Chapitre 6 Partie 2


An 2883.

Camp militaire de Ramsat, Karianis.

Six mois après le début de la guerre civile d'Obériande


Quelques heures plus tôt ...


« Nous avons certaines choses à nous dire toi et moi »


Alors qu'il était sur le point, tout comme les autres, de quitter la pièce, Reid se retourna. Il jeta un regard curieux à la générale qui se contentait de le fixer, une expression apparemment perpétuellement sérieuse gravée sur son visage. Il s'écarta légèrement pour laisser Todrin passer.

-Je te retrouve plus tard, lui glissa rapidement ce dernier avant que la porte ne se referme derrière lui.

Reid se rapprocha de la table au centre de la pièce. De l'autre côté, Niila quasiment immobile prit son temps avant de débuter leur conversation privée.

-Tu ne devrais pas lui faire confiance, lui dit-elle.

Le jeune homme leva un sourcil, étonné.

-Je ne devrais pas faire confiance ... à qui ? Demanda-t-il.

Il se doutait de la réponse, mais il préférait s'assurer qu'ils étaient bien tous les deux en train de parler de la même chose.

-Ganyma, entendit-il.

Il n'y avait aucune personne portant ce nom, parmi les membres de son entourage. Pourtant, il lui était vaguement familier.

-Elle ne t'as sans-doute jamais révélé son nom, reprit Niila. Mais c'est ainsi qu'elle se nomme : Ganyma Delvagon.

Pour lui, elle avait toujours été ''la femme en noir''.

-Comment ... Comment savez-vous qu'elle est en contact avec moi ?

Il se tendait progressivement. Cette conversation le mettait beaucoup trop mal à l'aise. Il avait un étrange pressentiment ; une fois qu'il sortira de cette pièce plus rien ne sera comme avant. Ce nom lui disait vraiment quelque chose ; il essayait de se souvenir où il l'avait déjà entendu, mais n'y parvenait pas : les sons de ces syllabes résonnaient dans son esprit, cherchant à réveiller aux tréfonds de sa mémoire les informations qui y étaient associées.

-Chaque elysien laisse une emprunte qui lui est propre dans l'esprit de son interlocuteur lorsqu'il communique de cette manière. Si l'on est assez doué, on peu la déceler. En ce qui concerne Ganyma, c'est simple, d'autant plus que je la connais très bien.

-Je ne connaissais même pas son nom, ricana Reid.

-Vraiment ? Elle ne te l'as donc jamais révélé ?

-Qui est-elle exactement ? Demanda-t-il.

Il avait besoin de réponses. Quelque part, il était effrayé de ce qu'il risquait de découvrir, mais il avait passé beaucoup trop de temps dans l'ignorance et le doute.

-Il existe de multiples manière de dire qui est telle ou telle personne.

Niila fit une pause, lui lança un bref regard, comme pour s'assurer qu'il était bien prêt à découvrir la vérité. Du moins, une partie de celle-ci.

-Ganyma Delvagon est loin d'être une inconnue dans les hautes sphères de la noblesse d'Obériande.

Dire que durant longtemps, Reid pensait qu'elle ne venait pas de cette planète.

-Je ne sais pas grand chose de son enfance, seulement que ses parents n'étaient pas très présents ; elle était principalement entourées de précepteurs et de gouvernantes. Lorsque ses pouvoirs elysiens se sont révélés pour la première fois, elle était encore très jeune. Cela avait finit par effrayer un bon nombre des employés de maison de la famille. Son père avait finit par ...

Niila soupira, et Reid crut brièvement percevoir l'ombre d'une émotion sur ce visage qu'il pensait d'ordinaire impassible.

-Son père était elysien lui-même, mais il avait également beaucoup de responsabilités ; il avait donc fini par confier Ganyma à un maître Vayen. Pour que celui-ci l'entraîne à maîtriser ses pouvoirs.

-Un maître Vayen ? Releva Reid. Qu'est-ce que c'est ?

-Ce serait trop long à t'expliquer maintenant.

Reid était curieux, et aurait voulu savoir ce qu'était un Vayen, mais Niila reprit le cours de l'histoire, sans ne plus mentionner ce mot.

-Toujours est-il que les parents de Ganyma s'étaient encore plus éloignés. Les années étaient passées, elle avait grandit, et elle s'est mis elle-même à voyager, à explorer le monde. Jusqu'à découvrir que son père entretenait une relation avec une autre femme, et avait un autre fils. Elle avait aussi découvert que sa mère le savait, et semblait poursuivre sa vie sans s'en offusquer le moins du monde.

-Pour quelqu'un qui dit ne pas savoir grand chose, vous semblez être au courant de ce qui m'apparaît être des détails, lui fit remarquer Reid.

Niila laissa échapper un sourire.

-Ganyma était entrée dans une colère noire, poursuivit-elle sans prendre en compte le commentaire qu'avait fait le jeune homme. Elle était furieuse. Je pense qu'elle s'était sentit trahit. Mais c'est à cette époque aussi qu'elle avait rencontré l'héritier du trône d'Obériande.

« Keder » pensa Reid.

-Le frère aîné de l'actuel roi des rois ; Rolan d'Obériande.

Ce ne fut qu'à cet instant, alors que Reid se rendait compte qu'il avait mal interprété l'histoire, que sa mémoire refit surface. Il avait entendu parler depuis son enfance, du destin tragique du couple formé par le prince d'Obériande et de sa fiancé elysienne : Ganyma : c'était elle ! Il avait comprit en grandissant que c'était une histoire qu'on racontait également pour bien faire comprendre aux enfants de se méfier des elysiens.

-Peu de membres de la cour approuvaient leur union, expliqua Niila. Mais Rolan et Ganyma n'en avaient que faire. De plus, Rolan semblait être une sorte de point d'encrage pour Ganyma, un repère. Peut-être se sentait-elle à nouveau en sécurité avec lui.

Niila fit une nouvelle pause.

-Vous la connaissez bien plus que vous ne voulez me le faire croire, dit alors Reid.

Les lèvres de l'officière s'étirèrent en un nouveau sourire. En racontant cette histoire, elle laissait transparaître une forme de sensibilité.

-Elle est un membre de ma famille, après tout, finit par révéler Niila. Famille éloignée, mais à l'époque nous étions assez proches pour que je sache certaines choses que peu pourrait te rapporter, Reid.

Le jeune homme commençait à se demander pourquoi Niila tenait à lui révéler ces choses.

-Presque personne ne savait que Ganyma et Rolan s'étaient finalement mariés, avant que le prince ne soit tué. Et qu'elle était enceinte.

Niila baissa brièvement les yeux.

-Mais la suite tout le monde la connaît : Keder est finalement monté sur le trône, et Ganyma a disparue.

-Qu'est-ce qu'il est arrivé au bébé ? Demanda Reid

Niila laissa échapper un bref rire ironique avant de répondre.

-Keder ne tenait pas à ce qu'un potentiel héritier soit un elysien ; il l'a fait tué.

-Quoi ? s'offusqua Reid.

-Ne soit pas naïf, lui dit la générale en soupirant. D'ailleurs en ce qui concerne Rolan, beaucoup disent qu'il est mort par la faute de Ganyma ayant perdue le contrôle de ses pouvoirs. Mais c'est un mensonge : là aussi, Keder s'est arrangé pour faire disparaître son frère. Il aurait également fait assassiner Ganyma s'il avait pu. Sauf qu'elle s'était comme ...évaporée.

-Qu'est-ce qu'il est arrivé aux parents de Ganyma ? Et le fils qu'avait eu son père avec une autre femme ?

-Eh bien ; je ne sais pas ce qu'il est advenu de sa mère. Quand à son père, ce serait trop compliqué à t'expliquer. Et enfin, le garçon, lui, est devenu un puissant elysien.

Le cœur de Reid battait à tout rompre. Il avait peur de commencer à comprendre.

-Enfin, en tout cas, pas encore assez puissant pour rivaliser avec elle, précisa Niila.

Il était si absorbé par ce qu'elle lui racontait qu'il sursauta alors que quelques coups retentirent à la porte. Hal Vapan poussa la porte pour y entrer.

-Je suis désolé de vous interrompre, Générale, mais, certaines affaires requièrent mon attention, et j'aurais besoin de mon bureau.

Niila fit un léger signe de tête avant de se diriger vers la sortie, faisant comprendre à Reid de la suivre.

-Je vous le laisse, dit-elle au commandant. Je vous l'ai emprunté assez longtemps.


Lorsqu'ils quittèrent le bâtiment, midi était passé depuis un bon moment, et l'estomac du jeune homme se rappela à lui grondant dans son ventre tel un animal affamé. Même s'il avait fini par s'habituer à ne pas manger, des journées entières, en pleine campagne militaire ; lorsqu'il n'était pas dans une sorte d'urgence, sa faim n'hésitait pas à surgir toutes les trois ou quatre heures, lui donnant souvent l'impression que son prochain repas sera probablement le dernier.

En ce début d'après-midi, d'immenses nuages d'orage s'amoncelaient au-dessus du territoire de Ramsat, obscurcissant les collines avoisinantes, faisant baisser la température et réveiller un vent de plus en plus violent. Les occupants du camp mettaient momentanément leurs activités en pause, afin de se mettre à l'abri. Il faisait de plus en plus sombre et les allées n'étaient éclairées que par les torches, accrochées aux murs des bâtiments, allumées à intervalle régulier. Certaines s'étaient déjà éteintes, n'ayant pas résisté aux bourrasques de plus en plus brutales de la tempête.

Reid et Niila parcoururent quelques pattés de maisons avant qu'elle ne l'invite à entrer dans l'une d'entre elles.

L'intérieur était beaucoup moins modeste que ce à quoi il s'était attendu. Le sol consistait en un parquet ciré, les murs étaient décorés de motifs floraux de multiples couleurs, et au plafond était suspendu un grand lustre, autour duquel montait un escalier en colimaçon. Niila grimpa jusqu'au premier étage, et entra dans la première pièce. Une fois, tous deux à l'intérieur, elle ferma soigneusement la porte.


Un tapotement régulier sur la seule fenêtre à carreaux de la pièce, indiqua au jeune homme qu'il avait commencé à pleuvoir.

-Nous sommes dans un bâtiments dédié à recevoir des visiteurs lui expliqua-t-elle. Je loge ici. Le lieutenant-commandant Darha et toi devaient sans doute partager une chambre dans ce même bâtiment.

-Nous n'avions pas terminé notre conversation, lui rappela Reid.

-Oui, c'est vrai. Nous avons été interrompu.

Niila n'en dit pas plus ; Reid était pourtant persuadé qu'en la suivant, elle allait finir par lui raconter la suite.

-Nous avons trop de choses à régler avant que tu ne partes pour Al'Bayam demain, donc, je ne t'en dirais pas plus aujourd'hui. Il me reste d'ailleurs, une chose indispensable à faire avant de te laisser partir.

-Quoi donc ?

-Je me suis aperçue que tes défenses mentales sont bien trop faibles pour l'instant. Tu ne t'es jamais entraîné pour les améliorer ?

Le souvenir de son combat face à Lirokin, et la manière dont ce dernier avait attaqué son esprit remonta à la surface. Il savait que c'était un point sur lequel il devait travailler. Pourtant, comparé aux autres habitants de Nelmas, ses défenses étaient plutôt résistantes, sauf que lui était elysien ; il ne devrait pas avoir autant de difficultés de ce côté là.

Il mit un certain temps avant de comprendre qu'elle aussi avait cherché à sonder son esprit pour qu'elle ne remarque ce défaut.

-Vous ne vous embêtez vraiment pas ! S'exclama-t-il.

-Nous sommes en guerre, Reid, et tu parts pour une importante mission demain, lui rappela-t-elle. C'est plutôt une bonne chose que je ne m'en sois rendue compte.

-Si vous me dites ça, articula doucement Reid réalisant ce qu'elle insinuait, c'est que vous avez un moyen de régler ce problème, n'est-ce pas ?

Elle soupira.

-Il n'existe pas réellement de solutions miracles. Pour améliorer ses capacités ; il faut s'exercer, s'exercer et s'exercer, lui dit-elle sur un ton éducateur.

-Ah, fut tout ce que le jeune homme, un peu déçu, trouva à dire.

-Par contre, je connais une technique d'entraînement plutôt efficace.

Reid lui jeta un regard, dubitatif. Il n'arrivait pas à concevoir qu'il puisse spécifiquement exister une technique pour ce genre de chose. En général, la défense mentale se construisait en se concentrant sur une pensée unique qui formait une sorte de rempart face à toutes les autres pensées qu'on cherchait à protéger.

-Sur le trajet jusqu'à Al'Bayam tu t'emploieras à exécuter chaque étape de la méthode que je t'enseignerai. Han pourra t'aider ; lui, est réellement doué pour ce genre de chose.

Reid n'étais pas vraiment rassuré ; Han était un espion, merildi de surcroit. Niila avait assuré qu'il était digne de confiance, mais maintenant, elle lui révélait aussi, à demi-mot, qu'elle avait été incapable de lire en lui. Elle n'avait établi sa loyauté qu'en se basant sur des réactions physiologiques.

-Et non, je ne me base pas que sur des réactions physiologiques, dit-elle sévèrement.

Reid sursauta.

-Tu vois, reprit-elle. On lit réellement en toi comme dans un livre ouvert.

-Qu'est-ce que je dois faire alors ? Demanda Reid.

-Écoute bien ce que je vais te dire ; il y a plusieurs étapes, mais une fois que tu les auras toutes maîtrisées ; tu seras invincible de ce côté-là.

Reid avait passé l'heure suivante à prendre des notes sur les conseils de Niila. Elle n'allait pas avoir le temps de l'entraîner personnellement ; il allait devoir suivre ses instructions par écrit. Reid apprit également durant ce rapide cours que cette méthode n'était pas applicable par des personnes non-elysiennes. Il n'avait même imaginé que Han pouvait être comme lui.

Lorsque Niila finit enfin par libérer Reid, la première chose qu'il chercha à faire était de se trouver à manger. La générale lui avait indiqué un endroit où il allait trouver ce qu'il cherchait. Elle lui avait aussi rappelé de retrouver Han afin de planifier plus en détails leur route et leur mission avant de partir.

En sortant, il remarqua que l'orage s'était calmé ; le volume du grondement du tonnerre s'atténuait au fur et à mesure que la tempête allait s'affaiblir entre les collines désertes, et qu'au dessus du camp les nuages commençaient à se disperser. Quelques rayons de soleil avaient déjà retrouvé le chemin vers des surfaces à réchauffer.

Fort heureusement, Reid retrouva l'espion à l'auberge-même que lui avait indiqué Niila, pour qu'il puisse enfin se rassasier. Le jeune homme s'assit sans préambule en face du merildi.

-On a encore pas mal de choses à voir avant demain, lui dit-il.

Reid de ne savait pas pourquoi, mais Han se mit à lui sourire.

-En effet, lui répondit-il.

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