Brocélia, 53e siècle standard

ARTHUR
Es-tu là, Gurnemanz ? Tu m'entends ?

La machine alanguie se mit en mouvement.

GURNEMANZ
Seigneur, une explosion a détruit tous les Ombres.
Nos vaisseaux ont péri. Une perte sans nombre...

ARTHUR
Qu'importe. Nous y sommes. Le Graal est à moi.

L'exosquelette se remit debout.
Il venait de connaître une chute brouillonne.
Le logiciel avait stabilisé la course,
Mais le choc terminal avait été très rude.
Le nouveau corps d'Arthur soumis à des contraintes
Auxquelles aucun humain ne pourrait résister.
Seuls les nanorobots le maintenaient vivant.
De nouveau aux crochets du serpent Gurnemanz.

GURNEMANZ
Seigneur, une navette des Shardes
S'est écrasée à cinquante kilomètres d'ici.
Elle avait des boucliers de furtivité,
Mais j'ai détecté ses messages de détresse automatiques.

ARTHUR
Nous ne sommes pas seuls.
Si nous rencontrons une résistance,
Anéantis-la de toute ma puissance.

Ils marchaient.

J'ai trop perdu, songea Arthur. D'abord mon corps,
Mon esprit, mon vaisseau, et enfin mon armée.
Mes chevaliers que nous n'avons jamais sortis de leur sommeil.
Tout ce qu'il me reste, c'est le corps de Lancelot,
Ses membres brisés et son bras absent.
Et ce fourbe de Gurnemanz qui a trouvé refuge dans ma propre tête.

Il aperçut un mouvement entre les arbres.
Alors que son cerveau envoyait à peine l'ordre de bouger
À un bras biologique qui ne fonctionnait plus,
La combinaison, plus rapide, fit feu.
Une explosion projeta de la gélatine sur les arbres et les fougères aux alentours ;
Et un corps flasque se déversa sur le sol en agitant des pattes transparentes.

GURNEMANZ
Ce n'est rien, seigneur. Un insecte local.
Il ne méritait pas plus que de vivre en bocal.

ARTHUR
Quel monstre. Sont-ils nombreux aux alentours ?

GURNEMANZ
N'ayez en tout cas nulle crainte pour vos jours.

ARTHUR
Où allons-nous au juste ?

GURNEMANZ
Explorer toute la planète nous prendrait plusieurs milliers d'années.
Je pourrais vous endormir durant ce temps et préserver votre corps à l'intérieur de la combinaison.

ARTHUR
N'y songe même pas. Je n'ai pas confiance.

Arthur réfléchit, et devant lui, trouva l'Oracle.
La jeune femme semblait avoir survécu elle aussi à l'explosion du Chevalier Noir. Elle le regardait d'en bas, car dans son imposant exosquelette, Arthur la dépassait de plus d'un mètre.

ARTHUR
Te revoilà.

Elle le regarda, d'abord sans parler.

GURNEMANZ
Selon toute vraisemblance, elle est morte, dit Gurnemanz. Ceci n'est donc qu'une illusion générée par un système qui nous est caché.

L'ORACLE
Qu'est-ce que la mort ? Ce n'est que la dissolution. L'information est toujours là, stockée avec tous les possibles. Le tout est de savoir si l'univers se souvient de la forme. Si les pages du grand livre du temps, lorsqu'elles se tournent, rejoignent une immense bibliothèque, ou bien si elles sont brûlées.

ARTHUR
Je n'ai que faire de tes palabres !
Je ne suis pas venu ici pour un cours de mystique. Je suis venu pour ce qui m'est dû.
Assez ! Donne-moi le Graal !

L'ORACLE
Ce n'est pas le Graal que tu cherches, Arthur. Tu as semé le chaos sur ton chemin et détruit plus que tu as créé. Tu as outragé l'univers et bafoué tout ce qu'il y a de beau en lui. Tu cherches maintenant une raison à ce chemin, alors qu'il n'y en a pas. Le Graal ne te donnera pas ce que tu veux. Il ne peut te donner que la vérité.

ARTHUR
Où est-il ?

L'ORACLE
Ce n'est pas un objet, mais une information. Il ne se situe pas dans l'espace, ni dans le temps. Il est à l'intérieur du vide.

La combinaison avança lentement vers elle, mais l'Oracle reculait.

L'ORACLE
Brocélia toute entière est une balise artificielle. Elle a été laissée par les premiers à avoir atteint l'au-delà de l'univers. Ceux qui se sont éteints dans la compréhension du monde. Mais toi, Arthur, que peux-tu comprendre ? Que veux-tu savoir ? Tu cherches à ce que le Graal te donne un sens que tu aurais dû trouver, toi-même, depuis le début, et que tu as vainement cherché dans tes empires et dans tes gloires.

Il crut que la nuit tombait, mais c'était le ciel qui était aspiré. Les arbres eux-mêmes devenaient des colonnes, d'une hauteur infinie, et le sol fondait en un dallage luminescent.

GURNEMANZ
C'est impossible. Nous ne marchons pas, et pourtant nous déplaçons.

L'ORACLE
C'est parce que nous sommes au-delà de l'espace et du temps. Cette planète est un mirage. Un objet peint d'une certaine manière et qui, vu sous votre angle, ressemble aux autres – mais qui cache une plus grande complexité. Elle est un écrin.

Arthur avançait maintenant entre les colonnes, résolu. Une volée de marches l'interrompit – elles descendaient circulairement jusqu'à un disque plat. Au milieu, sur un autel, étaient posés une coupe de pierre et une lance de platine.

ARTHUR
Le voilà, Gurnemanz.

GURNEMANZ
Oui, je le vois, seigneur.

ARTHUR
La coupe de la connaissance. La lance du pouvoir.

L'ORACLE
Votre fin.

Il regarda l'oracle de biais.

ARTHUR
Silence, créature. Dès que cette connaissance me sera acquise, je redeviendrai le fier roi que la galaxie a connu. Et je prendrai ton corps, il me semble parfait.

L'ORACLE
Vous oubliez que je suis morte. Mon corps a déjà été dissous dans l'océan.

ARTHUR
Si tu es là, c'est que tu n'es pas morte.

L'ORACLE
Nul ne meurt des êtres qui ont vaincu le temps.

Si vous tentez d'ouvrir ce passage, vous serez détruit. Le Graal tentera de faire de vous une entité cosmique, et de vous intégrer à l'univers d'information que les posts-vivants ont construit. Mais il n'y parviendra pas, et vous serez détruit.

ARTHUR
Alors, je me contenterai de la lance, et du pouvoir qu'elle me donnera. Les considérations mystiques et philosophiques n'ont aucun intérêt en ce monde. Elles mènent les peuples à leur ruine. Seul compte le savoir. Ce savoir, je le mérite, et je compte bien en faire usage.

L'ORACLE
Vous aviez déjà tout le pouvoir que vous pouviez désirer. Votre ambition embrassait déjà l'univers entier. Plus de savoir ne donnera pas de sens à votre quête. Vous êtes un homme fou, et fou vous resterez.

Arthur descendit les marches.

ARTHUR
Oblitère-la.

La combinaison fit feu, et le projectile s'arrêta à mi-chemin. Le plasma irradiait d'une douce lumière, comme un petit soleil déchirant l'atmosphère.

ARTHUR
Quelle est cette sorcellerie ?

L'ORACLE
C'est un rêve. Il n'y a pas de temps. L'information est introduite dans votre cerveau de telle sorte que vous avez l'impression de la vivre, comme un rêve vous ferait croire que le temps s'écoule alors que ce n'est pas le cas.

Alors Arthur se vit bondir en direction du Graal, et son bras se porter non sur la lance, mais sur la coupe.

ARTHUR
Gurnemanz !

GURNEMANZ
Je suis là, seigneur. Ne vous inquiétez pas.
Surtout, n'ayez pas peur.
Vous avez été détruit, et reconstruit, tant de fois
Que vous n'êtes plus que cela.
Un peu d'information inscrite
Dans les annales du Temps.
Un peu de poussière agitée par l'Histoire.

ARTHUR
Sois maudit, misérable !

GURNEMANZ
Mais lequel de nous deux
Sera le plus maudit ?

Son bras disparut dans la coupe.

Il crut voir un instant un univers nouveau.

Mais tout redevint

Bientôt

Sombre.