An 2883.

Camp militaire de Ramsat, Karianis.

Six mois après le début de la guerre civile d'Obériande.

« Mais ce n'est pas ce que tu crois »

Durant cette entrevue, Reid apprit plusieurs choses. Tout d'abord que Niila Kahn était elysienne et faisait partie de la garde de Karianis ; elle en était même le membre le plus haut gradé. Hal Vapan dirigeait le camp de Ramsat dans son entièreté, mais avait du mal à gérer des aspects plus domestiques de la vie des réfugiés. Han Jinlo, quand à lui, était originaire de Merildis. Il était difficile pour Reid de concevoir qu'un habitant de ce pays puisse se trouver avec eux ; Merildis et Karianis étaient en guerre. Pour le jeune homme, ils ne pouvaient être qu'ennemis. Depuis le début de ce conflit, il n'avait jamais, ne serait-ce que l'espace d'un instant, imaginé que cela pouvait en être autrement. Avant même les premiers affrontements, les rapports entre ces deux nations avaient toujours été tendus.

Hal Vapan leur expliqua qu'il n'avait d'autres choix que de leur demander de se rendre directement au camp Ramsat, plutôt que de leur envoyer par simple message, les informations qu'il s'apprêtait à divulguer.

-On n'est jamais trop prudent, surtout ces temps-ci, leur avait-il dit.

Il préférait ne pas courir de risque, et laisser des soldats de Merildis s'apercevoir de la découverte qu'il venait de faire ; celle dont il allait justement leur parler. D'autant plus, que leur ennemis bénéficieraient d'une information sur un support matériel dans le cas où ils intercepteraient ce message.

-Han est la première personne à s'être aperçue de ce qui se tramait,déclara-t-il.

Todrin s'éclaircit la gorge ; il semblait légèrement mal à l'aise, et Reid savait très bien pourquoi. Niila, elle fixait le commandant Vapan attendant patiemment la suite. Quand au jeune fermier, il ne put s'empêcher de jeter un rapide coup d'œil au merildi.

Ce dernier soupira, ayant senti l'ambiance pesante qui venait de s'installer.

-Je sais très bien ce que vous pensez, et je comprends. Mais je suis dans le même camp,et j'avoue que je ne peux pas vous le prouver ici. Je peux seulement vous dire que j'ai de très bonnes raisons de combattre à vos cotés.

-Vous êtes un espion, dit alors Todrin, le regardant toujours avec méfiance.

-Effectivement,acquiesça Han.

-Lieutenant-commandant Dahra, intervint Hal, je peux vous garantir que ce jeune homme est tout à fait digne de confiance.

Cela ne sembla pas rassurer Todrin.

-Il a raison, ajouta Niila.

Tout le monde se tourna vers elle.

-Je peux sentir ses émotions et ses intentions. De plus les manifestations physiologiques de son corps prouve qu'il est sincère, leur apprit-elle.

Ceci, apparemment, calma Todrin qui se mit à regarder la générale bouche bée.

-J'avais entendu parler de vos pouvoirs ; mais vous voir en action est plus impressionnant que ce à quoi je m'attendais.

-Je n'ai pourtant rien fait d'autre que d'utiliser mes sens, expliqua-t-elle.

Ce ne fut qu'à ce moment que Reid compris que Niila était loin d'être une inconnue dans le milieu de la Garde. C'était pourtant évident, étant donné son rang, tous les membres de cette organisation militaire devaient avoir un minimum d'informations sur elle.

-Bien, maintenant qu'il est établit que nous pouvons faire confiance à Han, reprit Vapan, pouvons-nous le laisser nous expliquer ce qu'il a vu ?

Le merildi s'avança vers le centre de la pièce en prenant appuie de ses deux mains sur le bureau improvisé. Une carte de son pays d'origine y était étalée, il y jeta un coup d'œil, avant de pointer du doigt une région se situant à la frontière entre les deux pays, à l'ouest.

-Ici se trouve Al'Bayam, commença-t-il.

-On sait, c'est marqué, lui fit remarquer Todrin.

Niila souffla bruyamment en jetant un regard réprimandeur au lieutenant-commandant. Todrin marmonna des excuses puis se tût.

Han jeta un coup d'œil à la petite assemblée, avant de reprendre.

-Al'Bayam est surtout connu en tant que lieu d'amusements et de plaisirs, mais c'est également une ville portuaire. Dernièrement, le nombre de transports maritimes à plus que triplé par rapport à la même période pour les autres années.

Cette fois, Han ne fut pas interrompu, les autres membres de la résistance l'écoutaient attentivement.

-Au départ, continua-t-il, je n'y avait pas accordé d'importance. Heureusement, j'ai fini par en être intrigué. Ces navires transportaient une quantité impressionnantes de matériaux usuellement utiles à la construction des transports magnétiques, d'autres navires cargo étaient remplis d'armes et j'ai même trouvé deux conteneurs qui abritaient chacun un canon DPN.

Il fit une courte pause, sans-doute attendait-il une quelconque remarque, mais les quatre autres personnes attendaient la suite.

-C'est que qui m'a amené à penser que l'armée de Merildis prépare une opération de grande envergure, conclu-t-il.

-Ils ont déjà utilisé un DPN contre nous, fit remarquer Todrin.

Reid s'en souvenait très bien ; ce jour-là, il avait bien cru voir sa fin.

-Mais ce n'est arrivé qu'une fois, et il faut un temps fou pour les recharger, analysa le jeune homme. S'ils en installent deux autres, c'est qu'ils ont bien l'intention de pouvoir les utiliser plus souvent.

-Et d'où exactement venaient ces navires ? Demanda alors Niila.

Han soupira.

-En fait, ça je n'en sait rien. J'ai bien essayé de chercher, mais je n'ai rien trouvé qui pouvait m'indiquer leur provenance.

-C'est problématique ; cela veut dire que Merildis a maintenant soit un simple fournisseur, soit un véritable allié, et nous ne savons pas de qui il s'agit, expliqua la générale.

-Oui, mais cela veut aussi dire que nous devons encore renforcer nos défenses, analysa Todrin. Les défenses de Ramsat, du peu que j'ai pu en voir semblent correctes, mais toutes les communautés de Karianis sont loin d'avoir les moyens de concevoir des défenses assez efficaces.

-Vous avez raison, approuva Niila, l'installation de bonnes infrastructures défensives pour l'ensemble des communautés de Karianis devrait faire parti de nos priorités.

-Il y a autre chose, intervint Reid.

Il ne savait pas s'il était le seul à y penser, pourtant pour lui, cela était évident ; sans-doute risqué également, mais il n'était pas nécessaire de déployer de gros moyens pour mettre en œuvre ce à quoi il pensait.

-Nous vous écoutons, Monsieur Tergan, lui dit Hal, l'invitant à développer.

Reid qui, jusqu'à cet instant, s'était surtout contenté d'écouter, sembla soudainement prendre conscience des regards posés sur lui. Il y avait quelque chose de légèrement désagréable à être au centre de l'attention de cette manière, d'autant plus, que la discussion portait sur un sujet important et vital ; rajoutant à cela ce qu'il avait l'attention de proposer. Il tenta de chassez cette sensation pesante et réorganisa ses idées, puis se lança.

-Eh bien, commença-t-il, nous avons vu qu'il est important de renforcer nos défenses, et évidemment, nous savons que cela ne sera jamais réellement suffisants.

-Que proposez-vous alors ? Demanda Niila, intéressée.

-Ce qui est inquiétant, c'est la capacité d'armement de Merildis qui progresse, alors que dès le départ, nous sommes largement sous-armé.

Il ne faisait qu'exposer le contexte pour l'instant, mais cela lui permettait aussi de prendre confiance en lui.

-Il faudrait leur couper leur sources d'approvisionnement, reprit-il avant de se faire interrompre.

-Ce qui serait possible si nous connaissions l'identité de leur fournisseur, fit remarquer Han. Ce n'est malheureusement pas le cas.

-Je n'avais pas terminé, rétorqua Reid. Nous n'avons pas besoin de connaître la provenance de leur stock pour empêcher l'armée merildie de s'en servir.

C'est avec une grande attention que la petite assistance l'écoutait à présent. Ils attendaient, ils voulaient comprendre où il voulait en venir.

« Ce n'est pourtant pas compliqué » se dit le jeune homme.

-Ce que je veux dire, ce que j'essaie de proposer plutôt, c'est qu'il suffirait de s'introduire dans les lieux de stockage et de saboter, voir de détruire leur armes, leur véhicules, bref, leur matériel  ; cela nous permettrait de les affaiblir au moins un peu.

Il attendit un moment, redoutant légèrement la venue des critiques qui allaient potentiellement suivre.

-Ce n'est pas une mauvaise idée, commenta Niila pensive. Pas une mauvaise idée du tout. Nous pourrions même aller plus loin. Pour commencer, certaines armes doivent être stocker dans des conditions bien particulières. Les lieux de stockage peuvent eux aussi être sabotés, ou même détruits.

-Oui, objecta Han, sauf que si nous voulons détruire des entrepôts entiers, cela risquerait d'exposer rapidement la personne que nous envoyons pour le faire : simplement saboter est plus prudent, sauf que même pour cela, le risque de se faire repérer n'est pas négligeable, car cette action prend plus de temps.

-De toute manière, il nous faudrait d'abord récupérer des plans de ces lieux de stockage, avisa Hal Vapan.

-Et il faudrait être capable d'agir rapidement, ajouta Todrin, si l'on se fait repérer trop rapidement, toute l'opération ne sera plus d'une grande utilité.

À son grand étonnement, Reid réalisa qu'ils étaient déjà en train de préparer une mission dont il avait eu l'idée. Il n'avait comme ambition que de proposer une ébauche de plan, dont ils pourraient s'inspirer ; au final, les quatre autres membres mettaient sérieusement au point une opération dont ils vérifiaient méticuleusement chaque détail avant de chercher un éventuel volontaire qualifié.

-Il serait peut-être plus judicieux d'envoyer un binôme, préconisa Niila. Il nous faudrait deux personnes pouvant pénétrer et traverser Al'Bayam sans se faire repérer, pour ensuite infiltrer les entrepôts et désactiver au moins les canons DPN ; ce sont ces armes qui risquent de nous poser le plus de problèmes.

-Eh bien, nous connaissons au moins une personne ayant déjà visiter les lieux en question, déclara le commandant Vapan, jetant un regard en direction du merildi.

-Je pense qu'il est inutile de vous dire que je suis partant, confirma celui-ci.

-Il ne nous reste donc plus qu'à trouver une deuxième personne, soupira Todrin. Je me demande qui serait prêt à prendre un tel risque.

Reid vit Han se pincer les lèvres à la remarque ; ce dernier était probablement plus qu'habituer à franchir des lignes ennemis, et apparemment, ne s'était jamais fait prendre.

-Je vais avec lui, annonça-t-il soudain.

Todrin se tourna brusquement vers lui ; les yeux exorbités par la surprise.

-Tu es sûr ? Voulu-t-il s'assurer.

-On n'a pas de temps à perdre si l'on veut que l'opération soit réellement efficace, et je sais que ça ne devrait pas être trop compliqué pour quelqu'un comme moi.

« Pour un elysien » insinuait Reid, mais son compagnon l'avait compris.

-Bien, c'est décidé, Reid et Han iront, conclu Niila. Nous vous faisons confiance pour régler les derniers détails de la mission ensemble ; vous partirez dès demain.

Une boule se forma dans l'estomac du jeune homme. Il pensait être de retour à Nelmas pour le lendemain, mais finalement, il s'en éloignait encore plus. Qu'est-ce qui lui avait prit de se proposer pour cette mission ?

Kal lui manquait déjà ; il ne savait pas combien de temps cela allait leur prendre à lui et à Han pour se rendre à Al'Bayam, saboter le matériel ennemi, puis revenir. Todrin allait retourner à Nelmas sans lui, et lorsque Kal allait le voir arriver sans voir Reid, il allait s'inquiéter. Il aurait voulu trouver un moyen de le prévenir. Il existait bien une solution, mais leur conversation pouvait être interceptée par Merildis.

La réunion se poursuivit, et d'autres sujets moins urgents furent abordés. Le plus important, et le plus inquiétant restait cette importante réserve d'armes à l'ouest. Si en plus d'accomplir leur mission, Han et Reid pouvaient trouver des indices sur les fournisseurs, la résistance aurait assez d'informations pour se préparer plus efficacement à affronter d'éventuels ennemis supplémentaires.

Au bout de presque trois heures, l'entrevue prit fin. Alors qu'ils s'apprêtaient tous à quitter la pièce, Niila interpella Reid.

-Reid Tergan, l'appela-t-elle, j'ai à vous parler. En privé.

« Nous avons certaines choses à nous dire toi et moi », lui envoya-t-elle par pensée.