6| Esmée et Sidonie

ESMÉE

Chose que j'aime chez-moi n°4 :

Mes bras (quand je pouvais encore les bouger tous les deux)

— Tu sais que tu ne pourras pas rester dans ta chambre pour toujours... ?

Ce sont les premiers mots que Benjamin prononce depuis une bonne demi-heure. Depuis que j'ai décroché, il s'est contenté de rester à l'autre bout du fil tandis que je pleurais. J'avais à peine vu son visage que les larmes roulaient déjà sur mes joues.

J'hausse une épaule. L'écran me renvoie une vision réellement pathétique de moi-même : allongée sous ma couette, trois oreillers derrière le dos, les joues baignées de larmes et mes écouteurs emmêlés dans les cheveux. J'ai l'impression d'avoir fait un bond dans le temps et d'être revenue six mois en arrière.

— Je ne sais plus quoi te dire, Es'... murmure alors mon meilleur ami.

Un pli profond barre son front. Lui aussi a fermé les volets chez-lui, probablement pour que je me sente moins seule. Ça fait cinq jours entiers que je vis quasiment dans le noir, du matin au soir. Je ne sais même pas s'il a fait beau cette semaine ou s'il a plu en continu, c'est pour dire.

— J'ai envie de te réconforter, mais je sais que ça ne sert à rien, ajoute-t-il en secouant la tête. Je pensais que te laisser pleurer te ferait du bien mais ça ne s'arrête plus, et moi je suis déboussolé...

J'essuie les larmes qui continuent de couler sur mes joues d'un revers de la main droite, celle qui n'est pas coincée dans une attelle.

— Je ne peux plus me doucher seule, murmuré-je alors. Ni me lever, m'habiller, me faire à manger, aller lire sur la plage ou faire du vélo. Enfin, de toute façon, je... Je n'ai même plus de vélo.

Même s'il vit à l'autre bout de la France, je peux presque entendre le cœur de Ben se briser. Ça a toujours été comme ça depuis qu'on se connaît : quand il est mal je suis mal aussi, et inversement. C'est bête, mais je me sens soutenue en l'entendant pousser un soupir teinté de désespoir.

— Il faut que tu reprennes ta vie en main, dit-il doucement. Tu allais mieux, tu ne peux pas retomber là-dedans.

Je renifle en essuyant brièvement une nouvelle salve de larmes.

— Si ça peut te rassurer, mes parents ont mis un cadenas sur le buffet du salon. Et de toute façon je peux pas me lever, je te rappelle.

Un minuscule sourire contrit éclaire alors son visage.

— Si tu fais de l'humour noir, ça veut dire que tu ne vas pas si mal que ça.

J'hausse de nouveau une épaule et pousse un immense soupir avant d'attraper de ma main valide la bouteille d'eau laissée sur mon chevet pour en avaler une grande gorgée.

— Tu sais, je voulais te dire... commence Benjamin tandis que je repose la bouteille. J'ai eu hyper peur pour toi, Es'. Vraiment.

Je le fixe, ne sachant pas quoi répondre. Peu importe ce je pourrais dire, ce serait déplacé vis-à-vis de sa copine Léna.

Je ne sais plus exactement depuis combien de temps je crois avoir des sentiments pour Ben. On se connaît depuis que j'ai environ dix ans, quand sa grand-mère a emménagé en face de chez la mienne en Bretagne. Nos deux mamies sont devenues copines et comme on venait tous les deux passer nos étés entiers chez elles, on a vite fait connaissance. Étant donné qu'il habite à Lille à l'année, on s'envoyait des mails via les ordinateurs de nos parents au début. Puis, on est passés aux textos quand nous avons chacun eu un portable, aux réseaux sociaux vers la fin du collège et enfin aux face times depuis le lycée.

Ce type est littéralement génial. Je ne sais pas si sa gentillesse légendaire provient du fait qu'il a grandi uniquement entouré de femmes – il ne connaît ni son père ni son grand-père et a deux grandes sœurs – ou qu'il est simplement comme ça, mais c'est toujours impressionnant de le voir à l'œuvre. Il a l'esprit d'équipe, la tolérance, l'ouverture d'esprit. Tous les parents l'adorent et ma sœur est probablement amoureuse de lui depuis toujours, elle aussi.

Ça fait longtemps que j'ai des doutes sur nous deux, quelques années peut-être. Chaque fois qu'on se croise en Bretagne j'ai tout qui remonte et dès qu'il s'éloigne de nouveau, la vague qui était montée en moi semble redescendre peu à peu.

De toute façon, je ne pourrais jamais lui parler de ça – Léna ou pas. Je tiens trop à notre amitié pour risquer quoi que ce soit. Transformer de l'amitié en amour, ça ne fonctionne que lorsque vous n'avez jamais pris de bains avec l'autre étant petits. À ce stade, il y a un lien trop fort avec lequel on ne peut clairement pas jouer.

— Je n'ai pas du tout envie que tu souffres, ajoute-il, me sortant de mes pensées. Tu sais que je t'ai...

Il est interrompu par la porte de ma chambre, qui s'ouvre dans un grincement. Je reconnais que c'est Clara qui se tient derrière avant même de la voir, juste à sa façon de tirer doucement la poignée vers elle.

— Je dois y aller, murmuré-je. On se parle plus tard, OK ?

Benjamin a pile le temps d'acquiescer avant que je ne raccroche.

Sur ce, je retire mes écouteurs de ma main libre. Ma sœur reste sur le pas de la porte et me demande alors gentiment :

— Ça va ?

Aucune réponse ne semble être assez modérée pour être prononcée, alors je me mure dans le silence.

— Je sais que c'est dur, dit-elle alors. Je le sais, OK ? Papa le sait, maman le sait, tout le monde le sait. Mais rester ici ne fait du mal qu'à toi, pas à lui.

« Lui. »

Elle sait que c'est un garçon qui m'a renversée, alors. Bizarrement, j'en veux à mes parents de le lui avoir dit. J'aurais préféré lui en parler moi-même, bien que je sais être incapable de reparler ne serait-ce qu'une minute de cette nuit-là. Penser au froid du goudron sur mon visage me terrifie.

— Je veux porter plainte, réponds-je alors.

Clara me fixe de ses grands yeux noisette, les mêmes que les miens. Elle n'acquiesce pas et pourtant, elle répond tout de même :

— Tu feras ce que tu voudras, mais seulement si tu acceptes de sortir de ta chambre.

Je pousse un grognement en guise de réponse.

— Je me doutais que tu dirais ça, reprend-t-elle alors, un sourire espiègle se dessinant sur ses lèvres. Du coup, je t'ai amené une petite surprise.

J'arque un sourcil désabusé.

— Une petite surprise ? Si tu veux m'emmener au parc d'attractions, c'est pas le moment.

Ma petite sœur lève les yeux au ciel. Quand elle me regarde de nouveau, elle murmure un « attends » avant de finalement entrer dans ma chambre, elle qui était restée sur le pas de la porte depuis le début. Je la regarde se diriger jusqu'aux étagères en face de mon lit et vois ses mains s'activer avant qu'elle ne me rejoigne près du lit. Elle dépose alors doucement un coton imbibé d'eau micellaire sur mes joues et frotte délicatement, probablement pour enlever les traces salées qu'ont laissé les litres et les litres de larmes que j'ai versé ces derniers jours.

— Est-ce qu'Emmanuel m'en veut ? demandé-je alors.

— Esmée, soupire-t-elle, comme si c'était une évidence. Tu pense sérieusement qu'il serait fâché contre toi parce que tu as failli mourir ?

— J'ai loupé le travail.

Ma sœur étouffe un rire.

— Oh mon dieu, tu m'épuises.

Je souris légèrement tandis qu'elle dépose le coton sur la table de chevet, juste à côté de ma bouteille d'eau. De mon côté, j'hésite un instant avant d'oser demander :

— S'il n'est pas fâché, pourquoi est-ce qu'il n'est pas venu me voir ?

Ma sœur me coule un regard désolé.

— Je ne suis sûrement pas censée te le dire, mais bon... Anouk a entendu papa et maman lui demander au téléphone de ne pas passer à la maison. Ils pensent que ça va t'enfoncer encore plus, et que tu vas repenser à l'atelier.

Je m'enfonce légèrement dans mes oreillers, sentant les larmes poindre de nouveau aux coins de mes yeux. Je n'ai pas besoin de voir Emmanuel pour savoir ce que j'ai perdu, mais je crois que mes parents ont raison... C'est peut-être mieux pour moi qu'on ne se croise pas trop pour l'instant. Ça me ferait trop mal.

— Bon, allez, je te montre ta surprise ! dit soudain ma petite sœur en bondissant presque sur ses pieds.

Un fin sourire aux lèvres, je la regarde traverser la pièce, puis... sortir ?

— Clara, c'est pas drôle ! m'écriai-je d'une voix forte pour qu'elle m'entende du couloir.

Sur ce, je presse les paupières en soupirant. J'ai réellement cru qu'elle m'avait préparé quelque chose, cette garce.

— Salut, Esmée.

Je rouvre les yeux en un quart de seconde et aussitôt, mes iris rencontrent ceux de l'une des personnes que j'aime le plus sur cette Terre.

— Sidonie ! m'exclamai-je, presque dans un hoquet. Salut !

Elle est plus belle que jamais. Ses yeux en amande ressortent encore plus qu'avant et elle a noué un ruban blanc dans ses cheveux lisses. Elle a aussi un style imparable : elle porte un t-shirt rose pâle avec une inscription en chinois rentré dans une jupe plissée style tennis, des bas blancs et ses fidèles Doc Martens toujours en bien trop bon état pour quelqu'un qui les porte depuis ses treize ans.

— Je te ferais bien un câlin mais je crois que ce n'est pas le moment, plaisante-t-elle en me désignant du menton.

Je comprends aussitôt qu'elle est au courant de la situation. De toute façon, même si ce n'était pas le cas ce ne serait pas difficile de deviner que je suis mal en point : je porte une attelle au poignet et j'ai la jambe droite complètement plâtrée. Sans parler de mon visage constellé de bleus, où il y a même un pansement pour protéger la joue qui a été violemment griffée sur le sol lorsque j'ai atterri sur le goudron après être passée par-dessus le pare-brise.

— Alors comme ça tu fais de la voltige, maintenant ? ajoute-t-elle toujours sur le ton de la blague en se dirigeant vers les fenêtres.

— Ouais... Je me mise au cirque, il paraît que ça muscle pas mal.

Elle me sourit tout en ouvrant mes volets. Ça me brûle les yeux mais je ne fais aucun commentaire, trop heureuse de la retrouver.

— En tout cas ça fait un bail, dit-elle alors d'une voix douce en venant s'asseoir sur le bord de mon lit.

— Ouais... environ trois mois.

Ses yeux en amande s'étirent d'autant plus lorsqu'elle m'avoue d'une voix suintante de regrets :

— J'ai voulu t'appeler, mais...

— Je sais, la coupé-je. Tu n'as pas pu.

Elle acquiesce.

— Quand j'ai appris que tu étais rentrée, je voulais te laisser un peu le temps de respirer et de te réhabituer à la Vendée avant de te contacter. Et puis j'ai appris ce qui s'était passé, et je...

Sa voix se brise, ce qui l'empêche de finir sa phrase. De ma main valide, j'emmêle alors mes doigts avec les siens et me force à lui sourire.

— C'est gentil d'être venue.

Ses yeux brillent un instant, puis elle reprend son air plaisantin pour me répondre :

— Clara m'a promis des cookies, je ne pouvais pas refuser.

Je m'esclaffe, pour la première fois depuis des jours. Mes côtes me brûlent aussitôt et mon rire se tarit très vite, mais l'intention est là.

Quand je relève les yeux vers elle, Sidonie s'est postée près de la fenêtre. Elle regarde à travers mes voilages un bon moment avant de commenter d'un ton interrogateur :

— Les voisins d'en face ont repeint leur façade ?

Ça me fait sourire.

— Ouais, je crois.

Sid' se retourne alors vers moi, les bras croisés sur sa poitrine par-dessus son t-shirt, et demande :

— Ça te dit qu'on aille faire un tour dans le centre ?

J'arque un sourcil.

— Quoi ? demande-t-elle.

— Sérieux ? grogné-je en levant les yeux au ciel.

Celle-ci n'a toujours pas l'air de comprendre, ce qui me pousse à désigner mon corps tout entier de ma main valide.

— Aaah, mais on s'en fout de ça ! s'exclame-t-elle alors en balayant l'air de sa main. Tu as un fauteuil roulant !

Sur ce, elle se dirige vers l'objet de malheur, qui est installé près de mon bureau. On m'a ramené avec de l'hôpital et depuis, j'ai toujours refusé de bouger de mon lit.

— Pas question, répliqué-je tandis qu'elle le déplie à côté du lit. Je ne veux pas monter là-dessus.

— Et pourquoi pas ? T'auras aucun effort physique à faire, je te pousserai tout le long.

— Sidonie, je te jure que...

— Purée, mais c'est que c'est confortable cette connerie ! Me coupe-t-elle en se laissant tomber dessus.

Elle traverse plusieurs fois la pièce en roulant avant de s'immobiliser de nouveau près du lit, les jambes en travers des accoudoirs.

— Bon, on y va ? finit-elle par questionner d'une voix douce.

Alors, surtout parce que je n'ai pas envie qu'elle s'en aille, j'accepte.

Ce qui se révèle le plus compliqué, ce sont les escaliers de chez-moi : Clara et Sidonie me portent toutes les deux jusqu'en bas, non sans manquer de me lâcher en plein milieu des escaliers. Ensuite, mon amie se tape le trajet jusqu'à ma chambre au moins cinq fois pour aller me chercher des affaires – d'abord ma bouteille d'eau, puis mon portable, ma veste, mes chaussures, et enfin mon sac à main. Cependant, celle-ci ne bronche pas une seule fois et s'exécute sans se plaindre, probablement parce qu'elle sait que j'attends le moindre faux-pas pour me désister de cette excursion.

Au moment de partir, Clara se joint finalement à nous et s'occupe de porter les affaires tandis que Sidonie pousse mon fauteuil. À peine dans la rue, l'air frais me fouette les joues et colle une mèche de cheveux sur mes lèvres.

Je ferme les yeux un instant, inspirant une grande goulée d'air frais.

Oh, ça fait du bien.

Les filles discutent de l'internat de Clara pendant que nous traversons lentement le quartier, jusqu'à arriver au centre-ville. Une fois là-bas, nous faisons du lèche-vitrine et achetons une barbe à papa à se partager.

— Ça t'irait super bien, dis-je à ma sœur tandis qu'elle louche sur un jean sur un mannequin en vitrine d'un petit magasin.

— Tu penses ?

— Carrément. Allez, va l'essayer !

Sous mes encouragements, ma sœur pénètre dans la boutique. Je vois Sidonie lui sourire d'un air contrit, ce qui me pousse à lui dire :

— Vas-y.

— Quoi ?

Je manque de lever les yeux au ciel face à son air surpris.

— Comme si tu ne voulais pas jeter un œil aux fringues, toi aussi ! soupiré-je. Allez, vas-y, je te dis !

— On n'a qu'à y aller ensemble, dit-elle en faisant le tour pour se poster de nouveau derrière moi.

Je la chasse de mon bras libre en rétorquant :

— Les allées sont trop petites donc mon fauteuil ne passera pas, mais toi tu peux y aller. Dépêche, Clara va vouloir te montre ses essayages.

Sidonie penche la tête un instant d'un air hésitant, puis ses yeux se posent un instant sur la porte et elle finit par céder :

— Bon... OK. On est revenues d'ici maximum dix minutes, promis.

Je lui lance un petit sourire tandis qu'elle disparaît dans la boutique, me laissant seule dans la rue. Aussi, j'utilise ma main libre pour me pousser plus près des vitrines et ne pas boucher le trottoir, ce qui se révèle bien plus compliqué que prévu étant donné que je n'ai aucune force dans les bras – et encore plus dans un bras.

Ensuite, j'essaie de faire abstraction au regard des gens. Mes joues chauffent plusieurs fois lorsque les yeux des passants s'attardent un peu plus sur moi que sur les autres, mais j'essaie de garder la face. À vrai dire, je ferais sûrement pareil si j'étais à leur place : j'ai une jambe plâtrée, une attelle au poignet, des bleus dans le cou et un grand pansement sur la joue. Sérieusement, on dirait presque que j'ai fait la guerre.

— Bonjour... ?

Je sursaute en entendant une voix derrière moi, puis essaie de me retourner... avant de me rappeler que je suis sur une putain de chaise roulante et que ce n'est pas si facile que ça.

— Désolée, bonjour, dit soudain la jeune femme qui m'a adressé la parole en faisant le tour du fauteuil.

Quelque chose tressaute dans ma poitrine en croisant son regard. Je la reconnais aussitôt : elle était là lors de l'accident. C'est elle qui s'est agenouillée près de moi et m'a demandé comment je m'appelais.

Ça fait drôle de la voir ainsi, aussi... calme. Cette nuit-là, elle avait les joues tellement baignées de larmes que ses paupières étaient à moitié closes.

— Bonjour.

Ma voix sort un peu cassée, alors je tousse un coup.

— Je ne sais pas si tu me reconnais, reprend-t-elle d'une voix douce. Je m'appelle Lucilla.

— Si. Si, je te reconnais.

Je la revois poser sa main par-dessus la mienne, alors que je m'accrochais aux cheveux de ce crétin qui m'avait roulé dessus. Aussitôt, rien que le fait de penser que j'ai pu avoir le moindre contact physique avec ce type me fait frissonner de dégoût.

— Je suis contente de voir que tu vas bien, dit-elle ensuite avec un sourire sincère. On est restés un bon bout de temps à l'hôpital, mais... Personne n'a voulu nous tenir au courant de ton état de santé.

Je ne sais pas quoi faire de cette information, alors je hoche simplement la tête. Comment suis-je censée réagir, au juste ? La remercier d'être restée, de s'être inquiétée ? C'était la moindre des choses – ne serait-ce que parce que si j'étais morte, ils auraient tous eu de sacrés problèmes.

— Je tenais à m'excuser pour... ce qui s'est passé. Pardon.

Elle a l'air submergée par l'émotion tandis que je reste de marbre. À cet instant, je ne ressens rien d'autre que de la colère.

Pas envers cette fille. Envers lui.

— C'est bon, réponds-je. Ce n'est pas ta faute.

— Si, si, c'est ma faute. J'ai accompagné Ellis à ce bar, et j'ai bu avec lui sans vérifier s'il faisait attention. Je ne me rappelle pas qu'il ait pris plus d'un verre, mais le barman devait l'avoir pas mal chargé.

Alors il s'appelle Ellis, pensé-je. Presque juste après que cette pensée me soit montée au cerveau, un souvenir me revient comme une sorte de flash :

« Moi c'est Ellis. C'est nul comme prénom, t'as le droit de rire si tu veux. »

J'ai un goût de bile dans la bouche lorsque je rétorque :

— OK.

Qu'est-ce que je pourrais dire d'autre ? Aucun mot n'est assez fort pour exprimer ce que je ressens, de toute façon.

— Bon, je... Je vais y aller, finit-elle par dire devant mon manque de réaction. Je suis sincèrement désolée, et si je peux faire quoi que ce soit, je...

Je secoue la tête de gauche à droite.

— Non merci, ça va aller.

Lucilla penche légèrement la tête de côté tout en passant une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille. Ses lunettes de soleil, vissées sur sa tête, vacillent et manquent de tomber.

— Tu es sûre ?

Je la fixe un instant. Elle a l'air gentille, bien trop gentille. Je voudrais qu'elle ait l'air méchante, ou dangereuse. Ou un peu des deux.

— Ça ira.

Sur ce, elle acquiesce et me lance un minuscule sourire avant de faire volte-face. Elle a à peine le temps de faire deux pas que je m'exclame, sans trop réfléchir :

— Lucilla !

M'entendre prononcer son prénom a l'air de lui avoir fait un coup au cœur. Elle se détourne en quelques secondes à peine, devenue blême.

— Oui ?

J'enroule mes doigts de ka main droite autour de l'accoudoir du fauteuil. Ceux de la gauche, enfermés dans l'attelle, se replient à peine sur eux-mêmes.

Alors, je lève le menton bien haut et lâche :

— Dis à Ellis que je me fiche de son pardon. Une fois ou mille, ça n'a pas d'importance.

J'hésite une seconde, puis me sens obligée d'ajouter :

— Je le déteste.

Lucilla encaisse le coup, les bras ballants le long du corps. Elle a les yeux brillants.

— Je lui passerai le message.

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