La descente vers le chaos
Journal de voyage, 7e jour
Le vieux sage attendit de très longues minutes. Je crus qu'il s'était endormi.
« Parlez-moi de la nature de l'univers.
— Il est de natures multiples. L'espace-temps est le contenant dans lequel se déverse l'énergie, et coule le long de sillons déterminés par les lois.
L'énergie bouillonne d'un nombre infini de possibilités, mais elle est contrainte par les lois de l'univers, au niveau microscopique et macroscopique.
— Et la matière ?
— Matière et énergie ont une même nature – la matière n'est qu'une sorte d'agrégation de l'énergie.
Je profitais de la situation pour poser une question qui me chagrinait depuis longtemps :
— L'univers est posé sur le soc immuable de ses lois, mais les choses qu'il renferme sont changeantes. Il est un mouvement inéluctable vers le désordre, le chaos. Or les premières religions humaines n'y ont toujours vu qu'un ordre circulaire. Pourquoi ?
— La réponse est très simple. De notre point de vue, les étoiles sont immobiles, ou tournent selon un mouvement déterminé ; de même que le cycle de la vie.
— À l'échelle cosmique, l'espace s'étend à une vitesse accélérée et tire l'univers vers un ordre froid d'une homogénéité parfaite. Les concentrations d'énergie et de matière que nous connaissons sous le nom d'étoiles et de planètes éclateront, leurs atomes se sépareront et formeront un gaz cosmique qui emplira l'espace devenu vaste et froid. C'est du moins une fin probable de l'univers.
— Mais elle se situe bien au-delà de tous les horizons auxquels l'humanité peut prétendre.
— C'est vrai. Mais si c'est bien la fin de l'univers, pourquoi ? Pourquoi existait-il ?
— Ce n'est pas parce qu'il y a une fin qu'il n'y a pas de finalité.
Le sage sourit, sans toutefois se moquer de moi.
J'avais connu de nombreuses personnes qui souhaitaient rapporter leur propre savoir à ma propre ignorance.
Souvent, il s'agissait des plus ignorants.
— Par ailleurs, comme vous l'avez dit vous-même, le temps n'est qu'une dimension de l'univers. D'un point de vue extérieur, peut-être sommes-nous des facettes d'un objet immuable, et nos existences, des déroulés chronophotographiques.
Il s'écoula encore un certain temps. Au début, ce silence me frustrait, mais j'avais l'impression d'entrer progressivement dans le monde où vivait cet homme. Le fleuve du Temps s'écoulait autour de lui avec douceur, comme s'il évitait un rocher ancien.
— Puisque nous parlons du cercle, que pensez-vous de la réincarnation ?
C'était lui qui avait posé la question que j'aurais dû formuler.
— Je... je ne comprends pas ce principe. Imaginez que je tiens dans ma main un morceau de sel, et que je le jette à l'océan. Il se dissout et se mélange. C'est ainsi que je conçois la mort. Nous sommes des assemblages de matière qui se sépare, et se recompose dans le Tout, mais l'information qui nous constituait est, elle, définitivement perdue.
— Et ce morceau de sel que vous teniez dans votre main était déjà un morceau de l'océan.
— Sans doute.
— Nous sommes d'accord sur le fait que sa substance, son énergie – puisque matière et énergie ne font qu'un – s'est transmise et transformée.
— Comme le disait Lavoisier, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
— Après il reste à savoir si l'univers, si l'océan se souvient de ce grain de sel.
Si le Temps, comme nous le disons justement, n'est qu'un certain point de vue que nous avons sur le monde, et s'il est vrai qu'il n'existe pas vraiment ; alors le grain de sel est tout à la fois dans l'océan et dans le bloc. Les atomes de ce grain ne sont pas en un instant, en un point donné, ils sont partout où ils ont été et où ils seront.
— Mais cela forme-t-il un cycle ?
— Un cycle, ou peut-être un cercle.
— Malgré cela, ajoutai-je, il est indéniable que l'univers suit un chemin vers le désordre.
— Mais c'est ici que l'ordre émerge, n'est-ce pas ?
— Oui », dis-je.
Il semblait avoir compris vers où me portait mon propos. Comme s'il déclenchait sciemment chaque étape d'un discours que j'avais longuement mûri.
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