La renaissance de l'ordre


Les lois de la physique, nous le savons aujourd'hui, contiennent beaucoup de nombres fondamentaux, comme la charge électrique de l'électron et le rapport des masses du proton et de l'électron. Nous ne pouvons pas, en ce moment du moins, prédire théoriquement la valeur de ces nombres – nous devons les trouver à partir de l'observation.

[...]

Le fait remarquable est que la valeur de ces nombres semble avoir été finement ajustée pour rendre possible le développement de la vie.

[...]

La plupart de ces ensembles de valeurs auraient donné naissance à des univers qui, bien qu'ils puissent être très beaux, n'auraient contenu personne pour admirer leur beauté.

Stephen Hawking, Une brève histoire du temps


Journal de voyage, 7e jour

« Vous avez raison, repris-je après un instant. L'univers est en désordre, mais c'est un désordre créatif. De nouvelles formes d'ordre y apparaissent et demeurent.

Son silence m'encourageait à poursuivre.

— Nous voguons sans le savoir dans une chute permanente, partie d'un point d'énergie infinie homogène ou peu s'en faut, se dirigeant vers un espace immense, froid et homogène. Mais cette chute a lieu à de vastes échelles de temps.

— Le Temps est arbitraire. Il n'a pas de vitesse.

— Oui, mais la chute vers le désordre s'effectue au ralenti, au regard des processus d'organisation locaux de la matière. Les forces d'interaction électromagnétiques lient entre elles les molécules et font naître des propriétés chimiques complexes. La fuite inexorable du temps est bien trop lente pour empêcher la formation de ces nouvelles formes d'ordre. Les hétérogénéités locales dans l'univers que nous connaissons sous le nom de galaxies et d'étoiles se dissoudront peu à peu, mais les planètes et leurs océans auront encore plusieurs milliards d'années devant elles.

Ainsi, au cœur de cet univers en perdition, mais qui avance trop lentement vers le gouffre pour s'en rendre compte, naissent des structures ordonnées.

Sans être immuables comme le sont les lois de l'univers, elles demeurent suffisamment pour se tenir à contre-courant du processus, affronter le Temps comme les rochers opposés à la fureur des vagues – et qui, lentement érodés, demeureront mille ans.

— Vous parlez de minéraux.

— Les cristaux et les diamants sont un ordre mort, car ils ne contiennent ni potentialité, ni information. Ils ne s'agit que de balises qui résistent mieux au temps que le reste de la matière. Mais il y a encore mieux. D'autres formes d'ordre, plus subtiles, remontent le long de la vague de chaos qui parcourt l'univers.

— La vie, dit le vieillard.

— Schrödinger, le physicien du début du XXe siècle et contributeur majeur de la mécanique quantique, s'était intéressé à cette question dans un petit ouvrage, Qu'est-ce que la vie ? Il y avait répondu d'une manière éclatante. La vie nous apparaît comme paradoxale, car elle crée de l'ordre, alors que l'univers devrait tomber uniquement vers le désordre.

— Alors, quelle est la réponse de ce physicien ? »

Je crus voir un intérêt dans son regard vide.

Cet homme avait déjà toutes les réponses, et semblait malgré tout s'intéresser à mon monologue.

« Le concept fondamental est l'entropie, expliquai-je. C'est la mesure du désordre. Si l'on place un objet dans une boîte hermétique, calorifugée, et qu'on scelle la boîte, l'entropie de ce qu'elle contient ne cessera d'augmenter -- hormis sordides désintégrations nucléaires et neutrinos baladeurs.

Cependant, les êtres vivants ne sont pas des systèmes fermés. C'est pourquoi l'ordre revient localement, comme à rebours du mouvement général.

Un système vivant est ouvert, ses contours sont flous. Il échange avec l'extérieur de la matière et de l'énergie. Et grâce à ces échanges, il fait baisser son entropie. Ultimement, toutes les créatures qui nagent, volent et rampent sur la petite planète Terre ont consommé l'ordre du Soleil pour le concentrer en elles. Ordre qui résultait d'une petite hétérogénéité de matière dans l'univers, peut-être transportée jusqu'à nous depuis les infimes échelles du Big Bang.

Les vivants sont des pôles d'ordre dans l'univers, et là encore, grâce à la lenteur du temps cosmique, ils peuvent se former et se maintenir assez longtemps pour expérimenter une grande variété d'états.

La vie est née sur Terre mais l'univers doit contenir un grand nombre d'autres exemples.

— C'est merveilleux, n'est-ce pas ?

— C'est merveilleux. Mais cela devrait nous faire réfléchir.

Longtemps avant que la première cellule ne se divise, les étoiles ont produit des éléments chimiques idéaux. Ce furent pour nous le carbone, l'hydrogène, l'oxygène, l'azote, le phosphore. Ils transmirent leurs caractéristiques particulières aux molécules dans lesquelles ils prenaient spontanément place.

L'eau fut un substrat idéal pour la vie grâce à ses nombreuses propriétés chimiques.

Les premières molécules de base du vivant, acides aminés, peptides et ARN, s'assemblèrent spontanément et se heurtèrent encore longtemps avant d'acquérir une capacité à se répliquer.

Une fois que les molécules eurent acquis des propriétés chimiques suffisamment diverses, les systèmes devinrent plus complexes et les premiers vivants naquirent.

Ceux qui ne pouvaient transmettre l'information qu'ils contenaient furent condamnés à être consommés de nouveau.

Par essai et par erreur, les vivants se répliquèrent, puis les proto-cellules qu'ils étaient s'assemblèrent encore entre elles pour donner des structures encore plus complexes et plus efficaces.

— Tout ceci, donc, au cours d'un mouvement aléatoire et sans but ?

— Ce n'était pas purement aléatoire, puisqu'il y avait sélection. Et quand bien même. Aléatoire ne veut pas dire que cela n'a pas de sens.

Ce qui ne pouvait pas se transmettre fut perdu. Ce qui pouvait demeurer fut sélectionné.

Les lois du milieu terrestre, donc les lois de l'univers, sélectionnèrent un certain jeu d'assemblage biochimique.

Puisqu'elle diminue localement l'entropie, la vie est une forme d'ordre qui va à contre-courant du mouvement global de l'univers.

Parce qu'elle conserve ses potentialités, que sa structure est immensément complexe, qu'elle stocke et transmet une grande quantité d'information, la vie est un ordre vivant.

Elle est donc l'un des produits les plus remarquables des lois de l'univers ; un système ordonné qui ne pouvait voir le jour que dans le déséquilibre permanent.

— Et la vie donna lieu à l'homme.

— Parlons donc de l'homme. »

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