un instant précis qu'il déterminait à l'avance, et devaient durer aussi longtemps qu'il le prévoyait ; il notait tout sur une feuille, en précisant les fourchettes de temps qu'ils pouvaient se permettre.
Ce n'est que lorsque Ramsat fut hors de leurs vues que Reid commença à réaliser ce qu'il s'apprêtait à faire : entrer en territoire ennemi, en tant que seul résistant kariani. Et son seul allié ; était un merildi, originaire d'un pays dont il était l'ennemi, un espion, et doté de pouvoirs elysiens. Évidemment, une part de lui se méfiait continuellement de cet étranger, mais, sans qu'il n'en comprenne la raison, il ''sentait'' qu'il pouvait lui faire confiance. Peut-être était-ce la raison pour laquelle Niila avait insisté ; assurant que Han était digne de confiance. Était-il prudent de se fier à ce type de ressenti ?
Il était trop tard, maintenant, pour se poser cette question.
Ils avaient chevauchés toute une journée, et ne s'arrêtèrent que lorsqu'il fut trop sombre pour voyager prudemment. Comme s'y était attendu Han, ils se trouvèrent exactement au premier point d'eau prévu sur leur itinéraire, pile au moment où l'avait envisagé le merildi.
Ils laissèrent leurs chevaux s'abreuver, et préparèrent sommairement un espace où ils pourraient eux-même se reposer, et se nourrir.
Ils étaient assez loin de toutes habitations ou camps merildis, et décidèrent donc, qu'il n'était pas dangereux d'allumer un feu. Une fois fait, ils s'installèrent l'un en face de l'autre, sur les selles qu'ils avaient posés à même le sol. Chacun faisant face aux flammes, seules sources de lumière dans ce lieu envahi par les ténèbres. Aucun des deux n'avait besoin du feu pour se repérer dans la nuit ; il n'avait été allumé que pour réchauffer leur corps et leur repas. Malgré l'heure tardive, les sens de Reid étaient encore en alerte. Han lui jeta de furtifs regards en avalant rapidement son repas. Lorsqu'il en eu assez, il se frotta les mains, et se leva pour se rapprocher de Reid.
-Donc, comme tu me l'as dit hier, tu aurais besoin d'entraînement ; tu veux renforcer tes défenses mentales.
Reid acquiesça. Han s'installa devant lui, en tailleur.
Il tira quelques morceaux de bois, qu'ils avaient préalablement ramassé et entassé, et en posa un sur le feu pour l'alimenter, avant de reporter son regard sur le résistant.
-Comment est-ce qu'on commence ? demanda ce dernier.
Reid vit le front de Han se plisser.
-Eh bien ... , avant tout, il faudrait d'abord que tu te positionnes le plus confortablement possible. Prends ton temps pour trouver une bonne position.
-Et si tu me disais quelle était la meilleure position ? Demanda Reid.
Han sourit. Reid remarqua qu'il le faisait souvent. Il se demanda s'il s'agissait d'une habitude, ou s'il avait dit une chose qui aurait pu déclencher cette réaction.
-Ça dépend de chaque personne. Il faut juste que tu puisses rester confortablement immobile le plus longtemps possible.
« Confortablement immobile ; est-ce qu'on peut vraiment utiliser ces deux mots dans la même phrase ? » se dit Reid.
Il s'exécuta tout de même, en prenant finalement la même position que Han, ne sachant réellement comment s'asseoir tout en étant certain de pouvoir rester immobile pour un certain temps.
L'espion attendit patiemment, le regardant changer plusieurs fois sa façon de s'installer.
-Et maintenant ? Interrogea Reid.
-Pour la suite, je te conseillerais de fermer les yeux. Ce n'est pas indispensable, mais cela simplifie l'exercice.
Reid qui n'était pas encore capable de faire entièrement confiance à cet homme, malgré ce que lui dictait son instinct, hésita un petit moment. Si ce n'était pas indispensable, il pouvait très bien garder les yeux ouverts. D'un autre côté, ses autres sens étaient assez aiguisés pour qu'il puisse sentir l'imminence d'un danger. D'ailleurs, si jamais Han avait l'intention de l'attaquer, il le ferait plutôt une fois qu'il sera certain que Reid se soit endormi. De toute manière, le fermier n'était pas certain lui-même de pouvoir fermer l'œil cette nuit.
Ses yeux se fermèrent enfin. C'était quasiment son esprit qu'il confiait à Han ; il était absurde de se questionner d'avantage à ce sujet. Il se rassura en se disant qu'il avait ses autres sens, et de bons réflexes.
-Voilà, maintenant, prends une grande inspiration. Vas-y doucement.
Reid inspira profondément.
-Sens ta poitrine se gonfler, puis expire lentement.
La voix de Han était calme. Il expira aussi lentement qu'il en était capable, tout en sentant la pression dans sa poitrine se relâcher.
-Recommence, lui dicta Han.
À nouveau Reid inspira et expira. Han lui fit refaire la même chose deux fois de plus.
Au bout de la quatrième fois, Reid était beaucoup plus détendu.
Le silence s'installa un moment. Le crépitement des flemmes semblait plus fort, plus prononcé. Une légère odeur de brûlé s'en dégageait ; il sentait sa chaleur se propager à partir de sa droite ; c'est ce côté qu'il exposait au foyer.
-Pose ta main gauche sur le sol, reprit Han.
Reid déplaça sa main de sa cuisse au sol.
Celui-ci était sec ; de rares brins d'herbe avait réussi à y pousser, mais c'est principalement de la poussière qu'il sentait sous des doigts.
-Pose-la bien à plat. Fais en sorte que ta peau soit le plus possible en contact avec la terre.
Il écarta légèrement ses doigts ; sa main s'aplatit. Il sentait également de minuscules cailloux ; ceux qui étaient assez petits pour se glisser dans les chaussures.
-Respire à nouveau. N'oublie pas de respirer.
La terre sous ses doigts était fraîche ; elle avait été protégée des rayons du soleil grâce à l'ombre des arbres qui abritaient ce point d'eau.
-Essaie de ressentir tout ce qui se trouve sous la paume de ta main, de tes doigts.
Reid se retint de lui répliquer que c'est ce qu'il était déjà en train de faire ; mais il se tût, et laissa le merildi continuer.
-Ressens la texture de la terre. Les irrégularités du sol, sa température. La vie qui s'y est développée.
Une légère brise se faufila jusqu'à eux, faisant légèrement s'agiter les flemmes, puis le bruissement des branches des arbres se fit entendre.
Reid tenta de se concentrer. Il reprit une inspiration. Et fit légèrement glisser sa main sur le sol.
Une fine pellicule de poussière s'était formée sous ses doigts ; il résista à l'envie de s'essuyer la main. Après tout, il était habitué à travailler la terre ; il n'avait pas peur de se salir. C'était simplement un réflexe ; quand on a les mains trop sales, on ne peut plus aussi bien travailler ; il était habitué à les essuyer sur son pantalon.
Il fit rouler quelques petits cailloux sous ses doigts, et de temps en temps, sentit les sommets de courts brins d'herbe. Et enfin, un léger chatouillement parcouru sa main ; des insectes s'étaient approchés et grimpaient maintenant sur sa main.
-N'ouvre pas les yeux, lui dit Han comprenant ce qu'il s'apprêtait à faire. Essaie de deviner ce dont il s'agit.
Reid se concentra sur la sensation légère qui parcourait sa main, atteignant rapidement son poignet. Il ne sentait quasiment par leurs poids ; c'est surtout le mouvement rapide de leurs pattes grimpant le long de son membre qui lui donnait une idée de ce que cela pouvait être. Il était quasiment certain de quel type d'insecte il s'agissait ; grâce à sa vie de travail dans les champs, il avait pu observer une multitude de sortes de petites bêtes qui vivaient dans la terre. Celle-ci en l'occurrence, était l'une des plus commune. Un petit sourire étira ses lèvres ; un rictus nerveux, il avait une furieuse envie de secouer sa main pour les déloger.
À son grand étonnement, alors qu'il n'avait pas fait le moindre mouvement, les fourmis redescendirent toutes rapidement de son poignet. Il avait à peine pensé au fait de vouloir qu'elles s'en aillent, que son souhait fut réalisé.
-Tu penses trop fort, lui dit Han, amusé. Elles le sentent.
-Comment ça ''elles le sentent'' ? Tu veux dire que ce sont des fourmis elysiennes ?
Le merildi éclata de rire.
-Tu veux encore continuer l'exercice ou on n'arrête là pour le soir, demanda-t-il, sans se prendre la peine d'expliquer le phénomène.
Reid gardait encore ses yeux fermés.
-On vient à peine de commencer ; on continu, répondit-il, reprenant son sérieux.
-Bien, alors on va compliquer les choses. Tu peux repositionner ta main comme tu le veux maintenant.
Les deux mains posées sur ses genoux, Reid reprit une grande et lente inspiration, avant d'expirer tout aussi lentement.
-À partir de maintenant nous allons élargir la surface de tes perceptions. Le but est de t'amener à t'ouvrir mentalement à ton environnement ; tu devras être capable de ne plus seulement utiliser tes sens physiques.
Reid fit un bref mouvement de la tête pour signifier qu'il avait compris.
-Alors concentre-toi. Ressens tout ce qui t'entoure. La fraîcheur de la nuit, la faible brise qui caresse ta peau, le frottement des vêtements que tu portes. Écoute les sons de ces bois, et essaie plutôt d'en ressentir les vibrations. Tu remarqueras que la nuit est beaucoup plus bruyante que tu ne pouvais l'imaginer. Ressens autant que tu le peux.
Reid se mit à l'œuvre, et fit de son mieux pour porter son attention au maximum de ses capacités. Durant de longues minutes, Han ne dit plus rien ; il se contenta d'observer Reid en silence. Ce dernier décida de s'aventurer un peu plus loin avec ses perceptions, jusqu'à atteindre l'endroit où ils avaient attachés leurs chevaux. Les deux bêtes se reposaient tranquillement, elles étaient quasiment silencieuses. Le résistant essaya alors de faire ce que Han lui avait dit. Il dirigea une grande part de son attention vers le faible son que produisait ces animaux, et tenta d'en extirper les vibrations correspondantes. Cela lui prit un bon moment ; il devait d'abord comprendre ce que le merildi essayait de lui dire. Il fini par saisir au moment où l'une des bêtes s'ébroua tranquillement. Reid retint ce son dans sa mémoire et tenta de le décomposer pour en extirper certaines des ondes vibratoires qui le composaient. Au bout du compte ce qu'il obtenait n'était plus un son, ou n'y ressemblait plus ; il s'agissait, comme les appelait Han, de vibrations qu'il ressentait jusqu'au plus profond de lui. Il décida de se couper de ce son, et se rendit compte, ensuite, que toute sa perception avait évoluée ; comme s'il avait gagné un nouveau sens. Il était maintenant capable de sonder son environnement avec ses sens sur-développés habituels, mais aussi d'en capter les vibrations. Le sol lui-même lui en envoyait ; les arbres, les plus petites formes de vies lui étaient percevables de cette manière. Il était comme doté d'un radar ; il pouvait détecter le moindre obstacle à quelques dizaines de mètres, les yeux fermés. Sa vision nocturne, à côté,semblait modestement primitive.
-Les elysiens les plus puissants sont capables d'utiliser leur perception vibratoire sur plusieurs centaines de kilomètres, voir même plus encore, lui apprit Han.
Reid rouvrit finalement ses yeux.
-Avec un peu d'entraînement, tu pourras progressivement aller de plus en plus loin. Mais ce n'est pas le but principale.
-Donc, tout ça était nécessaire pour ensuite améliorer mes défenses mentales, déduisit Reid.
Il se souvenait que Niila lui avait parlé d'un exercice semblable à celui que venait lui faire réaliser Han.
-Oui. Dès demain, on s'attaque aux choses sérieuses, le prévint-il. Mais d'abord, nous allons devoir reprendre des forces.
-Très bien. Je prends le premier quart, annonça sans tarder Reid.
Son compagnon lui jeta un regard curieux.
-Je suis trop excité par l'exercice pour m'endormir tout de suite, expliqua le jeune résistant kariani.
Han pouffa de rire avant de s'allonger sous une couverture de l'autre coté du feu.
-Comme tu voudras, dit-il alors qu'il se retournait. Réveille-moi quand tu voudras dormir.
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