6 : Affronter n'importe quelle situation

(17.02) terminer los croquitos page 7/8/9/diez (ouais je te note tes devoirs en espagnol y'a quoi ? -L&O)

DON'T FORGET : CE SOIR C'EST FIESTA !! (-Clare)

...

-Pas mal.

Elo sursauta et laissa tomber son eye-liner, qui roula sur le sol jusqu'aux pieds de son frère. Justin se pencha pour le récupérer, souriant.

-Putain me dis pas que tu viens, dit Elo en le grondant du regard.

-Où ça ? dit le jeune homme d'un faux air innocent.

-Je te hais. T'as intérêt à me déposer, du coup.

-T'inquiètes, je vais chauffer la bagnole ! s'exclama-il avec un clin d'œil avant de disparaître dans le couloir.

Elo roula des yeux en soupirant et corrigea rapidement son trait noir avant de jeter un œil à son reflet dans le miroir. Ce soir, Clare l'avait invitée à une soirée dans Paris, dans un super appartement en plein cœur de Montmartre avec vue sur le Sacré-Cœur. Elo n'avait pas demandé à qui était cet appart, puisqu'elle avait compris aussitôt que Clare cherchait à rapprocher sa meilleure amie de son nouveau groupe de potes. Et, dans le fond, Elo ne les jalousait plus vraiment. Ils avaient l'air cool, et ça tenait à coeur à Clare. Et puis, si son frère y allait aussi pourquoi pas elle ?

Elo rassembla ses affaires et rangea tout son fourbi dans sa pochette brodée. Clés, check. Élastique à cheveux, check. Tongs -on ne sait jamais-, check. Oui, c'était une grande pochette.

Quitte à rencontrer les nouveaux amis de Clare, Elo avait décidé de mettre le paquet. Ils avaient tous l'air canons, et elle voulait s'intégrer au maximum dans le décor et ne pas faire tache. Déjà qu'elle était la seule banlieusarde au milieu de tous ces parisiens... Mais ce soir, Elo voulait se concentrer sur leurs points communs plutôt que sur leurs différences. Après tout, elle se sentait jolie dans sa robe fourreau vert sapin. Et avec ses talons beige qui la grandissaient ainsi que ses bijoux dorés qui étincelaient, elle se sentait à l'aise.

Elle prit soin de fermer sa chambre à clef avant de dévaler l'escalier quatre à quatre, aussi vite qu'elle le faisait toujours.

-Vous partez déjà ? se plaignit leur mère en les voyant enfiler leurs manteaux dans l'entrée.

-Désolée m'an, le devoir nous appelle, blagua Justin en l'embrassant sur le front.

-Mais je pensais que vous partiriez à vingt-et-une-heures, pour qu'on ait le temps de discuter un peu tous ensemble dans le salon avant, dit-elle d'un air déçu.

-Une autre fois, promis, dit Elo.

-Vous me dites ça à chaque fois.

La voix de sa mère était si chevrotante, si triste, que Justin se sentit obligé d'ajouter :

-Ouais mais cette fois c'est pour de vrai. On ira même au resto en famille la semaine prochaine, si tu veux.

Sa mère sembla retrouver un peu le sourire et ils arrivèrent à quitter la maison sans trop d'anicroches. Dans la voiture, Elo constata avec un goût amer qu'elle était soulagée de ne pas avoir croisé son père. Cela lui fit mal, d'autant plus qu'ils avaient été très proches à un moment de sa vie. Il lui avait appris à faire du roller, à nager le crawl, à tirer avec une batte de baseball et à faire ses lacets. Et, en grandissant, il l'emmenait et venait toujours la chercher aux soirées auxquelles elle allait. Il faisait des blagues qu'elle seule pouvait comprendre, et l'appelait 'ma gonz' pour rigoler. Mais ça, c'était il y a bien longtemps.

-Tu t'imagines comment plus tard, toi ? demanda soudain Elo, collée contre la vitre froide.

Justin, concentré sur la route, ne répondit pas tout de suite.

-Je sais pas. Sûrement marié, avec des gosses et un labrador. Je suis pas compliqué moi, plaisanta-il.

-Juste ça ?

-Comment ça 'juste ça' ? répéta le garçon, les sourcils froncés. C'est déjà pas mal.

-Oui, bien sûr, c'est pas ce que je voulais dire, expliqua doucement Elo. C'est juste que... Moi, je rêve pas de ça.

-Alors tu rêves de quoi ?

Elo ferma les yeux un instant. Auparavant, quand elle imaginait l'avenir, elle voyait simplement Garance. Mais désormais que la jeune femme ne faisait plus partie de sa vie, elle devait tout réinventer et c'était un exercice plus dur que ce qu'elle avait pu croire.

-Je me vois bien dans un grand appartement new-yorkais, au vingtième étage, dit-elle avec les yeux brillants d'excitation. Me lever et me coucher avec le soleil, dessiner des croquis toute la journée en short, enlacée avec ma moitié.

Et fumer sans avoir à me cacher, se retint-elle d'ajouter.

-Juste ça ? plaisanta Justin.

-Hé ouais. Je suis pas compliquée moi.

Le frère et la sœur de sourirent en même temps, puis Justin se gara parfaitement entre une BMW aux jantes chromées et une grande Seat avant de quitter l'habitacle. Dehors l'air était frais -pour ne pas dire froid- et le ciel était tout noir, malgré le fait qu'il ne faisait pas encore totalement nuit. Elo croisa ses bras autour de sa poitrine pour se réchauffer et suivit son frère jusqu'au hall d'un bel immeuble de style Haussmannien. Même avec sa robe, elle eut soudain l'impression qu'elle ne pourrait jamais rivaliser.

Justin, qui semblait parfaitement détendu, appuya sur l'interphone de l'appartement numéro cent-douze. Visiblement, il était déjà plus renseigné qu'elle.

-HOLAAAA ! s'écria une voix qui grésillait légèrement.

Elo fronça légèrement les sourcils, amusée, et échangea un regard avec son frère qui était en train de rigoler dans sa barbe.

-Ils sont à fond les parigots, blagua-il alors que la porte s'ouvrait automatiquement.

Ils s'engouffrèrent dans le hall, qui était tout aussi luxueux. Marbre au sol, papier peint coûteux aux murs, boîtes aux lettres noires et lustrées avec bordures couleur or. Aucun rapport avec Elo, qui vivait dans une maison à la pelouse mal tondue et à la balançoire cassée.

Après un rapide passage dans un ascenseur d'une propreté impeccable, ils traversèrent un couloir où quelques plantes amenaient de la fraîcheur avant de se poster devant l'appartement cent-douze. Devant la porte, Elo avait le cœur qui battait vite. Et si les amis de Claire n'étaient pas sympas ? Ou si tout simplement ils la détestaient ?

-Hé, oh, c'est rien, murmura Justin en lui attrapant la main, comme s'il lisait dans ses pensées. Dis-toi que t'es pas le mec de Clare, toi. Moi c'est pire, ajouta-il.

Derrière son masque de gars tranquille, Elo connaissait son frère et savait qu'il n'était pas aussi serein qu'il voulait bien le prétendre. Rencontrer les amis de sa copine, ça devait sûrement être stressant. Bien sûr, Elo ne pouvait qu'imaginer cette situation.

Soudain, la porte s'ouvrît sur une Clare ravissante dans une robe rouge qui lui marquait joliment la taille. Ses yeux verts, maquillés d'une sorte de smoky eye, ressortaient encore plus.

-Waouh, quel style, commenta Justin en se penchant vers elle pour l'embrasser.

Clare, visiblement mal à l'aise de démontrer un peu trop d'affection devant Elo, se contenta d'un chaste baiser sur les lèvres avant de se tourner vers sa meilleure amie.

-Oh, t'es trop jolie Elo ! s'exclama la blonde en serrant son amie dans ses bras.

-Toi aussi, répliqua celle-ci. Ton maquillage, c'est nouveau ?

Voilà, elle commençait. Deux minutes qu'elle était là, et elle posait déjà des questions, en sachant très bien que Clare allait lui parler des qualités incroyables de ses amis, rongée par la jalousie.

-Oui, Naomi est super douée ; elle m'apprend plein de trucs. Si tu veux on pourrait lui demander quelques tips pour toi ! proposa gentiment la blonde, sa main toujours dans celle d'Elo.

-Ça ira, merci, répondit la brune en forçant un sourire.

-Comme tu veux. Bon, vous venez ?

Clare, suivie de près par Elo et Justin, les entraîna plus loin dans l'appartement. Ils remontèrent un beau couloir aux murs faits de panneaux blancs et de plantes en pots accrochés au plafond. Elo s'arrêta de compter les portes du couloir après avoir constaté qu'il devait y avoir au moins trois chambres dans cet immense appartement.

Quand ils arrivèrent dans la pièce à vivre, on les accueillit avec des grands 'ah !' et des 'les voilà !', comme si on n'attendait qu'eux. Elo reconnut rapidement Gab et Naomi qui lui adressèrent un sourire, ainsi qu'Inaya qui riait dans un coin. Quant à Sofiane, il s'empressa d'attirer Clare près de lui, chose qui sembla fortement agacer Justin.

Elo, assez mal à l'aise, se demanda si elle devait dire bonjour à tout le monde. Dans un sens ça serait le plus poli, mais ça serait aussi le plus gênant. Elle se contenta donc d'une sorte de signe de main général avant d'embrasser la pièce du regard. Malgré le parquet lustré typiquement parisien et la peinture beige, l'appartement restait très moderne. De grandes fenêtres donnaient accès sur un grand balcon avec un garde-fou en fer forgé, et la cuisine ouverte sur le salon donnait l'impression que cet appartement était tout simplement gigantesque. Si celui de Clare était déjà parfait, celui-ci l'était encore plus -si c'est possible.

-Ah, coucou chérie ! s'exclama soudain une voix derrière elle en posant brusquement sa main sur son épaule.

Elo sursauta avant de se retourner en vitesse, surprise. Devant elle, elle découvrit une Inaya qui semblait très à l'aise avec elle tandis que le garçon à ses côtés avait plus l'air gêné qu'autre chose.

-Ah merde, t'es... Fin, t'es... balbutia le rouquin. Genre... Tu es une... Ah... Ben, désolé hein.

-Oh, pas de souci, répondit Inaya avec un grand sourire. On essaye d'être discrètes, fin tu vois le genre.

Le pauvre type ria jaune, puis déguerpit sans demander son reste. Elo, qui ne comprenait rien à ce qui venait de se passer, dévisagea Inaya en fronçant les sourcils.

-Je peux savoir ce que c'est que ce bordel ? demanda la brune.

-Ce type arrêtait pas de me coller, expliqua Inaya en secouant la tête. Et je t'ai vue dans un coin, toute seule, alors tu étais l'alibi parfait.

Elo trouva ça triste que les gens soient devenus si embarrassés les uns avec les autres pour oser dire à l'autre qu'il était trop insistant.

-J'étais pas... J'étais pas vraiment seule, rétorqua Elo en détournant le regard, les bras croisés sur sa poitrine, touchée dans sa fierté.

Inaya ne releva pas l'absurdité de cette réplique et se contenta de regarder aussi les autres invités qui s'amusaient plus ou moins.

-On va boire un truc ? proposa la brune.

Elo haussa une épaule mais se laissa entraîner vers le grand bar qui séparait la pièce en deux.

Alors qu'Inaya lui tendit un verre de Coca, de la musique commença à retentir dans l'appartement. De loin, Elo aperçut Clare en train de danser avec Sofiane, tandis que Justin les fixait d'un air mauvais. La brune ne put s'empêcher de se sentir découragée. Si son frère était déjà stressé de savoir sa copine entourée d'inconnus, c'était encore pire maintenant qu'il savait qu'elle était entourée d'inconnus -avec des abdos- et qui tentait de la faire succomber à coups d'invitations à danser.

Elo avala son soda d'une traite avant de s'en remplir un autre, avec une envie subite de fumer une clope. Cette soirée commençait à peine et était pourtant un véritable fiasco.

Comme ma vie toute entière, pensa la jeune femme avec regrets.

-Aïe, y'a de l'eau dans le gaz, lâcha Inaya en jetant un œil à Justin, qui était en train d'interrompre la petite danse de Clare et Sofiane.

Elo, les doigts crispés autour de son verre, se contenta d'observer la scène de loin.

-Alors, team Sofiane ou team copain-de-Clare ? plaisanta Inaya.

-Team mon-frère, en fait.

La jeune femme se tourna vers Elo, surprise. La brune en profita pour détailler de plus près les tâches de rousseur qui constellaient le visage d'Inaya, la faisant rayonner comme un soleil.

-Oh, ouais, j'avais oublié que c'était ton frère, lâcha-elle. Toute façon je suis dans sa team, hein. Sofiane est un peu pathétique de courir après une fille en couple.

-'Un peu pathétique' ? répéta Elo, qui se sentait soudainement en colère. C'est une grosse merde, ce mec. On touche pas aux gens en couple, point.

-Je sais que ça excuse pas tout, mais je pense qu'il est amoureux de ta pote, dit gentiment Inaya.

-Ça excuse rien du tout.

Puis, en réfléchissant à ce qu'elle venait de dire, Elo prit conscience qu'elle aussi avait été une Sofiane. Elle savait que Garance était en couple depuis deux ans, mais elle s'était laissée guidée par ses sentiments. Elle avait embrassée la blonde, elle l'avait touchée, alors qu'elle était avec un autre.

Elo ne s'était jamais sentie aussi sale.

-Je vais... Ailleurs, lâcha soudainement la brune en s'éloignant vers le balcon.

Elle dépassa Justin et Clare qui s'engueulaient dans un coin sans leur accorder un regard et s'engouffra à l'extérieur. Ainsi, adossée à la rambarde, elle fouilla dans sa pochette à la recherche de son briquet. Les mains secouées de tremblements, elle extirpa une cigarette du paquet et l'alluma sans réfléchir avant de la porter à ses lèvres.

Les yeux rivés sur la rue, Elo tenta de faire le vide. Elle recracha sa fumée avant d'inspirer une nouvelle bouffée de sa clope, le cœur battant. Comment pouvait-elle juger qui que ce soit alors qu'elle même était loin d'être un enfant de chœur ?

Je suis une traînée, voilà ce que je suis, pensa-elle douloureusement. Une traînée qui n'a pas su écouter sa raison plutôt que son cœur.

En contre-bas, les voitures défilaient dans la rue. Le crissement des pneus sur la chaussée, les klaxons des taxis pressés et les lumières de toutes les couleurs hypnotisèrent Elo le temps d'un instant. Tout était si grand, si démesuré, à Paris. Puis, alors qu'elle observait le Sacré-Cœur qui se découpait dans la nuit, elle sentit une larme rouler sur sa joue.

Une unique goutte salée, qui s'écrasa durement sur le trottoir en dessous d'elle.

Soudain, des voix retentirent tout près d'elle. Elo essuya ses joues en vitesse avant de se retourner. Un gars se tenait devant la baie vitrée, les mains sur la poignée. Quand à l'autre, il regardait Elo avec un air incrédule. Mais l'autre, elle le connaissait.

Le cœur de la brune fit un bond dans sa poitrine. Qu'est-ce que Léo pouvait bien foutre dans cet appartement parisien ?

-Elo ? demanda le brun en débarquant sur le balcon. J'savais pas que tu serais là, ajouta-il, les sourcils froncés.

-Spoiler : moi non plus.

Le gars à côté d'eux laissa glisser son regard de l'un à l'autre, puis répliqua :

-Oula, trop de tension sexuelle refoulée ici ; je me casse.

Ni Léo ni Elo n'eurent le temps de contester qu'il avait déjà disparu dans la pièce à vivre.

-'Tension sexuelle refoulée', quel con, lâcha Elo en tirant une nouvelle taffe de sa cigarette.

Léo haussa les épaules, comme si ça ne lui importait pas vraiment. Il sortit alors une cigarette de sa poche et Elo lui jeta son briquet, comme chaque fois qu'ils fumaient ensemble. Le garçon, qui ne semblait pas se rendre compte de la hauteur de l'immeuble, se hissa sur la rambarde de l'appartement.

-Putain mais descends de là ! s'écria Elo.

-T'inquiètes, y'a pas de risque.

Moins de dix secondes plus tard, Léo vacilla et il bascula en arrière. Elo poussa un cri strident, les yeux écarquillés. En réalité, Léo avait simplement fait semblant de tomber et était déjà en train d'exploser de rire à sa blague de mauvais goût.

Elo lui lança à la figure une flopée d'insultes tout en le frappant de toutes ses forces. Quant à Léo, il quitta la rambarde pour la terre ferme du balcon entre deux éclats de rire.

-Alors, qu'est-ce que tu fiches ici monsieur l'équilibriste ? questionna soudainement Elo lorsque son ami était redevenu calme.

-En fait j'étais avec tous ces guignols au lycée, expliqua-il en inspirant une bouffée de sa cigarette.

-Tu veux dire que... Tu habitais ici, à Paris ? demanda Elo.

-Et ouais.

Les questions se bousculaient dans la tête de la brune. Puisqu'il habitait Paris, pourquoi était-il venu s'inscrire dans une école de stylisme moyenne alors qu'il en existait des mille fois mieux dans la capitale ?

-Alors pourquoi t'es pas allé à l'ESMOD par exemple ? insista Elo.

Le regard de Léo s'assombrit, et il se contenta d'une semi-réponse :

-Je préférais l'ambiance de la banlieue, c'est tout.

Elo ouvrir la bouche pour protester mais se fit couper dans son élan par Léo qui ajouta d'une voix joyeuse :

-Au fait, on a jamais parlé d'amour, nous deux !

-D'amour ? répéta Elo.

-Bah, ouais : d'ex, de couple, ce genre de trucs, expliqua Léo en écrasant sa cigarette sur le bord du garde-fou.

-C'est parce que y'a pas grand-chose à dire, lâcha Elo en écrasant sa clope à son tour.

-Arrête, me dis pas qu'une fille comme toi a jamais eu d'ex, lâcha le brun en secouant la tête.

-'Une fille comme moi' ? Tu veux dire une folle qui gueule un peu trop et qui défend bec et ongles les sujets dont le monde entier se fout ?

-Pas vraiment, répondit Léo avec un sourire en coin. Plutôt une brune un peu timbrée impossible à oublier.

Elo détourna le regard, les joues rouges. Qu'est-ce qui leur arrivait ? Pourquoi parler d'amour alors qu'ils n'étaient que de simples amis depuis le premier jour ?

-Et toi ? Des garces ont brisé ton petit coeur ? lâcha Elo.

-En général on dit 'et toi' quand on a répondu à la question, remarqua Léo.

-Je fais rien comme tout le monde.

Le garçon se mit alors à sourire. De toute manière, comment ne pas sourire face à cette fille ? Elo avait un regard flamboyant, un regard qui laissait deviner que quelque chose s'était brisé en elle à un moment de sa vie. Et étant donné qu'ils n'avaient que dix-huit ans, Léo comptait bien découvrir ce qui pouvait avoir impacté la vie d'une si jeune adolescente. Mais il avait bien compris que pour qu'Elo se sente en confiance, il devait se dévoiler en premier.

-J'ai été en couple avec une certaine Éloane de la petite section au CE1, plus belle histoire d'amour de ma vie, plaisanta-il.

-Ah, c'est donc la fameuse fille qui t'as fait deviner mon prénom ! s'exclama Elo, accoudée à la porte vitrée.

-En effet, répondit le brun avec un sourire amusé. Mais plus sérieusement, j'ai été en couple pendant plusieurs années à partir de la fin de ma seconde.

-Et ça a pas marché finalement ? demanda Elo.

-Visiblement non, puisqu'elle m'a largué du jour au lendemain. Mais je t'épargne les détails sordides, c'est pas très très gai comme histoire.

Elo n'insista pas et avala difficilement sa salive. Elle n'était pas bête, elle savait que c'était maintenant à son tour de se dévoiler un peu. Et ce n'était pas le regard curieux empreint d'une certaine attente que lui adressait Léo qui allait dire le contraire.

-Et toi ? demanda finalement le garçon en voyant qu'Elo ne savait pas par où commencer. Un bad boy t'as quittée pour une blondasse silliconnée ?

Si seulement, pensa Elo.

C'était le moment. Elle pouvait encore contourner le sujet pour ce soir, mais ça arriverait bien un jour. Et puis, si elle l'esquivait maintenant, ça allait sûrement créer un froid entre elle et Léo, chose qu'elle voulait à tout prix éviter. Même si elle n'osait pas se l'avouer, il comptait beaucoup pour elle.

Alors qu'Elo déglutissait une dernière fois avant de commencer son récit, Justin débarqua en furie sur le balcon.

-On se taille, déclara-il sans plus d'explications.

Léo adressa un regard paumé à Elo qui se contenta d'hausser les épaules avant d'aller dans le salon. Elle balaya la pièce du regard mais n'aperçut Clare nulle part. Visiblement, la fuite précipitée de Justin avait quelque chose à voir avec sa meilleure amie.

Elo entendit Léo l'appeler derrière elle. Elle lui fit signe qu'elle l'appellerait plus tard avant de traverser le grand couloir qui menait à l'entrée. Sans avoir besoin d'ouvrir toutes les portes, Elo découvrit Clare qui pleurait dans l'une des chambres, la porte entrouverte.

-Oh, Clarounette, murmura Elo en s'agenouillant près de sa meilleure amie.

-Je suis HIC la plus nulle HIC de toute la terre ! s'exclama-elle entre deux sanglots.

-Mais non, pourquoi tu dis ça ? demanda doucement Elo.

-Je me suis engueulée à mort avec Justin, dit la blonde en se passant une main sur le visage, laissant une traînée de mascara dans son sillage.

Clare faisait partie de ces gens qui, quand ils pleuraient, ils pleuraient vraiment. Hoquet, yeux bouffis, reniflements et tout le tralala. Mais Elo aimait Clare comme elle était depuis le tout premier jour, et ce n'était pas aujourd'hui que ça allait changer.

-Je m'en fiche de Sofiane, il est sympa et c'est tout, reprit la blonde. Je pensais pas que Justin serait jaloux à cause d'une danse de merde.

Visiblement, il n'y avait que dans les films que les filles pensaient à mettre du waterproof.

-Il est pas jaloux à cause de cette danse, il est jaloux parce que Sofiane t'aime et qu'il veut pas te perdre.

Clare la dévisagea une seconde, puis se remit à pleurer de plus belle.

-Je comprends pas ce qui m'arrive en ce moment. Je me reconnais même plus.

Elo voulut la contredire, mais elle ne sût pas quoi dire pour le faire. C'est vrai, Clare avait changé. Mais était-ce une si mauvaise chose ?

La brune s'assit en tailleur en face de son amie, sans se soucier de sa petite culotte blanche que tout le monde pouvait avoir le loisir d'observer sous toutes les coutures à cause de sa robe.

-T'es toujours la même, Clare. La preuve : tu t'appelles toujours Clare.

La blonde se mit à sourire une seconde à travers ses larmes, puis essuya grossièrement ses joues.

-Je te jure, tout est trop bizarre en ce moment. Je suis loin de ma maison, de mes parents, de Tic, de toi. J'ai l'impression de vivre la vie de quelqu'un d'autre, lâcha la blonde.

-Moi aussi, avoua Elo.

Elle piqua une boîte de mouchoirs qui trônait sur l'une des commodes et la donna à Clare avant de se rasseoir en face d'elle.

-On grandit, c'est normal, dit doucement Elo. On peut pas rester toutes les deux dans notre petit village toute notre vie.

Et pourtant, Elo le souhaitait vraiment. Elle qui n'avait jamais rien eu contre le changement espérait que tout redevienne comme avant. Elle voulait revenir au temps où Clare et elle révisaient ensemble au CDI, où Garance l'aimait encore et où son père n'avait pas honte d'elle. Une vie parfaite qu'elle avait autrefois sans même se rendre compte de sa valeur.

-Et puis, ta prépa de psycho te passionne, non ? demanda Elo.

Clare acquiesça.

-Et t'as des nouveaux amis riches, en plus.

-Ils sont peut être riches, mais ils connaissent pas Stanger Things. Je trouve que leur vie est pas mal moins bien que la nôtre.

Elo se mit à sourire, puis enlaça très fort sa meilleure amie.

-On sera toujours là l'une pour l'autre, murmura Elo. Et ça, ça changera pas. Jamais.

Clare la serra un peu plus fort.

-Je t'aime ma couille, chuchota Clare.

-Moi aussi ma gueule, répondit Elo, comme à chaque fois.

Il y avait donc des choses qui ne changeraient jamais. Jamais jamais jamais.

On entendit soudain un bruit sur la porte. Les deux filles se séparèrent, et découvrirent en même temps Justin sur le seuil de la porte.

-Je... Euh... Putain, vous me fatiguez vous deux, lâcha-il finalement.

-Je vous laisse, dit Elo en se relevant.

Alors qu'elle était à la porte, Elo s'octroya la liberté d'écouter le début de leur conversation.

-Je pensais pas que tu allais pleurer, je suis vraiment désolé... C'est juste que je t'aime, tu comprends ? Et je suis un égoïste, je veux pas te partager... disait Justin.

Elo, rassurée de voir que les choses se replaçaient doucement, traversa le couloir. Elle n'était plus sûre qu'elle allait vraiment partir tout de suite, finalement.

-Ah, te voilà ! s'exclama Léo en pointant vers elle un doigt accusateur. Tu pourrais arrêter de me fuir, s'il te plaît ?

-Je te fuis pas, dit Elo, surprise.

-Mais oui, c'est ça ! s'écria-il avec un regard sombre. T'es super bizarre, Elo ! Tu dis qu'on est amis, mais tu me racontes rien ! Je sais rien de toi, putain. Et dès que je te demande quelque chose d'un peu plus important que ta couleur préférée, tu te barres !

Elo accusa le coup sans broncher. Léo avait raison sur toute la ligne, elle passait son temps à fuir. Et elle se détestait déjà bien assez pour ça sans qu'il ne doive en rajouter une couche.

- Et tu sais pourquoi ça me saoule ? Hein, tu sais pourquoi ? dit le garçon en gesticulant.

-Parce que je te dis rien, tenta bêtement la jeune femme.

-Parce que je suis amoureux d'une inconnue, voilà pourquoi !

Cette révélation tomba comme un coup de massue sur le crâne d'Elo. Elle eut l'impression que toutes ses synapses venaient de se débrancher, rendant ses neurones inutilisables -merci la SVT en première. Elle se sentait toute engourdie, comme si elle était restée trop longtemps dans le froid sans manteau.

-Merde, c'était pas... C'était pas comme ça que je voulais te le dire, lâcha Léo en se tapant le front. Je suis pas... Je suis pas expert dans ces trucs-là, je suis pas...

Son discours n'était pas très clair, mais Elo saisissait le sens général du message. Léo ne ressentait pas que de l'amitié envers elle, et c'était extrêmement bizarre. Comment pouvait-il accepter une fille dans sa vie qui ne s'acceptait déjà pas elle-même ?

-Et je veux surtout pas qu'on arrête de se parler parce que tu veux pas de moi, ajouta-il.

-J'en sais rien, Léo, lâcha Elo. C'est un peu beaucoup à encaisser, là. Je sais même pas si nous deux ça peut aller plus loin. Je sais même pas si j'ai envie d'aller plus loin avec qui que ce soit.

-Mais je suis pas 'qui que ce soit', moi, rétorqua le garçon d'un air blessé.

-Je sais. C'est pour ça que c'est encore pire.

Ils se regardèrent sans rien dire le temps d'un instant, les cœurs emmêlés. Léo aimait Elo, Elo aimait Garance. Du moins, elle se raccrochait à cela parce que c'était la seule chose qui la gardait en vie. Mais maintenant, que faire ? Elo avait l'impression que ses repères s'écroulaient sous ses yeux les uns après les autres, la laissant affronter seule le tourbillon de ses problèmes.

Mais, comme si ce n'était pas assez, Clare débarqua du bout du couloir à ce moment-là. Elo ne l'avait pas vue sortir de la chambre, trop absorbée par cette situation étrange avec Léo.

-Je sais que c'est probablement pas le moment, mais... J'ai une surprise pour toi, Elo, déclara la blonde.

Léo s'adossa au mur en soupirant, visiblement excédé qu'on les interrompe dans un moment aussi critique.

-Je sais que le temps d'avant te manque autant qu'à moi, commença prudemment Clare. C'est pour ça que j'ai pensé à inviter une ancienne camarade, pour se rappeler un peu le lycée.

Derrière Clare, une silhouette apparut enfin dans la lumière du couloir. Cheveux raides maintenant coupés au-dessus de la poitrine, grands yeux bleus maquillés à la perfection, Garance n'avait rien perdu de sa superbe.

Quant à Elo, elle était sans mot. Son cœur était littéralement en train de s'échapper de sa cage thoracique.

Vous pouvez bien courir un marathon pour échapper à votre passé, il vous attendra à la ligne d'arrivée.

-Garance ? lâcha Léo, visiblement sous le choc aussi.

-Salut, lâcha timidement la jolie blonde.

Ses billes bleues restaient pourtant bloquées dans celles d'Elo, comme si la brune était la seule qui lui importait.

-Tiens, bah du coup je te présente mon ex Garance, dit Léo en se tournant vers Elo, le coeur visiblement en miettes. Comment expliquer ça clairement, euh...

Il fit mine de chercher dans son esprit les mots justes, visiblement très en colère.

-Garance, ex, 2 ans, cœur brisé, lâcha-il. Ça résume assez bien cette putain de situation.

Alors qu'il s'éloignait, Léo se retourna au dernier moment et ajouta :

-Oh et, pour info, elle m'a quittée du jour au lendemain parce qu'elle me trompait.

Il traversa le couloir et claqua la porte d'entrée derrière lui sans ajouter un seul mot.

-Tu m'avais pas dit que tu connaissais d'autres invités d'ici !protesta Clare, qui venait visiblement de se rendre compte de l'énorme connerie qu'elle venait de faire.

-Je savais pas non plus.

Elo savait que Garance mentait. Elle savait que Léo serait ici, et qu'Elo le serait aussi. Cette fille était définitivement un poison.

-Je suis contente de te revoir, dit gentiment Garance en s'approchant d'Elo.

La brune se contenta de papillonner des paupières pour chasser ses larmes et quitta l'appartement à son tour.

Elle avait l'impression d'être droguée, ou bourrée. Elle ne marchait pas droit, et se cognait dans les murs. Elle se glissa dans l'ascenseur et s'empressa de refermer les portes en entendant Clare l'appeler dans le couloir. Elo n'était pas prête à affronter sa meilleure amie tout de suite, elle était trop bouleversée.

Quand elle quitta la cabine, elle traversa le hall rempli de boîtes aux lettres et posa la main sur la poignée. Elle hésita une seconde, puis se retourna et donna un coup de pied dans la plante la plus proche. Celle-ci se répandit sur le sol et le pot se brisa en mille morceaux, comme le coeur d'Elo.

Décidément, c'était une drôle de soirée.

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