1 : Se battre pour ses convictions

(4.09) Pizza avec Amanda à 19h30/20h à XL

J'ARRIVE PAS À CROIRE QUE MA PREMIÈRE RENTRÉE SANS TOI C'EST DÉJÀ DANS 1 JOUR :((((( (-Clare)

...

Quand Elo avait rencontré Amanda, elle s'était forcée à faire des efforts. Après tout, elle allaient être colocataires pendant au moins un an, puisque c'était l'accord. Puis, le père d'Elo était intervenu au dernier moment et avait tout annulé, forçant la jeune femme à garder un pied dans son ancien monde et un pied dans le nouveau. Elo, coincée entre les deux, se sentait comme perdue entre deux univers qui n'allaient tout simplement pas ensemble. De plus, Amanda n'était pas particulièrement le genre de personnes qu'Elo fréquentait d'habitude -il faut dire qu'en dehors de Clare elle ne fréquentait personne- et la brune n'arrivait pas à se décider si oui ou non, elle l'appréciait. Certes, elle était rigolote et plutôt sympa dans son genre, mais elle ne semblait pas apprécier Elo plus que ça. En réalité, la brune avait plutôt l'impression qu'elle avait pitié d'elle.

Ce soir, c'était donc l'ultime test. Soit Amanda avait un soupçon d'amitié envers elle, soit elle la voyait définitivement comme le petit chiot abandonné qui était complètement perdu dans cette immense école -pourtant pas si immense.

-Tu sors ?

Elo s'arracha à la contemplation de son reflet dans le miroir et jeta un bref coup d'œil à ses parents assis autour de la table avant de sortir son gloss de son sac, la gorge nouée.

-Oui, je vous ai prévenus hier soir, répondit Elo.

Elle appliqua une fine couche de gloss sur ses lèvres pulpeuses comme elle le faisait chaque jour depuis plus de deux ans, puis elle reboucha le tube et le glissa dans son petit sac en bandoulière.

-Ta rentrée c'est après-demain, dit son père d'une voix froide qui claqua comme un fouet. Restes-ici.

Elo sentit son rythme cardiaque accélérer. Elle n'avait jamais eu peur de son père, malgré le fait qu'il soit souvent injuste et parfois même méchant. Mais depuis quelques temps, elle n'avait plus le choix. Depuis qu'il savait, elle l'écoutait toujours. C'était ça, ou le monde entier serait mis au courant.

Autant dire qu'elle avait tout intérêt à rester docile.

-Trop tard, vous avez déjà dit oui, dit-elle d'une voix qu'elle tenta de maintenir ferme, les mains tremblantes.

-On peut encore changer d'avis, dit sèchement son père. Et c'est quoi tout ce maquillage ? Tu vas au bal masqué ?

-C'est que du gloss, se défendit-elle, l'estomac noué.

-Je te parle de ce que t'as sur les yeux, répliqua-il.

Elo se sentit fondre comme neige au soleil. Elle avait maquillé ses paupières d'un trait précis d'eye-liner, se trouvant plus chic avec. C'était aussi parce qu'elle avait remarqué que toutes les amies d'Amanda en portaient, et qu'elle s'était dit bêtement que cela pourrait peut-être l'intégrer un peu plus. Jamais elle n'aurait avoué que c'était parce que, dans le fond, elle crevait de peur à l'idée de passer l'année toute seule.

-C'est juste un trait noir, ça va, dit gentiment sa mère.

Son père sembla hésiter un instant, puis détourna le regard. Elo sut que c'était le moment de disparaître avant qu'il ne change d'avis. Elle laissa un post-it pour Justin avec marqué 'bonne nuit' sur la commode de l'entrée, puis se glissa dans la nuit.

Elle resserra sa veste contre sa poitrine en traversant l'allée de pierres qui conduisait au portail. Elo appuya sur sa télécommande automatique puis quitta l'enceinte de cette maison qui autrefois lui apportait tant de réconfort.

Dans la rue, elle était en train de tout faire pour penser à autre chose quand son téléphone bipa. Elle l'empoigna et son cœur s'enveloppa d'une chaleur familière en voyant s'afficher le nom de Clare.

-Hé, salut ! s'exclama la blonde quand Elo appuya sur décrocher. Je te dérange pas ?

-Non, ça va. Alors quoi de neuf ?

La blonde lui raconta qu'elle avait l'impression de vivre dans une réalité parallèle en ce moment, avec sa nouvelle vie d'adulte seule dans son appartement en plein cœur de Paris, à deux pas de la fac. Elle ne sembla pas se rendre compte une seconde à quel point Elo l'enviait. C'est vrai ; Clare était désormais coupée de son ancienne vie. Elle vivait dans un nouveau monde, un monde qu'elle avait construit elle-même et qui lui plaisait de bout en bout. Alors qu'Elo, elle, était bloquée entre le passé et le futur dans un espace-temps qui ne lui plaisait pas du tout et que, de surcroît, elle n'avait même pas eu le luxe de choisir.

-Et toi, quoi de neuf ? demanda Clare.

Elo hésita. Elle pouvait tout dire à sa meilleure amie, elle le savait. Mais elle savait aussi que Clare avait tendance à s'inquiéter pour peu de choses, et que le fait de savoir Elo dans une période difficile la mettrait plus bas que terre. Hors c'était totalement l'inverse de ce qu'Elo voulait pour elle, surtout deux jours avant la rentrée.

-Pas grand chose.

-Ah ouais ? Et ton école ?

-J'attends la rentrée pour me prononcer, répondit Elo, apercevant la pizzeria illuminée par de vieux néons au bout de la rue.

-Tu me raconteras. Ah, je dois te laisser, ça va être l'heure de mon feuilleton.

Elo se mit à sourire, amusée.

-Ton 'feuilleton' ? répéta la brune, un sourire en coin sur les lèvres. Tu regardes quoi ? N'oubliez pas les paroles ? se moqua-elle.

-Pas loin, rigola Clare. C'est Zorro, sur la trois. Ça me rappelle Tic.

Elo s'immobilisa devant la vitrine du restaurant tandis que les deux filles se saluaient, puis elle prit une grande inspiration et rentra à l'intérieur.

Ultime test. Avec Amanda, ça passe ou ça casse, pensa-elle.

Elle essaya de se convaincre que si ça ne marchait pas ce n'était pas si grave mais elle se sentit toujours aussi mal. Mais quand elle aperçut la blonde qui lui faisait de grands signes au fond du bâtiment, elle crut défaillir. Non seulement Amanda n'était pas seule, mais elle était entourée de trois types, dont son copain-qui-n'avait-pas-l'air-futé qu'Elo reconnaissait vaguement et le type qui lui avait filé son briquet à la soirée d'intégration. Elo sentit aussitôt ses bons sentiments s'évanouir.

Elle qui pensait profiter de cette soirée pour apprendre à mieux connaître Amanda, voilà qu'elle se retrouvait paumée avec une brochette de gars étranges.

-Hé, voilà ma pote ! s'exclama Amanda en la voyant arriver. Waouh, trop joli ton eye-liner. Un peu de traviole, mais ça te va bien, ajouta-elle d'un ton amusé.

Elo, tendue, se contenta d'un minuscule sourire forcé et se glissa au bout d'une banquette, juste à côté du gars qu'elle n'avait jamais vu. Juste en face d'elle, il y avait le gars de l'autre fois qui était serré sur le bord, Amanda et son mec prenant toute la place près de la fenêtre. Finalement, Elo était presque heureuse de se retrouver à côté de l'inconnu.

Alors qu'elle constatait qu'ils n'avaient pas pris la peine de l'attendre pour commander leurs pizzas, le gars à côté d'elle dit d'une voix moqueuse :

-Bon, Amy n'a pas la politesse de nous présenter alors je me présente tout seul. Moi c'est Gaël.

Tandis qu'Amanda se défendait en disant qu'il 'ne lui laissait même pas le temps de parler', Elo hocha légèrement la tête comme pour lui dire bonjour avant de river de nouveau ses yeux sur ses genoux dénudés par sa jupe à carreaux.

-Moi c'est Léo, intervint alors le gars d'en face.

Je le sais déjà, se retint-elle de dire. Mais toute envie de discuter qu'elle avait pu envisager auparavant s'était comme évanouie.

Elle releva les yeux et ils échangèrent un léger sourire, avant qu'elle ne se reconcentre sur ses genoux. Quant au copain d'Amanda, il ne prit même pas la peine de décliner son identité. Pas que ça l'intéresse, mais Elo se sentit déçue de ne pas recevoir même un semblant de considération.

La soirée défila lentement, trèèèèès lentement. Elle commanda simplement une bière mais pas de pizza, l'estomac trop noué pour manger. Pourtant, personne ne s'en rendit compte à part Léo, qui lui adressa un regard interrogateur. Elle se contenta d'hocher les épaules et de faire mine d'être intéressée par leur conversation. Elle était en train de réfléchir à une excuse pour s'enfuir discrètement quand un match de football féminin débuta, sport qu'elle avait toujours apprécié. Elle en avait même fait quatre ans quand elle était petite, avant que l'équipe féminine ne soit dissoute pour manque d'effectifs. Elo avait été plus que déçue. Du coup, en voyant qu'un match débutait, elle se dit que peut-être, peut-être, sa soirée n'était pas encore foutue. Pourtant elle n'était pas au bout de ses surprises, la pauvre.

Quand la Marseillaise retentit et qu'un gros plan sur chaque joueuse eut lieu, le gars à côté d'elle commenta naturellement :

-Elles auraient pu se maquiller au moins. Elles ont trop une sale gueule là, et en plus les maillots les moulent pas du tout. On voit même pas leurs formes, on dirait des mecs.

Elo crut qu'elle allait tomber de sa banquette tant elle était surprise.

-T'as dit quoi là ? s'exclama-elle, complètement sous le choc.

-Qu'elles pourraient se maquiller un peu, fin j'sais pas c'est quand même pas la fin du...

-Ferme ta gueule, le coupa Elo.

Le gars fronça les sourcils, prêt à répliquer, mais Léo l'en empêcha.

-J'avoue mec, on te demande pas de te coiffer à la natation quand tu sors de la piscine, et pourtant c'est pas fameux.

Sa tentative d'humour fit rire Amanda et son copain et sembla relaxer un peu le type, mais Elo ne décolérait pas. Comment est-ce qu'on pouvait être aussi sexiste au vingt-et-unième siècle ?

Elle espérait pourtant qu'il avait compris la leçon, et s'intéressa au match. Les autres recommencèrent à parler de la nouvelle voiture du copain d'Amanda, mais elle ne les écoutait même plus. Seat ou Nissan, elle ne saurait dire. Elle était simplement décidée à quitter la pizzeria dès que la mi-temps arriverait. En plus elle avait bien compris qu'au test d'amitié Amanda avait eu moins dix, et que ce n'était plus la peine de s'obstiner à vouloir fraterniser avec elle. Elles n'appartenaient visiblement pas au même monde.

Elo crut que sa soirée était déjà complètement ruinée, mais tout cela dépassa ses espérances lorsqu'une fille en minijupe pénétra dans le restaurant. Elle remarqua tout de suite que Gaël la reluquait sans aucune retenue, ce qui lui donna envie de lui envoyer un poing dans la gueule.

Quel imbécile ce type, pensa-elle.

-Elle est pas mal la fille là-bas, non ? dit alors ce petit con.

La table entière se tourna vers l'entrée pour vérifier si ses dires étaient vrais, comme si on parlait d'une marchandise. Elo s'en trouva écœurée mais décida de fermer les yeux pour cette fois. Si elle s'énervait, ça risquait de mal se finir.

-Vu la taille de sa jupe, faudra pas s'étonner qu'elle se fasse violer, celle-là.

C'était les mots de trop. Elo se leva d'un coup alors que tous les regards autour de la table se braquaient sur elle, surpris de ce mouvement brusque.

-Mec, t'abuse, commença Léo. Tu devrais pas...

-Ça va, j'ai rien dit de grave, se défendit Gaël en buvant une gorgée de bière.

Elo, encore debout, donna un coup dans sa bouteille. La bière ripa de ses lèvres et s'éparpilla sur le t-shirt du type, le faisant entrer dans une colère noire.

-Putain, tu fais chier ! C'est quoi ton problème, à la fin ?! s'exclama le gars en se levant à son tour.

-C'est quoi mon problème ?! répéta Elo. Mon problème c'est que je croyais que les crétins comme toi, ça n'existait plus. Une femme devrait pouvoir s'habiller comme elle veut sans se taper des remarques de gros porcs comme toi, cracha-elle.

Elle était en train de récupérer son sac à main quand le type lui asséna le coup de grâce :

-Oh c'est bon, arrête de m'emmerder avec ton féminisme à deux balles. T'es en retard, la mode est passée.

Elo s'immobilisa, sous le choc. Alors qu'Amanda et son copain étaient en train de regarder la scène comme s'il s'agissait d'un film au cinéma, Léo paraissait beaucoup plus affecté. Elo se demanda sincèrement comment il pouvait traîner avec un connard pareil.

-Le féminisme c'est pas un effet de mode, idiot, dit-elle froidement en le toisant de toute sa hauteur -même si elle ne faisait qu'un mètre soixante-quatre.

Elle s'apprêtait à partir quand elle revint sur ses pas, décidant qu'elle ne lui avait pas assez bien fait comprendre le message.

-Tu n'es qu'un pur salaud, déclara-elle, le visage rougi par la colère. J'espère que quand tu grandiras -si ça arrive un jour-, tu comprendras que ce que tu as entre les jambes ne te permet pas d'ouvrir ta grande gueule pour dire de telles conneries.

Cette fois, elle décida qu'elle en avait dit assez. Elle était une nouvelle fois en train de partir quand elle revint encore sur ses pas après l'avoir entendu marmonner :

-Elle a ses règles ou quoi ?

Elo attrapa la bière de Léo et la vida dans les cheveux du type. Choqué, il ne bougea pas. Elle en profita pour prendre celle d'Amanda et la lui jeter dessus aussi avant de quitter la pizzeria, sur les nerfs.

Non seulement cette soirée était un cauchemar, mais Elo se rendait compte d'un problème bien pire : la société actuelle avait encore beaucoup de progrès à faire. Et la jeune femme n'était franchement pas prête à vivre dans un tel monde.

-Elo, attends !

Elle ne se retourna même pas à l'appel de son nom, trop énervée. On lui attrapa alors le bras, et elle se retrouva nez à nez avec Léo. Dès qu'elle l'aperçut elle se remit à marcher d'un pas furibond et il dut presque courir pour la rattraper.

-Hé, je suis désolé, dit-il en se plantant devant elle, à bout de souffle. Je savais qu'il était pas très malin, mais je croyais pas que c'était à ce point.

-Je m'en fous, de ce mec. Allez, retourne avec tes 'potes', dit-elle en faisant des guillemets avec ses doigts. Qui se ressemble s'assemble, ajouta-elle en le fusillant du regard avant de se remettre à marcher.

Il la rattrapa de nouveau et tenta de suivre le rythme en marchant à côté d'elle.

-Je les connais même pas, ces trois-là. C'est juste des potes de potes de potes de potes de potes qui... Fin, des gens éloignés quoi.

-Alors pourquoi t'étais là ? demanda-elle en s'arrêtant brusquement de marcher.

Si Léo avait du mal à comprendre sa façon de se déplacer, il n'en fit pas la remarque et s'immobilisa aussi.

-J'ai entendu que tu serais là, c'est tout.

Le cœur d'Elo s'arrêta de battre. Vraiment. Pendant genre, une minute ou deux. Pour être direct, c'était sacrément direct.

-Quoi ? Arrête, on se connaît même pas, dit-elle en balayant l'air de sa main, les yeux plissés par un agacement sans nom.

-T'avais l'air cool l'autre soir, je voulais juste savoir si tu l'étais vraiment. Et c'est bon, t'as passé le test haut la main.

Elo détourna le regard, persuadée qu'il lui sortait une disquette. Les mecs étaient forts pour ça, en général. Et pas que les mecs, d'ailleurs.

-Les gens ont l'air trop craignos dans cette école. Et pour l'instant, t'es la seule qui pue pas trop le racisme ou la drogue. Alors fais au moins semblant de m'apprécier deux secondes, s'il te plaît. C'est quand même mieux que d'être seule, non ?

Touché.

Elo croisa les bras et soupira avant de le regarder.

-Tu veux quoi, en fait ?

Le garçon sembla désemparé, comme si lui même ne connaissait pas la réponse. Puis, il dit gentiment :

-Je sais pas, qu'on apprenne à se connaître. Je suis pas difficile, j'accepte même la place de bouche-trou.

-Waouh, vraiment désespéré le garçon, ironisa-elle.

-Je te l'ai dit, les gens sont trop relous ici.

Elo ne savait pas si elle devait prendre ça comme un compliment, mais elle décida de le prendre comme tel.

-Lundi, huit heures, devant le portail, finit-elle par dire. Si t'es pas là, c'est plus la peine de me reparler.

Puis, alors qu'elle s'éloignait, elle se demandait si finalement, elle ne s'était pas fait un ami ce soir.

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