1


- Mathilde, le bus ! Et n'oublie pas, c'est moi qui vient te chercher ce soir, cria ma mère depuis la cuisine.

Je finissais de nouer les lacets noirs de mes vieilles baskets.

- C'est bon, je n'ai pas oublié et je ne tardes pas, criai-je à mon tour.

Des fois j'ai l'impression que ma mère pense que j'oublie tout, je dois sans cesse lui rappeler que j'ai une mémoire. 

Je mettais mon poignet gauche sous mes yeux. 

Oh! Merde ! Déjà 6 h 53 !

 Je vais louper mon bus. Je prends mon sac et me précipite dehors sans oublier de fermer précipitamment la porte à clé. 

Je traverse mon jardin comme une furie manquant de peu d'écraser les nouvelles fleurs de ma mère. J'ouvre mon portail et le referme rapidement. Tout le long de la rue, je cours et n'arrête pas de me répéter "merde, merde, merde". 

Au loin, je vois le bus qui commence à démarrer. Je suis pas assez visible, je pense un instant à balancer mes bras au dessus de ma tête, mais ma fierté rejette cette proposition immédiatement. 

J'abandonne ma course quand je vois qu'il fait marche arrière. J'ai de la chance.

Ce n'est qu'une fois dans le bus que je me rends compte que j'ai déjà pas mal transpirer comme en témoigne les deux auréoles sous mes aisselles et l'odeur.

Certains élèves me dévisagent d'un air moqueur. Ma fierté s'en ai quand même pris un coup au final.

Je vais m'asseoir derrière, invisible de tous sauf de ceux qui sont déjà derrière. Je m'assois et j'attache ma ceinture de sécurité. 

Une fois que j'ai sortie de mon sac mes écouteurs, je les branche à mon téléphone, puis  mon index écrase la flèche play pour écouter Stolen Dance, alors que le bus se remet en route.

Je regarde le paysage qui est principalement composé d'immeubles et de grandes maisons, au lever du jour, c'est beau. Les couleurs du ciel qui s'étalent devant mes yeux, et le soleil décore les immeubles de sa lumière.

Je laisse la musique envahir mon corps et mon esprit. Je me calme et fredonne un peu l'air de ma chanson, j'entends des rires vers l'avant du bus, ce qui me fait sourire naïvement.

Le bus s'arrête. Le temps passe toujours vite quand on rêve.

Tout le monde descend, j'essaye de me frayer un passage à travers tous ses corps frappés d'un même besoin.

Je range mes écouteurs, mon téléphone et monte les escaliers jusqu'à l'entrée du lycée où je n'ai pas besoin de présenter mon carnet de liaison comme au collège. 

Les élèves rentrent donc en masse. Apparemment, la sonnerie leur a déjà demandé d'aller en cours. 

Je m'ennuie encore toute la journée. Je mange seule à la cantine, en essayant de m'asseoir le plus loin possible des groupes d'amis, des gens de mon âge et de ma classe.

Je ne cherche pas à être intégrée. Je ne cherche plus. 

Avec la mort de mon frère il y a maintenant deux ans. Une fracture s'était ouverte en moi. Les amis n'avaient pas compris, ou c'était moi qui n'avait pas voulu comprendre...

Je n'arrivais pas à accepter qu'ils rient, s'aiment... continuent de vivre alors que pour moi le monde s'était arrêté.

Je m'étais renfermée, éloignée et j'avais encore trop de timidité pour me rouvrir aux autres et faire comme si de rien n'était. J'avais l'impression de trahir mon frère en étant heureuse.

Je restais donc dans mon coin, des fois avec d'autres personnes, qui comme moi ne parlaient pas. On ne se regardait pas, et la seule chose que nous partagions c'était le silence.

Cela faisait maintenant neuf mois, que la rentrée était passée, et l'année scolaire touchait à sa fin, cela me faisait mal.

Même si je ne vivais pas de super moments au lycée, je m'y sentais tout de même mieux que chez ma mère et mon père.

Ils avaient divorcés un an après la mort de Baptiste.

Ils n'avaient pas voulu me blesser plus que je ne l'étais déjà, alors ils ont essayé de se supporter pendant quelques mois encore. Mais ça ne marchait plus. Ma mère était presque devenue muette ce qui avait le don d'énerver mon père qui essayait de tirer une croix sur son passé.

Il avait voulu qu'on remonte ensemble à la surface. Mais ma mère et moi avions coulé beaucoup trop profond pour pouvoir espérer sentir à nouveau les rayons du soleil sur notre peau.

Leur divorce a été très dur pour moi. Surtout que je pensais encore plus à Baptiste, qui aurait pu partager sa tristesse avec moi.

Mais non. Il avait fallu qu'il meurt dans un stupide accident de voiture avec son meilleur ami.

Aujourd'hui, ces événements me faisaient toujours souffrir, et je ne pourrais peut-être jamais m'en séparer, mais je fais avec.

J'ai l'impression que ce sentiment d'être perdue était normal, comme si je l'avais depuis que j'étais née. J'ai oublié comment ça fait d'être moi sans ce sentiment. 

Désormais je suis Mathilde paumée. C'est mon nom complet. 

La sonnerie retentit brusquement, elle me surprend et me fait légèrement sursauter. Je sors de mes pensées et range mes affaires. C'est l'heure de rentrer.

Je me souviens en même temps que ma mère vient me chercher. Je me dépêche tout de même de mettre ma trousse dans mon sac.

Je jette mon sac sur mon épaule et me dirige vers la sortie, quand mon prof d'histoire-géo m'interpelle :

- Mathilde ? Tu aurais une petite minute s'il-te-plaît ? demanda mon prof d'un ton posé. Je ne te mettrais pas en retard promis.

Je me retourne lentement, et le regarde dans les yeux. Il est jeune et blond avec des  yeux verts clairs. Assez séduisant, je ne sais pas si je l'avais remarqué avant, mais j'essaye de ne pas trop y penser.

- Oui, pas de problème, répondis-je d'une petite voix en hochant la tête, et en avançant vers son bureau d'un pas lent.

- Je ferais vite, mais je dois te prévenir quant à ton attitude en classe, commença t-il en baissant légèrement sa tête d'un air presque navré, il faut plus suivre en cours. 

Certes tes résultats sont satisfaisants, mais essaye de plus participer à l'oral, ce serait dommage de gâcher ton potentiel pour un simple manque d'enthousiasme en cours, n'est-ce pas ? il hésita avant de rajouter, et si tu as des problèmes, eh bien n'hésite pas, nous sommes avant tous des humains même si les élèves ont souvent tendance à l'oublier, rajouta t-il en souriant.

Je souris de même par politesse et pour le remercier de sa remarque. 

- Merci, répondis-je simplement, avant de me retourner et de me diriger vers la sortie. Je me retournais une dernière fois.

- A la rentrée, bonnes vacances à vous, lui dis-je.

Il releva sa tête, me dévisagea en souriant et me renvoya la politesse.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top