(9.11) Éco : chap 2

Espagnol : Completar la hoja de ortografía n°6

CALL ME PLEASE (-Clare)

...

Quand les sonneries Skype retentirent, Elo se sentit aussitôt apaisée, presque comme un enfant à qui on dépose un pansement sur son genou blessé.

Elle savait que dans quelques minutes, elle verrait le visage de sa meilleure amie sur l'écran. Et après l'altercation de mardi dernier, elle avait bien besoin de penser à autre chose.

Après l'épisode du placard, Elo avait fui Léo pendant des jours. Elle n'arrivait pas bien à comprendre pourquoi, mais elle ne se sentait plus capable de traîner avec lui après toutes les choses qu'elle avait laissées lui échapper, dévoilant la partie la plus intime de son âme. Et s'il fallait bien savoir une chose avec Elo, c'est que laisser les gens la connaître réellement l'effrayait plus que tout au monde.

Elle avait survécu à cette semaine comme un automate. Réveil à six heures tapantes, petit dej', faux semblants et ambiance lourde de secrets avec ses parents, cours interminables et retour à la maison pour dormir jusqu'au lendemain dans l'espoir de tout oublier.

Elo était encore amoureuse de Garance, et ça la tuait. Après tout ce qu'elle lui avait fait, elle aurait du passer à autre chose. Elle devrait peut-être même la détester, lui en vouloir, être dans une colère noire. Et pourtant, Elo avait simplement le cœur brisé.

Mais quand les sonneries cessèrent et que les traits fins de Clare apparurent sur l'écran, Elo chassa tout le reste et se concentra sur sa meilleure amie.

-Hey ! s'exclama la brune avec un sourire.

-Salut, répondit Clare.

Elo remarqua tout de suite que quelque chose n'allait pas. Clare se touchait sans cesse les cheveux comme lorsqu'elle était stressée, et elle avait les yeux un peu gonflés, comme si elle avait pleuré. Elle était belle -Elo trouvait que sa meilleure amie l'était toujours-, mais moins que d'habitude.

-Tout va bien ? demanda alors Elo.

-Pas vraiment, répondit Clare d'une voix tremblante.

Elo regarda son amie prendre une grande inspiration puis s'allonger à plat ventre sur son lit, le cœur battant.

-Je crois que j'ai fait une connerie. Fin, j'sais pas trop si c'en est une, mais... Ça m'en a tout l'air.

-Quoi ? demanda Elo, au bord de la crise d'apoplexie.

Clare ouvrit la bouche pour lui répondre, puis se ravisa au dernier moment avant de s'exclamer :

-Oh, et pourquoi est-ce que c'est toi que j'appelle ?

Elo se figea, comme si on venait de l'assommer. Qu'Amanda la rejette était une chose, que Clare le fasse en était une autre -et sacrément plus difficile à accepter pour la brune.

-Bon, ok, dit Clare en se passant une main sur le front. Mais... Promets-moi de pas me juger.

-Merde Clare, tu me reconnais ?! s'exclama Elo. Tu sais qui je suis ?! Je ne t'ai jamais jugée et c'est pas aujourd'hui que je vais commencer.

La blonde esquissa un minuscule sourire, puis dit doucement :

-J'ai fait l'amour avec Justin.

Elo écarquilla les yeux.

-Oh. Waouh.

Elo cligna des yeux plusieurs fois, essayant de chasser les images de son frère et de sa meilleure amie en train de forniquer dans un coin obscur. D'un seul coup, elle eut l'impression que Clare et son frère avaient grandi de dix ans, qu'ils n'étaient plus les mêmes qu'il y a une minute. Désormais, les blagues sexuelles que Justin faisait pour plaisanter auraient toujours une connotation et Elo avait peur que sa relation avec son frère en pâtisse. Par contre, Elo savait que cela ne changerait rien à son amitié avec Clare. C'était obligé que les filles se racontent un jour ou l'autre leurs expériences sexuelles, même si Elo n'avait jamais vraiment envisagé que ça impliquerait son frère.

-Je sais, je suis une pauvre fille, lâcha Clare en se prenant le visage entre les mains. Je suis mineure et ça fait que quatre pauvres mois qu'on est ensemble. Putaiiiiiin, je suis tellement nulle !

-Arrête de dire n'importe quoi, répliqua Elo. Y'a un truc spécial entre vous, ça se voit. Et t'es presque majeure, en plus. C'est normal que vous ayez envie de... Faire des trucs.

-Je suis désolée de te demander conseil, surtout que ça te mets dans une position un peu bizarre... dit Clare, les yeux brillants.

-T'en fais pas, je vais survivre.

-Alors, qu'est-ce que je dois faire selon toi ? demanda la jeune femme, qui semblait complètement paumée.

-Bah... Maintenant que c'est fait, c'est fait, dit Elo en haussant les épaules. Il faut juste accepter que c'est arrivé, et surtout que ça puisse recommencer.

C'est là que la jeune femme songea au point essentiel.

-Vous vous êtes protégés au moins ? questionna alors Elo.

-Ah bah pour ça y'a aucun souci, dit Clare, un minuscule sourire aux lèvres. Je prends la pilule -tu sais, à cause de mes règles douloureuses- et je lui ai demandé de vérifier quatre fois que le préservatif était solide. J'espère que ça sera suffisant, ajouta-elle en se mordant la lèvre.

-Mais oui, répondît Elo d'une voix qu'elle tenta de maintenir rassurante.

Il y eu un petit silence pendant lequel les deux filles se sourièrent, puis Elo demanda :

-Et maintenant ?

Clare haussa une épaule, semblant complètement paumée.

-J'en sais rien, répondit la blonde. J'imagine qu'il va vouloir le refaire, alors...

-Et toi, t'as envie ?

Clare se mit alors à rougir comme une pivoine.

-Je crois bien. Avoue c'est bizarre ! ajouta-elle en se prenant le visage entre les mains.

-Arrête de te blâmer ! T'es humaine, c'est normal que tu aies des désirs ! Après, que tu en aies pour mon frère, c'est autre chose, ajouta Elo d'un air dégoûté en secouant la tête.

Clare se mit alors à rire, puis dit doucement :

-Et tu sais, quand j'ai dit 'pourquoi est-ce que c'est toi que j'appelle'... En réalité tu es la seule que je voulais appeler. Genre, la seule des seules des seules.

Elo se mit alors à sourire, rassurée. Elle se sentait aimée, en sécurité. Comme si elle sentait qu'elle aurait toujours une place dans le cœur de sa meilleure amie, comme Clare en avait une immense dans le sien.

-Je sais que c'est pas cool de te demander ça, mais franchement ca m'arrangerait si tu enquêtais auprès de Justin pour savoir si j'ai pas été nulle. Parce que, pour être honnête, j'avais l'impression qu'il savait exactement quoi faire alors que j'étais aussi à l'aise qu'un poisson dans la savane.

Elo éclata de rire, puis répondit :

-Je peux me renseigner, mais je te garantis rien.

Les yeux de Clare se mirent alors à briller, emplis d'une émotion palpable qui toucha Elo en plein cœur.

-Merci ma gueule. Je t'aime.

Et, parce que c'était toujours ce qu'elles répondaient quand l'une disait cela, Elo lui glissa :

-Moi aussi ma couille.

...

Si les clopes avaient toujours détendu Elo dans les pires moments, son remède ultime était le dessin. Alors, lorsqu'elle dessinait en fumant, elle se sentait complètement dans son élément.

Les yeux sur son carnet de croquis, elle travaillait sur un kimono rouge destiné à la lingerie, qu'elle imaginait bien en soie ou en satin. Elo avait toujours été passionnée de mode, et ce depuis son plus jeune âge. Elle avait forcé sa mère à lui acheter des carnets de dessin Top Model chaque mois pendant des années parce qu'elles les remplissait trop vite, et elle possédait des millions et des millions de crayons de couleur et de stylos feutres- parce que chacun avait une 'minuscule différence avec un autre'.

Sa cigarette coincée entre le l'index et le majeur, Elo prit un peu de recul pour mieux admirer sa nouvelle œuvre. C'était vraiment pas mal, mais il manquait quelques détails. Peut-être que des petits boutons sur le côté pourraient ajouter une jolie touche finale.

Elo était en train de fouiller dans l'un de ses tiroirs à la recherche d'un feutre marron quand elle entendit des pas rapides dans l'escalier. Paniquée, elle se précipita vers la fenêtre et jeta sa clope dans le vide en moins de deux avant de secouer ses mains dans les airs pour tenter d'éloigner la fumée. La brune eut tout juste le temps de se jeter sur sa chaise de bureau quand sa porte s'ouvrit à la volée.

À son grand soulagement, elle reconnut aussitôt la silhouette immense de Justin dans l'encadrement de la porte. Il avait toujours été plus grand qu'elle, même si elle avait un temps espère le dépasser. Mais quand il a atteint le mètre quatre vingt, la brune avait abandonné.

-Qu'est-ce que tu fous là ? demanda aussitôt Elo, encore dans un état de stress.

Si ses parents avaient découvert qu'elle fumait, c'en était fini de la relation de 'confiance' qui les unissait. Même si celle-ci était déjà bien dégradée avec son père depuis le soir où il l'avait surprise avec Garance, elle voulait préserver les vestiges qu'il restaient de celle qu'elle partageait avec sa mère.

-Relaxe, j'ai fini les cours plus tôt, répliqua le garçon en s'allongeant sur le lit de sa sœur, très à l'aise.

-Je pensais que tu serais encore avec tes potes, ou à Paris chez Clare. On te voit jamais en ce moment.

Le visage de Justin se fendit d'un sourire narquois, et il répliqua :

-Dis donc, je savais pas que je manquais autant.

-Tu me manques pas, rétorqua Elo avec aplomb, de nouveau à la recherche de son précieux feutre brun.

-C'est ça oui, dit Justin d'un ton sarcastique.

Elo, qui venait enfin de mettre la main sur sa pochette de feutres marrons, demanda :

-Alors, qu'est-ce qui t'as forcé à venir passer plus de deux heures ici ?

-C'est pas une torture d'être ici, tu sais, répliqua Justin, qui semblait un poil vexé. J'aime bien être à la maison, vous êtes ma famille quand même.

-Ah bon.

C'est tout ce qu'Elo trouva à répondre. Elle n'avait plus vraiment l'impression de faire partie d'une quelconque famille. Il ne restait plus que des pièces détachées qui se retrouvaient de temps en temps pour tenter de former un puzzle, mais qui ne s'emboitaient jamais. On se trompe peut-être simplement de sens, pensa tristement la jeune femme. Mais cela ne changeait rien. Elle était seule dans cette maison, seule dans cette ville, et ce pour encore un long moment.

-Mais t'as raison, je suis un mec intéressé et j'ai besoin de toi pour un truc, demanda alors Justin sur le ton de l'humour.

-Je me doutais bien. Alors ?

Le garçon sembla soudainement gêné, puis il lâcha :

-Je suis sûr que Clare te l'a déjà dit, mais si ce n'est pas le cas... On l'a fait.

Elo, soudain prise d'une envie d'embêter son frangin, décida de jouer l'innocente.

-Fait quoi ? demanda-elle.

Elle faisait tout pour ne pas sourire et griller son plan, mais ses lèvres s'incurvaient toutes seules. La brune tenta malgré tout de garder son sérieux, surtout quand elle vit que son frère tombait petit à petit dans le panneau.

-Ben... On l'a fait, quoi, dit Justin en rougissant de plus en plus.

-D'accord, mais fait quoi ? répéta Elo.

-Tu te fous de ma gueule ? demanda le brun.

-Euh, non.

Ça y'est, il a compris que je le faisais marcher, pensa la jeune femme. Pourtant, son frère ne semblait pas saisir la situation et s'enfonça encore un peu plus.

-Y'a plus de cours d'éducation sexuelle en quatrième ou quoi ? râla-il. J'ai foutu ma teub dans Clare ! Tu vois de quoi je parle ?!

Elo écarquilla les yeux devant un discours aussi cru, puis partit dans un long fou rire. Le genre de fou rire qui fait mal au ventre, qui nous donne des crampes à la mâchoire et qui nous tire les larmes. Ça faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé, et Elo se sentit revigorée, comme lorsqu'on nous dépose une serviette chaude après s'être jeté dans l'eau glacée.

-T'abuses, commenta le garçon, mi-amusé, mi-honteux de s'être autant affiché.

Quand le fou rire d'Elo fut enfin tari, Justin osa lui expliquer la situation :

-J'ai l'impression que Clare regrette, et putain je m'en veux à mort. Elle m'a clairement dit qu'elle était prête. Mais je veux juste être sûr, tu vois. Donc si elle t'en a glissé un mot...

Elo se sentit un peu piégée. D'un côté Clare voulait des informations, et de l'autre Justin en voulait aussi.

-Ça serait plus simple si vous en discutiez, répondit simplement Elo.

-Allez, tu peux au moins faire un effort ! Je suis ton frère depuis, quoi, dix-huit ans ! Est-ce que tu sais à quel point c'est éprouvant ?

Elo le fixa un instant, puis répliqua :

-Si ce feutre ne coûtait pas neuf balles, il serait actuellement projeté à pleine vitesse dans ta figure dans le but de te défigurer à vie. Et là, plus de sexe avec Clare parce que tu seras devenu moche et pouf : plus de problème !

Justin roula des yeux, mais se mit à sourire à pleines dents. Elo avait eu un bon professeur, niveau humour.

-Pour revenir à ce... truc avec Clare, je peux juste te dire qu'elle flippe grave. Tu devrais la rassurer et en discuter avec elle si tu veux pas qu'elle panique dans son coin et qu'elle se renferme comme une huître, parce que c'est ce qui risque d'arriver si tu le fais pas, proposa Elo.

Justin soupira.

-Vous devriez écrire un mode d'emploi l'une pour l'autre, ça serait plus pratique pour tous les mecs qui vont croiser votre route, commenta-il.

Ou pour les filles.

Elo sentit son cœur faire un piqué dans sa poitrine. Justin ne soupçonnait même pas qu'elle puisse être attirée par le même sexe, qu'elle puisse aimer quelqu'un du même sexe. Il ne l'envisageait même pas, comme si ça ne pouvait pas arriver. Sans le savoir, Justin venait de planter une épine de plus dans le cœur de la jeune femme, déjà cabossé par leur père.

-C'est pas dans nos projets pour l'instant, répondit simplement Elo en détournant le regard.

-Ben pensez-y, conclut son frère en se levant. En tout cas merci pour le conseil. Je vais aller lui parler.

Elo hocha la tête, signe qu'elle approuvait cette décision.

-Allez je décolle, le métro m'attend ! s'exclama-t-il en souriant. Mais, Éloane, ajouta-il.

-Elo, corrigea-elle automatiquement.

-Si je suis pas là souvent, c'est parce que l'ambiance craint un peu avec les parents. Depuis que j'ai été ramené par les flics en juin, j'ai l'impression qu'ils m'en veulent. Je suis désolé d'avoir niqué l'ambiance.

S'il savait, pensa Elo douloureusement. Certes, cette soirée trop arrosée où Justin avait été ramené en voiture de police avait marqué ses parents, mais c'était elle le vrai problème. Et voilà qu'il s'excusait, alors que tout était de sa faute.

-Je... C'est rien, lâcha Elo, les joues brûlantes de honte. De toute façon, je suis 90% du temps dans ma chambre.

Justin acquiesça puis commença a s'éloigner avant de revenir sur ses pas.

-Tu feras gaffe, ça pue la clope dans ta piaule.

Et il disparut dans le couloir, laissant Elo face à elle-même dans cette pièce aux murs aussi colorés que son cœur était mélangé.